Le leadership
L’exemple que nous venons de fournir dans la section précédente est aussi utile pour situer le lecteur quant à la nature de la relation qui existe entre un entraîneur et un entraîné. En clair, il nous semble qu’implicitement, l’entraîneur est dans une position d’autorité (d ‘enseignement), car il offre des conseils à son athlète qui lui en demande.
Cette façon de voir notre exemple nous amène à considérer l’entraîneur comme un leader et l’athlète comme un subordonné et ainsi à préconiser le leadership comme un concept permettant d’ expliquer la dynamique de la relation entre l’ entraîneur et son athlète.
Bien qu ‘ il existe une multitude de façons de définir le leadership, Northouse (1997) mentionne que, caché derrière toutes ces définitions, le leadership peut se conceptualiser à l’aide de quatre indicateurs qui s’appliquent facilement à la natation.
Premièrement, le leadership implique l’ atteinte d’un but. Dans le cas de la natation, différents buts comme gagner et s’améliorer caractérisent la participation des individus impliqués dans cette activité (Conroy, Kaye et Coasworth, 2006). Deuxièmement, le leadership se produit dans un contexte collectif. À nouveau, cet indicateur du leadership correspond bien à la natation, car les entraîneurs travaillent généralement avec des groupes de nageurs. Troisièmement, la notion d’ influence est centrale au leadership.
Appliqué à la natation cet indicateur du leadership implique que l’ entraîneur affecte son nageur par son comportement. Les travaux de Conroy et al. indiquent d’ailleurs que la perception du climat motivationnel instauré par un entraîneur de natation influence les buts et la motivation de ces athlètes. Selon le type de climat (orienté vers l’égo ou la tâche), des différences sont observées au niveau du comportement, des mentalités et des perceptions de l’athlète (Duda et Balaguer, 2007). L’ étude de Coatsworth et Conroy (2009) renchérit en démontrant qu’un entraîneur qui offre un climat qui supporte l’autonomie du nageur augmentera sa motivation, son sentiment de compétence et préviendra notamment le décrochage sportif. Finalement, le leadership est vu comme un processus. Ce dernier indicateur est conforme à notre exemple ainsi qu’à notre définition d’ entraîneur-athlète. Il met l’ accent sur l’ idée que le leadership est une transaction entre un individu et ses subordonnés et que ceux-ci s’influencent mutuellement par leurs comportements et leur communication.
Ayant démontré que les indicateurs du leadership de Northouse (1997) sont pertinents à la natation, il en découle que certains modèles et théories du leadership peuvent être utiles afin d’énoncer formellement comment ceux-ci peuvent s’appliquer à la problématisation de notre mémoire. Étant donné que ce mémoire traite de la relation entre l’entraîneur et l’entraîné, notre choix s’est fixé sur différents modèles et des explications théoriques qui entrevoient le leadership comme une relation (Northouse, 2009). Ces approches ont aussi la particularité de mettre l’ accent sur la communication entre le leader et ses subordonnés; un point essentiel que nous traiterons plus loin dans ce chapitre.
La théorie LMX (Leader-Member-Exchange), proposée par Graen et Uhl (1995) est une de ces théories qui se focalise précisément sur la création d’une relation d’échange entre un leader et ses subordonnés. Selon cette théorie (qui semble être très populaire en milieu organisationnel), le leader communique à ses subordonnés des attentes de rôle (role expectation) que le subordonné réalise ou non. Émerge alors laréciprocité dans l’échange dyadique qui vient à définir la qualité de la relation entre les deux protagonistes. Dans le cas où le subordonné réponde aux exigences de son chef, une relation dyadique endogroupc risque de sc former. Dans le cas inverse, une relation dyadique exogroupe émerge. Northouse (1997) note dans sa synthèse de la recherche portant sur la théorie LMX, que les subordonnés impliqués dans une relation dyadique endogroupe reçoivent une évaluation plus positive de leur performance, sont plus engagés, ont une attitude plus positive, progressent plus rapidement dans l’ entreprise, et ont plus d’attention et de support du leader en milieu organisationnel. Cette synthèse est pertinente pour notre mémoire parce qu’elle pointe vers l’ idée qu ‘un antécédent très précis, soit les attentes d’un entraîneur, est à l’ origine de la communication avec les athlètes.
La suggestion que des attentes sont à l’ origine de la communication de l’entraîneur s’ accorde aussi très bien avec plusieurs modèles du leadership dans le sport soit ceux de Smith et Smoll (1989), Chelladurai (1993), Mageau et Vallerand (2003) et Hom (2008). Tout comme les concepteurs de la théorie LMX, les auteurs de ces modèles avancent que le comportement d’ un leader comporte des antécédents et des conséquences. Ces auteurs placent les comportements de l’ entraîneur au coeur de leur modèle et précisent que ceux-ci sont causés par les différences individuelles de l’ entraîneur, les différences individuelles de l’ athlète, le contexte, ses attentes (prévision envers le comportement de l’ athlète) et le climat organisationnel. Ces comportements ont aussi, entre autres, des conséquences chez les athlètes comme l’amélioration ou la détérioration de la performance de ceux-ci.
