L’écriture de soi et de l’autre dans La Préférence nationale de Fatou Diome

Une écriture de la transgression

   Cette nouvelle écriture de la transgression est notée chez les deux romancières de notre corpus montre, d’un côté, un sentiment et une volonté de démarcation du groupe social et d’un autre côté, un désir de rompre avec un système antérieur traditionnel. Si les prédécesseurs écrivains hommes ou femmes s’exprimaient avec un « nous » racial et/ou collectif mettant l’accent sur les intérêts communautaires au profit des leurs pour intérioriser toujours leurs sentiments. Avec Fatou Diome et Ken Bugul, par contre, le « je » symbolise leur singularité et cet emploi donne l’occasion d’extérioriser leurs émois. Dans La Préférence nationale comme dans Mes hommes à moi, l’écriture de la transgression s’apparente à l’énonciation de l’acte sexuel. Les narratrices écrivent sans ambages leur expérience sexuelle : « Ce fut ce soir-là que j’eus pour la première fois un rapport sexuel avec un homme. » (BUGUL, 2008 : 171) ; « […] il m’avait déshabillée et sa main avait cherché nerveusement mon degré d’humidité pour voir si la glisse était déjà possible […] il s’engouffra et glissa en moi comme une couleuvre bifurque dans les champs de mil du Sahel. Maintenant il gigotait. » (DIOME, 2001 : 120). Dans la littérature féminine, le sexe devient un matériau d’écriture. Si certains évoquent les abus ou les violences sexuelles, Ken Bugul énonce la thématique de l’homosexualité et du lesbianisme : « j’aimais les homosexuels. C’étaient des gens avec qui je m’étais toujours entendu. » (BUGUL, 2008 : 225). Ainsi, l’écriture de la transgression est notée dans l’esthétique comme dans la thématique. Dans leurs productions littéraires, elles ont eu à instaurer un style d’écriture matérialisé par les aspects tels que : des procédés d’écriture, la destruction et la reconstruction du récit, les mélanges de genres, le passage du réel au fantasme, des personnages avec des identités ambigües ou ambivalentes et un dualisme culturel. Par ailleurs, de la littérature de dénonciation à celle de désillusion, des romanciers avaient traité les personnages féminins avec plus d’égards même si certains avaient utilisé quelques uns comme des antihéros. Si la prise de parole des femmes chez Ken Bugul laisse apparaître, d’une part, leurs sentiments de désolation face à une société phallocratique, aux mœurs sociales et politiques trop austères, d’autre part, des femmes émancipées ou révolutionnaires chez Fatou Diome procèdent à une écriture purement revendicatrice et dénonciatrice. Dans La Préférence nationale et dans Mes hommes à moi, la liberté individuelle, la quête du bonheur, le désir sexuel à visée provocatrice sont privilégiés, car, comme l’affirme Aïssata S. Kindo, « l’écriture du sexe se révèle provocatrice et subversive, car elle dérange les habitudes et la décence, mais elle participe aussi à cette quête de liberté et cette entreprise de libération de la femme. » En effet, l’utilisation du thème « le sexe » tabou dans une œuvre romanesque confère certes à leur métier une initiative de renouveler le genre mais aussi une écriture de la transgression : « Sensible aux différentes mutations subies par le continent, les romancières africaines ont renouvelé leur écriture, aussi bien dans sa thématique intégrant désormais le sexe, sa forme d’expression que son idéologie. » Le thème de la sexualité brise les codes, les conventions et les institutions traditionnelles. Fatou Diome et Ken Bugul usent, avec audace, d’une langue et d’un vocabulaire provocant. Cependant, l’écriture est une transgression puisqu’elle est condamnée par les sociétés régies par des normes traditionnelles. Mais cette écriture libertine devient un choix assumé.

