L’école et les familles : un lent rapprochement

L’école et les familles : un lent rapprochement

L’évolution historique de la place des familles au sein de la sphère scolaire 

Une école historiquement réfractaire aux influences extérieures

Tout d’abord, il est important de constater que l’école n’a pas toujours été ouverte aux familles, dont le rôle était marginalisé au sein de cette institution. Dans l’Ancien Régime, l’éducation est l’apanage des élites et la scolarisation des enfants du peuple est peu souhaitée. La Révolution Française marque une évolution avec le désir de scolariser tous les enfants, en tenant à distance les familles. L’école de Jules Ferry s’est également construite contre les parents. « Le système scolaire français ne possède pas de culture de la coopération avec les parents. Dans la logique républicaine, la question du rapport aux familles se réduit plutôt à la « bonne distance » qu’il faut maintenir entre l’école et ses usagers ». L’école s’est constituée d’abord dans le rejet des familles et des particularismes individuels. Le système scolaire doit libérer les enfants du poids de la tradition afin qu’ils deviennent autonomes. De plus, « l’école républicaine s’est immédiatement constituée contre l’emprise de l’Église sur les âmes afin d’imposer l’esprit des Lumières et de la nation » (Dubet, 2003). C’était une institution bénéficiant d’une totale extériorité face aux familles. L’école avait pour rôle de transcender les différences en arrachant l’enfant à sa famille et à sa vie sociale, à la morale religieuse contraire aux principes républicains laïcs, à l’inculture familiale. Elle devait permettre l’élévation de l’enfant aussi bien sur les plans moral, social et culturel. La neutralité sociale et philosophique et la culture universelle transmissent par l’école étaient deux conditions pour que la citoyenneté se réalise et que l’enfant acquiert une conscience morale autonome. L’institution visait plusieurs objectifs dont le contrôle social et l’inculcation de normes conformistes à travers la socialisation scolaire (Dubet, 2003). Les territoires des parents et des enseignants étaient alors nettement séparés. Une opposition se dessinait entre monde scolaire et monde familial. Pour réaliser l’intégration républicaine, l’école doit par nécessité imposer une coupure entre univers scolaire et univers familial. Le rôle de l’école était de soustraire les enfants à l’emprise de l’univers familial, aux croyances et superstitions populaires et traditionnelles qui y régnaient pour en faire des citoyens éclairés et rationnels s’inscrivant dans la Nation, et ainsi diffuser une culture universaliste, républicaine, commune. « Si l’on arrache les enfants à leur famille et à l’économie domestique, c’est pour les hisser vers une culture plus large, une culture perçue comme située hors du monde et au-dessus de la société, une culture fondée sur un principe perçu comme universel » (Dubet, 2003). Les contacts entre enfants et familles étaient alors très restreints pour empêcher toutes interférences néfastes. L’école se présentait alors comme un sanctuaire imperméable, protégé des désordres du monde, sanctuaire qui traçait une frontière entre ce qui relève de l’institution et à l’inverse ce qui n’en relève pas (Dubet, 2002). Dans ce sanctuaire, l’enseignant était sacralisé. « L’école républicaine était le produit d’un projet culturel et politique visant à déposséder l’Église de son emprise sur les esprits ; elle devait instituer les sujets d’une France démocratique, moderne et universelle : des Français et des citoyens. Le projet de l’école républicaine cherchait à instaurer un autre universalisme que celui de l’Eglise » (Dubet, 2002). Frédérique Giuliani et Jean-Paul Payet (2014) évoquent quant à eux une configuration sociohistorique particulière des relations entre école et familles, où « le principe républicain d’une égalité de traitement des élèves s’appuie sur une mise à distance des appartenances primaires et d’une rupture avec l’environnement sociale ». Les familles sont clairement mises à l’écart mais elles accordent leur confiance à l’école. L’école doit façonner « les enfants du peuple » en citoyens, et l’État représente la raison et la science alors que la famille possèderait une culture rétrograde. L’école doit donc assurer l’unité nationale et en même temps autonomiser l’enfant par la transmission d’un savoir émancipateur. L’enfant passe de « l’état de nature à l’état de culture ». Par ailleurs, comme le note Glasman , l’enfant devient l’éducateur de ses parents.

