L’économie institutionnaliste pour cerner les relations économiques dans le système coton
Stabilité de la coordination du système coton par des actions collectives
Après l’indépendance du Bénin en 1960 régnait encore une organisation marchande de la commercialisation du coton-graine dans les villages. Les producteurs commercialisaient individuellement leur production de coton-graine à un acheteur unique, la CFDT. L’agent d’achat de la CFDT déterminait seul, la date, le lieu et l’organisation du marché villageois pour la commercialisation du coton-graine. Les relations marchandes généraient des coûts de transaction significatifs non seulement pour les producteurs mais aussi pour la CFDT.
La création des premiers GV à la fin des années 60 avaient comme but essentiel une meilleure coordination des relations marchandes pour commercialiser la production de coton-graine dans les villages. A partir de 1972, une période d’économie fortement encadrée par l’Etat, suite au départ de la CFDT du Bénin en 1975, les fonctions qu’elle assumait le sont par des sociétés étatiques regroupées en 1983 par la SONAPRA. Jusqu’en 1991, le système coton au Bénin est coordonné par trois principaux types d’acteurs.
Les GV fonctionnent à l’intérieur des villages pour la répartition des intrants entre producteurs, la commercialisation du coton-graine dans les marchés villageois autogérés et le paiement individuel des producteurs dans les villages. La SONAPRA s’occupe de l’achat du coton-graine, de sa transformation en coton fibre et de son exportation sur le marché mondial, de l’approvisionnement en intrants et du paiement des producteurs avec la coordination des CARDER dans les communes. Le chapitre 4 analyse les actions collectives et les règles de fonctionnement mises en œuvre par les producteurs pour se coordonner et pour assurer la production cotonnière et la répartition des ressources.
Coordination économique basée sur des transactions marchandes
De 1960 à 1975, le développement de la production cotonnière dans les départements du Borgou et de l’Alibori était encore sous le contrôle de la CFDT. La régulation de la commercialisation de la production était de nature marchande.
Relations marchandes, asymétriques et jeux de rapport de force Dans la coordination marchande, les producteurs se déplaçaient individuellement loin de leur village avant de pouvoir commercialiser leur coton-graine, avant d’accéder aux intrants et autres facteurs de production comme les appareils de traitement et l’équipement agricole. L’insertion des producteurs aux relations marchandes se faisait dans un cadre strictement individuel et indépendant à l’intérieur d’un même village. Un seul marché peut être le lieu d’échange de la production cotonnière pour plusieurs producteurs venant de villages parfois très éloignés.
L’équipe d’achat de la CFDT avait le pouvoir et l’exclusivité de décider, de classer et de payer le coton-graine en fonction de sa qualité. L’agent d’achat de la CFDT déterminait la valeur marchande de la production livrée en fonction de la qualité, du prix et de la quantité produite. Dans la coordination marchande, le producteur individuel avait le sentiment d’être un acteur dominé, ignoré, peu écouté, ayant peu de droit au chapitre. Il était logiquement peu incité à s’impliquer réellement dans la relation marchande engendrée par la production du cotongraine caractérisée par une plus forte incertitude sur les modalités de commercialisation. Cela est confirmé par le niveau faible de la production cotonnière au plan national sur la période considérée : seulement 10.300 tonnes de coton-graine produites en 1966-67 contre 35.985 tonnes en 1970-71 et 49.795 tonnes en 1972-73.
La valeur marchande de la production tient au prix d’achat et dépend de la qualité du cotongraine livré. L’asymétrie des relations marchandes était accentuée parce que les producteurs étaient en majorité analphabètes et ne pouvaient maîtriser le processus de commercialisation de leur production. Le manque de contrôle légal des producteurs sur la commercialisation de la production créait un environnement méfiant et suspicieux. Etant donné qu’à l’époque, le coton était la principale production marchande génératrice de revenu monétaire substantiel par rapport aux productions vivrières, les relations marchandes étaient concentrées sur cette production dans les deux départements du Borgou et de l’Alibori.
