Légendes affectives : imaginer pour se consoler 

Vers une survivance

S’inscrivant dans une démarche identitaire, mon rôle « d’artiste-chercheur » tente de mettre au jour des histoires et mécanismes de survivance qui convoquées dans une pratique plastique, permettent d’assumer le passé. Lors de cette étude, certains paramètres apparaissent significatifs, tels que le temps, la mémoire et la filiation. La première démarche établie a été d’édifier des passerelles entre le présent et un passé plus ou moins lointain. Ils s’enracinent dans le vécu expérientiel ou sensoriel.
Je me suis principalement intéressée aux souvenirs d’enfance de ma mère, à son parcours et ses choix de vie, comme éduquer une petite fille seule, sans jamais prononcer le nom du père. L’apparition du père biologique est intervenue plus tard dans ma recherche, cela ressemble d’ailleurs à une déambulation sur les traces du père. Souvent, ces traces prennent la forme d’archives que j’articule en divers dispositifs qui permettent une reconstruction mémorielle où s’enchevêtrent l’histoire personnelle de Martine Valtier (la mère), du père encore inconnu et celle des lieux. Chacun de ces dispositifs constitue une tentative singulière de rappel du passé où les archives ont des présences diverses (matérielles-immédiates-dé/rematérialisées).
« L’art, c’est l’enfance, voilà. L’art, c’est ne pas savoir que le monde existe déjà, et en faire un. Non pas détruire ce qu’on trouve, mais simplement ne rien trouver d’achevé. Rien que des possibilités. Rien que des désirs. Et tout à coup être accomplissement, être un été, avoir du soleil. Sans en parler, involontairement. Ne jamais parfaire. Ne jamais avoir de septième jour ».
Je voulais « commencer au plus près de moi », pour raconter une expérience, pour faire empreinte. Je me suis plongée dans mon enfance, puis celle de mes proches, de ma famille que je ne connaissais pas encore. Je cherchais à faire survivre « nos images ».
Comme le montre Walter Benjamin repris par Didi-Huberman : « Les images sont nos survivantes : non pas seulement (parce) qu’elles se tiennent devant nous au-delà d’une mort passée ; mais encore parce qu’elles nous suscitent, nous bouleversent, nous ouvrent au-delà de toute vie – et, donc, de notre propre vie – présente. En cela, survivance et enfance sont inséparables ».

PROBLÉMATIQUE

Mon projet se fonde sur mon histoire personnelle à travers des préoccupations liées à la perte. En prenant conscience de cette appartenance, mon sujet se construit sur des éléments intimes, des « états » qui deviennent mes principaux outils d’expression.
Ma perception de ma réalité, de mon histoire personnelle sera essentielle pour cette création, en prenant comme point de départ, la disparition du père adoptif comme expérience de la perte ; un besoin ou plutôt une révolte intérieure est apparu : de ne pas oublier. À travers cette quête de la mémoire ou du moins de ne pas oublier, j’ai pris conscience que j’étais cernée par des pertes, des disparitions, des blancs et des absences.
Ici, le secret familial est devenu une véritable fascination dans ma recherche-création, il est un état, une émotion et bien souvent un besoin de chercher à combler l’histoire inconnue, celle que l’on ne m’a jamais racontée. L’intention était de reconstruire cette histoire éparpillée, de créer une biographie de l’absence où je dresse le portrait d’une communauté disparue qui modèle le présent. Comment construire son être avec des blancs, des pièces manquantes, des absences et des pertes ?
Mon processus de création qui fait état de la disparition et de l’absence se transmet par la dynamique de ces deux médiums : l’impression et l’installation.
À travers cette recherche, l’analyse sur le déroulement de ma pratique artistique est considérée en tant que véhicule capable d’approfondir des questionnements sur l’instauration d’une dialectique entre effacement et apparition à travers le concept de survivance. Afin de pouvoir comprendre, de donner un sens aux pertes, je tente d’acheminer mon travail de recherche création vers l’élaboration d’un récit de survivance.
Mais en quoi ces deux médiums peuvent transmettre le concept de survivance ? Comment la matière de l’absence peut-elle être activée dans une production plastique ? En somme, l’objet de ma réflexion tant vers cette question : de l’impression à l’installation, comment la matière de l’absence, peut-elle être activée en récit de survivance ? À travers cette problématique, il y a une volonté de trouver lors de cette recherche, une forme entre ces deux pratiques qui puissent articuler le concept de survivance.