Le regard critique sur la communauté

   Les premiers écrivains africains se sont penchés sur les valeurs culturelles qui constituent une entrave pour certains et une coutume à perpétuer pour d’autres. De 1920 à 1935, les productions écrites appelées romans ethnographiques ou autobiographiques où la réalité est mêlée à la fiction, des romanciers ont souligné non seulement le parcours de l’individu allant de l’adolescence à la maturité (Karim d’Ousmane Socé Diop, Force bonté de Bacary Diallo) mais aussi ils ont mis l’accent sur la vie collective. D’autres ont eu pour mission de faire une critique de la société à laquelle ils appartiennent. Cette critique peut se focaliser sur divers domaines. Ainsi, l’écriture qui apparaît comme un dévoilement de soi recouvre souvent l’esprit communautaire. La Préférence nationale de Fatou Diome est une représentation de la société africaine sous toutes ses formes. De ce fait, la pauvreté et les handicaps sont souvent à l’origine de quelques déstructurations sociales si certaines valeurs ne sont pas partagées : « Regardez la première de la classe avec ses sandales trouées ! Elle va chez Cooddou la lépreuse! Si tu chopes la lèpre emmène-la dans ton village! Wouh ! » (DIOME, 2001 : 21). Par ailleurs, l’écriture de soi peut mettre en exergue les clivages dans la vie en communauté du fait que la personne considérée comme étrangère subit parfois une injustice venant de la famille qui l’accueille. Dans La préférence nationale, Fatou Diome décrit le comportement du patriarche de la famille d’accueil de la narratrice qui incarne l’autoritarisme car, derrière son statut de père polygame, il cache un caractère vil et mesquin. C’est un pédophile, qui, après avoir dépouillé Satou, la violente avant de tenter d’abuser d’elle. Cette scène explique la conduite d’un homme pédophile qui tente de satisfaire sa libido en abusant de la petite collégienne. Il agrippa mon poignet et souleva son caftan. Il était nu dessous une pièce de monnaie posée sur sa verge. Sa gorge laissa échapper une voix épaisse et gluante que je ne lui avais jamais connu: Regarde, lui aussi a besoin de quelque chose ce matin, après je te le file ta pièce, viens, viens, chuuu ! (DIOME, 2001: 29). C’est dans ce même sillage que Ken Bugul prend position et condamne certaines pratiques : « Arrêtez d’exciser les filles ! bandes de criminels » (Bugul, 2008 : 174). Cette vision critique sur les pratiques est aussi évoquée dans son autre roman, La folie et la mort où l’héroïne Mom Dioum devient défigurée à la suite de l’interruption de son tatouage : « D’où venait cette pratique barbare devenue une pratique socioculturelle traditionnelle, essentielle chez des peuples depuis si longtemps20 ? » La Niodioroise s’attaque à la société phallocratique qui dénie à la femme sa liberté. La polygamie qui est brièvement soulignée a une importance chez Fatou Diome parce qu’elle veut attirer l’attention de ses lecteurs sur un mode de vie hérité des ancêtres et qui continue de plus belle avec toutes ses conséquences : Venue des îles du Saloum, j’étais hébergée chez une famille polygame. La grandeur du chef des lieux se mesurait par le nombre de bouches affamées qui l’entouraient: deux femmes et dix-huit enfants […] Aux heures de repas, malheureux étaient les derniers à s’installer autour du bol. (DIOME, 2001: 24). Le point commun entre Fatou Diome et Ken Bugul réside dans la critique des mœurs sociales même si Ken Bugul a une vision plus ou moins positive de la polygamie. Leur plume n’est qu’un moyen pour défendre les femmes afin qu’elles puissent trouver le bonheur. Cependant, l’écriture de soi peut être une lutte personnelle et un combat pour le bien collectif. A côté de Mariama Bâ, Calixthe Beyala et Koumanthio Zeinab Diallo, condamnent aussi les violences conjugales, l’inceste et les infidélités du conjoint. Ayant vécu dans le passé les mêmes problèmes que ses consœurs, Ken Bugul compatit et exprime sa solidarité dans Mes hommes à moi : « Les femmes, je les prenais comme des individus qui avaient le même sort que moi. Je me sentais solidaire et je les considérais comme des victimes des religions et des sociétés patriarcales. » (BUGUL, 2008 : 213-214). Dans La Préférence nationale, la narratrice porte un regard critique sur sa propre communauté, qui, malgré sa foi en Dieu, croit également à d’autres pratiques occultes. De ce fait, ceux qui vénèrent des divinités sont souvent dans l’obligation de faire des offrandes afin de conjurer le sort. La plupart qui offrent des dons aux pauvres ou aux personnes démunies ont d’autres intentions que de leur venir en aide : Certains qui se laissaient gagner par la sollicitude, et d’autres motivés par le désir de se protéger contre les foudres divines, donnaient à Codou des pièces et des denrées courantes. Tous priaient auparavant pour que les offrandes soient dépositaires de leurs soucis les plus divers et que les malheurs épargnent les leurs, aillent s’abattre sur le bénéficiaire des dons. Par mesure prophylactique, certains, à la veille des évènements importants de leur vie, allaient même jusqu’à chercher la vieille Codou pour lui faire des dons plus conséquents et conjurer le sort. (DIOME, 2001 : 17). L’évocation de cette pratique syncrétique explique les différents visages que peuvent adopter les individus d’une société. Tout geste est prémédité pour ne pas perdre sur le plan financier ou matériel. C’est dire que dans ces sociétés, la superstition et le fanatisme occupent une grande place. C’est dans cette veine que s’inscrivent ces propos de Samba Diop : Les musulmans et les chrétiens croient toujours aux religions traditionnelles et portent des gris-gris et amulettes, rendent visite aux divins, guérisseurs et marabouts, font des offrandes sur l’autel des ancêtres et s’agenouillent devant le panthéon des dieux et déesses animistes. Après avoir porté un regard négatif sur sa communauté superstitieuse, Fatou Diome s’en prend aux mauvais comportements des hommes de son temps. Certaines personnes sont considérées et respectées par leurs tenues vestimentaires. Les capacités intellectuelles, le savoir-faire et le savoir-être ne signifient rien pour les autres et moins pour l’intéressé: « Les CV ne valaient encore rien pour nous, mais les plis des vêtements étaient des rebords de cartes de visites. » (DIOME, 2001 : 20). Dans La Préférence nationale, le statut du père de famille, polygame et autoritaire, est remis en cause. Alors que dans Mes hommes à moi, c’est la société traditionnelle avec ses réalités et ses mystères qui est attaquée : « Dès qu’on abordait les affaires sérieuses, comme le mariage, les démons des classes surgissaient et on entendait dire : « celui-là ne peut pas épouser celle-là, parce qu’il est casté ou parce qu’elle est castée. » (BUGUL, 2008 :141). L’autocritique chez Fatou Diome et Ken Bugul débouche sur une critique sans concession de leur société. Elles remettent en cause les disfonctionnements de la société sénégalaise. Ce regard critique sur la communauté apparaît également chez d’autres romancières comme Mame Younous Dieng, Mariama Ba et Calixthe Beyala qui font une dénonciation de certaines pratiques traditionnelles. Dans les récits de vie, l’écrivain soulève certes les problèmes de sa propre communauté, mais il accorde une place importante à sa vie, à sa conduite. Les romancières apportent leur témoignage afin de dénoncer la conduite de certains.

