L’Economie Politique de Développement de l’Energie Nucléaire en Iran (1957-2004)

Depuis le démantèlement de l’Union soviétique, le centre d’intérêt des études nucléaires a basculé des relations entre les Etats-Unis et l’ex-Union soviétique vers les pays périphériques. S’est développé un amalgame entre la notion d’énergie nucléaire et l’utilisation de la technologie nucléaire à des fins militaires. La question de l’accès des pays en voie de développement à l’énergie nucléaire ne se pose plus et a été remplacée par la préoccupation de prévenir l’utilisation des « armes de destruction massive ». Notre ouvrage cherche à contribuer à la compréhension de la question nucléaire telle qu’elle se pose aujourd’hui au travers d’un cas unique et intéressant, celui de l’Iran : un pays en voie de développement qui fournit la rare opportunité d’une comparaison entre les politiques de deux régimes distincts, dans un même espace géographique en un intervalle de 30 ans.

Cette étude ne cherche pas à prendre position pour ou contre une industrie nucléaire en Iran. Une analyse globale de la question nucléaire, les avantages et inconvénients d’une capacité de production d’énergie nucléaire et la maîtrise de cette technologie vont au-delà du sujet de cette étude. La question posée ici est précise et basée sur l’observation du comportement des différents gouvernements en Iran pendant différentes périodes, comportements qui ont pu paraître paradoxaux. En 1974, l’Iran lançait un programme accéléré pour le développement d’une industrie d’énergie nucléaire, sous le régime de Mohammad Reza Shah Pahlavi. Malgré la grande importance que ce programme présentait à l’époque pour le pays, le projet quasi-terminé (à 75%) a été abandonné indéfiniment par le gouvernement issu de la révolution Islamique de 1979. Il est vrai qu’à l’époque toute coopération avec les entreprises étrangères était considérée comme signe de dépendance envers l’étranger. Mais malgré ceci, dès 1983, et avant de reprendre toute autre coopération avec les entreprises et pays occidentaux, le gouvernement de la République Islamique revient sur sa position et adopte la même politique de développement nucléaire que celle de l’époque Pahlavi. Cependant, cette fois, ce sont les Etats et les multinationales européennes qui se trouvent dans l’impossibilité de coopérer autour de ce projet, contraintes par les nouvelles réglementations internationales en vigueur. Apres des tentatives inabouties de coopération avec l’Inde et la Chine, c’est finalement en Russie que la République Islamique d’Iran trouve un partenaire valable, capable de résister aux pressions des Etats-Unis. Mais, en dépit de cette coopération, aujourd’hui, 30 ans après son lancement en 1974, l’industrie de l’énergie nucléaire en Iran n’est toujours pas opérationnelle.

Economie politique internationale 

La naissance de la discipline de l’économie politique internationale comme une discipline à part entière date des années 1970 bien que les racines de l’approche d’Economie politique soient bien sur beaucoup plus anciennes. L’une des premières tentatives d’intégration de la politique et de l’économie fut celle des mercantilistes, avec un intérêt particulier pour l’analyse des relations économiques internationales. Une autre tentative à ce sujet a été celle de Marx et ses collaborateurs, au dix-neuvième siècle. Cette tradition marxiste s’est étendue, par les Social-démocrates et d’autres penseurs marxistes, à l’analyse de l’impérialisme capitalistique au début du vingtième siècle.

La période d’un « vide », notamment dans les pays anglo-saxons, entre le début de siècle et les années 1970, en ce qui concerne les développements dans le domaine de l’Economie politique s’explique par les faits suivants. Il y a eu une séparation croissante entre l’économie et la science politique, ainsi qu’entre les études de politique nationale et internationale pendant cette période, surtout aux Etats-Unis. Même dans le domaine des études internationales, il y a eu une distinction entre la «haute » (high) et la « basse » (low) politique. La «haute » politique se focalisant sur les questions de la diplomatie et de la sécurité et la « basse » politique étudiant certaines questions économiques relevant du commerce, de la finance, et des investissements étrangers.