LES ESPACES MENTAUX

Ce que je nomme ici les espaces mentaux ce sont ces espaces où viennent s’intégrer des images de soi (de mon histoire éparpillée). Lorsque je parle d’images de soi, j’entends par là, des figures, des symboles, mis en avant de différentes manières dans divers espaces.
En créant un objet, une pièce, une image, je prenais conscience de son empreinte et de sa trace. Mes premières questions dans le domaine artistique se sont concentrées sur la notion d’empreinte : est-ce qu’il restera une empreinte de mon histoire ? Comment ces empreintes peuvent se matérialiser dans un langage poétique ?
Dans ce cheminement artistique, mon vocabulaire esthétique s’est articulé autour de l’impression et de la sculpture comme métaphore « in situ » que je situe dans des espaces aussi bien physiques que mentaux, qui traitent de la mémoire, du fragment et de l’identité.
À travers mon expérience se forme un travail autobiographique, qui se figure dans un récit phénoménologique. Je tente de m’appuyer sur l’auto ethnographie, proche de l’autobiographie, des récits du soi, des récits de vie qui se caractérisent par une écriture du « je » qui permet un aller-retour entre l’expérience personnelle et les dimensions culturelles afin de mettre en résonnance la part intérieure et plus sensible du soi. Je fais donc partie intégrante de la recherche, je suis dans un travail d’articulation entre ma posture de chercheur et d’artiste, ici, les deux savoirs se complètent.
La première étape de ma recherche s’est orientée vers la compréhension de cette histoire éparpillée, un moment exploratoire en prenant conscience de la problématique et du contexte. Afin de saisir cette étape, il était nécessaire de pouvoir m’immerger dans le contexte d’origine (La France, l’Allemagne, l’Italie et le sud de la France) pour collecter des données, des photographies, des traces et des récits.
Je me suis donc attardée sur deux sources temporelles principales dans cette recherche : les souvenirs issus du passé. En utilisant des récits sous la forme du « je me souviens »16. J’ai tout d’abord demandé à ma mère de se souvenir des expériences de son enfance à travers les lieux qui lui était importante.
Cette étape m’a permis de cerner un peu plus cette image « résistante-survivante ». En allant sur ces lieux d’enfance et en gardant comme première trace : la photographie. Ce processus d’enregistrement des données photographiques passe par le mouvement, par une mémoire corporelle, liée au parcours que j’ai fait en Europe.