Les événements traumatisants

   Si certains écrivains choisissent d’écrire pour rendre compte négativement d’une époque, d’autres préfèrent raconter une partie de leur vie, les échecs et les moments de jouissance. Le bonheur, même s’il existe, n’est souligné que brièvement parce que c’est une séquence dans laquelle les auteurs relatent plus les obstacles, les vicissitudes de la vie qui précèdent les éphémères temps de réjouissance dont ils ne bénéficient pas tellement. C’est ce qu’on retrouve chez Ken Bugul dans Mes hommes à moi où l’écriture de soi peut être comprise comme un témoignage au moment où les faits et gestes d’une personne restent dans la mémoire : C’était ma grande sœur aînée qui me parlait toujours de mon père. Elle me racontait une grande partie de sa jeunesse. Elle me racontait comment il avait acquis son érudition (…) Ma grande sœur me racontait comment il avait été recruté de force pour la grande guerre de 1914-1918 et comment il avait échappé à la traversée. (BUGUL, 2008 :152). La narratrice se remémore ainsi de la première guerre où les hommes valides étaient recensés afin d’être emmenés, avec ou sans leur consentement, sur les champs de bataille où la moitié d’entre eux perdent la vie, d’autres reviennent vivants ou traînent avec un handicap physique ou mental. Dans les récits de vie qui se fondent sur l’existence de la personne, les écrivains mentionnent non seulement leurs expériences de la vie malheureuse ou heureuse mais ils rappellent d’emblée, au lecteur informé ou non, des événements qui ont bouleversé la vie de toute une communauté. Dans les récits de vie, l’écrivain peut décider au préalable de raconter toute sa vie. Quelques uns s’y lancent très tôt du fait qu’ils ne peuvent pas garder le silence et les déchirures d’une époque qui continuent de hanter et de persécuter l’esprit communautaire: « Pourquoi devrait-on à chaque fois revivre des choses passées ? C’était comme si la vie à un moment, était cette perpétuelle visitation de sa propre vie.» (BUGUL, 2008 : 232). De ce fait, le romancier s’engage à apporter son témoignage étant donné qu’il éprouve le désir d’extérioriser ses angoisses. Si certains écrivains s’adonnent à l’écriture de soi pour décrire le mal-vivre d’une communauté, Fatou Diome et Ken Bugul insistent plutôt sur les interactions entre les individus et les différents milieux fréquentés. Dans La Préférence nationale, les nouvelles intitulées « le visage de l’employé » et « La préférence nationale » indiquent les difficultés auxquelles les émigrés noirs sont confrontés. Les romancières qui ont subi ou assisté à ces genres de traitements, en témoignent dans leurs écrits. Fatou Diome s’imprègne de cette réalité et porte la voix de ses consœurs vulnérables pour révéler les amertumes qu’elles continuent à vivre dans l’ailleurs. Entre la conduite des colons et celle des Européens actuels, il n’y a pas de différence. Les derniers ont adopté une stratégie autre que celle de leurs prédécesseurs pour maintenir le Noir dans l’ignorance et la bassesse : « Je lisais le refus dans ses yeux, d’une couleur incertaine, comme pour motiver sa réponse négative et m’humilier à la fois, il me dit : Mais pourquoi fous n’allez donc pas traifailler chez fous. » (DIOME, 2001 : 87). C’est une façon de fustiger ainsi le comportement du Blanc qui ne parvient pas à tenir au Noir un langage correct ; est une sorte de parodie. À l’opposé de Fatou Diome, Ken Bugul met en parallèle le dévoilement de sa personne et le témoignage passionnant de la bêtise humaine. Une critique alternative est notée dans Mes hommes à moi où Ken Bugul met à nu la femme noire et le Blanc qui ont tissé une relation jusqu’à avoir un rapport sexuel. C’est dire que l’écriture de soi livre un témoignage et rapporte les différentes prises de position auxquelles l’individu est censé faire. Si les retours en arrière permettent de revisiter l’histoire de son passé et celle de l’autre, l’introspection devient également une technique pour évaluer sa conduite.