A l’époque d’Adam Smith (1723-1790) l’économie et la politique n’étaient pas des disciplines séparées, comme c’est le cas aujourd’hui. L’approche de Smith était un défi direct au mercantilisme. Smith croyait que les mercantilistes exagéraient l’importance du pouvoir national d’un pays en comparaison aux autres. Il voulait mettre en lumière les structures latentes dans les conditions existantes et théoriser les relations au sein de ces « structures ». Sa critique du mercantilisme reposait sur le fait que dernier attachait trop d’importance aux phénomènes a la surface des choses et ne s’intéressait pas suffisamment à l’implication de la distinction entre l’apparence et l’essence dans l’analyse sociale. Ce qui était nécessaire pour identifier plus pleinement les structures de l’économie politique.

L’analyse de Ricardo (1772-1823), au contraire, sépare l’économie et la politique. Mais sa division de l’économie entre les catégories de la terre, du labeur, et du capital, chacune avec des classes associées, dont les intérêts ne semblaient pas être en conflit, a été une source d’inspiration pour Marx (1818-1883). Bien que Marx critique Ricardo pour son analyse des classes incomplètes, qui ne prend pas en considération les conflits entre le capital et le labeur ou bien les relations de production en général. Au-delà de la notion de la structure de marché, Marx a cherché à établir la notion plus large de la structure sociale. Dans son analyse finale il est impossible de séparer la politique, l’économie et la société. En résumé les mercantilistes se sont focalisés sur la nation et les interactions entre Etats, les économistes libéraux sur l’individu dans le marché de travail, et les marxistes sur la production et le conflit de classe.

Les développements récents dans ce domaine datent des années 1970 et continuent à ce jour. La plupart de ces développements sont d’origine américaine et ceci en raison des changements survenus dans l’économie mondiale qui ont diminué la perception des implications négatives potentielles de ces théories. L’interdépendance économique croissante, le séisme du système économique international de Bretton Woods, et la hausse des prix pétroliers de 1973 ont amené les universitaires américains à analyser les conséquences de ces changements. La «basse » politique s’est trouvée dans une position plus élevée dans l’agenda politique. Ces changements dans les conditions économiques, avec la baisse de la part des Etats-Unis dans le PNB mondial, ont été considérés comme un signe d’affaiblissement de la position dominante économique et politique des Etats-Unis dans le monde. Il y a eu donc, parmi certains leaders américains, le sentiment de la nécessité de promouvoir une gestion en douceur de l’interdépendance afin de soutenir le contrôle des Etats-Unis sur les aspects significatifs de l’économie internationale.

« Régimes internationaux » 

C’est John Ruggie qui a introduit le concept des régimes internationaux dans la littérature de politique internationale en 1975. Tel que défini par lui, un régime est «une série d’attentes mutuelles, de règles et réglementations, de plans, d’énergies organisationnelles et d’engagements financiers, qui ont été acceptés par un groupe d’Etats ». Une définition plus récente définit les régimes internationaux comme « une série de principes implicites ou explicites, de normes, règles et procédures de prise de décision autour desquels les attentes des acteurs convergent dans le domaine donné des relations internationales. Les principes sont les croyances de fait, de la causalité et la rectitude. Les normes sont des standards de comportement définis en termes de droits et obligations. Les règles sont des prescriptions ou proscriptions spécifiques pour l’action. Les procédures de prise de décision sont les pratiques prévalant de faire et d’implémenter les choix collectifs».

Des préoccupations majeures de la théorie des régimes sont le processus de création, la motivation des acteurs à se joindre à des tels régimes, ainsi que la compréhension du fonctionnement des régimes. Les deux théoriciens les plus prolifiques sur le caractère économique des régimes internationaux sont Robert Gilpin et Robert Keohane. Les deux admettent la prépondérance des intérêts économiques dans la création et le fonctionnement des régimes internationaux et emploient des théories économiques pour ’analyse des régimes. Pour Gilpin le « contrôle sur la gouvernance du système international » est fonction de trois facteurs : la distribution du pouvoir entre coalitions politiques, puis la caractéristique hiérarchique du pouvoir et le prestige entre Etats, enfin les règles et les droits qui organisent ou influencent les relations entre Etats.