La trace

Je marche. Je parcours.
Longtemps.
Je suis mes pas, je déambule dans les rues, dans les parcs, les jardins. Tout ce que j’entreprends est un pas de plus vers la fin. Une accumulation de gestes me faisant avancer, regarder, penser, me souvenir.
Nous accumulons et nous vivons à partir de ce que nous laisse le passé, à partir du restant. C’est ce qui devient notre base constructrice, et à notre tour nous créons d’autres traces, physiques et virtuelles.
Trace passée,
présente,
future
Une marque, une empreinte restée de quelque chose, en quantité plus ou moins importante.
La trace, autant physique que virtuelle, nous entoure depuis toujours. Il y a cette trace de doigt marquée dans la glaise sèche, cette empreinte de chaussure enfoncée dans le bitume frais. Il y a cette trace au mur, dessinée par un excédent de lumière.
Entre mémoire et imagination. Entre présence et absence, entre éphémère et éternel, entre physique et virtuel.
Devoir de mémoire et devoir de ne pas oublier.
Pour Walter Benjamin, « la trace est l’apparition d’une proximité, quelque chose de lointain »17 qui apparaît comme secondarité de cette chose. La trace, par rapport à la chose première, est une présence pour la chose absente. Elle est vue comme une structure de signes.18
Comme l’archive, la trace est autant concernée par le passé que par l’avenir. Elle n’est pas le mélange entre présence et absence, ni le passage entre présence et absence, ni la présence de l’absence. Trace, marque, empreinte sont le reste d’une chose ou la création d’une autre.
Cette obsession de ne pas oublier par la trace rejoint le travail et le processus de création de l’artiste Boltanski. De la collecte d’objets quotidiens exposés dans des vitrines jusqu’aux installations les plus monumentales, Christian Boltanski a l’obsession de sauver l’humanité de l’oubli. La collecte et l’archivage sont les obsessions majeures de cet artiste, comme si l’accumulation pouvait venir conjurer l’inexorable perte qui touche chacun dans son expérience du temps. Dans le temps et le lieu de son exposition, chaque oeuvre est une pièce qui se joue grâce au public, puis retourne au néant, ne survivant alors que dans la « petite mémoire » du spectateur.
Une des oeuvres les plus significatives selon moi, était La Monumenta Personnes en 2010 (figure 2) dans la nef du Grand Palais, cette expérience a été une vague intense d’émotion, à la fois vivifiante, déstabilisante, enrichissante et perturbante. Je me souviens que cette oeuvre se voulait glaciale, rythmée par le son des battements de coeurs que l’on ne pouvait imaginer autrement que morts en circulant dans ces allées, traçant un chemin entre des champs de reliques, sous l’oeil mécanique de la gigantesque grue, arrachant quelques vêtements pris au hasard du sommet d’une butte. Pourtant, aux frontières de cette mort froide, se trouvait un refuge : des cabines où l’on était accueilli pour y enregistrer les battements de son propre coeur. Ainsi, chacun vivait à la fois la mort des autres et une possible survie.
Puisant dans l’esthétique fantomatique de l’artiste, mes projets plastiques oscillent dans l’entre-deux : la présence et l’absence dans le choix de mes médiums (le béton, le tissu, la cendre). Mais aussi par l’idée de cette « petite mémoire » qui confronte la disparition. Cette influence artistique s’articule dans mon travail par le choix des médiums et cette volonté de créer une esthétique fantomatique. La plus significative est l’installation faite lors de ma première maîtrise en France, en juin 2016 : Chemin de ton absence (figure 3). L’installation est composée de 60 morceaux de tissus photolithographiées suspendues dans l’espace de l’atrium de l’ESAM19. Chaque tissu provient de tissus mortuaires que l’on utilise pour embaumer les morts, ceux-ci obtiennent l’empreinte d’une image d’un paysage produit en photolithographie, avec au sol, des plaques de béton reproduisant des allées géométriques. Le spectateur déambule dans cet espace, les tissus bougent comme des fantômes vivants à chaque passage du regardeur.
Lors de ce projet, j’avais l’impression de rester trop à la « surface » de mes intentions, je voulais créer un espace réactif, et il me semblait que cette installation n’avait pas pris tout le potentiel du lieu et des matériaux.
À travers ma seconde maîtrise faite à l’UQAC en 2017, je voulais réutiliser mes tissus mortuaires, reprendre divers éléments du projet Chemin de ton absence, mais en travaillant sur « l’espace réactif ». Le projet Imminente étrangeté (figure 4) a été une exploration pour cette seconde maîtrise. Ici, l’objet des tissus imprimés a été repris et suspendu dans un espace obscur. À travers mes expérimentations, j’avais compris que le rôle de la lumière et de la scénographie de mes projets était essentiel. Il me semblait que l’intervention de l’obscurité permettait une tension plus forte avec le spectateur, et une restitution plus significative de la transparence avec la mise en scène de la lumière. Lors de cette expérience, je prolonge mon travail sur l’image, sur l’impression comme technique qui permet la réactivation.
En continuant sur la capacité des images à retenir la mémoire, je me suis interrogée sur le médium qu’est le son. Permet-il, lui aussi de retenir la mémoire ? Comment le son permet lui aussi de rendre un espace réactif ? Cette première expérience avec le son me permet de développer un univers à la fois familier et étrange. L’intérêt du dispositif étant d’organiser deux médiums, tels que le son et l’impression sur tissus en mettant en valeur leurs associations poétiques.
Ce nouvel élément dans mon travail de création a été important dans mon parcours. Ma première expérience avec le son m’a permis de constater que le son permettait également d’être un élément
« réactif ». Comme une nouvelle matière que je pouvais inscrire dans l’espace et le temps et saisir des frictions.

