Le libertarisme
Une posture dominante dans les pays occidentaux depuis 1970 est le libertarisme (Duhamel et Mouelhi, 2001). Les penseurs critiquent l’État providence et appuient une certaine dérèglementation du gouvernement. Parmi eux, Robert Nozick (1938-2002), philosophe, remet en question ce qu’est une société juste, surtout dans le domaine de l’économie. Nous retrouvons aussi les économistes Milton Friedman (1912-2006) et Freidrich Von Hayek (1899-1992), qui appartiennent à l’École de Chicago d’économie. Ils parlent de la loi du marché, qui implique que les participants devraient être en mesure de faire des échanges libres et en coopération. Ils supportent la privatisation des entreprises et la participation libre de la population. Ces hommes ne sont pas des anarchistes, ils reconnaissent l’importance de l’État (Duhamel et Mouelhi, 2001). Ils soulignent que l’État joue un rôle dans la règlementation qui doit se faire de façon juste et équitable, et qu’elle doit favoriser la justice sociale. Selon Duhamel et Mouelhi (2001), Nozick appelle cela un État minimal, où le rôle de l’État se limite à celui de protecteur par l’arbitrage des conflits avec pour principale fonction, celle de compensation indirecte (par exemple, soutenir les personnes défavorisées) (Metayer, 2008; Duhamel et Mouelhi, 2001).
L’égalitarisme et l’égalitarisme radical
Le philosophe Kai Nielson (né en 1926), s’inspirant des idéologies de Karl Marx (1818-1883) et de Rawls (1921-2002), avance que la société devrait créer des conditions de vie où chaque personne est digne d’un traitement égal dans des conditions égales. Il semble injuste pour Neilson que des personnes s’enrichissent alors que d’autres meurent de faim (Duhamel et Mouelhi, 2001). Il croit que pour être juste il faut « agir de manière à témoigner de cet intérêt égal pour la vie de chacun » et que l’on « devrait attacher autant d’importance à sa vie qu’à celle de tout autre être humain » (Duhamel et Mouelhi, 2001, p. 135). Selon la posture de l’égalitarisme radical, pour atteindre l’équilibration totale, il faut que chaque humain partage également tous ses biens, toutes ses charges et responsabilités, tous les bénéfices sociaux et qu’il répartisse toutes les richesses. Pour atteindre cela, il est nécessaire de modifier « la structure de la société, c’est-à-dire [faire] une réforme complète des institutions sociales, amenant l’abolition des classes sociales » (Duhamel et Mouelhi, 2001, p. 140).
Le concept du religieux
La compréhension traditionnelle en Amérique du Nord de ce qu’est une religion implique une croyance en un pouvoir supérieur ou un Dieu, ainsi qu’une institution afin de l’idolâtrer, généralement compris comme une église dans le sens chrétien (traduit de Boyan, 1968 p. 481). Le terme « religion » est utilisé lorsque les règles et les croyances de cette religion sont pratiquées par une grande population, donc lorsqu’elle est un courant dominant (Barnes 1999; Coogan, 1999). Contrairement aux anciens programmes religieux au Québec, le programme d’ÉCR parle plutôt de la culture religieuse ou du phénomène religieux.
Le programme se balance entre les termes du phénomène religieux et de la culture religieuse en décrivant la deuxième compétence d’ÉCR. Selon le programme d’ÉCR, l’étude de la culture religieuse « consiste en une compréhension des principaux éléments constitutifs des religions qui repose sur l’exploration des univers socioculturels dans lesquels celles-ci s’enracinent et évoluent » (MELS, 2008, p. 499). Ce processus implique que les élèves explorent diverses dimensions expérientielles, historiques, doctrinales, morales, rituelles, littéraires, artistiques, sociales ou politiques reliées à la religion. En raison du passé de la province, l’accent est mis sur la religion catholique, protestante, le judaïsme et les aspects spirituels des peuples autochtones (MELS, 2008). Le programme promeut l’approfondissement des aspects que diverses religions ont en commun ainsi que l’approfondissement des différences à l’intérieur de la même tradition religieuse (MELS, 2008). Il est à noter que le programme veut aider les élèves à saisir la diversité et la richesse culturelle en leur en donnant une représentation significative (MELS, 2008). Cependant, le programme n’a pas pour but de développer la foi de l’élève comme cela était le cas dans les anciens programmes d’enseignement religieux.
