L’ÉCRITURE COMME CONNAISSANCE DE SOI

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L’ESTHÉTIQUE MONTAIGNIENNE

La question de l’esthétique revêt un caractère important dans la création d’une œuvre, littéraire, puisque l’écrivain doit montrer sa singularité, sa capacité créative pour parfaire l’étude de son texte. Si nous parcourons Les Essais, nous sommes face à un livre qui est complexe, unique, le seul livre au monde de son espèce, pour reprendre les termes de Montaigne. Cette singularité de son livre dont il est conscient et, qui fait de l’œuvre un livre monumental, particulier, complexe par son style d’écriture, bref par son esthétique. Dès lors, la question sur l’esthétique dans l’œuvre des Essais revient à s’interroger sur la nature des Essais : sont-ils un genre littéraire ou philosophique ? À partir de cette question, plusieurs étapes nous permettront de comprendre son écriture.
Qu’est ce qui fait leur originalité en tant qu’œuvre littéraire ? Peut-on répertorier ce genre d’écrit avant qu’il ne devienne un genre à part entière ? Ces interrogations nous permettront mieux d’aborder la question de l’esthétique littéraire dans les Essais de Montaigne que nous voudrions à présent étudier. Ainsi dans les pages qui suivront, il s’agira de montrer en quoi l’esthétique littéraire culmine l’œuvre de Montaigne ? À cet égard, nous montrerons que l’esthétique dans Les Essais suscite une question centrale dans le sens où elle nous permettra de mieux comprendre la composition de l’œuvre mais aussi l’effet du renouveau dans l’écriture des Essais.

L’esthétique littéraire

Le phénomène de la production a toujours été un point central dans un texte littéraire car, c’est par l’esthétique qu’un auteur se dévoile, se démarque par rapport à d’autres auteurs, mais aussi marque sa particularité et sa pensée. Il peut être défini comme « Une science du beau dans la nature et dans l’art ou une conception particulière du beau.»9
Cette définition nous permet encore une fois de mieux comprendre que la question du style est indissociable pour l’auteur et pour son livre. Le style est lié à la production littéraire de l’auteur, de sa pensée. C’est un moyen pour un écrivain de se parfaire dans son texte par le biais de la création d’une œuvre d’art. Toutefois, comprendre l’esthétique chez un auteur c’est en d’autres termes, comprendre sa démarche. Chez Montaigne, pour comprendre sa méthode, il faut s’interroger sur la nature des Essais. Pour mieux aborder cette question intéressons- nous d’abord à la définition de l’essai. Défini en général comme un ouvrage littéraire en prose de facture très libre traitant d’un sujet qu’il n’épuise pas, l’essai prendra une autre forme dans la conception montaignienne. Celle-ci vise à lui donner une valeur qui s’accorde à la vérité de l’homme dans le passage. Il s’avère nécessaire donc de lier ce choix à la recherche d’une philosophie mais aussi d’une méthode d’écriture. Le mot essai vient du latin exagium qui signifie «pesée, essai », de exigere qui signifie «expulser », puis « mesurer, régler ».10 Cette définition rejoint chez l’œuvre de Montaigne, cette libre façon d’exprimer ses sentiments, à tester ses aptitudes et son expérience et cette façon libre de traiter un sujet qu’il n’épuise pas ou réunissant des articles divers.
Pour certains critiques, il semble que l’essai constituerait probablement le genre littéraire le moins connu du grand public, tant et si bien que, devant la nécessité de le définir, on est souvent porté à en donner une définition négative : un essai n’est ni un roman, ni un poème, ni une pièce de théâtre. En plus, le terme « essai », au sens genre littéraire, apparaît au siècle de Montaigne pour désigner les premières productions littéraires d’une personne, ses premières tentatives. Le terme ensuite s’est figé pour désigner un ouvrage littéraire en prose, qui traite d’un sujet sans viser à l’exhaustivité. Or, même s’il n’existe aucune définition définitive, on peut se servir de certaines caractéristiques qui n’apparaissent pas systématiquement dans chaque essai : expression d’une subjectivité, discussion d’une idée, interrogation sur un problème existentiel, destiné à produire un effet etc. En d’autres termes, un essai est une œuvre de réflexion débattant d’un sujet donné selon le point de vue de l’auteur.
Toutefois, il faut savoir, qu’autrefois, l’essai était un assemblage d’exemples et de sentences desséchés enlevés aux feuilles d’un herbier. Seul le fil conducteur dont il les attachait appartenait à Montaigne. Maintenant c’est un miroir d’observations pratiques et de réflexions personnelles toutes fraîches encore, toutes parfumées du Moi de Montaigne. En effet, Les Essais de Montaigne sont de libres considérations d’un gentilhomme français dans l’esprit de l’humanisme finissant du XVIe siècle. Montaigne a rédigé Les Essais entre sa quarantième et soixantième année, publiés par lui-même, pour passer le temps dans l’oisiveté de sa vieillesse retirée, souvent retravaillés et surchargés, inachevés, et qu’on imagine guère achevés aussi bien. Ces éléments pertinents sur la définition de l’essai, montrent une fois de plus le caractère singulier de ce genre par rapport aux autres genres, mais aussi donnent à lire dans l’œuvre des Essais ce caractère de style particulier bref ; son esthétique.
L’esthétique littéraire occupe une place de choix dans Les Essais. Seulement, à première vue, il semble que règne dans ce livre le désordre du hasard. Car c’est un pêle-mêle où se confondent les choses importantes et futiles, les côtes vite surannés et l’éternel. C’est dire, qu’il faut une lecture profonde et assidue, pour mieux cerner l’esthétique de Montaigne car le style des Essais échappe à toute définition traditionnelle. L’auteur de ce livre n’aborde pas ses sujets avec un dessein délibéré. Il se met à l’écoute, laisse toutes choses, même les plus signifiantes, venir à lui et garde cependant la certitude qu’un moment arrivent où elles se livrent et s’adonnent, pourvu que l’on sache attendre.
Les Essais sont devenus un livre universel. Il en émane grâce à son esthétique littéraire, un charme singulier auquel se sont montrés sensibles les lecteurs les plus divers, y compris ce que l’ont ne trouvent pas habituellement dans le public philosophique. Cette esthétique est un charme qui ne tient pas tellement au fond qu’à légalité d’une pensée dont l’amplitude déborde les idées isolées, nées de l’instant et aussitôt abandonnées. L’étude de l’esthétique dans les Essais, revient à cette autre, celle de l’écriture dans l’œuvre. Du point de vue de l’écriture, la profusion des tirés dans le pêle-mêle, l’aisance avec laquelle il associe le latin des grands auteurs au français du magistrat11 font de ce livre l’œuvre d’un gentilhomme érudit. L’écriture en langue française est peut être la première singularité : bien que, si le français est déjà diffusé et compris par biens des lettrés au cours du XVIe siècle, inscrire une œuvre en langue vulgaire dans la continuité d’une sagesse lettrée antique montre encore un des styles de l’auteur. Enfin, l’esthétique permet de saisir le sens et la forme de l’œuvre littéraire et, sa compréhension à travers l’histoire et l’époque de l’auteur. De plus, elle exige que chaque œuvre soit replacée dans la série littéraire dont elle fait partie afin de déterminer sa situation historique, son rôle et son importance dans le contexte général de l’expérience littéraire.
Dès lors, ce qui frappe dans l’œuvre de Montaigne, c’est l’extraordinaire variété des thèmes traités, ainsi que les talents de conteur de l’auteur. Chaque idée est transmise par une histoire, une anecdote, un conte, comme dans une conversation intelligente. Sommes-nous entièrement conquis par le charme de son ton, de son style, dont la plus grande qualité est la souplesse ? C’est dire que Montaigne s’adapte à la vie d’une extraordinaire malléabilité. C’est pourquoi, nous notons que l’art si original par lequel s’exprime la reproduction littéraire chez Montaigne, détourne Les Essais, voire le désordre qui s’y règne. Et, ce désordre progresse avec le temps et finit par s’imposer. Car les savants ne sont plus seuls à se plaindre des digressions des Essais. Et cette fantaisie charmait les contemporains de Louis XIII, tandis que ceux de Louis XIV n’y verront plus que dérèglement et mauvais goût.