L’appropriation

Il semble qu’aujourd’hui tout est reproductible, tout est également déplaçable, comme le soutient Walter Benjamin dans L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.20 En multipliant les reproductions, l’existence en masse remplace l’unicité de l’oeuvre. Il est alors devenu plus que commun que de prendre, de s’approprier et de modifier.
À travers le travail de l’artiste Melvin Charney (figure 5), je retrouve l’idée de l’appropriation par le travail de compilation d’images que l’artiste fait, principalement de journaux où l’intention est de créer une rencontre avec l’architecture et l’actualité. Imprégnée de ce travail, je rentre en résonnance par la composition de l’image et son processus de compilation, dont le résultat chez Melvin Charney s’apparente à une cartographie de l’actualité mêlant le lieu, l’architecture et la mémoire.
Ma relation à l’appropriation s’organise autour d’une collecte de données, d’images, d’articles, de photographies, de couleurs qui s’articule par la suite dans un travail de composition d’images, de nouveaux récits qui s’intègrent à travers mes propres préoccupations telles que la mémoire et l’absence. Cette appropriation se retrouve principalement par l’impression (gravure, sérigraphie, lithographie), ce médium me permet de créer une nouvelle image avec la question du multiple et de la répétition. Le sens même du travail réside dans cette répétition : à partir d’un déjà-là, il s’agit de produire un objet second, autonome et achevé en soi. Ce qui m’interpelle ici c’est le travail du geste, la patiente transformation d’une reproduction en une peinture ou une sculpture lui accorde une nouvelle matérialité. Ce qui m’engage dans ce processus, c’est de tenter de reproduire non seulement une image, mais un geste antérieur. C’est ici que le souvenir est essentiel, le souvenir de ce geste antérieur, le répéter inlassablement, de pouvoir saisir ce souvenir. Ce processus s’articule avec un travail de remémoration ou plutôt l’idée de penser la remémoration, c’est-à-dire la re-présentation d’un passé après un constat de sa disparition.
D’une autre manière, je suis sensible à l’identité visuelle de l’artiste colombien Oscar Munoz (figure 6), par son univers fantomatique. Bien loin d’une fixation éternelle, les images réalisées par l’artiste se dissipent, changent, disparaissent comme une trace de buée sur un carreau. Dans son travail, la photographie n’est alors plus uniquement la trace d’un instant passé. L’image n’est plus inerte, elle n’est plus seulement la trace d’un instant révolu. Elle vit. Elle vit de manière éphémère comme les vidéos réalisées par l’artiste.
L’oeuvre la plus significative dans mon processus d’appropriation est Fragment d’un espace éparpillé (figure 7) créé lors de ma première maîtrise en art dans le cadre d’une recherche sur le souvenir et la notion de fragment. J’ai élaboré une série d’impressions à technique mixte (gravure et lithographie).
Dans ma base de données où sont assemblées plusieurs images, morceaux, bribes de journaux, de papiers à diverses textures, collectées depuis plusieurs années. Je sélectionne plusieurs images, je coupe, découpe, déchire pour reconstruire une nouvelle composition d’image. Progressivement, je trame mes images avant de passer à l’impression. Ici, je m’absorbe de plusieurs sources, de divers états, pour y faire jaillir une nouvelle image qui est volontairement fragmentée dans l’espace de la feuille, avec une structure géométrique faite en gravure par la technique de l’aquatinte de manière répétitive.
Une autre pièce dans mon cheminement artistique s’organise également sur l’appropriation d’image d’archive : Stratigraphie (figure 8). À travers ma deuxième maîtrise à Chicoutimi en 2016, lors d’un atelier de production, nous devions élaborer un projet autour du thème : les états transitoires. Ce terme « d’états » s’entremêlait avec mes propres préoccupations sur des situations intermédiaires, sur l’idée d’une disparition et d’une nouvelle réalité pas encore totalement établie. Mon premier intérêt lors de cette production a été la curiosité de la trace, de l’empreinte d’une image et de la perception de cette réalité.
