L’effet des traitements sur l’épaisseur de la couche organique et sur la qualité des microsites
La forêt boréale de l’ouest du Québec présente un fort potentiel de production ligneuse, notamment au niveau du domaine bioclimatique de la pessière noire à mousses (Grondin, 1996; De Grandpré et al., 2003). L’industrie forestière y réalise des activités importantes de récolte et d’aménagement forestier. La ceinture d’argile est une large bande de 125000 km2 étalée entre le nord-ouest du Québec et le nord-est de l’Ontario, caractérisée par un sol majoritairement constitué des dépôts lacustres argileux des lacs proglaciaires Barlow et Ojibway et de till argileux, avec un faible drainage. La topographie est principalement plane, ondulée de quelques collines, et la composition argileuse du sol y diminue les capacités dedrainage du sol dans les basses terres, ce qui conduit à la création de tourbières (Lavoie et al., 2005; Renard, 2010). Ces caractéristiques font en sorte qu’une grande proportion des peuplements d’épinettes noires (Picea mariana (Mill.) B.S.P) sont sujets à la paludification, causant une baisse en terme productivité ligneuse (Prévost et al., 2001). La paludification est un phénomène naturel par lequel la matière organique s’accumule sur le sol (Fayette and Rochefort, 2001), ce qui conduit à des diminutions substantielles de la productivité des forêts (Simard et al., 2007; Drobyshev et al., 2010). L’accumulation graduelle d’horizons organiques épais est souvent associée à la présence d’espèces de mousses hypnacées héliophiles tolérantes à l’ombre. La paludification est favorisée par des facteurs édaphiques liés aux propriétés intrinsèques du site et par des facteurs liés au peuplement lui-même (Bergeron et al., 2007; Bernier et al., 2008; Fenton et Bergeron, 2008; Lafleur et al., 2010). En effet, selon Greene et al., (2006) et Fenton et al., (2005, 2010), le processus de paludification est lié à une multitude de facteurs qui peuvent soit contrôler le phénomène ou l’accentuer. La sévérité des feux de forêt et leurs fréquences, le type de peuplement, la topographie et le niveau de la pente sont parmi ces facteurs.
brûler les arbres, les plantes de sous-bois, mais aussi la matière organique au sol, ce qm permettrait de limiter la paludification au sein d’un peuplement. En brûlant profondément les couches organiques du sous-bois, l’épaisseur de cette couche diminue, tout en se rapprochant du sol minéral, ceci a comme conséquence la création de bons microsites pour la germination et la croissance des arbres. En revanche, si le feu est peu sévère, on obtient le scénario inverse, car la couche organique partiellement brulée maintient son épaisseur, ce qui diminue l’abondance de bons microsites et favoriser la paludification. L’accumulation de matière organique non décomposée ou partiellement décomposée crée des conditions d’hydromorphie et d’anaérobies qui réduisent la disponibilité des éléments nutritifs (Comont, 2006). Ces conditions créées affectent négativement la croissance de l’épinette noire (Lavoie et al., 2007) et diminuent la productivité ligneuse (Simard et al., 2007).
Pour limiter la paludification, la littérature propose plusieurs traitements dont le drainage forestier qui vise à réduire l’excès d’eau causée par l’hydromorphie (facteur de paludification) afin de faciliter l’oxygénation du site initialement paludifié et, par la suite, stimuler la décomposition de la matière organique (Jutras et al., 2007; Gauthier et al., 2008). Cependant, cette solution est couteuse et difficilement applicable sur de grandes étendues continues de terrains paludifiés (Lavoie et al., 2005). Un autre traitement proposé est une perturbation sévère du sol à l’aide d’une préparation mécanique du sol (PMS) suite à la récolte forestière. Cette solution pourrait réduire ou du moins limiter la paludification (Lavoie et al., 2005). De plus, la PMS pourrait s’avérer efficace, car on opère sur des étendues très vastes et peut potentiellement appliquer une perturbation très sévère au sol paludifié (Prévost and Dumais, 2003 ).