C’est pourquoi le Père de la prose classique, Jean-Louis-Guez de Balzac dira à Montaigne dans une Dissertation qu’il est « ennemi de toutes sortes de liaisons, soit de la nature, soit de l’art », et plus loin il affirma encore que « Montaigne sait bien ce qu’il dit, mais….il ne sait pas toujours ce qu’il va dire. S’il a dessein d’aller en un lieu, le moindre objet qui lui passe devant les yeux le fait sortir de son chemin. »12 C’est dire que Montaigne s’éloigne de bons exemples et s’égare constamment dans des digressions.
La manière de parler de Montaigne fait aussi partie de son charme, c’est un parler de qualités, plein d’ironie, le plus souvent familier et détendu, non sans grandes profondeurs par endroits, mais dénués de désordre. Il faut noter à ce point que, pour Montaigne et les humanistes le latin et le français sont les langues admises de leur époque Toutefois, il faut signaler que, dans l’œuvre de Montaigne il y a beaucoup de paramètres qui fondent son esthétique littéraire ; son écriture. Ainsi dans les pages qui suivront, nous tenterons d’étudier l’ambiguïté de l’écriture puis la nouveauté de l’écriture dans l’œuvre des Essais. Il s’agit d’analyser des éléments tels que : le désordre, les brouillages, les paradoxes, les bigarrures entre autres qui rendraient cette œuvre ambigüe par son écriture tout en montrant que ces derniers concourent à la création d’une nouvelle forme d’écriture.
Pour mieux aborder ce point analysons ces propos de Jean-Yves Pouilleux : […] ; les additions apportées au texte primitif contredisent parfois, perturbent toujours un sens linéaire ; surtout « il n’est jamais certains que Montaigne parle effectivement d’une chose quand il semble en parles ». […], l’incohérence soit comme l’effet d’un principe esthétique (Montaigne baroque) soit comme le prudent déguisement d’une pensée corrosive, rappels à l’ordre esthétique ou idéologique qui font du désordre un ordre caché.13
Il faut noter que ces propos de Pouilleux permettent de saisir ce sens difficile à cerner et font partie des variantes qui rendraient les Essais ambigus mais aussi ces incohérences, ces additions surtout abordées pallient les défauts de la mémoire et créent une ambiguïté dans la lecture de l’œuvre. Peu d’œuvres littéraires offrent autant de richesses aux lecteurs que les Essais de Montaigne. Avoir le sentiment de rencontrer réellement un homme qui livre ainsi sans fard ses réflexions, ses contradictions, mais aussi, plus simplement telle ou telle anecdote empruntée à sa vie ; son époque, ou à ses lectures est une expérience rare de communication à travers les siècles. De là, pouvons-nous comprendre que la parution des Essais et bien d’autres au XVIème siècle serait un phénomène difficile de faire comprendre le public le dessein et le projet de leur auteur.
Le terme ambiguïté signifie « défaut d’un discours, d’un terme équivoque et à plusieurs sens»14. Cette définition rejoint la composition et la structuration des Essais. Seulement l’ambiguïté à plusieurs sens, plusieurs interprétations qui peuvent être toutes deux manifestes et apparentes : en cela il est plus général que l’équivoque, où l’un des sens est manifeste, tandis que l’autre est caché.
Á cet égard, nous nous rendons compte que la plupart des lecteurs de l’œuvre des Essais, a fait l’expérience assez rare d’éprouver que le texte ne dit jamais exactement ce qu’on y lit. C’est sans doute ce qui prouve que sa parole revient toujours sur elle-même pour se brouiller. Puisque cette parole se décale, pour se dépendre ainsi du sens figé qu’on était prêt à lui donner. Cette mouvance d’un texte littéralement vivant, est sans doute ce qui explique sa résistance à toute entreprise de lecture dogmatique ou doctrinale. Seulement, il y a des dispositifs stylistiques et l’attitude philosophique qui permettent à Montaigne de déjouer toute entreprise la captation de sa pensée, la rigueur dans sa démonstration et les moyens d’analyse qu’il se donne. Bref, d’où le recourt à la fantaisie.
L’œuvre des Essais évite, tout d’abord, tout plan démonstratif et tout dogmatisme au profit de la liberté de parole. C’est ce qui illustre la technique parfois philosophique dont use Montaigne dans sa démarche ; celle-ci la conduit à une liberté de parole dans sa création artistique ; son écriture. On comprend pourquoi l’écriture, dans les Essais, relève d’une importance capitale. Très révélatrice à cet égard, la relation entre la matière traitée dans un essai et le titre du chapitre dénote une complexité dans l’écriture même. Cette relation reste très ambigüe si bien que le titre finit par n’être plus qu’une façon d’introduire les sujets les plus divers. Montaigne ne s’en cache pas : « Mes fantaisies se suyvent, mais parfois c’est de loing, et se regardent, mais d’une veue oblique. […]. Les noms de mes chapitres n’en embrassent pas toujours la matiere ; souvent ils la denotent seulement par quelque marque, […] ».15 Parfois, le titre est adéquat, mais il n’empêche pas la présence de longues digressions, parfois même il dissimule par prudence le sujet réel de l’essai.
N’est-ce pas ce qui montre le caractère ambigu dans l’œuvre des Essais ? En effet, si l’on regarde le sens du titre, essayer signifie en ancien français mettre à l’épreuve, expérimenter, sonder. Autrement dit, le titre fait plus référence à l’idée d’une méthode qu’à un genre littéraire qui n’existait pas d’ailleurs à l’époque, et que l’auteur a contribué à fonder ce coup d’essai dont l’ouvrage, ne néglige pas la forme et la tenue. En d’autres termes, l’ouvrage est à l’opposé de la prose ciselée des humanistes de son temps. À cet égard, il faut préciser que cette démarche se fonde sur des questions que se pose l’auteur : pourquoi est-ce que j’écris, pour qui, comment et pourquoi de cette façon ? Ces différentes interrogations se conjuguent pour analyser la question du sens de l’œuvre des Essais, celle du public, enfin celle de la forme, et, qui manifeste la conscience littéraire de Montaigne.
Néanmoins, les motifs de cette écriture constituent une part essentielle de sa réflexion, et que l’écriture étant un moyen de cette réflexion. C’est pourquoi Montaigne passe sans cesse de l’étude de soi à l’examen de son activité littéraire. Seulement une méditation sur sa propre nature ainsi que l’expression littéraire démontrent une analyse ambiguë de phrases diverses d’une seule opération. Par ailleurs, il faut noter que la conscience de l’écrivain fait partie ici, dans des propositions jusqu’alors inconnues de la vision de son objectif d’écriture.
Cette écriture plutôt ambiguë voire complexe signifie autrement se communiquer à autrui mais cette communication a justement été son problème. Écrire, c’est tenir un registre de ce qui se passe en soi et aussi dans le monde, mais selon un reflet subjectif d’un passage d’instant en instant d’un aller en retour pour reprendre les de l’auteur. À cet effet, la condensation littéraire de ces moments permet à Montaigne de les objectiver dans la même opération. Et, cette dernière désigne l’acte d’écrire, courante à l’époque, à laquelle il accourt avec prédilection reste très instructive.
Cette tentative d’essayage et/ou cette ambiguïté d’écriture peut être une surprise, car force est de reconnaître que Montaigne, dans les Essais, s’était montré bien plus hardi et on se demande s’il y avait, en ce sens, un progrès continu, puisque, d’une édition à l’autre des Essais, le vocabulaire de Montaigne était devenu de plus en plus personnel et par moments, d’un accès difficile parce que fort vieilli, les constructions de phrases forcent parfois le lecteur à se brouiller dans un désordre sémantique. C’est en ce sens qu’affirme Montaigne : « Je ne me mesle ny d’ortografe, et ordonne seulement qu’ils suivent l’ancienne, ny de la punctuation : je suis peu expert en l’un et en l’autre »16. Cet aspect montre à la fois la variation continuelle de la langue française du XVIème siècle et son vocabulaire n’empêche pas à l’auteur de faire son choix : c’est d’écrire Les Essais en français. Dans les années 1570, une telle décision n’allait pas de soi. Cependant, soulignons que le français du XVIème siècle est une langue qui est encore loin d’être fixée, et, usait d’une syntaxe et d’une orthographe plus flottante, moins ciselées de règles grammaticales que de nos jours, ce qui est loin d’incommoder l’auteur des Essais qui en est parfaitement conscient. Il s’en explique après coup, en 1588, dans le chapitre « De la vanité »:
J’écris mon livre à peu d’hommes, et à peu d’années. Si c’eût été une matière de durée, il l’eût fallu commettre à un langage plus ferme : Selon la variation continuelle, qui a suivi le nôtre jusques à cette heure, qui peut espérer que sa forme présente soit en usage, d’ici à cinquante ans ? Il écoule tous les jours de nos mains : et depuis que je vis, s’est altéré de moitié. Nous disons, qu’il est à cette heure parfait. Autant en dit du sien, chaque siècle.17
Montaigne a rejeté le latin, la langue savante, celle de la philosophie et de la théologie, au profit de la langue vulgaire, celle de tous les jours. Cependant, avec l’expérience acquise des anciens, il livre ses réflexions dans un parler instable, changeant, périssable, avec le risque de devenir bientôt illisible. C’est dire, que Montaigne voit dans cette langue une confirmation supplémentaire, une fragilité ; et de ce mobilisme universel, l’auteur sert à éprouver une étude vers sa finitude. Á l’instar des auteurs de la Pléiade, l’auteur des Essais cherche à se régler sur l’usage et non sur la grammaire jusque là balbutiante.