Je puisais dans l’histoire de ma perte, celle de mon père. Le projet s’est articulé autour d’une installation ayant comme matériaux principaux : la céramique, l’impression et la photolithographie. L’oeuvre est composée de plusieurs plaques de céramiques au format de 30cm/30cm ayant la trace d’une photolithographie inscrite dessus. Progressivement la sérialité montre une variété d’images tirées d’un lieu précis : le cimetière (le dernier lieu où repose le défunt) et d’un objet précis, les portes qui cloisonnent cet espace de recueillement. La multiplicité des images, parfois floues, altérées lors du transfert, crée une sorte de trame narrative non linéaire, et appelle à un récit de l’affect.
Fascinée par la manière dont nous construisons nos espaces et comment ceci conditionne notre rapport au monde et à notre mémoire. Je me suis attardée sur le lieu du cimetière dans sa diversité comme un site transitionnel et qui dégage une poésie formelle.
Mon souhait était de reprendre les codes architecturaux de colonne, ainsi, mes plaques de céramique dressaient un cylindre s’allongeant du plafond au sol. Composé comme une métaphore d’un espace lui-même transitoire accompagné d’états, constituée par les « images-souvenirs »21 que sont les images lithographiées et par la composition des objets que sont les céramiques.
La plaque de céramique est le symbole d’un fragment d’un mur que je construis progressivement, ici, les objets de céramiques ne se présentent pas comme des vestiges d’un passé complètement révolu, mais comme une tentative de préserver vivant ce qui n’est pas encore tout à fait disparu.
Les répétitions des plaques de céramiques portent sur le passage du temps et tissent un parallèle entre le caractère éphémère des choses et de la vie. Évoquant le passé et le présent, convoquant la réalité et la fiction, le dispositif tisse une histoire partiellement trouée qui rend compte que le souvenir même très personnel, s’altère au fil du temps, mais peut toujours se remodeler, se réinventer et se reconstruire.
Pour cette recherche-création, j’ai élaboré ma pratique plastique autour de l’appropriation d’images collectées lors de mon parcours en Europe en y intégrant une structure fragmentée avec un intérêt pour les lieux, bâtiments et architecture. À la recherche de mes origines, je me suis concentrée sur les lieux précis où logeaient mes ancêtres du père biologique. En capturant ces maisons, usine, je creuse des strates du passé et souhaite les réactualiser à travers l’impression. Je suis restée quelques semaines en Allemagne, à la découverte de plusieurs personnes connaissant le père biologique.
J’ai eu souvent l’impression d’être en chasse, une chasse aux souvenirs instables. Cette instabilité me fait revenir à l’idée du fragment : impossible de cerner les choses dans leur totalité.
Je me suis fixé le but de conquérir des lieux communs. Comme un besoin de comprendre intimement les lieux où j’avais été, mais surtout où mes ancêtres avaient vécu. À travers cette vision, j’avais l’impression de ré apprivoiser ma mémoire, de la faire mienne.
J’organise mes idées et je souligne un parcours, puis je fais l’inventaire des lieux avec des dates.
Le 4 juillet 2017 : Paris —Francfort / Francfort-Heidelberg
Train entre Francfort—Heidelberg : Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je prends le train, je suis incapable de me souvenir de ce que j’ai fait entre le moment où je suis montée et celui où je mets le pied sur le quai de la gare. Comme si ce temps-là était une pure perte. Le train est silencieux, calme. Un temps hors du temps.
Le 5 juillet 2017 : Heidelberg
Je suis rentré en correspondance avec une tante du côté paternel depuis mars 2017. Je pars pour faire sa rencontre.
Première rencontre (Friedrichstraße 169117 Heidelberg) : Un certain romantisme dans les bâtiments de cette ville. Cette femme que je rencontre vit dans le vieux quartier de la ville (Altstadt). Je suis surprise de voir quelle loge près de la gare, un train qu’elle peut voir de sa fenêtre de la cuisine. Nous restons dans la cuisine, observant les albums photo de cette famille. Le train défile devant nous.
Le 6 juillet 2017 : Heidelberg
Deuxième rencontre : Je découvre des photographies d’enfants, j’observe ces images d’inconnues, de fantômes. Je reste attentive sur une image, un enfant devant une maison de campagne. C’est mon père lorsqu’il avait 5 ans dans une petite ville : Hirschhorn.
Silence.