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Table des matières
Introduction Générale
Chapitre 1. Contexte et justification de la thèse
1. Importance du coton pour l’économie béninoise
1.1. Economie du Bénin ancrée dans son agriculture
1.2. Coton, principal produit d’exportation
2. Contexte historique et institutionnel de la production cotonnière au Bénin
2.1. 1895-1949 : Les difficultés d’assurer l’augmentation de la production de coton dans un cadre institutionnel de régulation par le marché.
2.2. 1946-1972 : Un modèle institutionnel d’intégration économique de la production cotonnière
2.3. 1972-1991 : Un dispositif institutionnel fortement encadré par l’État
3. La libéralisation économique du système coton au Bénin
3.1. Changements institutionnels de libéralisation économique du système coton pour une meilleure efficacité économique
3.2. Le Bénin à l’avant-garde de la libéralisation économique du système coton en Afrique de l’Ouest francophone
3.3. Système coton du Bénin : cas intéressant à analyser
Conclusion
Chapitre 2. L’économie institutionnaliste pour cerner les relations
économiques dans le système coton
1. Insuffisances des visions néoclassique et néo-institutionnelle pour appréhender les impacts
de la libéralisation économique
1.1. Limites d’une coordination marchande
1.2. L’approche par la Nouvelle économie institutionnelle (NEI)
1.3. La libéralisation pour éliminer le non marchand du marchand et accroître le marchand
1.4. Pas de marchand sans non marchand et réciproquement
2. La théorie du changement institutionnel pour rendre compte des relations économiques
3. Cadre général de l’économie institutionnelle
3.1. Opposition VEI et NEI
3.2. VEI : cadre théorique institutionnaliste ancien ou original
3.3. NEI : le cadre théorique qui prolonge l’analyse néoclassique
3.4. NEI et théorie des coûts de transaction
4. VEI : la théorie institutionnaliste retenue
4.1. Actions collectives, institutions et marché : des actions collectives pour encadrer les actions individuelles
4.2. Transaction : de l’échange physique des commodities au transfert légal des droits de propriété
4.3. Futurité : le principe déterminant des transactions et actions collectives
4.4. Trois types de transaction en fonction de la nature juridique et économique des interrelations
4.5. Transaction : relations d’individu à individu contenant des relations d’ordre, de dépendance et de conflit.
5. Encastrement du marché : une démarche institutionnelle pour étudier les interrelations économiques marchandes et non-marchandes
5.1. L’encastrement du marché dans les relations sociales
5.2. Principe du double-mouvement pour cerner le marchand et le non marchand
5.3. Dialectique marchand et non marchand pour repenser le fonctionnement et l’organisation économique
5.4. Rationalité formelle versus rationalité substantive : l’économie comme un processus
institutionnalisé et non comme relation moyen – fin
5.5. Trois formes d’intégration économique pour sortir de la seule rationalité marchande
Conclusion
Chapitre 3. Problématique et méthodologie
1. Les politiques cotonnières post libéralisation peu éclairées sous l’angle de la dialectique marchand et non marchand
2. Une question de recherche qui s’inscrit dans la vision VEI
2.1. Une problématique du rapport marchand et non marchand dans un contexte socioéconomique et institutionnel complexe
2.2. Une problématique soutenue par deux hypothèses de recherche
3. Approche analytique par système coton
3.1. Une entrée d’analyse du système coton par les transactions
3.2. Une démarche compréhensive des réalités socio-économiques
3.3. Démarche analytique multi-acteurs
3.4. Processus de marchandisation versus processus d’identification économique et sociale : deux processus qui concourent à la coordination
4. Mobilisation de données sur les éléments du système coton
4.1. Données sur les interrelations économiques entre acteurs
4.2. Une enquête complémentaire sur les exploitations cotonnières
5. Départements de l’Alibori et du Borgou comme terrains d’investigation
5.1. Principales caractéristiques socio-économiques des deux départements
5.2. Spécificités agro-écologiques
Conclusion
Chapitre 4. Stabilité de la coordination du système coton par des actions collectives