Le programme d’ÉCR ne souligne aucune posture religieuse spécifique. Cependant, puisque le programme n’incite pas à « pratiquer » une religion, mais présente et énumère plutôt les règles et croyances de chaque religion, il s’inscrit dans la posture du sens général qui propose que la religion soit un système de croyances et de rites. Les indications pédagogiques reflètent cette posture, car les élèves doivent prendre conscience des rites, des règles, des récits et des symboles associés aux traditions religieuses (MELS, 2008, p. 530). Le programme fait mention du divin et précise que les élèves devront prendre conscience des nombreuses façons de le représenter, tout comme pour le mystique et le surnaturel. Cette prise de conscience est faite par des analyses et des interprétations de symboles et de récits (MELS, 2008). Les élèves ne sont pas encouragés à développer leur spiritualité, mais sont plutôt amenés à identifier le sens du divin de plusieurs sociétés dans un sens général, transversal et non intériorisé. Les élèves doivent aussi prendre conscience du fait que les questions existentielles existent depuis toujours. Les élèves s’appuient sur des textes afin de comprendre divers courants de pensée (MELS, 2008). Les indications pédagogiques demandent à l’élève de « prendre conscience » (MELS, 2008, p. 530), dans toutes situations concernant le religieux, des diversités entre les traditions religieuses. Ces indications ne suggèrent aucune intériorisation du divin, de la foi ou du spirituel par l’élève.
Les postures religieuses
Définir la religion de façon théorique universelle ou même la distinguer du fait religieux est excessivement ambitieux et complexe. Cependant, pour cette recherche, il semble être pertinent de définir les différentes postures théoriques autour du sens donné au concept de religion afin d’identifier sur quelles d’entre elles les enseignants s’appuient pour enseigner, et ce, en regard de leurs RS. La religion de la personne ainsi que sa façon de l’interpréter et de l’appliquer est influencée par sa posture. Sa posture est créée à partir de ses expériences.
Sens général : système de croyances et rites
Lorsque le sens donné au mot religion se rapporte à un système de croyances et de pratiques, il se rapproche de sa notion antique (Rodinson, 1985). Selon Rodinson, peu importe la religion, qu’elle soit chrétienne, musulmane, juive, ou autre, il existe un système organisé de croyances et de rites, qui constitue une expérience religieuse collective insérée dans un temps, un espace et une culture donnée. « Les rites obligatoires d’occurrences fréquentes tendent à renforcer la foi du croyant. Ils lui font sentir à chaque instant son appartenance à une communauté et sa dépendance [à son Dieu] » (Rodinson, 1985, p. 94).
De plus, une religion peut établir des « lois » ou des règlements moraux que doivent respecter ses pratiquants (les dix commandements de l’Ancien Testament, le système éthique établi par le prophète Mohammed ou le code de conduite du bushido) (Barnes 1999; Coogan 1999; Rodinson, 1985). Plusieurs religions mettent au premier plan la responsabilité de l’individu et insistent sur le fait que celui-ci est appelé à se conduire de façon appropriée, selon le code moral, et que ses décisions personnelles auront des conséquences positives ou négatives après la mort. Ces règles servent à maintenir l’ordre dans la société, à définir le bien et le mal ainsi qu’à « justifier la hiérarchie » (Moscovici, 1985, p. 466).
