UN ENSEMBLE DIVERSIFIÉ DE PRATIQUES: COMPOSANTES ASSOCIA TIVE ET COOPÉRATIVE DE L’ÉS
L’économie sociale et solidaire constitue aujourd’hui un ensemble fortement contrasté, très diversifié . La distinction fréquemment adoptée entre les entreprises d’ économie sociale (coopératives ou OBNL marchands) et les organismes ou associations d’économie sociale (OBNL non marchands) est un reflet de cette diversité, montrant la différence entre une économie sociale solvable, sujette à la sanction du marché, et une économie sociale non solvable plus dépendante de l’ aide étatique (Tremblay 2002 : 245). Certaines initiatives relèvent davantage du développement économique (reliées au développement local) et prennent la fonne d’ entreprises plutôt que d’ associations, alors que d’ autres s’ inscrivent dans une logique de développement social (organisations à but non lucratif et coop ne versant pas de ristournes) (Bouchard et al. 2000: 7). C’ est également ce que souligne Lévesque, distinguant les entreprises d’ économie sociale à dominante marchande et celles à dominante non marchande (Lévesque 2007). Les entreprises d’ ÉS sont des entreprises démocratiques s’ insérant dans le marché et qui offrent des biens et services marchands aux membres ou à la collectivité (Favreau 2005a: 16). Leur logique première est d’assurer à leurs activités une viabilité économique (Comeau et al. 2001 : 248). Ces organisations reliées au développement économique entretiennent des rapports à la fois avec l’ État et le marché. Elles sont soutenues par une diversité de bailleurs de fonds et de sources financières (divers paliers gouvernementaux, ministères et programmes, vente de produits et serVIces, donations privées, etc.) (Bouchard et al. 2000 : 15).
Les associations d’économie sociale, quant à elles, n’ emploient pas la voie du marché pour l’essentiel de leurs activités (Saucier et Thivierge 2000: 13). Ces organisations, qui relèvent davantage du développement social, offrent des services aux membres ou à la collectivité (Favreau 2005a: 16). Plusieurs de ces associations font partie de l’action communautaire autonome l9 et n’ effectuent pas d’ activités marchandes, s’inscrivant dans un rapport quasi-exclusif avec l’État2o. Leur fonctionnement est soutenu par un bailleur de fonds principal, par exemple un ministère (Bouchard et al. 2000 : 15). Plusieurs de ces groupes proposent des modes alternatifs de prise en charge des besoins sociaux et s’ inscrivent dans une démarche de lutte à la pauvreté21 . L’ autonomie constitue souvent un enjeu central de ces organisations22 (ibid.). Ainsi, les expérimentations d’économie sociale peuvent être en interface avec le secteur privé (les organisations impliquées dans la production de biens et services marchands, comme les coopératives) ou avec le secteur public (particulièrement celles impliquées dans les services aux personnes) (Lévesque 2002: 56). Les initiatives d’ économie sociale doivent donc faire jouer la réciprocité «en même temps qu ‘elles insèrent leurs entreprises dans le marché ou leurs organismes locaux dans un rapport partenarial avec l ‘État» (Malo 2001: 5), devant composer avec des idéologies dominantes qui ne sont pas les leurs23 . Afin de rendre compte de la diversité des pratiques et de respecter leur spécificité, il importe de maintenir la distinction entre les diverses composantes de l’ économie sociale. La distinction entre organisations communautaires (de défense de droits sociaux ou d’offres de services de proximité) et les entreprises d’économie sociale doit être maintenue.