1. Coordination économique basée sur des transactions marchandes
1.1. Relations marchandes, asymétriques et jeux de rapport de force
1.2. Des relations économiques limitées à l’échange marchand
2. Emergence de formes d’organisation collective de la production
2.1. La création des Groupements villageois (GV)
2.2. Producteur comme membre d’une communauté villageoise, le GV
2.3. GV : actions collectives pour institutionnaliser les interrelations économiques entre producteurs dans un même village
2.4. Rapport du producteur à la communauté
2.5. Dialectique marchandisation versus identification économique et sociale
2.6. Règles de fonctionnement pour dicter les normes de conduite par rapport à la futurité
3. Les transactions de répartition entre producteurs
3.1. Les fonctions de contrôle du collectif légal supérieur (CLS) dans les transactions de répartition
3.2. Les relations non marchands des GV pour aller au delà des conceptions de la NEI
3.3. L’hybridation marchande et non marchande suffisamment forte pour le contrôle légal
3.4. La complémentarité entre principe d’utilité et principe d’identité
3.5. Les actions collectives consolident les relations marchandes
3.6. Des institutions pour encadrer les relations marchandes
4. La stabilité des transactions de répartition et des actions collectives dépend de la
prédominance des relations non marchandes
5. L’ordre dans les transactions de répartition et actions collectives dépend du degré
d’articulation entre relations marchandes et non marchandes
6. Le patrimoine, résulte des relations non marchandes pour accompagner les relations marchandes
6.1. Patrimoine constitué par les actions collectives de producteurs
6.2. Utilisation collective du patrimoine pour favoriser la solidarité villageoise
6.3. La multifonctionnalité du coton tient aux institutions
Conclusion
Chapitre 5. Libéralisation économique versus actions collectives des producteurs dans la perspective du double-mouvement Polanyien
1. Le renforcement des actions collectives des producteurs face à la libéralisation
1.1. Contrôle du marché des intrants par les producteurs
1.2. AIC : l’institution de contrôle multi-acteurs et de coordination du système coton soumis à la libéralisation économique
1.3. CSPR : l’institution de contrôle légal pour l’allocation et la répartition des ressources
2. Coordination du système coton après libéralisation
2.1. Six règles de fonctionnement pour contrôler et encadrer les interrelations et comportements des acteurs.
2.2. Coordination post libéralisation de l’approvisionnement en intrants
2.3. Coordination de la commercialisation du coton-graine après la libéralisation
3. Multifonctionnalité du coton et relations de solidarité renforcées par la stabilité des actions collectives
3.1. Plus-value : revenu collectif de patrimoine résultant du principe de répartition et de redistribution
3.2. Les revenus collectifs de patrimoine favorisent la multifonctionnalité du coton
3.3. La multifonctionnalité du coton justifie divers soutiens à la production
Conclusion
Chapitre 6. Instabilité de la coordination par libération d’actions individuelles
1. Contestation des règles de fonctionnement pour le partage des ressources
1.1. La contestation des règles par deux distributeurs d’intrants
1.2. L’instabilité institutionnelle découle des principes marchands
1.3. Les mécanismes de sanctions aux adaptations individuelles accroissent l’instabilité institutionnelle
1.4. La multiplicité des organisations de producteurs : facteur d’instabilité
1.5. L’éclatement des actions collectives résulte des jeux de concurrence
1.6. La coordination institutionnelle du marché des intrants fausse le jeu de concurrence et déstabilise les actions collectives
1.7. L’instabilité institutionnelle provient du désir du contrôle physique des ressources
1.8. L’instabilité institutionnelle génère une baisse de la production cotonnière et accroît une concurrence pour sa répartition entre égreneurs
1.9. Contradiction entre coordination et concurrence
2. Comportements de passagers clandestins comme solutions d’adaptation individuelle aux crises
2.1. L’instabilité institutionnelle induit des comportements opportunistes
2.2. Crise identitaire : affrontements et contestations dans les communautés
2.3. Recompositions identitaires des acteurs