Á ce jugement, Montaigne trouve son chemin et dépeint lui-même sa manière d’écrire : « Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche : Un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque. Plutôt difficile qu’ennuyeux. Éloigné d’affectation : Déréglé, décousu, et hardi […] »18. De ce point de vue, nous sentons nettement que l’œuvre de Montaigne ne sera jamais facile à saisir car il s’est déjà donné un fil conducteur dans sa manière d’écrire, et précise à ce niveau qu’il ne sera pas cohérent ni concis. Face à cette affirmation, il serait difficile de comprendre le discours ni la production esthétique, car l’œuvre est pleine d’indices qui conduisent au désordre, à l’ambiguïté de l’écriture et la pensée même de l’auteur. Il faut comprendre que ces éléments qui brouillent le texte sont liés à un problème de la langue à cette époque et ont permis moult auteurs de dérayer puisqu’il y a là l’idée d’une liberté d’expression. C’est pourquoi la langue des Essais atteint un équilibre entre la fidélité au parler familier et un dynamisme linguistique mesuré, mais très net et personnel.
Néanmoins, il faut relever que cette ambiguïté de l’écriture peut se lire aussi à travers l’époque où vivait l’auteur. Á un moment où l’homme est considéré presque comme un Dieu tel qu’affirmait Sénèque et comme un géant comme le rappelait Rabelais, les bouleversements sociaux-politiques ont amené cet homme exemplaire à un autre stade. Les guerres de religions montrent un autre statut de l’homme et démentiront les fondements et les certitudes des humanistes. Catholiques et protestants se livrent à des affrontements les plus meurtries que l’humanité puisse imaginer. Cette situation marque l’effondrement de l’humanisme, plus précisément dans ses dangereuses prétentions qui tendent à élever la raison et par conséquent l’homme à une place à part des autres êtres vivants. C’est ce qui témoigne ces paroles d’Agrippa d’Aubigné sur le caractère inhumain de l’image de l’homme : « Je peins la France une mère affligée, Qui est entre ses bras de deux enfants chargée.»19 C’est dire comment peut-on outrager et envisager même à tuer son frère ?
Ainsi face à cette atrocité, pouvons-nous se le demander que vaille la religion ou telle loi politique pour lesquelles on s’entretue ? Qui est véritablement l’homme, l’être humain à la fois capable de grandes conquêtes intellectuelle, spirituelle, philosophique, et incapable de faire régner la raison qu’il gouverne ? C’est dans cette optique d’inquiétude qu’est naît le doute et va marquer chez les écrivains une nouvelle manière de penser sur la situation de cette époque, et vont chercher en vain les certitudes claires qui guidaient leurs ainés qui n’ont pas pu réussir leur entreprise. L’on comprend pourquoi face à une telle situation, l’écriture de cette époque troublante va refléter elle aussi la production littéraire qui, en aucun cas ne va pas échapper à cette confusion et ce désordre chez les écrivains de cette époque. C’est pourquoi l’écriture et la pensée de Montaigne restent ambiguës et confuses pour les lecteurs d’aujourd’hui. Comment se lit ainsi le paradoxe dans l’œuvre des Essais ?
L’écriture ambiguë, ce désordre dans les Essais peut se lire à travers une proposition et un examen que fait Montaigne de ces opinons. Dès lors, celles-ci sont toujours suspectes d’erreurs, et souvent s’appliquent à en dévoiler l’incertitude, avertie des équivoques du langage et des contradictions de la vie, il en exploite, dès ses premiers écrits, les multiples virtualités. Ce faisant, il récuse un postulat de la raison assagie, sous-jacent à toute sentence ancienne ou nouvelle : toute parole accréditée recèle une vérité, la tâche du philosophe est de mettre celle-ci en lumière, ou, s’il ne le peut, de se taire. C’est de là que définit cet ordre d’écriture certes ambiguë mais réfléchie car l’auteur ne dit jamais ce qu’il ne sait pas, il se comporte à l’image du philosophe. Seulement en feignant cette loi sans abdiquer pour autant les pouvoirs de son jugement c’est-à-dire, sans renouer au sérieux, Montaigne inscrit l’ensemble de son œuvre dans le cadre d’une pensée foncièrement paradoxale.
Á cet égard, certains chapitres peuvent bien recouvrir de lapalissade et répéter les préceptes de modération, de résignation, et de tranquillité que présentent, prêts à l’usage. C’est dire, philosopher en marge du savoir, prononcer des jugements incertains, méditer sur des fantaisies. Or, Montaigne est tenté de rapprocher Les Essais de la littérature paradoxale qui, au XVIème siècle s’efforce d’égayer, d’aviver ou de compromettre le discours de la sagesse humaniste. Ainsi, en raison même de l’étendue et de la diversité des investigations de ces critiques, Montaigne a attaché à toutes les formes de paradoxes qui sont repérables dans son œuvre. Á ce titre, ne reste t-il qu’un prétexte pour l’auteur des Essais d’ajouter de nouvelles constations entre ces données multiples qui régissent en profondeur la philosophie de l’essai ? Face à ce paradoxe, nous risquerons de le réduire à des jeux de styles, et de l’imputer à quelque dilettantisme littéraire qui est une tentation fréquente de Montaigne mais ce paradoxe risque d’éveiller des problèmes pour les lecteurs modernes, de ne plus percevoir la force et la cohérence de la pensée qui détermine Montaigne mais qui le donne sa pleine efficacité.
Il faut noter outre que l’ambiguïté, il y a le paradoxe qui s’impose. Ces deux termes semblent se côtoyer sans se différencier totalement. Dès lors le paradoxe à son tour arrive à brouiller l’œuvre des Essais et pour étudier ce fragment, intéressons-nous à sa définition. Il peut être définie comme étant une « opinion qui va à l’encontre de l’opinion communément admise. »20 En outre, faut-il entendre par ce mot de paradoxe qu’il désignait comme l’a démontré Verdun-.Louis Saulnier, dans la terminologie du XVIème siècle, des écrits de diverses matures : répétitions des faits extraordinaires, satires démentant les apparences trompeuses, et enfin élucubrations insolites ou contre-vérités avouées. Face à cette définition, nous voyons que les Essais de Montaigne sont écrits dans cette même optique. Bâtis sur ce même paradoxe qui brouille la compréhension de l’œuvre voire du lecteur. Ce paradoxe peut se lire dans l’œuvre d’Erasme qui combine donc intimement vérité et erreur, arguments et sophismes, allégations authentiques et falsifications. Ainsi, dira-t-il en ces termes : « Quand j’ai voulu déraisonner, j’ai pris le masque de la Folie, et, de même que dans Phèdre de Platon, Socrate se couvre le visage pour même débiter les louanges de l’amour, je me suis déguisé pour jouer cette comédie-là. »21 Or, ces anomalies ne semblent pas avoir beaucoup inquiété les contemporains, bien plus vivement frappés par les satiriques.