L’effet Pygmalion
Bien qu’il existe plusieurs modèles du leadership dans le sport et que nous reparlerons de ceux-ci un peu loin dans notre introduction, l ‘étude de l’ influence des attentes d’ un entraîneur sur son comportement a surtout été réalisée par l’entremise de la recherche qui a pour but d’ étudier l’ effet Pygmalion (Horn, 2008). Cet effet ou la théorie de la prophétie autoréalisatrice d’ailleurs fait l’objet de plusieurs études depuis des décennies (Harris et Rosenthal, 1985; Horn, 2008; Merton, 1948; Rosenthal et Jacobson, 1968). Elle permet d’ expliquer la relation descendante, c’est-à-dire une relation entre une personne en poste ‘ d’autorité ou à un rang hiérarchiquement supérieur et une autre personne subordonnée ou présumée inférieure, à partir du comportement du « supérieur ». Plus clairement, elle se traduit par un cercle vicieux entre deux groupes ou deux individus. Dans le cadre de ce mémoire, seul celui entre deux individus (entraîneur et athlète) sera pris en compte.
La prophétie autoréalisatrice s’ explique en quatre étapes et se résume par le principe que les attentes, bonnes ou mauvaises, d’ un entraîneur envers une athlète sont confirmées suite à leurs interactions. D’une manière plus explicite, l’entraîneur, dans un premier temps, développe des attentes envers chaque athlète qui prédiront ses performances et son attitude au cours de la saison. Dans un second temps, ces attentes ,influencent les comportements et les interactions que l’ entraîneur porte à chaque athlète.
Lors de la troisième étape, les comportements et la communication de l’ entraîneur influencent la psychologie (sentiment de compétence, concept de SOl, motivation et niveau d’ aspiration de l’athlète) et la performance de son athlète. Dans un dernier temps, la performance et les comportements de ce dernier viennent confirmer et renforcer les attentes de départ de l’ entraîneur fermant ainsi la boucle entre l’ attente de l’entraîneur et le comportement de son athlète (Horn, 2008).
De cette description théorique découle l’ idée que ce processus peut se solder en des relations positives comme négatives. Voici un exemple qui illustre l’ inclusion de l’ idéal physique dans la théorie de l’ effet Pygmalion afin de démontrer la portée de cette idée pour notre mémoire. Une relation positive entre l’entraîneur et son athlète peut se traduire par un entraîneur qui croit que son athlète possède le « physique de l’emploi ».
Cette vision de l’athlète crée un comportement facilitateur à l’endroit de celui-ci. Recevant beaucoup de commentaires constructifs, l’ athlète s’améliore rapidement et son comportement à l’ entraînement est positif. Ces deux derniers éléments confirment et renforcent l’opinion de départ de l’ entraîneur à propos de son athlète. Inversement, l’entraîneur qui croit que son athlète est limité physiquement offre, entre autres, moins de renforcement, moins de rétroaction et lui consacre moins de temps. Ce traitement influence le comportement de son athlète (attitude à l’ entraînement, effort, motivation et performance), ce qui vient confirmer l’opinion initiale de l’entraîneur de son athlète. Horn (2008) mentionne que les chercheurs intéressés par l’effet Pygmalion dans le sport l’ont surtout analysé en se concentrant sur la deuxième étape du modèle présentée plus haut. Dans sa recension des écrits à ce sujet de 2008 et celle effectuée avec Lox et Labrador en 20 1 0, elle conclut que les athlètes ou les étudiants de cours d’ éducation physique (les subordonnés) sont traités différemment selon les attentes de leur supérieur (entraîneur ou professeur d’éducation physique). En d’autres mots, les interactions avec le supérieur sont chaudes, positives et plus nombreuses avec les athlètes pour lesquels il a de bonnes attentes et inversement avec ceux ayant de faibles attentes.
Aussi, les subordonnés ayant de fortes attentes de la part de leur supérieur en contexte sportif se font démontrer davantage d’ habiletés à pratiquer, reçoivent davantage de support dans l’apprentissage des habiletés plus difficiles à maîtriser et plus de temps leur est consacré. L’inverse est vrai pour les subordonnés perçus comme plus faibles.
Finalement, ceux considérés talentueux recevront davantage de louanges et de renforcement après un bon coup de la part d’ un entraîneur ou d’un professeur. La rétroaction sera aussi bénéfique et dans le but d’améliorer la performance. Pour les individus considérés plus faibles, la rétroaction peut être qualitativement suspecte (trop de renforcement pour une tâche très facile). Elle offre moins d’informations utiles à la correction et à l’ amélioration. L’ intervenant sportif limiterait ainsi les habiletés et ,l’ opportunité d’apprendre des individus qu’ il encadre.