Les récits enchâssés

    L’enchâssement est aussi un des procédés de création pris en compte dans l’écriture d’une œuvre. Il s’agit de plusieurs histoires narrées séparément avec souvent de petites intrigues plus ou moins opposées. Mais l’existence de ces brides de récits annonce un désordre. En effet, l’enchâssement peut se présenter sous la forme d’un monologue intérieur, un portrait ou un parallélisme. D’abord, l’enchâssement représenté sous la forme d’un monologue annonce un dérèglement de l’énonciation. Le narrateur homodéigétique ou intradiégétique revient sur le questionnement de soi, l’itinéraire d’une vie. Chez Fatou Diome et Ken Bugul, celui qui écrit « je » montre son expérience migratoire, ses relations avec l’étranger. Dans La Préférence nationale, l’enchâssement brouille, à un certain moment, les pistes de compréhension puisqu’il y a une absence de linéarité. Le fil de l’histoire s’estompe. On passe d’une nouvelle à une autre, de l’Afrique vers l’Europe, avec des intrigues différentes. En effet, ces récits enchâssés et ceux enchâssant montrent les aller et retour, le présent et l’absent, le vide et le plein et ils ont pour effet de déconstruire le mode d’écriture classique. Cette technique utilisée par Fatou Diome valorise l’éducation traditionnelle, les principes communautaires, l’initiation au travail : J’ai la meilleure des grand-mères […] Elle m’a gavée de couscous et racontée la vie telle qu’elle est vraiment. Elle a refusé le mensonge de tous les grands parents du monde, qui empruntent la bouche d’une fée pour raconter à leurs petits enfants la vie telle qu’elle ne sera jamais. Le meilleur des grand- pères est le mien. Dans les champs de mil fécondés par les pluies Sahéliennes, mon grand-père ne m’offrait pas de petites fleurs. Il me tendait la houe et me disait de gratter le sol. A force de transpirer, j’ai compris que la sueur faisait pousser les plus belles fleurs. (DIOME, 2001 : 107). Ensuite, l’enchâssement est un parallélisme parce que le « je » écrivant cherche à établir une comparaison avec l’objet narré. Dans Mes hommes à moi, la narratrice tente, dans un premier temps, de comparer l’homme convoité à son père ou à son frère, puis dans un deuxième temps elle cherche à connaître Madame Michèle pour examiner les traits de ressemblance : « J’aurai aimé ressembler à Madame Michèle […] J’avais décidé de faire sa connaissance. » (BUGUL, 2008 : 85). Enfin, l’enchâssement est perçu comme un portrait, une description qui donne des informations et plus de précision sur l’histoire de la personnalité d’un individu. Dans les œuvres de notre corpus, les deux narratrices transposent d’abord des fragments de récits de leur vie, ensuite des brides des leurs ou ceux de l’étranger ou de l’inconnu. Si dans La Préférence nationale, Satou, le sujet interrogeant, enchâsse une partie de sa vie et celle de l’autre, Dior, le « je » écrivant dans Mes hommes à moi transpose non seulement l’itinéraire d’une femme, mais aussi elle dévoile et assume sa conduite pour en fin de compte donner sa vision du monde. C’est dire que ces techniques d’enchâssement montrent le doute chez Ken Bugul et l’incertitude chez Fatou Diome de réussir dans la terre de l’autre et de se faire accepter .Cette hybridité dans l’écriture est provocante chez Ken Bugul et dénonciatrice chez Fatou Diome pour expliquer une constante identité problématique qui tend vers une éventuelle métamorphose plus ou moins négative.