L’archive

L’archive est réduite trop souvent comme le souligne Mal d’archive, une impression Freudienne de Jacques Derrida22, à l’expérience de la mémoire et retour à l’origine, mais aussi l’archaïque et l’archéologique, le souvenir ou la fouille, bref la recherche du temps perdu. Extériorité d’un lieu, mise en oeuvre topographique d’une technique de consignation, constitution d’une instance et d’un lieu d’autorité, telle serait la condition de l’archive.
S’installant souvent dans la scène de la fouille archéologique, son discours porte d’abord sur le stockage des “impressions” et le chiffrage des inscriptions, mais aussi sur la censure et le refoulement, la répression et la lecture des enregistrements.
Le rapport que j’entretiens avec l’archive se rapproche de Derrida, la voyant, non pas comme faisant partie d’un passé, mais comme étant futur, concernée par sa propre survie. Ces fragments renvoient alors directement aux spécificités de production, aux méthodes de pensée et d’écriture.
Le rapport de l’archive et le statut de l’auteur est intéressant dans l’oeuvre : Archives, Walter Benjamin, édité par les Archives Walter Benjamin.Déguisé en archéologue, Benjamin n’est pas intéressé au fragment en tant que « relique précieuse » à conserver dans une vitrine de musée, il considère plutôt le passé comme négatif de l’actuel, pellicule fertile si capable d’engendrer de nouvelles images de ce que nous étions. De notre rapport à ce qui a été et à ce qui est en train d’arriver, c’est-à-dire des images de notre stratification et des décalages temporels, que notre conception de l’histoire doit savoir prendre en compte.

Acte de survivance

Mon acte de “survivance” (Nachleben) qui fait des images ces fantômes capables de traverser les frontières de l’espace comme du temps. Les images sont des migrantes, c’est comme cela qu’elles savent durer dans nos mémoires.
« La survivance selon Warburg ne nous offre aucune possibilité de simplifier l’histoire : elle impose une désorientation redoutable pour toute velléité de périodisation. Elle est une notion transversale à tout découpage chronologique. Elle décrit un autre temps. Elle désoriente donc l’histoire l’ouvre, la complexifie. Pour tout dire, elle l’anachronise. Elle impose ce paradoxe que les choses les plus anciennes viennent quelques fois après des choses moins anciennes. »
Mon acte de survivance, qui a pu se traduire ainsi : survivance, revivance, renaissance, vie après la mort, vie continue, se transpose par des images que j’ai cherchées et qui interrogent le temps avec la notion de ruine. J’ai ramassé des objets, mais surtout j’ai pris en photographie des lieux comme pour réveiller le passé, provoquer la mort, donner de la vie après la mort, faire survivre et confronter mon histoire.
Rejoignant l’idée de Warburg, considérant l’image comme porteuse de trace d’un déplacement temporel à l’intérieur même d’un déplacement spatial : l’image opère ainsi un double sectionnement dans la continuité temps-espace. Cette idée de la fissure temporelle et spatiale était mise au centre des projets de Warburg comme l’atlas Mnémosyne27 organisé sur le principe de la coupure. Ce qui m’intéresse à travers cette idée, c’est cette potentialité d’une possibilité de morceler les structures temporelles.
En prenant l’idée de l’atlas de Warburg, je développe une archive qui se caractérise par une composition fragmentaire, géométrique, voire même architecturale. J’assemble les photographies des lieux collectées lors de la recherche, créant des liens formels en répétant des formes géométriques reprenant les formes de certains bâtiments.

L’impression comme réactivation d’un passé

Les coupures temporelles requises à mon histoire éparpillée ressemblaient à une existence saccadée, déplacée, faite de ruptures et d’assemblages. Mon projet était d’investir ces structures temporelles à travers des expériences plastiques.
Sans images, je n’avais pas de vision de mon histoire, de ce fait, la vision de mon histoire devait passer par la représentation et par l’image. D’un côté, l’image véhicule l’idée de l’histoire (Geschichtsdarstellung) et, de l’autre côté, le monde prend consistance historique dans une image, dans une représentation (Weltdarstellung).