Une école en mutation dans un contexte de massification du système

Mais les murs du sanctuaire n’ont pas pu rester étanches et ce sont peu à peu émoussés (Dubet, 2003), et cela à partir des années 1970. Les parents se sont introduits dans le système, qui a connu d’importants changements. Effectivement, de profondes mutations vont peu à peu surgir dans la société et la transformer. La société se modernise. Cela va également renverser la tendance quant à la relation école-familles pour aboutir aujourd’hui à une très grande sollicitation des familles par le système éducatif. Nous pouvons par exemple citer certains facteurs exogènes à l’école comme le développement du secteur tertiaire et des services, l’urbanisation, l’essor économique ou l’amélioration du niveau de vie. De plus, les métiers sont en totale mutation et nécessitent un niveau de qualification de plus en plus élevé. D’autre part, la forte poussée démographique de l’après guerre, le baby-boom, incite les parents à donner à leurs enfants une éducation plus ambitieuse permettant une meilleure ascension sociale. Ce sont en tous cas leurs espoirs. Parallèlement, la réforme Berthoin de 1959 prolonge l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de seize ans. Mais c’est réellement le collège unique qui va changer la donne. Initialement, il a été créé pour resserrer les liens entre les individus et augmenter le niveau de la Nation. La loi Haby du 11 juillet 1975 stipule ainsi que « tout enfant a droit à une formation scolaire, qui, complétant l’action de sa famille, concours à son éducation ». Ainsi, c’est l’ouverture de l’école et la massification des collèges, puis des lycées, qui a largement modifié les rapports entre les familles et l’école, mais qui a aussi fortement troublé l’identité même des acteurs de la sphère scolaire et remis en cause la légitimité du modèle traditionnel qu’était l’école républicaine (Dubet, 2003). De plus, l’école est chargée de réaliser des injonctions contradictoires : faire entrer les élèves dans une culture commune, les préparer aux compétitions scolaires et sociales, et reconnaître chacun comme individu singulier. Avec la massification scolaire, l’école s’est donc profondément modifiée, « ressemblant plus à un marché qu’à une institution » (Dubet & Martuccelli, 1996). L’admission de tous les enfants à l’entrée du collège conduit un nouveau public, très hétérogène, dans les mêmes types d’établissements scolaires et dans des classes indifférenciées. La majorité des nouveaux collégiens ne sont « ni des héritiers programmés pour réussir, ni des boursiers portés par une ambition scolaire » (Dubet, 2003). L’école doit à présent gérer des générations entières et non plus des flux sélectionnés. Cela engendre donc une forte mixité du public scolaire au sein duquel les différences sociales, culturelles et ethniques sont particulièrement prononcées, ce qui n’était pas le cas avant puisque ce type de familles ne franchissait pas le portail du secondaire. L’école de masse est donc confrontée à des problèmes sociaux dont elle était jusque-là relativement protégée et qui maintenant deviennent des problèmes internes à l’institution quand auparavant ils apparaissaient comme des facteurs externes (pluralité des cultures, pauvreté, chômage, violence, indiscipline, etc). Elle ne peut donc les ignorer. L’école devient alors « inadaptée » suite à ce changement brusque, et le taux d’échec scolaire est alors en hausse. D’après l’historien Antoine Prost, l’égalité d’accès ne parvient pas à rimer avec égalité des chances, et François Bayrou dit, en 1993, que le collège unique est en fait un « collège inique ». Cela marque une accentuation des inégalités sociales car les écarts se creusent. Les différences de culture vont entraîner une inadaptation du nouveau public à la forme scolaire forgée voici plus d’un siècle et à ses contenus, et cela va progressivement amener l’école aujourd’hui à effectuer tout un travail de différenciation des approches pédagogiques afin que le « collège pour tous » devienne le « collège pour chacun ».

« Le mythe de l’école républicaine s’en voit d’autant ébréché » car cette école s’est construite contre les particularismes, dans la lignée de la pensée de Jean-Jacques Rousseau (Dubet, 1997). Les attentes vis-à-vis de l’école changent. Il y a un désajustement de l’offre et de la demande (Dubet, 2003), et l’école doit donc conquérir des élèves dont les normes scolaires ne sont plus sur la même lignée que celles de l’école. Cela engage une nouvelle forme de travail sur autrui. D’après François Dubet et Danilo Martuccelli, ce nouveau rapport élabore ou bien des stratégies savantes, ou crée des déceptions, ou suscite vigilance ou surinvestissement de la part des familles (Dubet & Martuccelli, 1996). Dans tous les cas, l’institution est traversée par des stratégies multiples. D’autre part, François Dubet déclare que « la pluralité des valeurs démocratiques s’est imposée à l’unité des principes républicains » (Dubet, 2003), et le programme institutionnel a ainsi perdu de son caractère sacré. De plus, l’objectif d’emmener 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat proclamé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement confirme encore plus le changement qui s’opère au sein de l’institution. Le système scolaire s’ouvre à tous les enfants quelles que soient leurs origines sociales et une volonté de démocratisation de l’enseignement s’exprime. Mais démocratiser l’école c’est aussi partager les savoirs concernant son organisation, son fonctionnement et ses programmes. Or, à l’heure actuelle, cela n’est pas un fait avéré pour tous… De plus, il ne s’agit donc plus de se focaliser uniquement sur le fonctionnement et le rôle de l’école mais il faut également questionner ce qui, au sein de la famille ou dans les liens que cette dernière établit avec l’école, peut favoriser ou entraver la réussite scolaire de l’enfant. D’autre part, dans le cadre de l’enseignement privé institué par la loi Debré du 31 décembre 1959, de nouvelles relations entre école et parents voient également le jour puisque les parents sont désormais en mesure de choisir un établissement scolaire pour leurs enfants, ils peuvent aussi le retirer de ce même établissement s’ils le souhaitent. Cela souligne l’influence que peut avoir la famille dans la scolarité de l’enfant.