L’exil

   L’exil est le fait de quitter sa patrie. C’est également un déplacement effectué pour la quête d’un autre milieu. C’est aussi le cheminement de l’être qui souhaite prendre son destin en main. Vers les années 50, 70 et 80 avec Le Docker noir de Sembène Ousmane, L’étudiant noir d’Aké Loba, Un nègre à Paris de Bernard Dadié, l’aventure européenne commençait à prendre une importance pour les Noirs africains. Certains ont quitté leurs pays dans le but de continuer leurs études alors que d’autres étaient partis pour découvrir l’Eldorado, le mythe de l’Europe. Plus tard avec l’entrée des femmes romancières, la notion de l’exil ou de l’émigration devient une question d’actualité. Certes elle ne date pas d’aujourd’hui mais, les femmes émigrées commencent à dénoncer les conditions des exilées, leurs malaises et leurs sentiments de claustration entre deux mondes. Jacques Chevrier soutient : […] Que l’on songe à Calixthe Beyala, […] ou Fatou Diome, pour n’en tenir à ces quelques noms, tous et toutes, à des degrés divers ont fait le choix, quel qu’en soit le prix à payer, de vivre en France et pour la plupart à Paris ou dans une Afrique de plus en plus lointaine et mystique, et qui, d’autre part, ils doivent affronter le quotidien d’une société française qui n’a pas encore pris la juste mesure de la diversité culturelle dont elle est tissée. L’exil, chez les deux romancières Fatou Diome et Ken Bugul, est le fait de s’éloigner de leur pays pour un ailleurs. L’exil consiste aussi à établir une rétrospection pour revisiter le passé avec ces multiples souvenirs. Ce voyage vers l’autre monde a entraîné une perte d’elles mêmes, un dépaysement facilité par l’assimilation ou la déculturation. Dans La Préférence nationale comme dans Mes hommes à moi, l’exil crée une certaine rupture étant donné que les personnages féminins mis en scène sont confrontés à un problème identitaire. De ce fait, ils ne perçoivent pas les mêmes choses et ne partagent pas non plus les mêmes idéologies avec les autres. C’est ainsi que s’installent les refus de soumission, voire les résignations. Les personnages féminins veulent prendre en main leurs destins face à une société conservatrice. Ces refus et ces signes de ruptures sont à l’origine de certains exils, la quête d’un ailleurs incertain. Dans Mes hommes à moi, la narratrice est dans une situation d’exil forcé puisqu’elle fuit son passé: une histoire liée à son enfance. Les vicissitudes de l’existence, les problèmes familiaux sont les causes du départ : « Je m’étais installée dans ce pays, quand je m’étais rendue compte que je ne pouvais pas vivre comme je l’aurais voulu dans mon propre pays, parce que je ne remplissais plus les critères de sélection des hommes.» (BUGUL, 2008 : 26). Dans ce cas, le voyage devient d’une part une obligation de séjourner hors de sa terre patrie et d’autre part, il est appréhendé comme une évasion pour échapper au réel. La rupture avec le pays d’origine cautionnée par l’exil permet d’obtenir une nouvelle identité et de tomber, si possible, dans l’anonymat. C’est également un moyen d’être libre, de renaître pour porter un autre nom, avoir une nouvelle histoire, une autre identité : « Je n’étais tenue à aucune obligation. Je ne votais pas, je ne payais pas d’impôts […] J’étais un voyageur sans bagage, une tsigane une gitane, une rom. J’étais une juive. Et ce qui me convenait le plus dans cet exil, c’était que j’étais souvent seul. » (BUGUL, 2008 : 36-37). Le désir de s’écrire rend compte d’une certaine liberté, expliquant les questions intimes ou les mœurs africaines. Dans La Préférence nationale, par contre, l’exil montre l’état d’âme de la femme émigrée africaine. Celle-ci traverse des épreuves qui lui permettent de s’interroger sur la bêtise humaine et de réfléchir sur elle-même. Les études sont les causes principales de l’exil. Celui-ci est donc choisi et s’est manifesté depuis le premier déplacement. Satou quitte son île natale pour aller d’abord à Foundiougne, à Mbour, à Dakar ensuite avant de s’installer enfin à Strasbourg. Ses déplacements ont laissé des empreintes et une partie de sa vie est étalée dans chaque passage. La migration est un moyen de connaître l’autre. L’exil est non seulement une chance de survivre pour certains mais aussi une méthode de répondre peut-être à un appel, une façon de sauver l’honneur de toute une race menacée. C’est ainsi que l’exil devient dans La Préférence nationale, un moyen de vengeance, de restauration de la vérité, un règlement de compte : […] mes sentiments m’ont exilée et la préférence nationale de ma belle-famille a eu raison de mes rêves de liberté. [..] Je suis venue, monsieur, guidée par l’odeur du sang des miens qui ont quitté des femmes fertiles et sont devenus malgré leur courage l’engrais de votre orgueilleuse terre. Je suis venue, parce que j’ai su entendre les chants guerriers qui émanent des multiples croix anonymes de verdun pour se prendre vers l’Afrique orpheline. Enfin, je suis venue, monsieur, pour rétablir la vérité […] je veux apprendre à vos gosses à chanter nos ancêtres les tirailleurs sénégalais. (DIOME, 2001 : 88-89). L’exil consiste aussi dans Mes hommes à moi, à porter un regard sur l’Autre. La narratrice est obsédée par la présence de certaines personnes (Monsieur et Madame Jourdan, Monsieur Pierre, Madame Michèle, Gérard) qui fréquentent régulièrement le bar : « J’étais en mission dans cette ville et dans ce pays où je n’habitais pas. […]J’étais obsédée par des personnes que j’avais vues chez Max. » (BUGUL, 2008 : 34-35). L’exil du personnage féminin dans Mes hommes à moi est lié aux différents lieux où elle a séjourné ou vécu. Donc les raisons du départ semblent être multiples. Néanmoins, dans son propre pays, Dior sentait déjà cet exil qui ne disait pas son nom puisqu’elle était étrangère parmi les siens. En réalité, l’expérience de l’exil intérieur ou de l’exil africain crée un isolement, voire une rupture.