L’espace comme révélateur de souvenir

Notre mémoire, qu’elle soit de l’ordre du souvenir, de l’inconscient ou de l’oubli, d’une certaine manière se loge dans les murs de l’habitat. Je décide de faire de cet écrit, une sorte d’état d’âme le reliant à la structure de ma mémoire.
À travers mon expérience de l’habitat, une réalité s’offre à moi : je vois des territoires vides d’humanité ; ils sont remplis de mémoires. À partir de cette remarque, mon regard s’est centré sur la matière de cette mémoire, qu’elle soit altérée, détériorée ou bouleversée. En prenant compte du texte de Bachelard, La poétique de l’espace, je comprends que la transition de la mémoire corporelle à la mémoire des lieux est assurée par des actes comme s’orienter, se déplacer, et surtout habiter. Ces « lieux de mémoire » fonctionnent comme des indices de rappels, une lutte contre l’oubli. Comment le déplacement, l’expérience du mouvement et du repos dans l’acte d’habiter, de résider, se développent et se constituent comme zone de représentation, d’appropriation et de pratique au service de la mémoire ?
Mon territoire était celui de l’atelier, en construction, en déconstruction, en devenir, il s’organise avec la matière. Les formes émergent peu à peu par cette matière et ce geste que j’accumule, que je répète inlassablement. Je fais émerger des formes, souvent fragiles et délicates, la temporalité des pièces rejoint le besoin de faire disparaître l’objet. Ces manques sont présents dans les formes qui m’entourent, ils me rappellent combien le temps passe et comment les choses peuvent disparaître de la mémoire.
La construction d’un volume à travers la matière me permet une récupération de la mémoire, comme un renouveau par la matière, comme des réminiscences du passé, au sens du souvenir. Je pense que la réminiscence fait remonter à la surface des souvenirs enfouis ou lointains, des expériences que j’ai pu vivre dans mon passé.

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Table des matières

RÉSUMÉ 
REMERCIEMENTS 
LISTE DES FIGURES
FIGURES 
TABLE DES MATIÈRES 
INTRODUCTION 
CHAPITRE 1
ITINÉRAIRE SINGULIER 
1.1 GÉNÉALOGIE INDIVIDUELLE COMME OUTIL À LA CRÉATION
1.1.1 LE SOUVENIR/L’IMAGE
1.1.2 LE FRAGMENT
1.2 HISTOIRE ÉPARPILLÉE
1.2.1 LE SECRET FAMILIAL
1.2.2 VERS UNE SURVIVANCE
1.3 PROBLÉMATIQUE
CHAPITRE 2
LES ESPACES MENTAUX 
2.1 UNE CERTAINE MÉTHODE : HABITER PAR LES IMAGES
2.1.1 LA TRACE
2.1.2 L’APPROPRIATION
2.1.3 L’ARCHIVE
2.2 LÉGENDES AFFECTIVES : IMAGINER POUR SE CONSOLER
2.2.1 MÉTHODOLOGIE
2.2.2 ACTE DE SURVIVANCE
2.2.3 L’IMPRESSION COMME RÉACTIVATION D’UN PASSÉ
2.2.4 L’ESPACE COMME RÉVÉLATEUR DE SOUVENIR
CHAPITRE 3
LA MATIÈRE DE L’ABSENCE  
3.1 L’IMPRESSION COMME CÉLÉBRATION DE L’IMAGE SURVIVANTE
3.1.1 L’ARCHIVE COMME PONT DES IDENTITÉS
3.1.2 CRÉATION D’UNE ZONE DE STATIONNEMENT POUR LE LIVRE
3.2 L’INSTALLATION COMME CÉLÉBRATION DU SURGISSEMENT
3.2.1 COMPOSITION DE STRATES : LES ÉCHOS DU PASSÉ
3.2.2 HYBRIDES NARRATIFS
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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