L’éducation du patient est une préoccupation sanitaire d’actualité. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2005), on dénombre trente millions de malades chroniques en France, ces maladies représenteront 60% de la mortalité générale en 2020. La maladie chronique représente donc un des challenges médicaux de ce XXIème siècle. Beaucoup de maladies étant non guérissables par la médecine, l’éducation du patient est appelée au secours de la médecine (Sandrin-Berthon, 2000). L’OMS (1998) annonce d’ailleurs que les perspectives d’amélioration de la santé peuvent venir plus de l’éducation que des progrès médicaux pour ce XXIème siècle. Grmek (1999) note que les progrès attendus de la médecine viendraient des sciences cognitives.
Cet intérêt pour l’éducation du patient en faveur de l’amélioration de sa santé est pour moi, un questionnement, qui intuitivement m’a interpellée depuis le début de ma pratique professionnelle d’infirmière puis d’infirmière anesthésiste. J’ai souvent fait le constat que dans la nécessité de soigner, il y avait d’un côté, le besoin d’établir le diagnostic de la maladie, avec des signes, des symptômes objectivables, des caractéristiques sémiologiques et, de l’autre côté ce que dit le patient avec son propre vocabulaire, ses émotions personnelles qui devenaient trop souvent secondaires, voire sans intérêt, pour le traitement de la maladie. Ainsi la démarche thérapeutique serait orientée uniquement sur l’objet de la maladie. Et cela dans un contexte relationnel cordial, quelquefois sympathique mais sans action thérapeutique d’aide au développement de la personne, tant au niveau de la prévention de la récidive, qu’au niveau du vécu émotionnel. De fait, dans la maladie aigue, l’éducation pour la santé se trouve réduite à peau de chagrin. Et pourtant, la médecine n’a eu de cesse de faire preuve de succès considérables auprès de la population. Dans la maladie aigue guérissable, les diagnostics et les stratégies thérapeutiques les plus justes sont d’une nécessité absolue pour le patient. C’est ce modèle d’une médecine objectivante qui s’est imposé au prix de l’exil du sujet.
LA SINGULARITÉ DU PATIENT ENTRE PREUVE ET ÉPREUVE DE LA MALADIE
« Guérir, c’est pouvoir de nouveau. Soigner, c’est réaménager un système et lui rendre la liberté de son équilibre. C’est aussi lui restituer son identité. Etre malade, c’est changer. Mais changer, c’est tantôt être un autre, tantôt être autrement le même. Or cesser d’être le même, c’est se perdre. D’un malade qu’on sent gravement menacé, ne dit-on pas qu’il « il n’est plus le même » ? Ne dit-il pas lui-même : « je ne me reconnais plus. » Guérir, c’est donc permettre à un organisme de redevenir le même, ou, au moins, de devenir autrement le même ».
BENSAÏD, N. (1995), Un médecin dans son temps, Paris, Seuil, p. 163.
Aborder la clinique du signifiant chez un malade chronique, nous conduit à préciser quelle est la figure de ce malade chronique ? Aujourd’hui, la notion de patient désigne spécialement le malade par rapport au médecin. Le mot malade, d’abord malabde (vers 980), est issu du latin male habitus qui signifie en mauvais état. Ainsi selon les origines du mot, le malade est celui qui va mal et le patient par contre celui qui accepte durablement de mal aller et qui souffre sans murmurer. Ainsi, l’éducation thérapeutique du patient s’adresserait à la personne dont l’attitude est par avance résignée devant d’éventuelles déconvenues, face à de possibles épreuves. Selon la définition première du mot « personne », persona en latin, signifie le « masque ». Prendre en considération le patient en tant que personne, c’est le regarder à la fois sous l’angle de la personne « vraie » et de la personne « masquée ». En d’autres termes, le patient se présente avec deux facettes, « le soi réel » et le « soi idéal » ou entre le besoin de paraître « tel qu’il est » ou « tel qu’il faudrait être ». Aborder le patient sous l’angle de la personne, c’est en avoir une vue du côté de la psyché, en occultant la vue du côté de la société. Le patient évolue dans un environnement social, avec son histoire personnelle, singulière.