Seulement, il n’est sans doute pas nécessaire de s’attarder sur ces paradoxes problématiques. Retenons que la lourdeur du XVIème siècle marque et débute le jeu littéraire des éloges inattendus ou des argumentations pour rire est devenu, un thème pratiqués par de vrai écrivains, un instrument d’enquête et de contestation, propre à déceler les fêlures du système rationnel et formuler des vérités. Dès lors, le paradoxe peut être essentiellement comme un jeu puisque l’éloge est souvent celui des réalités contraires. Mais, il s’applique aussi à des réalités existentielles et rejoint certains thèmes chrétiens avec l’éloge de la pauvreté, de la mort et de l’ignorance. Et c’est cela que prônait la recherche humaniste. En effet, à la Renaissance se distinguaient deux types de paradoxes : dans l’un, on se borne à faire mine de réfuter des idées reçues, ou prétendues telles. Dans ce type de paradoxe, le jeu est alors de se conformer aux modèles rhétoriques d’usage courant et ne dépasse guère l’exercice du style. Dans l’autre, le discours inclut en propre agencement logique les opinions en conflit, fausse les repères, manifeste son caractère ludique, et affirme son sérieux pour entraîner le lecteur dans les méandres d’une philosophie ironique. Naturellement, c’est ce dernier modèle qu’a retenu Montaigne et lui donnera sa forme la plus saisissante, mais aussi pour lui donner des formes plus subtiles, et l’enrichir de sens nouveaux.
Montaigne se borne dans son œuvre à protester son ignorance tout en suivant tant bien que mal les voies tracées, car de scrupules de ce genre abondent dans les préambules des ouvrages de l’époque, épars tout au long des Essais. Mais l’aveu d’incompétence ne se limite pas à des déclarations explicites, il s’inscrit plus profondément dans l’amertume même du texte, en infraction permanente à l’égard des normes du discours philosophique. Cela ne nous étonnera guère de voir Montaigne déclarer : « Je me hasarderais de traiter à fons quelque matière, si je me connaissais moins. Semant ici un mot, ici un autre, Echantillons dépris (détachés) de leur pièce : écarter sans dessein et sans promesse, je ne suis pas tenu d’en faire bien. »22 À l’instar de Socrate qui ne détenait pas la vérité, mais guidait vers elle l’interlocuteur docile grâce à la « maïeutique », une méthode d’investigation, Montaigne paraît renoncer à ce rôle, et de se résoudre gaiement à une errance sans terme assigné, le suivre qui voudra, au risque de s’égarer.
Cette méthode qu’a choisie l’auteur des Essais brouille le texte et qui rend le lecteur dans une position de dilemme. C’est dire que cela rendrait l’œuvre des linéaments d’une doctrine et à faire violence au texte pour en extraire une leçon conforme au modèle courant. Par ailleurs, par les sujets qu’il aborde, par la gravité et la véhémence de nombre de ces pages, manifestent l’intention de communiquer autre chose que des billevesées, et de convaincre. En outre, il est nécessaire de chercher dans le texte des Essais les indices de structure, et les traces logiques qui en ont réglé l’élaboration qui ont pu déterminer les traits. C’est pourquoi Pierre Villey a mesuré exactement cette difficulté, et sa prudence est un exemple et un enseignement. Il a montré de façon décisive dans quelles traditions littéraires s’inscrivait l’œuvre de Montaigne : leçons, recueils de sentences etc. Face à cette observation de Villey, nous ne pouvons pas nous référer à un modèle prototype d’un genre auquel se seraient conformés les Essais. De ce fait, il impossible d’identifier les sources des idées de Montaigne sous la garantie des multiples emprunts disséminés dans son œuvre.
Il reste à savoir, si la lecture directe des Essais, peut démêler leur complexité d’après des indices suffisamment sûrs. Mais la complexité, la fluidité du texte de Montaigne est souvent telle qu’aucune garantie pour donner à l’analyse une matière distincte. À ce titre, il faut se poser la question de savoir, si la cohérence recherchée est-elle bien celle que concevait et observait Montaigne ? La réponse est loin d’être sûre et l’on s’efforce de déceler les modèles de celles-ci dans les Essais, on est renvoyé aux incertitudes que se fixe l’œuvre. C’est dire qu’il faut éventuellement savoir que les histoires ou l’histoire n’offraient un moyen de satisfaire aux exigences qui les motivent. Elles permettent en effet de considérer un nombre élevé d’énoncés séparables en toute objectivité à l’image des variantes aisément repérées d’une édition à l’autre. Enfin, ces éléments qui oscillent l’œuvre, permettent à l’auteur d’user le paradoxe comme élément qui brouille l’écriture, mais offre à l’essayiste l’occasion de mieux aborder son esthétique. De ce fait, comment le désordre fonctionne dans les Essais selon la conception de Montaigne ?
Une telle interrogation semble nous appuyer sur l’analyse du paradoxe et de l’ambiguïté du texte des Essais, mais il faut noter avant tout que l’ordre est tout à fait négligé chez Montaigne puisqu’il affirme : « pourquoi s’évertuer à déceler un ordre, ou seulement les principes d’un ordre dans un livre que son auteur lui-même tient pour désordonné ? »23 De là, nous voyons que Montaigne ne suit aucun ordre et si l’on n’a aucune peine à relever dans les Essais des phrases qui en reconnaissent l’irrégularité, il est moins facile de délimiter la portée exacte de ces remarques. Ainsi « Ce fagotage de tant de diverses pièces, […]. Au demeurant je ne corrige point mes premières imaginations par les secondes : oui à l’aventure quelque mot : mais pour diversifier non pour ôter.»24C’est dire que le groupement des chapitres n’obéit pas, sauf exception, à un dessein précis. C’est pourquoi, malgré l’apparent désordre et ce vagabondage du propos dans l’œuvre, un thème essentiel se dégage tout au long du livre : l’Homme. Et, en plaçant ce Dernier au centre de ses interrogations, Montaigne semble s’inscrire dans la tradition des humanistes qui lui ont précédés. À ce titre, puisque l’homme n’est plus le centre de tout, mais un être ondoyant et insaisissable, l’écriture manifeste le désordre dans son œuvre et, Montaigne se plait autant à en faire l’éloge qu’à l’abaisser, tout en recourant à l’observation de sa personne pour tenter d’en démêler les contradictions.
Par ailleurs, même si nous pouvons noter une certaine zone complémentaire de leurs refus, il faut noter que Montaigne oppose sa façon de procéder à celles que règle une technique codifiée. Puisqu’il assimile ses chapitres à des « […] crotesques et corps monstrueux, rapiécés de divers membres, sans certaine figure, n’ayant ordre, suite ni proportion que fortuite ? »25 C’est dire qu’il ne peut pas avoir un ordre établi dans les Essais car la manière dont ils se sont bâtis, par des morceaux d’origines diverses définit ce désordre qui occupe la totalité de l’œuvre. Ce désordre peut s’expliquer par le refus chez Montaigne de suivre les règles et les recettes que les maniéristes26 du XVIème siècle avaient héritées de leurs grands prédécesseurs. Á cette époque où la polyphonie et contrepoint atteignent leur perfection et, par rapport à cette extrême rigueur formelle, Montaigne peut reconnaître bien que ses fantaisies relèvent du hasard. C’est sans doute ce qui le pousse à affirmer ces propos : « Je n’ai point d’autre sergent de bande, à ranger mes pièces, que la fortune. Á même que mes rêveries se presentent, je les entasse :(…) Je veux qu’on voie mon pas naturel et ordinaire, ainsi détraqué qu’il est».27 Le désordre est alors non seulement avoué, mais revendiqué, comme indice de naturel dans les Essais.
Montaigne ne peut se scandaliser qu’un lecteur tout à fait oublieux de la mort, et de ce défi au temps que constitue la création : Montaigne ne l’était pas, il choisit d’inscrire son œuvre dans une temporalité visible ; en relisant, en ajoutant il manifeste d’abord qu’une pensée sceptique arrêtée s’efface et devient chose. Le texte des Essais est à la fois stable et indéfini, c’est la première métaphore d’une cohérence sceptique, d’une éthique de jugement jamais achevée. Il semble régner une contrainte qui dessine un jeu fascinant et multiple, puisque ce texte doublement menacé par sa forme ouverte et, par son scepticisme doit être doublement déchiffré, dans la cohérence de sa structure, dans la compatibilité de l’allongeail28 au texte initial ; s’y ajoute toujours la complexité du rapport d’un essai aux Essais, de Montaigne au lecteur et à lui-même. Enfin, ces ajouts et autres font de l’œuvre une matière décousue construite dans le pèle- mêle, et qui nous pousse à lire beaucoup de contradictions. Face à cette situation, le style même devient une digression et un désordre qui embrouillent les idées, puisque, le texte ainsi est une symphonie, avec un rythme varié et constant. C’est dire que l’allure des phrases procède par scansion, telle une partition entre prose et poésie qui, gouverne la voix des Essais à travers une polyphonie.