La religion peut désigner la valeur idéale que constitue pour ses propres fidèles la « vraie » religion, celle qu’ils pratiquent et qui apparait comme étant un système exclusif (Meslin, 1998). Selon Meslin (1998), c’est un système auquel ils se réfèrent et à la lumière duquel ils jugent les autres. Se dévouer à une religion crée et cimente un sentiment d’appartenance à un groupe ou à une communauté et cette appartenance permet à l’individu d’obtenir du soutien en créant une famille religieuse. Dans certaines régions du monde, le gouvernement de l’État ainsi que ses pratiques économiques et juridiques peuvent être très influencés par la religion dominante de la région.
Sens sociologique : le noyau de la moralité
Selon Meslin (1998), la religion est toute la complexité des activités humaines alimentée par une foi. La religion remplit alors une fonction de légitimation, qui permet de rattacher le monde et la société construite par l’homme, et qui est son réel quotidien a une réalité sous-jacente, universelle et sacrée. Selon Durkheim (1912), « les religions sont des forces humaines, des forces morales… » (Audinet, 1985, p. 70). D’abord, pour Durkheim, les distinctions entre la morale et la religion ne sont pas précises puisqu’il avance que « la morale et la religion ont bien le même fondement et la même finalité : la société en tant qu’être idéal dépassant les individus, conscience supérieure dépassant les consciences individuelles » (Audinet, 1985, p. 70). Par la suite, il précise le fonctionnement des deux en disant que la religion se règle sur la morale et que de façon générale, la religion est en conflit avec la science. La religion a perdu une de ses fonctions à cause des avancements scientifiques : celle d’expliquer le monde dans lequel nous vivons (Audinet, 1985). Durkheim arrive à la conclusion qu’il existe une morale, un système de devoirs et d’obligations et qu’il existe deux sujets qui possèdent une réalité morale riche et complexe, soit la collectivité (partage de valeurs et idéologie d’une société) et la divinité (la société transfigurée et pensée symbolique).
Selon Trigano (2001), Max Weber, sociologue, a aussi laissé ses empreintes sur la définition de la sociologie de la religion en proposant un autre cadre. Dans sa recherche, Weber met l’accent sur les conséquences effectives des systèmes de croyances sur les comportements sociaux et, contrairement à Durkheim, il étudie beaucoup les voies d’institutionnalisation des croyances et les sources d’autorité (Trigano, 2001, p. 12). Moscovici (1985) décrit ce système comme étant une échelle de valeurs proposée posant une distinction nette entre deux catégories d’actes, de pensées et d’émotions : ceux qui sont permis et ceux qui sont interdits. « En respectant les règles, chacun évite le conflit qui pourrait l’opposer à la société » (Moscovici, 1985, p. 465). Des exemples plus près de la société étudiée pourraient inclure la nécessité du mariage d’un couple vivant ensemble, la légitimité d’un mariage d’un couple homosexuel, le devoir d’être chaste jusqu’aux noces ou les perceptions et préjugés associés à un homme versus une femme qui choisit de ne pas « se limiter » à un seul partenaire.
Le sens de l’unification par une religion
La religion porte aussi un autre aspect important : celui du rassemblement. L’acte de respecter les règles de la religion nous offre un sentiment d’appartenance avec les autres pratiquants de cette même religion. Les religions offrent non seulement des règlements, mais aussi des rites et des coutumes à suivre et à répéter. Ceci encourage l’union des pratiquants, le partage des émotions et des expériences afin de créer des liens significatifs. « Elle donne un sens social à l’existence individuelle» (Moscovici, 1985, p. 465). Dans cet aspect, la participation à des coutumes revient à la volonté d’appartenir à un groupe, contrairement à la posture du sens général du religieux, voulant que la personne assiste aux rites par obligation parce qu’elle est imposée par les règles religieuses. Cette posture de l’unification diffère du sens sociologique, puisque ce qu’une personne considère comme moral n’est pas nécessairement influencé par les règles religieuses. Des exemples de rites et de coutumes religieuses pourraient inclure le baptême et le réveillon des catholiques, le hadjà La Mecque des musulmans, la Hanoukka des juifs et le Nouvel An chinois (shenisme). Dans tous les cas, les pratiquants se créent un sentiment d’appartenance à un groupe qui offre à l’individu un sens de valorisation de son rôle dans la communauté (Moscovici, 1985).