Le récit de Sophie par l’intermédiaire de la consultation infirmière illustre une pluralité de facettes d’ordre psychique et social. La maladie n’est-elle pas une expérience d’ordre physiologique, personnelle, psychologique et sociale ? Il s’agit alors de « la maladie en première personne » comme la nomme Laplantine, « c’est-à-dire, l’étude de la subjectivité du malade qui interprète lui-même, les processus qui font qu’il se sent mal » ou « en pleine forme » . Comment, dans ce contexte le patient poursuit-il son expérience et son existence ? Pour cela, il convient de laisser une place au discours du patient. Il nous faut bien admettre qu’un patient n’est pas seulement un sujet rationnel qui pourrait répondre de façon conforme aux prescriptions faites par la médecine. Il est aussi un être de subjectivité et de désir qu’il convient de suivre de manière singulière. Nous postulons que le patient est un sujet. Et pour cela, nous proposons de comprendre le processus de subjectivation par lequel un patient cherche à advenir ou non comme sujet à partir de l’ensemble des éléments qui constituent son histoire et son être.
Premières approches de la maladie chronique
Depuis le XIXème siècle, la médecine a continué de progresser grâce aux nombreuses découvertes et progrès scientifiques, mettant sur le côté, à distance, le sujet au profit d’une objectivation. Ce qui a permis d’atteindre un haut niveau d’efficacité. En se centrant sur ce qui peut permettre la guérison, l’observance des prescriptions thérapeutiques devient un enjeu majeur pour la médecine. Le patient se doit d’adhérer, de devenir compliant. Mais peut-on apprendre à devenir observant quant on est malade chronique, c’est-à-dire porteur d’une maladie pour toute une vie durant ou pour le reste de sa vie ?
L’efficacité de la médecine
Regardons d’abord, ce qui a conduit la médecine à ce haut niveau d’efficacité au regard des périodes antérieures. Grmek décrit trois étapes historiques majeures intervenues au XIXème siècle. La première est la méthode anatomo-clinique (Laennec 1781-1826) qui a doté la médecine de son propre outil avec une nosographie et un diagnostic fondés sur les corrélations entre des lésions et des signes cliniques. Le signe clinique étant ce que recueille le médecin pour objectiver la maladie. Ce dont se plaint le malade et sa demande s’effacent parce que jugés trop incertains devant le signe clinique. La deuxième étape est le modèle étiologique et ontologique (Pasteur 1822- 1895) où le microbe est à la fois cause et état des maladies infectieuses. La troisième étape correspond au modèle de Claude Bernard (1813-1878) : la méthode expérimentale. Elle a fait entrer la médecine dans le champ de la science. Cette méthode a été à l’origine des immenses progrès de la médecine et pour cette raison ne saurait être remise en cause. La médecine d’aujourd’hui devenant moléculaire, est l’héritière de ce modèle. C’est plus la molécule qui est malade que l’être humain. Le cadre conceptuel de la médecine moderne comporte une triple nécessité : celle de visualiser la lésion, celle d’identifier la cause de la maladie et enfin, que tous les choix thérapeutiques qui ne seraient pas fondés sur des preuves scientifiques soient discrédités. La décision médicale s’appuie sur des instruments comme l’algorithme et des données probantes (evidence-based medicine ou médecine basée sur des faits prouvés). Le jugement médical repose sur une stratégie cognitive essentiellement hypothético-déductive, sourde au discours foisonnant du sujet (Dubas, 2011). C’est ce qui a fait et continue de faire la performance de la médecine aigue et de la médecine de l’urgence.
Les particularités de la maladie chronique
La maladie chronique se différencie de la maladie aigue par le fait que celle-ci s’inscrit de façon définitive et permanente dans la vie du patient. Elle se définit comme la maladie que la médecine sait aujourd’hui soigner mais qu’elle ne sait pas guérir. Elle représente plus de 80% des soins dans notre société.
Qu’est ce qui caractérise la maladie chronique ?
L’entrée dans une condition chronique est caractérisée par la durée et par des aggravations imprévisibles. Certaines de ces maladies de longue durée, avec un traitement, permettent au patient de vivre une vie quasi normale. Pour d’autres patients, le poids de la maladie atteint plus ou moins gravement leur vie personnelle, familiale, professionnelle et sociale. L’évolution d’une maladie chronique peut être marquée par des crises nécessitant des hospitalisations. Les techniques médicales actuelles traitent avec grande efficacité ces situations aigues. Une maladie chronique est considérée comme durable, voire pérenne, impliquant un pronostic sévère. Elle instaure de l’incertitude et de l’instabilité dans le déroulement de la vie.