Le mémoire est divisé en deux principaux chapitres, une conclusion générale et des annexes. Le Chapitre 1 présente d’abord une introduction générale, incluant l’état des connaissances portant sur le sujet. Le chapitre 2 contient l’essentiel de la recherche qui permis d’évaluer l’efficacité de la préparation de terrain dans des sites paludifiés de la ceinture d’argile. Une conclusion générale et des recommandations d’aménagement sont présentées par la suite. L’annexe A présente des résultats complémentaires de l’utilisation du géoradar lors de la recherche. Finalement, les annexes B et C présentent du matériel additionnel du projet décrivant les machines utilisées dans l’étude.
État des connaissances
La paludification est un processus écologique important dans la région de la ceinture d’argile (Fenton et al., 2005; Simard et al., 2009). La paludification est le développement d’une épaisse couche de matière organique menant à la formation d’une tourbière (Payette et Rochefort, 2001). Selon Payette et Rochefort (2001), on peut distinguer deux types de paludification:
La paludification édaphique, aussi appelée paludification des bassins humides (Dussart et al., 2002). Ce type de paludification est considéré irréversible et contrôlé principalement par la topographie et le drainage. En effet, lorsqu’une microtopographie locale garde des conditions d’humidité du sol élevées, avec une accumulation rapide de matière organique, ces conditions conduisent systématiquement à la paludification, et favorisent un envahissement accéléré du site par les sphaignes.
La paludification successionelle, qui résulte de l’augmentation de l’épaisseur de la couche organique au cours du temps (Lavoie et al., 2007). Ce type de paludification concerne les sites bien drainés présentant des pentes faibles à moyennes, supportant des peuplements productifs après feu, pouvant également évoluer vers un état de paludification successionelle (Bernier et al., 2008). Ce type de paludification est considéré réversible et résulte d’une réponse de la succession forestière accompagné d’une accumulation d’espèces de sphaigne après les événements de feux (Simard et al., 2007). Les espèces de sphaignes s’étendent à la suite de l’ouverture graduelle du couvert lors de la mort des arbres (Boudreault et al., 2002; Fenton et Bergeron, 2006).
lmpact de la paludification sur la productivité
La paludification réduit à la fois la croissance des arbres en place et la densité de la régénération, un double effet négatif sur la productivité à long terme des sites (Simard et al., 2008), puisque les conditions d’anaérobie du sol diminuent le taux d’humification de la matière organique et la disponibilité des nutriments (Roy et al., 1999) en limitant l’activité microbienne et celle de la pédofaune (Prescott et al., 2000). La croissance des tiges mais et la qualité du substrat de germination des arbres en sont affectées (Lavoie et al., 2007a). En effet, selon Simard et al., (2007, 2009), l’indice de qualité de station (IQS) décroit avec l’augmentation de l’épaisseur de la couche organique. Les mêmes auteurs ont démontré que la productivité ligneuse de pessières noires peut diminuer de 50 à 80 % sur plusieurs centaines d’années; cette perte de productivité s’observe particulièrement entre 100 et 200 ans après feu. Alors, en absence de feu sévère, ces peuplements continuent à évoluer vers un état de paludification avancé, d’où la nécessité d’utiliser d’autres méthodes de perturbation alternatives au feu sévère tel que le brulage dirigé ou la préparation mécanique du sol (PMS). L’effet perturbateur (Réduction de la couche organique, humification de la matière organique) du brulage dirigé sur les terrains paludifiés a été vérifié dans les pessières noires de la ceinture d’argile (Renard, 2010). Par contre cet effet n’est pas encore bien défini avec la PMS sur ces mêmes terrains paludifiés (Lavoie et al., 2007). De ce fait, chercheurs et aménagistes s’interrogent sur la contribution des différentes techniques de PMS à limiter la paludification et surtout dans la relance de la productivité des pessières noires de la ceinture d’argile.