Sens personnel et spirituel : devenir « un »
Ce sens désigne une piété qui implique non seulement des actes de dévotion envers son dieu, mais aussi des actions envers les autres humains et la nature. Trigano (2001), explique l’approche de Victor Turner, ethnologue, qui étudie les relations qui existent dans une société. Il distingue les raisons des crises et des ruptures ainsi que les raisons des désirs de vivre ensemble. Turner propose de définir cette relation complexe par le principe du zen : tout est un, un est personne, personne est tout (Trigano, 2001).
Ce sens n’exige pas une appartenance à une religion, cependant, dans plusieurs cas, suivre les traditions d’une religion pour une personne qui est à la recherche d’un sens spirituel semble mettre moins l’accent sur le fait que sa religion est la bonne et démontre une plus grande ouverture aux autres traditions et religions. Une personne peut même explorer une variété de religions afin de vouloir comprendre l’aspect spirituel de la sienne. La personne qui est à la recherche de la spiritualité a un but différent des pratiquants qui sont à la recherche d’un sentiment d’appartenance. Selon le dalaïlama, dans Cutler (1998), c’est parce que « dans ce monde, il y a tant de gens différents, une telle multiplicité de situations individuelles. Nous sommes plus de cinq milliards d’êtres humains et, en un sens, je pense que ce dont nous avons besoin, c’est de cinq milliards de religions différentes » (Cutler, 1998, p. 274). Le dalaïlama soutient aussi que le but de la religion, c’est le bienfait des gens et que « toutes les religions peuvent effectivement être d’un apport bénéfique à l’humanité » (Cutler, 1998, p. 275). De plus, le il explique qu’il faut acquérir « une connaissance approfondie des idées qui font une religion, pas seulement au niveau intellectuel, mais en les ressentant intensément » (Cutler, 1998, p. 275).
Sens existentiel spirituel vu comme une exploration
Meslin (1998) explique que la religion aujourd’hui est vue comme une manifestation existentielle (sans spécifier la sociodémographie des personnes qui partagent cette posture) (Meslin, 1998). Le sens existentiel implique la justification des attitudes et des actions d’une vie humaine. Même si toutes les religions tentent d’expliquer « l’existence » et le devoir de l’Humain sur Terre, pour certaines personnes, être religieux a surtout pour but d’explorer et de comprendre le sens existentiel spirituel plutôt que de répondre aux autres sens du religieux vus précédemment.
Les plus récentes analyses sociologiques de la notion de la religion insistent bien sur le fait que la religion est actuellement vécue moins comme une régulation sociale – ce qu’affirmait Durkheim – que comme une manifestation existentielle fondée sur la prise de conscience par l’homme de ses propres limites et comme une interrogation sur lui-même et sur sa raison d’être dans le monde. (Meslin, 1998, p. 115)
Une personne religieuse qui est à la recherche d’un sens existentiel spirituel peut suivre plus ou moins les règles et les rites de sa religion, et peut être ouverte à d’autres moyens de développer sa spiritualité. Cela peut se faire en explorant d’autres religions ou en intégrant certains rituels ou pratiques leur appartenant. Certaines personnes tentent d’apprendre à utiliser des outils nouvel âge tels que les cartes du Tarot ou des cristaux, d’origine indienne ou chinoise, afin de comprendre l’énergie surnaturelle. D’autres exemples façons de développer sa spiritualité consistent à pratiquer le yoga (d’origine bouddhiste et hindouiste), à maitriser la méditation (une technique d’origine orientale) ou encore à pratiquer la purification autochtone (par la fumée de sauge ou de cèdre). L’utilité d’une pratique faite par l’individu n’est pas nécessairement fondée sur des preuves scientifiques, mais plutôt des considérations spirituelles. Il est aussi possible de tenir une posture laïque, selon laquelle la personne n’adhère pas à une religion, mais elle intègre à sa vie diverses pratiques pour découvrir et développer sa spiritualité.