C’est dans cette même perspective qu’André Tournon pense que « Montaigne propose ou examine des « opinions » toujours suspectes d’erreurs, et souvent s’applique à en dévoiler l’incertitude ; averti des équivoques du langage et des contradictions de la vie, il en exploite, dès ses premiers écrits, les multiples virtualités ».29 Face à une telle affirmation, l’on comprend dès lors la position de Tournon face à l’essai montaignien car ce dernier est rempli de méandres qui le rendent flou, désordonné bref ; contradictoire. Ainsi, pour Tournon, le paradoxe est un message qui a pour loi de heurter le destinataire, en s’inscrivant en faute contre son expérience, ses préjugés ou ses convictions.30
Toujours est-il que dans l’œuvre de Montaigne il n’y a pas seulement le paradoxe, nous notons aussi l’usage intense de la citation et les contradictions qui rendent le texte des Essais ambigu. Pourquoi la citation reste un élément qui rendrait Les Essais ambigus ? Avant de s’aventurer dans une réponse immédiate, donnons d’abord sa définition. Un des éléments les plus complexes et qui rendent complexes ou qui rendent d’une manière ambiguë les Essais est la citation. Nous avons remarqué que Montaigne prenait beaucoup de liberté à l’égard des normes généralement admises. Ainsi il lui arrive de changer le contexte en le simplifiant au maximum. En effet, par ce changement, Montaigne opère dans son œuvre un désordre qui brouille le lecteur mais aussi change leur forme littéraire originale, car malgré ces digressions nous dit l’auteur, il ne perd jamais le fil de son discours : « C’est l’indiligent lecteur qui perd mon subject, non pas moy ; il s’en trouvera tousjours en coing quelque mot qui ne pas d’estre bastant (suffisant), quoy qy’il soit serré »31, c’est dire qu’il poursuit dans cette lancée qui dérive, l’embranchement imprévu de la pensée, mais aussi en certaines contradictions, qui poussent aussi l’écriture, dans une mouvance du renouveau.
Elle peut être définit comme un passage emprunté à un auteur, à un personnage célèbre, pour illustrer ou appuyer ce qu’on avance. Cette définition est presque la même dans le dictionnaire comme Le Larousse du Français contemporain, qui le définit comme un propos écrit que l’on rapport exactement. Ces définitions présentent un seul aspect de la citation, elles comprennent la citation comme un morceau de texte tiré des écrits ou des dires de personnes ayant quelque autorité. Cette fonction d’argumentation est d’ailleurs ici liée à la célébrité de l’auteur ou de l’exactitude de la citation en soulignant en même temps le caractère écrit de celle-ci, il n’éclaire aucun aspect de la citation comme pratique rhétorique spécifique.
Il est à dire, cependant, que presque tous les genres sont présents dans les citations de Montaigne. Des traités d’histoire au genre dramatique, l’auteur des Essais puise ses exemples, ses citations sans exclure une forme littéraire donnée. Signalons qu’il y a une prédominance des emprunts révèle la majorité de certains genres littéraires. Dès lors, nous voyons que les citations textuelles sont volontaires et sont tirées des textes poétiques alors que les exemples rapportés sont sous forme de paraphrases qui proviennent des textes en prose. Cette différence dans la façon de fixer ses emprunts s’expliquerait par la volonté de l’auteur de souligner sa démarcation avec les poètes en les rapportant directement dans sa prose. Dans la plupart des sources, de ces citations, nous pouvons distinguer ces principaux aspects qui servent de matière aux emprunts montaigniens. Il y a la prose dans laquelle nous avons les traités de morale, de religion, de philosophie, d’histoire, de géographie et les œuvres érudites sur les arts et les sciences ; la poésie avec toutes ses ramifications (odes, élégies…) ; le théâtre et la poétique dans laquelle nous situons la rhétorique. Dès lors comment l’auteur parvient à mélanger toutes ces citations de matières différentes dans son œuvre ?
Ce mélange des citations rend non seulement le brouillage dans l’essai mais aussi constitue pour Montaigne, une nouvelle tâche d’étude pour le renouveau dans son esthétique. L’auteur des Essais soumet ce mélange de citations, un nouveau sens lorsqu’il les raccorde, à son texte et les transformations ou déformations de sens que le nouveau contexte suscite. C’est pourquoi, cette transformation d’une citation chez Montaigne ne veut pas forcement dire la trahir, mais en reconnaître le pouvoir d’interpellation et la capacité à générer un nouveau sens. Cependant, l’auteur aurait refusé la fixité de l’écriture produite par l’imprimerie, il dit que la réécriture d’un texte est un luxe réservé aux gens importants, surtout à son époque où le coût de la fabrication du livre était considérable. Pareil phénomène atteste le succès de l’auteur car, un texte imprimé, dans le cas le plus normal, c’est toujours un texte qu’on ne réécrit pas. Et, puisque la réécriture ou réédition sont généralement produites par le succès, il faut alors rappeler que lorsqu’un auteur réécrit, il fait avec d’autant plus attention qu’il sait qu’il va être lu. Enfin, c’est ce qui explique la soif aux répétitions, la recherche de certains procédés rhétoriques, qui ne sont en rien propres à l’auteur des Essais, ni davantage variables d’une quelconque esthétique montaignienne vers ce projet de la nouveauté de l’écriture.
Les citations donnent de la crédibilité au discours, elles ont une fonction ornementale en illustrant agréablement le propos, et, dans la perspective de convaincre. Mais aussi, elles ont un effet d’insistance, lorsqu’elles reprennent ce qui vient d’être dit. Dès lors, face à une telle situation, l’auteur ne se contente pas seulement de les reprendre à ce point, il les modifie parfois pour les insérer plus naturellement dans son propre texte.
Selon l’analyse de Pierre Villey, la fréquence d’un texte dans les Essais était liée à un certain nombre de conditions. Souvent, la langue du livre, son existence dans la bibliothèque de Montaigne et la nature de son contenu étaient des facteurs déterminants dans le choix des citations par Montaigne. En outre, il faut souligner outre cette analyse de Villey, précisons par-là que Montaigne empruntait plus les citations des auteurs latins, grecs et d’auteurs espagnols, italiens, il utilise rarement les auteurs français de son temps. Car leurs citations étaient incapables de lui fournir les modèles qu’il cherchait dans la littérature des siècles passés. Ainsi la répétition des mots d’autrui dans un travail d’écriture crée des rapports entre les deux textes. Ces rapports ne peuvent jamais être fixés définitivement car ils s’ouvrent sur une interprétation du texte qui est loin d’être singulière. C’est pourquoi, l’auteur cite de réaliser à travers une certaine pratique du discours qui, peut lui être propre comme chez Montaigne par exemple.
Il faut noter cependant, que la pratique de la citation se heurte d’abord à une question de définition. C’est parfois difficile pour un auteur de reprendre textuellement les paroles d’autrui sans y apporter un nouveau sens avec de nouvelles interprétations. Dans son chapitre premier intitulé : « Définition, histoire et forme de la citation », Papa Guèye donne la définition suivante : « La définition de la citation est rendue difficile par le caractère ambivalent de celle-ci. Dans la réalité du texte où elle se trouve la citation est une partie d’un autre texte. Elle est aussi le lieu de passage du premier texte au second dans lequel elle s’intègre ».32 À cet égard, la citation est une partie d’un autre texte que l’auteur utilise pour réorganiser son texte afin de ressortir une nouvelle sentence. Mais cette reprise des phrases d’un autre reste un handicap dans un texte, puisqu’en modifiant les dires d’autrui l’auteur se lance dans une étude certes ambiguë et paradoxale. C’est ce qui anime les Essais dans leurs structurations.
Enfin, dans ce point d’étude sur l’ambiguïté, les digressions comme les formules récurrentes caractéristiques des textes oraux marquent des vides, permettant à l’auteur de se ressaisir. Ainsi, l’œuvre des Essais, à pour principe les méandres du désordre, à cet effet, la difficulté du projet fait que l’auteur éprouve le besoin de créer l’illusion, d’être en face pour saisir les plus faibles phrases de son évolution. D’abord, face à ce désordre, l’auteur est confronté au mimétisme, ensuite au didactisme et enfin à l’inachèvement. Par le mimétisme, l’écriture de l’auteur suit les mouvements de la pensée, d’où les ajouts, les digressions dans l’œuvre. Le didactisme, lié certes à la citation fonctionne par les reprises faites par Montaigne, qui sont un moyen de convaincre. L’inachèvement pour finir, épouse toujours en devenir, un aller et retour, puisque l’œuvre est un texte ouvert.