DÉFIS DE DÉFINITION
Diversité des terminologies, des conceptions et des définitions Définir l’économie sociale et solidaire constitue tout un défi! Tout d’ abord, la grande diversité des pratiques se rattachant à l’économie sociale et solidaire rend sa conceptualisation complexe. Des désaccords par rapport au lien avec l’ économie sociale se sont glissés entre les mouvements sociaux et parfois même à l’intérieur de ces mouvements (Boucher 2004 : 19). Comme le montre D’ Amours (2004) : (. . .) la définition de l ‘économie sociale a été et est encore l ‘enjeu d ‘une lutte entre différents acteurs, l ‘enjeu résidant dans la plus ou moins grande part d ‘économique et de social, dans le caractère plus ou moins restrictif ou plus ou moins élargi de cette définition. (D ‘Amours 2004 : 34)
De plus, il existe plusieurs façons de définir l’économie sociale et une certaine ambiguïté autour de ce concept. L’ économie sociale (et solidaire) est un concept difficile à cerner, parfois flexible et élastique25 (Joyal 1999 : 38), dont les contours sont mouvants: Parce qu ‘elle joue à la fois sur le tableau de l ‘économie au sens pur et dur, univers des chiffres et de la rentabilité, et sur le tableau plus humaniste du lien social et du bien-être des populations, l ‘économie sociale, dans sa version renouvelée, offre des contours mouvants qui rendent sa définition difficile à délimiter. (Fréchette 2000 : 112). Il importe ici de présenter quelques éléments de définition de l’économie sociale et solidaire apportés par divers auteurs, sans faire une présentation de la multitude de définitions présentes dans la littérature.26 Nous nous contentons ici de faire un bref survol de quelques conceptions rattachées à l’ÉSS, après quoi nous présenterons les caractéristiques principales que nous retenons pour définir l’économie sociale et solidaire.
Tout d’abord, la distinction entre économie sociale et économie solidaire effectuée par plusieurs auteurs mérite d’être soulignée. Comme le souligne D ‘ Amours, l’ économie solidaire27 se limite aux services de proximité, se rapprochant ainsi davantage d’associations ou d’organismes à but non lucratif et de groupes communautaires, alors que l’économie sociale serait plutôt rattachée aux coopératives (D ‘ Amours 1997: 19). Certains auteurs français (Laville, Dacheux, Collectif MB2) appartenant à un courant particulier préfèrent parler d’économie solidaire, opposant économie sociale et économie solidaire28 (Vaillancourt et Favreau 2001: 1). D’autres choisissent plutôt le terme d’économie sociale et solidaire, afin de tenir compte à la fois d’ une économie sociale qui se veut solidaire et d’ une autre qui s’ inscrirait davantage dans un modèle néo-libéral (D’ Amours 1997 : 5). Au Québec, le terme d ‘économie sociale semble être le plus utilisé, tant chez les chercheurs qu ‘au niveau des organisations29 (Favreau 2005 : 3). D’autres encore parlent d ‘ancienne économie sociale et de nouvelle économie sociale, pour distinguer la «génération» actuelle de l’économie sociale par rapport aux initiatives antérieures (coopératives et mutuelles datant du début du siècle) (Vaillancourt et Favreau 2000 : 2 ; Lévesque 1989: 25). La nouvelle économie sociale prendrait sa source principalement dans les groupes communautaires et de développement économique communautaire qui se multiplient à la fin des années 70 (D’Amours 1997 : 37). Selon Lévesque, cette nouvelle économie sociale désigne les nouvelles coopératives, les nouvelles pratiques sociales, les entreprises alternatives et les éco-entreprises (Lévesque 1989: 25), et elle se distinguerait de «J’ ancienne » par une volonté de répondre aux demandes sociales, par les acteurs qui animent les initiatives et par la volonté explicite de changement social (ibid. : 2).
Elle se confondrait souvent avec l’économie solidaire au sens où l’entend Laville, composée surtout d’organismes à but non lucratif dans lesquels des acteurs «mobilisent ensemble des ressources pour répondre à des besoins auxquels ni l ‘État, ni le marché ne sauraient répondre» (D’Amours 1997 : 19). L ‘économie alternative, quant à elle, désignerait selon certains une forme plus radicale de l’économie sociale3o , visant à la fois une contestation du système dominant et la diffusion de modèles alternatifs (Demoustier 2001 : 109). De notre côté, le terme que nous retenons pour désigner les pratiques qui nous intéressent est celui d ‘organisations d’économie sociale et solidaire, le terme solidaire permettant de maintenir une distinction entre l’économie sociale et l’économie solidaire tandis que celui d’économie sociale permet une conception plus large de cette forme d’économie, englobant également les coopératives et les mutuelles en plus des associations31 . Nous croyons également que ce terme inclusif respecte les préoccupations du milieu communautaire à l’égard de l’économie sociale, comme nous le verrons. Nous l’ utiliserons donc de façon générale et inclusive, sauf lorsque nous voudrons désigner l’économie sociale de façon spécifique.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 CADRE THÉORIQUE