Sens existentiel scientifique : à la recherche de preuves
Comme dans le cas du neuroscientifique Mario Beaugard (2008), certains veulent comprendre l’existence par la science. Avec les avancements technologiques et scientifiques, surtout dans le domaine de l’astrophysique et des particules subatomiques, il existe pour certains non seulement une volonté de connaitre sa place sur la planète, mais aussi celle de comprendre où se situe l’existence humaine par rapport à l’univers. Cette exploration représente la volonté de trouver le lien entre la religion, la spiritualité et la science. Par exemple, Beaugard (2008) tente de comprendre la relation entre le cerveau et Dieu en observant l’activité cérébrale de religieuses (Beaugard et O’Leary, 2008).
Afin de comprendre son existence, une personne s’observe en se comparant avec l’évolution de la planète, puis elle tente de comprendre sa fragilité comparativement à la force, à l’énergie et à la grandeur de l’univers connu, qui semblent être infinies. Selon Hawkings (1998), nous voulons dégager un sens de ce qui nous entoure : quelle est la nature de l’univers? Où nous situons-nous dans l’univers ou d’où venons-nous? (Hawking, 1998) Ce sens existentiel peut remettre en question ce qui semblait être bien défini par les religions traditionnelles. Cette grande ouverture amène les personnes à se demander : qui est Dieu? Où sont les « Cieux »? Y a-t-il une vie après la mort et est-ce possible qu’il y en ait une?
Afin de comprendre l’importance d’une réflexion existentielle, une personne ayant une certaine maitrise de l’astrophysique pourrait réfléchir et méditer sur des questions telles que « Où est-ce que je me retrouve dans le plan de Dieu si je me compare au moment du “Bigbang”? », en sachant que pour expliquer cette explosion, le faux vide, avant l’évènement même, devrait contenir dans un centimètre carré, 1095 ergs d’énergie, c’est-à-dire 1019 fois plus d’énergie que la masse de l’univers observable en entier convertie en énergie (Kafatos et Nadeau, 1990). La question se pose : Quelle est la valeur d’une vie humaine qui semble non-significative comparativement à l’existence de l’univers? Les nouvelles connaissances scientifiques font que certaines personnes explorent un nouveau sens religieux, celui du sens existentiel à travers les sciences.
Le dialogue
Cette section portant sur le dialogue n’est pas abordée comme les deux premières. En effet, les postures éthiques et religieuses représentent des idéologies pouvant être détenues par un individu et qui influencent sa vision du monde. Par exemple, sa croyance dans un Dieu influencera les idées d’une personne concernant le mariage, la fidélité, la valeur de sa vie et sa perception de l’univers, entre autres choses.
La compréhension de ce qu’est le dialogue n’a pas ce genre d’influence. C’est pour cette raison que la section sur le dialogue n’est pas organisée par postures, mais présente plutôt une définition de ce qu’est le dialogue ainsi que sa place dans l’éducation moderne. Cette section a également pour fonction d’expliquer pourquoi le dialogue se retrouve dans le programme d’ÉCR.
Jean Lacroix (1965) a écrit que : « Toute activité humaine authentique est dialogue: dialogue avec le monde qui est poésie, dialogue avec les autres qui est amour, dialogue avec Dieu qui est prière. » (Lacroix, 1965, p. 11). Vivre une expérience authentique et réfléchie ne se fait pas par le monologue, c’est-à-dire par sa propre pensée, elle se bâtit par des échanges avec les autres. Selon Lacroix, Platon dit que « l’âme ne peut dialoguer elle-même que si elle sut accueillir l’autre, que si l’autre déjà est en elle » (Lacroix, 1965, p. 11).