Une nouvelle forme d’écriture

Montaigne fut un brillant auteur du XVIème siècle, qui aimait faire divaguer son esprit et s’envoler dans diverses digressions. Dans son œuvre, il s’adonna à plusieurs fois à ce type farcissure, souhaitant que son œuvre suive sa pensée à la lettre. Cependant réfléchir sur le renouveau de l’écriture ou encore sur la rhétorique dans Les Essais constituera le but de ce sous-point. Notre choix s’est porté sur Montaigne parce que son livre marque la maturité de l’époque de la Renaissance. Montaigne est un grand humaniste puisqu’il s’est abreuvé aux sources latines et grecques, et ces dernières sont faites de rigueur et de subtilité. L’objectif de l’écrivain est d’entreprendre la rédaction d’une œuvre dont l’intention est nouvelle en littérature : une nouvelle forme d’écriture. Pour mieux appréhender cette nouvelle forme d’écriture, inscrivons-nous sous l’angle de la diversité de l’écriture dans les Essais. Seulement il faut souligner qu’il y a autant de formes d’écriture dans l’œuvre de Montaigne, mais nous allons nous intéresser à l’étude de quelques formes pour mieux saisir notre plan d’étude à savoir de l’invention du genre de l’ « essai » et sa particularité, celle de l’écriture du mouvement, de l’écriture sceptique, et du style de l’écriture. Ainsi, ces différentes formes d’écritures vont nous permettre de saisir cette nouvelle forme de créativité dans les Essais.
Parlant de la diversité, il faut noter que cette pluri dimension de l’écriture est montrée par la composition de l’œuvre elle-même au fur et à mesure de la progression des chapitres. Ainsi le livre fonctionne par récurrence d’une même figure de discours et de suite de thèmes, c’est pourquoi cette diversité est régit par un système d’écriture, de séquence qui elle-même est un support. C’est dire que dans ce système d’écriture, le livre devient un processus, un aboutissement qui permet à l’auteur de manifester une curiosité à l’énigme ou au défi que représente le livre terminé. En fin, elle est régit par un système de mélange de sentences, de chroniques, d’anecdotes, et tous ce qui peuvent amener la diversité, la complexité d’une œuvre dans sa composition. Ces mélanges de sujets peuvent se comprendre du fait que le XVIème siècle est animé par cette volonté de recherche dans tous les domaines et c’est dans cette perspective que s’inscrivent beaucoup d’œuvres à l’image des Essais.
D’ailleurs, cette pluralité est régie par des démarches d’une façon dont l’univers devient progressivement perceptible car c’est le texte qui l’impose dans sa composition. Il est à dire, que le livre fonctionne par récurrence d’une même figure de discours et y emboîtent une suite de thèmes. C’est pourquoi, ce système de production, est admis par chaque séquence qui, elle-même, est un support. Ainsi, le livre devient par le biais de la diversité un processus, un aboutissement qui permet à l’auteur de faire de sa composition comme une curiosité à l’énigme ou au défi que représente le livre terminé.
Parallèlement, cette diversité d’écriture n’est pas seulement présente dans l’œuvre de Montaigne, nous pouvons le noter aussi chez Rabelais. Dans son œuvre ; le Tiers-Livre33, l’écrivain n’a pas hésité à mettre à contribution toutes les langues et tous les dialectes dans une œuvre où se mêlent culture populaire et culture savante, réalisme, philosophie, allégorie, divertissement et matière à réflexion profonde. Toujours est-il qu’il existe aussi cette formidable symphonie verbale poly sémantique où l’auteur se livre à un véritable jeu sur les mots qui excèdent beaucoup la simple nécessité de l’expression. C’est dans ce sens que s’inscrit cette écriture des Essais diverse, par les thèmes et expressions qui polarisent le texte de Montaigne par une diversification du langage. Et, l’auteur affirme à plusieurs reprises que le langage ne pas saisir la chose, d’où l’usage du français, du latin, le grec, l’italien.
Pour Montaigne, l’écrivain ne doit pas rechercher dans son œuvre l’éloquence, c’est ce qu’il montre dans le chapitre 26 du livre 1, où il pense que l’expression doit être naturelle et spontanée : « Le parler succulent et nerveux court et serré non tant délicat et peigné comme véhément et brusque. » C’est pourquoi nous notons dans les Essais cette influence de la rhétorique et de l’écriture classique. De cette forte influence, l’écrivain a eu à faire un renouveau dans la littérature qui se situe entre cette influence classique et son propre domaine de recherche. En effet, pour mieux appréhender cette nouvelle forme d’écriture dans les Essais faisons recours à l’écriture. L’écriture de Montaigne est certainement avec celui de Rabelais une des plus réussies de la langue du XVIème siècle. Pourtant l’auteur des Essais se présente comme un amateur qui écrit pour son plaisir et dédaigne les mérites de la forme, il se défend d’être un écrivain de profession, il ne veut pas passer pour un pédant ; et c’est pourquoi il s’applique à être naturel et original.
Cet aveu d’être naturel et original semble bien le confirmer dans l’Avis au lecteur : « je veux qu’on m’y voie en ma façon simple, naturel et ordinaire, sans contention et artifice. » C’est là peut être la première originalité de Montaigne car la nature est un guide authentique pour lui, et de ce naturel il a deviné l’art d’écrire. Cependant il n’a point de modèle, son écriture naît comme ses idées, ce qu’il écrit est original et son seul métier c’était les Essais, c’est pourquoi, il s’offre un langage artificiel sur les actions, les idées les plus communes, mais aussi sur le langage quotidien. La nouvelle forme d’écriture épouse un style en mouvement, fidèle à une pensée qui crée sa forme. De là, on a l’impression qu’il nous donne le plaisir de lutter avec un texte complexe, de trouver cet ordre naturel où se cache une pensée qu’il nous livre tout en inventant une langue et une écriture nouvelle qui polarisent son ouvrage grâce au latin, l’analogie des figures, la hardiesse qui viennent à son secours.
Dès lors nous pouvons se le demander pourquoi écrire ?
Cette question paraît certes complexe, car elle reçoit dans les Essais la même réponse que celle, sur le sens de l’étude de soi, le sens de son œuvre et la forme. Écrire pour Montaigne ne signifie que secondairement communiqué avec autrui, et pareille communication a justement été son problème. Ainsi écrire, c’est ici tenir un registre de soi-même, de ce qui se passe en soi et aussi dans le monde, mais selon son reflet subjectif, son passage d’instant en instant. En effet, seule la condensation littéraire de ces moments permet de les objectiver, dans la même opération qui permet de savoir son être propre. La désignation de l’acte d’écrire courante à l’époque à laquelle il recourt avec prédilection sont très instructives à cet égard : écrire aide donc aussi à la cristallisation des contenus de consciences, ce n’est qu’une fois mis en registre en rolle, qu’ils se dessinent avec ce relief précis dont l’analyste a besoin pour savoir comment il est lui-même fait.
À cet égard, écrire lui permet de voir après coup ce qu’il a été et lui facilite l’accès à sa réalité par un accord réfléchi avec elle, car c’est un outil de sa véracité, qui lui garantit la fidélité de sa propre nature, c’est pourquoi il affirme en ces termes : « Je n’ai pas plus fait mon livre m’a fait. Livre consubstantiel à son auteur. D’une occupation propre. Membre de ma vie. Non d’une occupation et fin, tierce et estrangère comme tous autres livres ».34 Nous pouvons comprendre ici que l’acte d’écrire est une manière de rendre visible le mouvement perpétuel de son esprit, et il en résulte que l’auteur, réalisant ce qu’il a écrit, est remis en mouvement, rendu à l’observation de lui-même à une opération sans fin. Enfin, l’entreprise d’écrire permet une fois de plus, de saisir l’ensemble de ce qui l’anime vers la création d’une nouvelle d’écriture.