1.1 L’économie sociale et solidaire
1.1.1 L’économie sociale et solidaire en contexte québécois
1.1.2 Un ensemble diversifié de pratiques
1.1.3 Défis de définitions
1.1.4 Au-delà des différences: des principes et caractéristiques en commun
1.1.5 Les pratiques d’ÉSS : un potentiel de contestation et de transformation?
1.1.6 Économie plurielle et activité économique
1.1.7 Organismes communautaires et ÉSS
1.2 Développement local et ÉSS
1.2.1 Le développement local
1.2.2 Développement économique communautaire et développement local progressiste
1.2.3 La contribution de l’ÉSS au développement et à la revitalisation des collectivités
1.2.4 L’ÉSS dans une démarche de résolution des problématiques locales: quels apports spécifiques pour le milieu gaspésien?
CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE ET CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES
2.1 Questions générale et spécifiques de recherche
2.1.1 Question générale
2.1.2 Questions spécifiques
2.2 Méthodologie
2.2.1 Une approche hybride
2.2.2 L’ étude de cas multiple comme stratégie de recherche
2.2.3 Les étapes de la recherche
2.3 Considérations éthiques
2.4 Présentation des cas retenus
2.4.1. Coopérative de solidarité Rocher Percé
2.4.2. Collectif Aliment-Terre
2.4.3 . Clorid’ art
CHAPITRE 3 L’ ÉSS VUE DE L’ INTÉRIEUR: CONCEPTION ET SENTIMENT D’ APPARTENANCE
3.1 L’ÉSS selon ses acteurs
3.1.1 Des caractéristiques qui lui sont propres et la distinguent
3.1.2 Un concept méconnu, aux contours flous
3.2 L’ appartenance à l’ ÉSS
3.2.1 L’identification à l’ ÉSS pour la CSRP et Clorid’art
3.2.2 Organismes communautaires et ÉSS : quels liens selon les acteurs?
3.3 Des avantages à faire partie de l’ÉSS : l’exemple de la CSRP
3.3.1 Un démarrage facilité
3.3.2 La force du travail en commun
CHAPITRE 4 L’ ÉSS AU QUOTIDIEN: ENJEUX ET PROBLÉMATIQUES
4.1 Défis, forces et alliés dans la mise sur pied et le développement d’ organisations d’ ÉSS
4.1.1 Forces et alliés
4.1.2 Des défis
4.2 Des enjeux liés au financement extérieur
4.2.1 Un soutien extérieur essentiel et justifié
4.2.2 L’ envers de la médaille: les effets pervers du soutien extérieur
4.2.3 Financement du communautaire et rapport à l’État: quels enjeux?
4.2.4 Autonomie et financement extérieur: une conciliation possible?
4.3 La vie démocratique au sein des organisations: situation et problématiques
4.3.1 Les modalités de la gestion démocratique 121
4.3.2 L’ intégration d’ un fonctionnement démocratique: entre volonté
et complexité 123
CHAPITRE 5 UNE PLURALITÉ DE LOGIQUES EN ACTION
5.1 Finalité sociale et logique territoriale
5.1.1 Des logiques sociales bien présentes dans chacun des cas
5.1.2 Une logique territoriale au coeur des initiatives
5.1.3 Des organisations bien ancrées dans leur milieu
5.1.4 En bref: un souci de contribution à la base de l’action
5.2 La logique économique
5.2.1 Une logique incontournable et présente
5.2.2 Une insertion particulière dans la sphère économique
5.2.3 Organismes communautaires et logique économique: quels liens?
5.3 Une logique politique en action
5.3.1 L’affirmation des valeurs
5.3.2 Une dimension particulière au Collectif: revendication et mobilisation
5.3.3 Quelle contestation de l’ économie dominante?
5.3.4 Une dimension alternative aux pratiques d’ ÉSS?
5.4 Une pluralité de logiques en action
5.4.1 Des logiques qui s’entremêlent et parfois se confrontent
5.4.2 Des logiques qui s’enrichissent mutuellement
5.4.3 Vers une réarticulation possible: une conception qui tient compte des particularités
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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