Les antécédents des attentes de l’entraîneur
Sachant que les attentes d’un intervenant sportif peuvent avoir un impact sur les individus qui pratiquent un sport ou de l’ activité physique par l’ entremise de sa communication avec eux, il devient essentiel de comprendre comment celles-ci se développent. À ce propos, trois sources d’ information semblent influencer la confection des attentes des entraîneurs vis-à-vis de leurs athlètes soit les informations liées à la performance de ceux-ci, la perception qu’ ils ont de leurs caractéristiques psychologiques ainsi que des indices liés à leur personne (traduction libre de person eues).
Le fait que la performance soit considérée comme un antécédent des attentes d’un entraîneur est très pertinent pour notre mémoire parce qu ‘ il inverse, ou du moins met l’accent, sur la possibilité que celle-ci influence la psychologie de l’entraîneur. Une impression qualitative de la recherche, des modèles et des théories en psychologie du sport est que, généralement, ce sont les variables psychologiques qui mènent à une meilleure performance. Par exemple, la pratique mentale est souvent vue comme influençant la performance d’ un athlète et non l’ inverse. Bien que nous croyons que cela soit souvent le cas, pour un entraîneur en début de saison, la performance d’un athlète lors des essais pour devenir membre d’une formation sportive est souvent un facteur déterminant dans la sélection des membres d’ une équipe. En lien avec cette idée, pour More (2008), ce sont les observations de l’entraîneur d’une performance athlétique qui influencent sa planification de l’entraînement. Il semble donc que la performance d’un athlète peut influencer les attentes d’ un entraîneur et, en retour, sa communication avec celui-ci.
La deuxième source d’ information qui influence les attentes des entraîneurs est la perception des caractéristiques psychologiques de leurs athlètes. Certes, leur perception de la force et des qualités athlétiques des individus qu ‘ ils entraînent les influence, mais comme les travaux de Solomon le démontrent (Solomon, 2001 , 2002 ; Becker et Solomon, 2005) la perception qu’un athlète est, entre autres, respectueux et capable de gérer la pression de la compétition, joue aussi un rôle quant à la formation de l’ attente reliée à l’ habilité d’un individu pratiquant ce sport. Être perçu comme un athlète ayant une bonne attitude ou comme l’on entend si souvent dans le sport, « entraînable », semble donc un antécédent dont il est important de tenir compte dans la formation de l’opinion d’un entraîneur au sujet d’un athlète.
La dernière source d ‘ information qui influence les attentes des entraîneurs est les indices liés à la personne qui pratique un sport. Ceux-ci englobent, entre autres, l’appartenance ethnique, le statut socio-économique, et l’apparence physique d’ une personne. Cela peut paraître paradoxal qu’ un tel facteur puisse influencer la formation d’ attentes chez les entraîneurs étant donné leur nature stéréotypée. Néanmoins, les travaux de différents chercheurs indiquent qu’ il est nécessaire de les considérer dans la formation des attentes des entraîneurs (Horn, 2008). Potentiellement précurseur à la relation entraîneur-athlète, l’effet de l’âge relatif semble être une variable à considérer lorsque l’on pense à l’ impact du corps sur les attentes et le comportement de l’ entraîneur. Défini comme étant la différence de la maturité physique pour deux athlètes nés au cours d’ une même année, l’effet de l’âge relatif influence le processus de sélection des athlètes par les entraîneurs et leurs interactions subséquentes (Hancock, Adler et Côté, 2013). Cela s’explique par le fait que pour deux athlètes d’une même année de naissance, les athlètes plus âgés ont de fortes chances d’ être plus matures physiquement, plus forts et plus grands que les plus jeunes. Cet effet cause fréquemment un biais chez l’entraîneur lors de la sélection des athlètes de son groupe. Chez les filles, ce biais semble se confirmer par le fait que les filles qui se développent plus rapidement sont moins choisies pour faire du sport parce que leur corps n’ est pas étroit et longiligne (Malina, 1994, 2002). En somme, basées davantage sur le potentiel physique plutôt que l’ habileté technique, les attentes de l’ entraîneur, plus élevées chez l’athlète physiquement plus près de l’ idéal sportif, mènent à du favoritisme envers les plus âgés.
La qualité des interactions lors de sélections serait donc différente en fonction de la perception du corps idéal qu’il a envers chaque athlète, un phénomène qui s’explique, rappelons-le, par l’effet Pygmalion.
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Table des matières
Page d’identification du jury
Sommaire
Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
La silhouette du champion
Natation et image corporelle
Problématique
CONTEXTE THÉORIQUE
La relation entraîneur-athlète
Le leadership
L’effet Pygmalion
Les antécédents des attentes de l’entraîneur
Les travaux de Dweck
Influence de l’athlète par la communication
But et hypothèses associés à notre étude
MÉTHODOLOGIE
Participants
Plan de l’étude
Procédures
Mesures
Questionnaire de l’entraîneur
Questionnaire des nageuses
Analyses statistiques
RÉSULTATS
Analyses pour les entraîneurs
Analyses pour les nageuses
Analyses croisant les réponses des entraîneurs avec celles des nageuses
DISCUSSION
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
ANNEXE A : Formulaire de consentement
ANNEXE B : Questionnaire de l’entraîneur
ANNEXE C : Questionnaire de la nageuse
ANNEXE D: Certificat d’éthique
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