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Table des matières

Introduction
Première Partie : Le dévoilement de soi
Chapitre 1 : L’autoportrait
1.1. Une révélation sincère
1.2. Une écriture de la transgression
1.3. Un choix assumé
1.4. Le regard critique sur la communauté
Chapitre II : Le témoignage
2.1. La figure du colonisé
2.2. Les événements traumatisants
2.3. Les analepses : « je » rétrospectif et introspectif
Chapitre III : L’identité hybride
3.1. Une écriture hybride
3.1.1. Absence de linéarité
3.1.2. Les récits enchâssés
3.2. Une identité problématique
3.3. La métamorphose
3.4. L’identité nouvelle
3.5. Les moyens d’insertion sociale
3.5.1. Le rôle de l’école française
3.5.2. La quête de la reconnaissance
Deuxième Partie : La double exclusion culturelle
Chapitre I : La quête perpétuelle
1.1. L’exil
1.2. L’errance
1.2.1. L’errance géographique
1.2.2. L’errance de l’esprit
1.3. La découverte de l’autre
Chapitre II : La notion de l’espace
2.1. L’espace double
2.2. Les conséquences de l’appartenance à un espace double
2.2.1. La solitude
2.2.2. La débauche
Chapitre III : Les obstacles à la double exclusion
3.1. Les préjugés raciaux
3.2. Les manifestations du racisme
3.3. La discrimination
Conclusion
Bibliographie

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