Techniques de préparation mécanique du sol (PMS)
D’un point de vue opérationnel, plusieurs opérations sylvicoles, notamment la PMS, créent des conditions de terrain relativement homogènes, facilitant les travaux subséquents de reboisement et d’entretien des plantations (Prévost, 1992; Schmidt et al., 1996; Prévost, 2004), d’où la recommandation de planter sur un sol préparé en forêt boréale (Prévost et Dumais, 2003; Thiffault et al., 2004; Thiffault et al., 2005). La PMS est un traitement qui consiste à rendre le terrain favorable à la mise en terre d’une quantité optimale de plants dans des microsites proptces au reboisement ou à favoriser l’implantation d’une régénération naturelle (von der Gonna, 1992; Sutherland et Foreman, 1995). Cette préparation peut prendre plusieurs formes (ex: scarifiage, hersage forestier) selon les objectifs du traitement et les conditions du terrain (Bérard et al., 1996a,b ; Wennstrom et al., 1999).
Les effets de la PMS sur les propriétés des microsites de plantation et la croissance des plants sont grandement dépendants du type de PMS pratiqué, des caractéristiques initiales de 1 ‘humus forestier, de la nature du sol et des conditions environnementales locales (Thiffault et al., 2003). Néanmoins, la PMS est généralement considérée comme une méthode efficace pour favoriser l’établissement des plants. Ce traitement améliore notamment les conditions de température, d’humidité et de fertilité du sol (Orlander et al., 1990; Sutton, 1993; Sutherland et Foreman, 2000). Il facilite également le travail des planteurs, particulièrement sur le parterre forestier, car il déplace ou élimine en partie les déchets de coupe (von der Gonna, 1992). De plus, les travaux d’entretien de la plantation sont facilités par la PMS (Prévost, 1992).
Dans une étude portant sur les effets de huit techniques de PMS (sur terrain non paludifié) concernant la croissance des plants de pin lodgepole (Pinus contorta var. latifolia Douglas) en Colombie-Britannique, Bedford et Sutton (2000) rapportent que la majorité des traitements de PMS augmentent significativement la croissance des plants lorsque comparée avec la croissance observée dans les parcelles témoins non-traitées. Il existe plusieurs méthodes et techniques de PMS avec différents degrés de perturbation du sol, tels que le déblaiement, ou la création de sillons par la dent forestière, la préparation de terrain par buttes. Deux techniques de PMS sont plus répandues au Québec, soit: le scarifiage (T26) et le hersage forestier à disques. Le scarifiage consiste à pénétrer dans le sol au moyen de deux disques dentés, ensuite ameublir plus ou moins énergiquement les couches superficielles du sol forestier, pour mélanger la matière organique au sol minéral; c’est un traitement du lit de germination pour favoriser l’ensemencement par les arbres sur pied ou par les rémanents, ou encore pour favoriser le drageonnement (Ford-Robertson, 1971). Le scarifiage permet également, d’éliminer mécaniquement la végétation concurrente et des débris nuisibles ou à une perturbation de la surface du sol afin de favoriser la régénération naturelle ou artificielle d’arbres d’essences recherchées (Bérard et al. , 1996.). De son côté, le hersage forestier vise à pénétrer dans le sol à l’aide de plusieurs disques (6 à 10 disques) pour broyer et à incorporer la matière organique aux horizons minéraux de surface et à ameublir le sol (Bérard et al., 1996.). Ces traitements sont généralement effectués selon un schéma de travail concentrique. Généralement, le double passage des équipements est nécessaire afin d’ améliorer les résultats de la préparation du terrain (ameublement du sol et amélioration des microsites).
Réduction d’ECO et qualité des microsites selon les conditions initiales d’épaisseur:
Nous avons intégré les résultats obtenus pour la réduction d’ECO et la qualité des microsites en un seul outil décisionnel basé sur les techniques de PMS et les conditions initiales d’ECO. Nous avons pu ressortir les pourcentages de bons et mauvais microsites pour chaque terminal. Les résultats obtenus sont résumés dans le Tableau 2.10. Nous avons remarqué que l’ECO après CPRS étant inférieur à 19 cm, la herse forestière a tendance à réduire l’ECO sur les pentes inférieures à 6% et présente les meilleurs pourcentages de bons microsites générés comparés au scarificateur T26. Pour le seuil d’ECO après CPRS compris entre 19 cm et 44 cm, nous avons remarqué que la herse forestière est meilleure que le scarificateur T26 en regard de la réduction d’ECO et de création de bons microsites. Pour le seuil 44-56 cm, nous avons observé que les deux machines réduisent une proportion équivalente d’ECO, mais le scarificateur T26 présente les meilleurs pourcentages de bons microsites. Au-delà des 56 cm, nous avons constaté que les deux machines ont le même effet sur la réduction d’ECO, mais la herse semblait présenter les meilleurs pourcentages de bons microsites que le scarificateur T26.