Signalons face à cette création, l’auteur complète ce qu’il écrit parce que d’autre ont écrit, mieux différemment avec d’autres mots que les siens. C’est ce qu’il semble nous confirmer dans le chapitre intitulé « De l’expérience », d’où l’essayiste s’interroge en pensant qu’ Il y a plus affaire à interpréter les interprétations, qu’à interpréter les choses : Et plus de livres sur des livres, que sur autre sujet : Nous ne faisons que nous entregloser. Tout fourmille de commentaires, d’autres il en est grande cherté. Le principal et plus fameux savoir de nos siècles, est-ce pas savoir entendre les savants ?35
Cette opération chez Montaigne réside, dans un cadre de répétition mais qui prône avant tout un changement d’écriture et d’idée face aux soubresauts de l’homme. Et, cette tentative de reprendre les anciens a été toujours un levier chez les humanistes, puisque l’imitation de ces derniers leur permet de mieux saisir leur objet d’étude. C’est pourquoi, il est nécessaire de signaler que cette proximité de Montaigne avec les anciens est évidente, et les Essais se situent bien au cœur de l’ample mouvement qui caractérise la Renaissance. Or, l’œuvre de l’essayiste ne se fait pas simple réceptacle des savoirs antiques latins, mais combine avec d’autres par le biais d’une recréation. En plus, elle permet aussi à l’auteur des Essais de traduire exactement ses pensées, de recourir à d’autres expressions afin d’éclairer, et d’en préciser le sens. Enfin, ce projet de Montaigne consiste à bien des aspects qui fondent cette création : les parties s’emboitent les une des autres, les ajouts qui viennent contredire un premier jugement bref des thèmes sont décentrés par rapport au titre des chapitres, et ces aspects définissent cette nouvelle écriture de son œuvre.
Par ailleurs, rien ne prédestinait Montaigne au travail d’écriture parmi les fonctions qu’il a exercés : métier de greffier, de poète passionné, de pédant dans les Écoles etc. Car, en étudiant Montaigne dans les Essais particulièrement, on peut-être surprit de rencontrer que l’auteur s’était montré plus hardi et on se demande s’il y avait eu en ce sens un progrès continu, si d’une édition à l’autre des Essais, l’écriture de Montaigne était devenue de plus en plus personnelle, et nous avons cru voir dans nos recherches, qu’il en était bien le cas. À cet effet, la façon dont s’élabore cette nouvelle forme d’écriture conduit à décrire les virtualités de sa pensée telles qu’elles se dessinent dans le modèle de composition qu’il utilise et, dans ces expérimentations et pratiques qui en ont probablement favorisé, et préfiguré l’invention de cette réécriture.
Il est à noter que, dans cette nouvelle forme d’écriture, l’auteur choisit de se mettre en marge des codes de la littérature de son époque pour mieux saisir son objet lui-même. C’est pourquoi, il veut explorer la manière dont le monde et la vie se reflètent en lui, il découvre en même temps la difficulté, qu’il n’y a, à se saisir d’une identité introuvable, car faite en grande partie de vide, et d’insuffisance. Or, c’est paradoxalement dans cette optique que le plaisir de vivre connaît le plus de plénitude. À cet égard, même s’il réfute les codes de la littérature de son époque, nous avons pu le remarquer dans de nombreux essais, il existe un certain rapport horizontal entre Montaigne et les anciens. Et, si Montaigne a rencontré les anciens, c’est qu’ils partageaient certaines idées, il ne les place pas en tant que détenteurs de l’autorité du savoir suprême et de la vérité absolu, mais ce rapport avec les anciens lui permet de mieux fonder son projet d’étude sur le renouveau du texte des Essais. Enfin, cet élément cité plus haut permet de voir l’évolution de cette nouvelle forme d’écriture dans l’œuvre. En quoi l’invention du genre de l’essai et sa particularité restent un élément dans la saisie de la réécriture ?
Dans la plupart du temps, les écrivains cherchent à se définir part leur talent de créativité. Vivant dans une époque mouvementée, un siècle où la concurrence règne pour être à la République des Lettres, Montaigne a pu émouvoir les lecteurs de son temps et l’époque moderne. De là, se profile à l’horizon la création d’un genre inédit. Ce nouveau genre qu’invente Montaigne a suscité des polémiques tant bien que chez les auteurs et critiques. Ce qui fait l’originalité de ce genre ce sont les brouillages, le désordre, la bigarrure mais aussi les ajouts réussis qui fondent l’analyse de l’œuvre dans sa nouveauté, et depuis lors, l’essai est devenu une forme littéraire qui joue sur la discontinuité, le caractère personnel des prises de positions de son auteur.
L’inventeur du genre est Michel de Montaigne. Aujourd’hui parmi tant de définitions, essayer signifie tenter, expérimenter, risquer et se tromper, et parfois ce mot pour Montaigne avait le sens d’une démarche intellectuelle procédant d’une libre analyse de tout sujet susceptible de retenir l’attention. C’est dire que ce n’est pas pour rien que l’essai fait son apparition à la Renaissance, puisque c’est seulement à ce moment que la pensée se sent libérer des dogmes, des préconçus. Comme l’humain devient un nouveau centre d’intérêt, l’expérience personnelle prend de plus en plus d’importance, et pour Montaigne, c’est ce lieu où se ressourcer sa penser. C’est ainsi que, quel que soit le sujet qu’il aborde, Montaigne en fait une réflexion qui parle de l’expérience vécue. Cette invention du genre de l’essai permet à l’auteur de renouveler son esthétique dans la littérature française.
Les Essais est une œuvre qui se distingue du passage littéraire de son époque par l’originalité de sa forme et son projet novateur qui consiste à s’examiner. Très appréciée par le roi et son public contemporain, cette œuvre sera toutefois critiquée au XVIIème siècle parallèlement à la moitié du cartésianisme. Cependant, l’essai se présente simultanément comme une expérience de test, évaluation et mots de cette expérience ; quand Montaigne définit la nature de l’essai, il se plait à le dévaloriser, à feindre de le dévaloriser mais aussi revendique l’honneur d’avoir ouvert à l’écriture une voie nouvelle. Dès lors, l’essai se définit comme l’expérimentation de divers sujets, un exercice, une mise à l’épreuve, et lorsque Montaigne fait référence à l’essai, il renvoie à ce texte que le lecteur a sous les yeux, transcrit au fil de l’expérience, et le terme désigne plus précisément le genre, la forme et son objet. Puisque cette forme même de l’essai requiert un parler de soi sans réserve c’est-à-dire sans complaisance ni ménagement. En outre, c’est un examen, un sondage, un exercice de jugement. Montaigne renvoie d’ailleurs souvent au texte en train de s’écrire où s’enregistre l’essai, le temps, le moment où l’expérience est transcrite, tentée et observée. Cependant, il y a pourtant des genres anciens à l’horizon du genre de l’essai et d’abord ceux qui relèvent de la philosophie morale certes, mais à la différence de ces traités philosophiques, le livre se présente d’abord comme autoportrait, non point une autobiographie, et il ne cessera de l’assurer sur la nouveauté du geste. L’essai n’est pas une autobiographie qui enregistrait dans leur succession les événements, les accidents et incidents d’une vie sur laquelle l’écrivain jette un regard rétrospectif mais un registre des essais de sa vie (Montaigne), ce qui est bien différent. Puisque l’essai ici oscille entre deux éléments à savoir : vivre-écrire qui sont saisis dans le même temps. Ecrire, c’est vivre ou revivre par l’écriture des expériences diverses, et, vivre, c’est écrire pour conserver là, des traces de ces expériences. Enfin, nous constatons que depuis la naissance de ce genre il y a une suite d’évolution dans la définition du projet et la forme de l’essai et jusque-là, Montaigne n’abandonne pas son premier dessein ; celui de l’expérimentation.
L’essayiste se présente volontiers comme un amateur, un non-spécialiste dont le discours aussi bien que la démarche s’oppose au savant. À cet effet, la forme des Essais est très libre, n’obéit à aucune règle. Par exemple, Montaigne dans ses Essais livre ses réflexions sans ordre apparent, en pratiquant la digression, et revendique le droit à la discontinuité d’une écriture qui s’entrecroise, d’où le caractère hybride de l’essai. De cette particularité et de ce caractère personnel des prises de positions, se manifeste à travers les modalisateurs, les connotations, le lexique valorisant ou dévalorisant. C’est pourquoi son système énonciatif est le discours, car les propos sont ancrés dans le présent de l’écriture.