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Table des matières

Avant-propos et remerciements
Curriculum Vitae
Table des matières
1- Introduction
Problématique et questions de recherche
Approches des théories applicables à la recherche
Economie politique internationale
« Régimes internationaux »
« Dependencia »
Les travaux sur le nucléaire
La géopolitique
L’analyse stratégique
2- Offrir le nucléaire à l’Iran
pour maîtriser le nucléaire dans le monde
Pourquoi « Atomes pour la Paix » en Iran en 1957 ?
L’AIEA : l’organe de contrôle d’« Atomes pour la Paix »
Accommoder les pays forts et contrôler les pays faibles
Le cas de la Chine
Le cas d’Israël
Le Traité de non-prolifération :
une collusion des concurrents contre les nouveaux entrants
3- La trilogie de l’intérêt des États-Unis pour l’Iran
L’or noir
De « contenir le communisme » à
« assumer le rôle de superpuissance régionale »
Les États-Unis perdent le pétrole, le monopole du marché d’armement
mais n’abandonnent pas l’Iran à l’URSS
4- Pourquoi un programme aussi accéléré d’industrie nucléaire
pour un pays riche en pétrole et gaz ?
La hausse des prix pétroliers en 1973 : le nucléaire pour économiser le pétrole
La nucléarisation du Moyen-Orient : l’industrie nucléaire comme symbole
L’échec de l’ONU pour dénucléariser la région
L’industrie de l’énergie nucléaire : quelle utilité militaire ?
L’essai nucléaire indien : prémisse de la fin de la coopération nucléaire
5- L’énergie nucléaire en Iran :
une réalisation ardue (1974-1979)
L’absence de préparation, de direction et de coordination
Le manque de direction, d’infrastructure,
de coordination et d’expérience
La signature de contrats dans des conditions de faiblesse croissante
L’absence de coordination dans les négociations avec les États-Unis
Des contraintes internationales croissantes
L’explosion indienne comme prétexte au contrôle politique
des fournisseurs : la perte du monopole américain d’enrichissement
Le Club de Londres, 1975 : le contrôle des concurrents
Le contrôle international du cycle du combustible nucléaire
Quand les pressions de l’allié d’antan, les États-Unis, surviennent
Les difficultés d’achat d’armes américaines
Les droits de l’homme liés à la vente d’armes
Les oppositions nucléaires, la mise en cause économique,
la révolution et l’arrêt des travaux
Fin de l’OAEI
6- La République islamique s’intéresse à l’énergie nucléaire
qu’elle avait vigoureusement dénoncée (1984-2005)
Les leçons de la guerre d’Irak
L’humiliation : l’obtention d’armes aux États-Unis et en Israël
Le marché du Pakistan
L’utilisation d’armes de destruction massive par l’Irak et l’embargo
imposé à l’Iran : la nécessité de la dissuasion par moyens internes
La fin de la guerre froide et le début des nouvelles alliances
Les premiers contrats avec de nouveaux partenaires
Le manque d’investissements militaires
Des considérations économiques toujours valables
La politique américaine de double maîtrise
Iran-Russie : un partenariat stratégique et des intérêts financiers
Le 11 septembre 2001 et l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak : la dissuasion
virtuelle contre les « Croisés du Mal »
7- Démontrer sa compétence militaire pour faire fonctionner le nucléaire civil après 30 ans d’obstacles
L’utilité de la divulgation des activités d’enrichissement
Le soutien multilatéral de l’Iran : le monde multipolaire contre
l’unilatéralisme américain
La « dissuasion virtuelle » de la menace américaine
L’avenir du nucléaire iranien : trois options pour les États-Unis
Réputation et antécédent
Efficacité du régime de non-prolifération
Iran-USA : doléances, avantages comparés et intérêts communs
Les doléances
Les avantages comparés
Les intérêts communs : pétrole, gaz et sécurité du Golfe
Les mesures de coopération et d’amélioration de la confiance
entre l’Iran et les Etats-Unis
Conclusion

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