Réduction de l’épaisseur de la couche organique
Nos résultats démontrent que la perturbation par PMS réduit significativement l’ECO comparé à la CPRS. Ces résultats ont aussi confirmé que la perturbation générée par la CPRS n’a pas d’effet significatif sur la réduction de l’ECO. Cette réponse peut s’expliquer facilement par 1 ‘utilisation restreinte des machines de récoltes sur les sentiers qui ne perturbent pas plus que 25% de la surface récoltée (Harvey and Brais, 2002), alors que la PMS est appliquée sur la totalité de la surface. Les études antérieures sur l’impact positif de la perturbation mécanique des sols par rapport à la CPRS vont dans le même sens (Lecomte, 2006; Lafleur et al., 20 10). Sur notre site paludifié, la machinerie de CPRS semble perturber l’ECO seulement au niveau des passages restreints des roues laissant des zones importantes non-perturbées.
CONCLUSION GÉNÉRALE :
Notre étude, visait à vérifier cette hypothèse par la mesure de l’efficacité de la PMS (herse forestière, scarificateur T26) dans la réduction de l’ECO sous les différents seuils d’entourbement. Nous avons montré globalement que la herse forestière était meilleure que le sacrificateur T26 dans la réduction de l’ECO, mais aussi dans la création de microsites propices à la régénération, notamment sur les seuils d’ECO 0-19 cm, 19-44cm et 56-100 cm, puisqu’elle présente les meilleurs pourcentages de bons microsites (63%-74%) par rapport au scarificateur T26 (42%- 61 %). Néanmoins, la herse forestière semblait présenter des limites de performances sur les pentes supérieures à 6%, car sur ce niveau pente elle présente des tendances d’accumulation d’ECO sur les faibles ECO (0-19cm). De plus, malgré la bonne performance dans la réduction d’ECO (-44%), la herse forestière semblait présenter des faiblesses dans la création de bons microsites sur le seuil d’ECO (44-56 cm) avec un pourcentage de 48% contre 61% de bons microsites pour le scarificateur T26.
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Table des matières
CHAPITRE1 INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Problématique
1.2 État des connaissances
1.2.1 Impact de la paludification sur la productivité
1.2.2 Techniques de préparation mécanique du sol (PMS)
1.2.3 Concept du microsite
1.2.4 Technique de stratigraphie du terrain à l’aide du géoradar
CHAPITRE II EFFICACITÉ DE LA PRÉPARATION DE TERRAIN DANS DES SITES PALUDIFIÉS DE LA CEINTURE D’ARGILE DE L’OUEST DU QUÉBEC
2.1 Résumé
2.2 Introduction
2.3 Matériel et méthodes
2.3.1 Description de la zone et des sites d’études
2.3.2 Récolte de données et protocole expérimental
2.4 Analyses statistiques
2. 5 Résultats
2.5.1 L’effet des traitements sur l’épaisseur de la couche organique et sur la qualité des
microsites
2.5.1.1 L ‘effet des traitements sur l’épaisseur de la couche organique
2. 5 .1. 2 L’effet de la PMS sur la qualité des micros ites
2.5.2 Exploration des relations entre les variables réponses et explicatives
2.5.2.1 Relation entre la réduction de l’ECO et les variables explicatives
2.5.2.2 Relation entre la qualité des microsites et les variables explicatives
2.5.3 Réduction d’ECO et qualité des microsites selon les conditions initiales
d’épaisseur
2.6 Discussion
2.6.1 Réduction de l’épaisseur de la couche organique
2.6.2 Qualité des microsites
2.6.3 Limites de l’analyse par arbre de régression
2. 7 Conclusion
2.8 Bibliographie
CHAPITRE III CONCLUSION GÉNÉRALE
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