Echappe alors aux professionnels de santé le déroulement monotone, souvent difficilement cernable, de la maladie de longue durée dont l’un des enjeux consisterait à éviter la survenue de crises aigues et d’aggravations. Une maladie aigue, même grave, peut ne présenter qu’une rupture temporaire avec le mode de vie. La maladie chronique signifie, pour le patient, la perte définitive de la condition de vie actuelle et de la santé antérieure.
L’intérêt pour la compliance
Dans ce contexte de maladie chronique, la médecine a emprunté à la physique le terme de compliance. Les patients, soumis et obéissants, sont compliants. Quant à ceux qui, quelles qu’en soient les raisons, ne suivent pas les prescriptions médicales, ils sont désignés comme non compliants. En physique, le terme de compliance désigne les caractéristiques des corps élastiques. Ainsi, un ballon de caoutchouc doit répondre à la formule suivante : compliance = déformation (D) / force (F). L’élasticité est le résultat de la force (F) exercée sur le volume (D) de l’objet. Plus il faut de pression pour obtenir un volume donné, moins la compliance sera grande. Le patient serait ainsi comparé à un objet plus ou moins élastique, plus ou moins résistant à l’action extérieure exercée sur lui. Or, nous le verrons, une décision favorable du patient qui se montre disposé à consentir à son traitement ne dépend pas de pressions extérieures, de mises en garde ou de persuasion.
La compliance se définit par les comportements conformes aux prescriptions médicales, c’est-à-dire le suivi strict de la prescription médicale et renvoie aux notions de soumission et d’obéissance. Aujourd’hui, le taux moyen de non observance thérapeutique chez les patients ayant un traitement chronique, toutes classes médicamenteuses confondues est d’environ 40% . Un peu moins d’un patient sur deux n’est pas observant. D’un point de vue économique, social et humain, c’est une préoccupation réelle.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Premières approches de la maladie chronique
1.1. L’EFFICACITE DE LA MEDECINE
1.2. LES PARTICULARITES DE LA MALADIE CHRONIQUE
1.3. L’INTERET POUR LA COMPLIANCE
1.4. CE QUI ECHAPPERAIT AUX PROFESSIONNELS DE SANTE
1.5. PEUT-ON « APPRENDRE » A ETRE MALADE CHRONIQUE ?
2. Etudes de cas préliminaires
2.1. LES BENEFICES SECONDAIRES DE LA MALADIE CHRONIQUE
2.2. LE CAS DE PROUST
2.3. LE CAS DE SOPHIE
2.4. LA FORCE DE L’EXPRESSION
3. L’expérience de la maladie chronique
3.1. LA MALADIE CHRONIQUE PAR LA PREUVE
3.2. L’EPREUVE DE LA MALADIE CHRONIQUE OU LA MALADIE EPROUVEE
4. Etudes portant sur la compliance
4.1. HEALTH COMPLIANCE MODEL (HCM) OU MODELE DE COMPLIANCE EN SANTE
4.2. MODEL FOR CLINICAL PREVENTION OU MODELE SYSTEMIQUE DE SOINS PREVENTIFS (MSSP)
4.3. LE MODELE DE PREDICTION DES COMPORTEMENTS DE SANTE (MPCS)
4.4. TROIS DETERMINANTS DE L’OBSERVANCE THERAPEUTIQUE
4.5. ANALYSE CRITIQUE : L’ABSENCE DU SUJET
5. La question du sujet
5.1. LA RECHERCHE DU SENS
5. 2. LA FIGURE DU SUJET
5.3. LA PAROLE
5.4. L’IDENTITE
6. L’approche clinique
6.1. LA CLINIQUE DU SIGNE
6.2. LA CLINIQUE DU SIGNIFIANT
6.3. LA DEMARCHE CLINIQUE
7. La mise en projet d’une éducation thérapeutique
7.2. LES TEXTES FONDATEURS
7.3. IDENTIFICATION DES BESOINS ET DES ATTENTES DU PATIENT
7.5. LE PROJET D’EDUCATION THERAPEUTIQUE
7.6. LES POSSIBLES EN EDUCATION THERAPEUTIQUE
7.7. L’ADULTE, MALADE CHRONIQUE
7.8. L’APPROCHE REFLEXIVE
CONCLUSION