CONCLUSION

Au cours du XVIème siècle se développe une aristocratie aisée et cultivée qui prend conscience sa force et son originalité, et dont les porte-paroles s’habituent à l’analyse et au libre examen. Cela a conduit à deux séries de confrontations : on se compare soi-même aux Anciens et d’autres aux Modernes. C’est ainsi qu’apparaît un humanisme critique dont Montaigne est considéré comme le meilleur représentant. Ses Essais révèlent une nouvelle fonction de la critique littéraire. Il ne s’agit plus ici d’interroger des œuvres en les comparant les unes aux autres et en les classant. Il s’agit plutôt pour l’écrivain d’une véritable quête de soi, passant par la réflexion sur des œuvres littéraires. En ce sens, dans son œuvre, Montaigne nous a offert un certain type de critique : le lecteur qui lit la plume à la main et se compose des extraits des auteurs préférés, doit les accompagner de réflexions personnelles plus étendues, plus libres et plus audacieuses.
Au terme de notre étude, notons qu’à la différence des autres grandes littératures européennes qui ont traversé des périodes moins fécondes, la littérature française a pour propriété d’avoir été continue du Moyen-Âge à la Renaissance. Elle a vu naître de grands écrivains à toutes les époques et nous ne pouvons donc la résumer en une seule catégorie, et c’est sa grandeur. Cependant, dans cette littérature française, le XVIème siècle a marqué le tournant décisif, le renouveau de la littérature et l’émergence de beaucoup d’écrivains à l’instar des humanistes. En outre, Montaigne à l’image des humanistes a marqué notre attention, dans la mesure où il a joué un rôle capital dans l’émergence de cette littérature. C’est ce qui a poussé André Gide à prôner ce caractère de grandeur chez Montaigne, il s’en était expliqué au début des années trente, lors d’un entretien à Berlin avec un jeune journaliste du nom de Walter Benjamin. C’est d’ailleurs autour d’hommes comme Montaigne que s’est instituée l’idée de notion de grandeur.
En effet, vivant dans une époque troublée, les écrivains ont éprouvé du mal à digérer le malaise causé par le caractère inhumain de l’homme. C’est dans ce sillage que naissent les trois volumes des Essais d’une allure décousue de la pensée de Montaigne, qui ont déjà défini la singularité du projet d’écriture. À cet égard, la question de la reproduction a occupé une place de choix dans la création artistique mais aussi a permis à l’auteur de donner une bonne organisation dans la structure de son œuvre. C’est ce que l’on a noté chez Montaigne, une esthétique qui sans doute a reflété l’époque des manifestations civiles en France. Et, cette production a rendue l’œuvre de Montaigne au cœur de la situation par des thèmes divers qui suit le mouvement de cette dernière. Ainsi, Les Essais sont avant tout le reflet de l’œuvre idéale à jamais absente. En effet, le projet figure le tracé de l’existence car l’homme souhaite en atteindre jamais le bout, puisque l’auteur ne se lasse pas de poursuivre un but infini : « Qui ne voit, que j’ai pris une route, par laquelle, sans cesse et sans travail, j’irais autant, qu’il y aura d’encre et de papier au monde. Je ne puis tenir registre de ma vie, par mes actions, fortune les, et trop bas ».44 C’est parce qu’elle achoppe sur le réel auquel se mesure l’infini, que l’œuvre ne peut être qu’essai c’est-à-dire un livre interminable. Puisque dans le même temps, Montaigne a accepté la gageure de poursuivre cette meilleure forme, entrevue en songe, vers un centre éternellement vacant du moi et l’exploit de fonder un nouveau genre et une forme d’écriture nouvelle. À cet égard, le sujet peut bien changer, la structure, elle subsiste ; or, précisément, le problème essentiel que pose la structure ou l’écriture de Montaigne est le déroulement que l’on simplifierait en ces termes : « Montaigne peint Montaigne ». En réalité ; l’Etre se scinde dans l’écriture sur soi.
Par ailleurs, dans ses Essais, Montaigne a dénoncé les multiples manifestations de l’orgueil humain dans une interprétation personnelle du thème de la vanité du monde, thème qui a alimenté son expression et sa pensée. Dès lors, cette lecture offre la possibilité de comprendre l’ambiguïté, l’ambivalence fondamentale existant entre les deux aspects picturaux et littéraires des vanités. C’est pourquoi, à travers notre analyse sur Les Essais, l’esthétique montaignienne nous a permis de voir une composition décousue et, a rendu l’œuvre complexe dans toute sa linéarité.
L’étude de l’esthétique littéraire dans Les Essais nous a permis aussi de noter que l’œuvre montaignienne partage avec d’autres formes qui décrivent de façon concomitante entre l’œuvre et l’auteur. Cependant, nous avons cherché à montrer que face à cette étude de l’esthétique, le texte de Montaigne relève des facettes au point de lire dans l’œuvre beaucoup de paradoxes, de contradictions et d’ambiguïtés. Seulement, cette étude vise à rendre l’œuvre claire dans une étude permettant de renouveler le style de son écriture. À cet égard, ce renouvellement nous a donné un moyen de déceler cette capacité créative de l’auteur, de donner le caractère original de son œuvre. En outre, Montaigne a été influencé au moment d’écrire Les Essais, par un certain nombre de modèles culturels qui est en rapport avec son projet de renouveau de l’écriture dans son œuvre. La représentation de l’esthétique dans Les Essais, reste un procédé remarquable. Des trois tomes des Essais, l’on voit se dessiner une esthétique qui est en rapport avec la pensée de l’auteur. Cette dernière s’exprime aussi bien sur le plan rhétorique, philosophique, religieux.
À la Renaissance, comme chez l’auteur des Essais, l’esthétique et le renouveau entretiennent des rapports complexes et ambigus. Et, chez Montaigne, elle sera l’objet d’une quête pour mieux connaître et de se comprendre mais de comprendre aussi l’autre, dans le but d’une recréation par le biais de l’écriture. À cet effet, l’on a noté que le XVIème siècle suffit à expliquer l’ambiguïté de l’écriture et la diversité des interprétations qui s’y prêtent. Mais la principale leçon que l’on peut tirer de la représentation de l’esthétique, est l’émergence d’une nouvelle écriture de Montaigne. Cette image qui a permis de comprendre l’objet et le projet de Montaigne même s’il se lance dans la plupart du temps dans des contradictions.
Néanmoins, soulignons que le XVIème siècle offre un grand choix de pamphlets de ce genre bien connu, et l’objet de ce travail a été de montrer chez l’auteur des Essais, la singularité littéraire à un renouveau du genre et de l’écriture. En fin, cette réécriture se voit dans une image qui se dédouble sans cesse pour exposer les conditions de réalisation de son projet d’écriture de changement. Reste alors à donner une forme d’écriture, une représentation dont le narrateur a souligné la particularité et l’originalité. Car cette figuration du projet littéraire que se propose Montaigne, doit se trouver, pour être adéquate à la rencontre de la parole et de l’écriture. Et, avec ces procédés, l’auteur nous a invités à une figuration de la connaissance de soi qui traduit à la fois la connaissance d’autrui et la modestie du lecteur.

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Table des matières

 PREMIÈRE PARTIE : LA PEINTURE DU MOI
CHAPITRE 1
: DÉVELOPPEMENT DE LA PEINTURE DU MOI
1-1 : Le voyage
1 -2 : Le but de Montaigne
CHAPITRE 2 :
LA PEINTURE DU MOI Ȧ LA PEINTURE DE L’HOMME
2-1 : Le moi montaignien
2-2 : La peinture de l’Être : l’Homme
DEUXIÈME PARTIE : L’ÉCRITURE COMME CONNAISSANCE DE SOI
CHAPITRE 3
: LA RÉTROSPECTION DE SOI
3-1 : L’autoportrait
3-2 : L’autofiction
CHAPITRE 4 :
ÉCRITURE LITTÉRAIRE
4-1 : Écriture du moi
4-2 : Écriture ironique
TROIXIÈME PARTIE : L’ESTHÉTIQUE MONTAIGNIENNE
CHAPITRE 5:
LE STYLE MONTAIGNIEN
5-1 : La satire et l’humour
5-2 : L’ironie
CHAPITRE 6 :
ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE
6-1 : L’ambiguïté de l’écriture
6-2 : Une nouvelle forme d’écriture
CONCLUSION

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