Comme cela a été expliqué dans la problématique (p. 10), le programme utilise la compétence du dialogue pour explorer les deux autres compétences portant sur l’éthique et la culture religieuse. Le programme, grâce au dialogue, cherche à « développer chez les élèves des aptitudes et des dispositions leur permettant de penser et d’agir de façon responsable par rapport à eux-mêmes et à autrui, tout en tenant compte de l’effet de leurs actions sur le vivre-ensemble » (MELS, 2008, p. 499). Le programme cherche aussi à développer un esprit d’ouverture et l’acquisition de « la capacité d’agir et d’évoluer avec intelligence et maturité dans une société marquée par la diversité des croyances » (MELS, 2008, p. 500). Le programme semble avoir une différente définition du terme « dialogue », comparativement aux descriptions traditionnelles des philosophes et des sociologues. En effet, selon le MELS (2008, p.546), il existe des « formes » de dialogue telles que la conversation, la discussion, la narration, la délibération, l’entrevue, le débat et la table ronde, ce qui contredit les postures des penseurs précédemment présentéspar Duhamel et Mouelhi (2001) ainsi que par Baylon (2005).Le programme propose donc une vision instrumentalisée du dialogue. Cependant, ce concept peut être compris de manière beaucoup plus large. Tout comme pour le concept d’éthique et de culture religieuse, il est probable que les enseignants entretiennent une compréhension du dialogue qui va au-delà de celle présentée par le programme.
Le dialogue dans la pédagogie moderne
En 1970, l’idée de « la philosophie pour enfant » est développée par Mathieu Lipman (1922-2010), originaire du New Jersey. Cette méthode d’enseignement a pour but de permettre aux enfants de vivre le processus philosophique, donc de « faire en sorte qu’ils apprennent, tout en étant gouvernés par les valeurs et les idéaux humains, à penser de façon plus pratique » (Lipman dans Daniel, 1992, p. 16). Cette approche veut amener les enfants à prendre l’habitude de réfléchir dans des situations de conflit et d’explorer des concepts tels que la justice, la vérité, la relation et la signification. Un aspect important du fonctionnement d’une communauté de recherche philosophique (CRP) est le dialogue philosophique. Selon l’idéologie lipmanienne, « ce qui s’acquiert seul, dans la méditation ou dans la réflexion, meurt s’il n’est pas partagé » (Daniel, 1992, p. 173). C’est par le dialogue que les relations s’établissent et qu’en faisant des échanges, les participants maitrisent l’art de s’expliquer et l’art d’écoute et de comprendre. C’est aussi par le dialogue que les apprentissages s’intègrent, que les idées et les points de vue entourant un objet s’élargissent pour en construire une compréhension plus complexe et plus multidimensionnelle. « C’est le dialogue lui-même qui rend l’enfant capable de devenir une personne […]. Parler et écouter comportent une réciprocité, une leçon à donner et à recevoir, une tolérance et un respect de chacun, aussi bien qu’une compréhension du sens des mots de l’autre » (Sharp dans Daniel, 1992, p. 173). Dans le cadre d’une communauté de recherche philosophique (CRP), le dialogue « a ses fondements dans le pluralisme » et « ne cherche pas un terrain d’entente unique », mais « fait des efforts pour comprendre la pensée de l’autre sans la traduire » (Daniel, 1992, p. 184). Dialoguer permet aux élèves de s’ouvrir aux opinions, aux valeurs, aux idées des autres, ainsi que de s’exprimer de façon claire et respectueuse et de critiquer de façon constructive.