2.4. Les recompositions identitaires pour renforcer le contrôle social
2.5. Les actions collectives pour contrôler les actions individuelles
2.6. La dissolution de la CAGIA pour abaisser les tensions entre IDI
3. Facteurs d’instabilité des transactions de répartition et d’actions collectives entre producteurs
3.1. Contradiction entre logique d’actions individuelles et collectives
3.2. Libération de logiques individuelles comme facteur d’instabilité des actions collectives
3.3. Les comportements de cavalier seul débouchent sur des conflits et menacent les liens de solidarité entre producteurs
4. La multifonctionnalité du coton mise à mal par l’instabilité institutionnelle
4.1. La multifonctionnalité du coton dépend du rapport du producteur à la communauté villageoise
4.2. La marchandisation fragilise la multifonctionnalité du coton
4.3. Le processus de prise de décisions et de répartition des patrimoines : exemple de l’UCPC de Banikoara dans le département de l’Alibori
4.4. Le coton produit des ressources patrimoniales transférées aux collectivités territoriales
5. Le rôle ambivalent de l’Etat dans la coordination du système coton
5.1. Le décret 2006 pour réorganiser les groupes d’acteurs
5.2. Le décret présidentiel 2009-099 et la dimension politique du coton accroissent les contestations des règles et l’instabilité de la coordination
6. Nouvelles actions collectives pour assurer l’accès aux intrants et la commercialisation des productions vivrières
6.1. Création des GVPM pour séparer l’approvisionnement en intrants vivriers de celui des intrants coton
6.2. Règles et contraintes de participation aux nouvelles actions collectives
6.3. La contradiction dans les politiques publiques
7. Le Projet d’assainissement et de relance de la filière cotonnière au Bénin (PARFCB) pour corriger l’instabilité institutionnelle
Conclusion
Chapitre 7. Facteurs de spécialisation cotonnière et adaptations différenciées des allocations de ressources par les exploitations agricoles familiales du Nord-Bénin
1. Dimension familiale des exploitations agricoles africaines : une caractéristique de l’organisation du processus de production, d’allocation et de répartition des ressources
2. L’analyse globale du fonctionnement et de l’organisation économique des exploitations agricoles familiales du Bénin reste limitée et peu actualisée
3. Les facteurs de structuration économique et sociale ne sont pas significativement à l’origine des modalités d’allocation et de répartition des ressources et de la spécialisation cotonnière
3.1. Les caractéristiques socio-économiques différencient les sous types
3.2. Les fonctions sociales
4. Recours aux relations marchandes, aux formes de solidarité et de réciprocité pour accroître
la capacité de travail agricole
4.1. Recours au marché du travail
4.2. Formes institutionnalisées de réciprocité du travail
5. Les revenus agricoles sont significativement liés à la spécialisation cotonnière
6. Valeurs marchandes en intrants différentes avec la spécialisation cotonnière
6.1. Autoproduction de fumure organique pour mieux raisonner la fertilisation des sols agricoles
6.2. Production cotonnière, barrière d’entrée pour l’accès aux intrants
6.3. L’organisation de la production cotonnière implique des relations de solidarité entre producteurs pour l’accès aux intrants
6.4. La capacité de remboursement des crédits d’intrants dépend de la spécialisation
cotonnière
7. Valeurs des investissements en équipement agricole (sans tracteur) peu discriminantes pour la spécialisation cotonnière
7.1. Cheptel vif faiblement discriminant
7.2. Matériel agricole
8. Stratégies différenciées d’adaptation des exploitations face aux contraintes de subsistance et de revenu agricole
8.1. Adaptation par une migration à finalité économique versus migration à finalité professionnelle
8.2. Adaptation par la gestion stratégique des choix de production face aux contraintes de survie et de marché
8.3. Hiérarchisation des finalités de la spécialisation cotonnière et dualisme comportemental
des agriculteurs
9. Futurité: projection dans la perception du futur à partir des facteurs économiques, techniques et institutionnels présents
Conclusion
Conclusion Générale
Bibliographie
Annexes
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