Pendant la même période, en Angleterre, les enseignants vivent une autre réalité, mais qui mènera elle aussi à l’utilisation du dialogue comme moyen d’enseignement. La fin des années 1960 et les années 1970, en Angleterre, témoignent d’un flux d’immigration et donc de la création de communautés multiculturelles dans des régions qui étaient auparavant de descendances anglaises et chrétiennes (Jackson, 2005a). Cette diversité culturelle inspire des enseignants à incorporer l’éducation interreligieuse et interculturelle. Selon Jackson (2005a), le professeur Ninian Smart et son équipe introduisent l’étude des religions du monde pour remplacer l’instruction confessionnelle (Jackson, 2005a). Les années 1990 remettent en question la représentation, la transmission et les changements dans les domaines culturels et religieux dans les écoles ainsi que la relation entre l’éducation multiculturelle, l’antiracisme et l’enseignement religieux (Jackson, 2005a). En 1999, le ministère de l’Éducation (DfEE/QCA) a implanté un curriculum national pour un nouvel enseignement de la citoyenneté, qui inclut la compréhension de la diversité culturelle, religieuse et ethnique au Royaume-Uni. Cet enseignement favorise deux approches pédagogiques : l’approche interprétative et l’approche dialogique (Jackson, 2005a). L’approche interprétative, développée par Robert Jackson à l’université de Warwick, « aborde les questions de représentation des religions, elle développe les capacités d’interprétation des élèves et leur fournit des opportunités de réflexivité [faire une critique constructive avec une certaine distance]» (Jackson, 2005a, p. 111).
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Table des matières
RÉSUMÉ
ABSTRACT
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
CHAPITRE 1
1. PROBLÉMATIQUE
1.1. Contexte de recherche : une évolution socioreligieuse
1.2. Le programme d’éthique et culture religieuse
1.3. La pertinence du programme d’éthique et culture religieuse : un avantage pour la société et pour les élèves
1.4. Critiques, défis et complexités amenés par le programme
1.5. Les représentations sociales pour mieux comprendre le phénomène
1.6. Spécification de la problématique
1.7. Objectif de recherche
1.8. Retombées ciblées
CHAPITRE 2
2. CADRE THÉORIQUE : LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES
2.1. L’origine du concept de représentation sociale : les représentations collectives
2.2. Les modèles théoriques des représentations sociales : les modèles expérimentaux
2.3. Les modèles théoriques des représentations sociales : le modèle descriptif
2.4. Pourquoi les RS?
2.5. L’objectivation : donner sens à l’objet
2.6. L’ancrage
CHAPITRE 3
3. CADRE CONCEPTUEL
3.1. Le concept de l’éthique
3.2. Le concept du religieux
3.3. Le dialogue
CHAPITRE 4
4. LA MÉTHODOLOGIE
4.1. La recherche qualitative
4.2. Comment étudier les RS?
4.3. L’approche anthropologique et l’analyse discursive
4.4. L’outil : l’entretien
4.5. L’entretien semi-directif et les RS
4.6. L’organisation de l’entretien
4.7. Échantillon
4.8. La sélection des participants
4.9. L’analyse de contenu thématique
4.10. Première interprétation : l’identification des RS
4.11. Deuxième interprétation : l’objectivation et l’ancrage de laRS
4.12. Les limites
CHAPITRE 5
5. L’ANALYSE DES RÉSULTATS
5.1. La description des enseignants
5.2. L’analyse : les thèmes ressortis
5.3. Les RS des concepts de l’éthique, du religieux et du dialogue
5.5. Les processus d’objectivation et d’ancrage
CHAPITRE 6
6. DISCUSSION
6.1. Les relations entre les définitions théoriques des concepts et les RS des enseignants par rapport à ces mêmes concepts
6.2. L’influence des RS sur l’interprétation des concepts du programme
6.3. Les postures des enseignants afin de comprendre les divergences entre les RS des concepts du programme
6.4. Les RS des participants versuscelles de la société québécoise?
6.5. Futures propositions de pistes de développement ou de recherche
6.6. Les limites de l’étude des RS
CHAPITRE 7
7. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
ANNEXE A: CANEVAS D’ENTRETIEN
ANNEXE B : THÈMES RESSORTIS DES TROIS ENSEIGNANTS
ANNEXE C : LES INDICES DES POSTURES RELIGIEUX OU ÉTHIQUES DES TROIS PARTICIPANTS
ANNEXE D : APPROBATION ÉTHIQUE
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