En outre, le lien entre l’école et les familles s’inscrit dans un contexte à la fois culturel et social. Il semble donc intéressant de prendre en compte simultanément les évolutions de la sphère scolaire mais aussi celles de la sphère familiale pour appréhender la question des relations qui unissent ces deux univers autrefois bien distincts. Effectivement, la relation école- famille s’ancre dans une histoire jalonnée de transformations, mutations et bouleversements. Après avoir observé les changements s’opérant au niveau de l’institution, il paraît judicieux d’effleurer ceux qui concernent la famille et la place de l’enfant. En effet, de nouveaux modes d’organisation régissent la famille. En peu de temps, le modèle classique de la famille traditionnel a laissé place à de nouvelles formes telles que les familles monoparentales ou les familles recomposées. Les codes sociaux ont été bousculés et la famille est devenue multiforme. Elle doit être appréhendée sous sa forme plurielle. L’école française s’inscrit donc dans cette évolution sociale et doit s’adapter autant que faire se peut à ces transformations du lien familial dans un contexte où l’individualité est parfois exacerbée. Il n’existe donc plus un seul et unique type de relations, et cela est parfois complexe à gérer. Parallèlement, le statut et la conception de l’enfant a évolué . La loi d’orientation de 1989 le place au cœur du système éducatif. On lui reconnaît des droits. Les instances de socialisation que sont l’école et la famille sont amenées à agir conjointement dans l’intérêt de l’enfant et de l’élève. Ce dernier est progressivement considéré comme un être de relations qui a des affects. Il faut donc prendre en compte son environnement familial pour le saisir dans son intégralité. « La personnalité de l’enfant, ses « raisonnements » et ses comportements, ses actions et réactions, sont insaisissables en dehors des relations sociales qui se tissent, initialement, entre lui et les autres membres de la constellation familiale » (Lahire, 1995). Les schèmes de perception de l’enfant sont imbriqués dans un réseau d’interdépendances familiales. Auparavant, les choses étaient tout autre puisque le modèle éducatif républicain opposait l’adolescent à l’élève et tenait ainsi l’adolescence hors de ses murs (Dubet, 2003). L’école républicaine ne voulait être confrontée qu’à des raisons en formation et rejetait donc l’adolescence de son emprise. Aujourd’hui, il va de soi qu’à l’école l’enfant et l’élève doivent être réconciliés, et que « l’enfant préexiste à l’élève » (Dubet, 2003).

De nouveaux droits pour les parents

Alors que dans l’ancienne conception de l’école, on éduquait l’enfant à l’écart de l’influence familiale, on considère actuellement que l’éducation est l’affaire de tous et que la synergie école-famille est garante d’une efficacité accrue pour la scolarité des enfants. Il y a donc eu un renversement de perspective. Pour fonctionner correctement, l’institution scolaire se tourne dorénavant vers des partenaires extérieurs au premier rang desquels les parents qui peuvent faire figures aussi bien d’alliés que « d’invisibles » lorsque des carences ou manquements sont pointés aussi bien sur les plans scolaire qu’éducatif (Lahire, 1995). Un changement de paradigme s’est donc opéré dans les relations. Aujourd’hui, c’est donc un mouvement allant vers une plus grande proximité entre l’école et les familles qui tend à s’affirmer. D’après Frédérique Giuliani et Jean-Paul Payet (2014), « la collaboration entre elles n’est plus une configuration ponctuelle, mais devient une forme hégémonique de la vie scolaire et sociale ». Le partenariat s’impose donc comme une impérieuse nécessité devant l’enjeu de réussite scolaire. Il s’agit de s’impliquer dans une relation mutuelle autour de la scolarité de l’enfant. C’est un moyen de prévenir l’échec scolaire, l’abandon, le décrochage. D’une école «sanctuaire », nous sommes donc passés à une école «ouverte»tentant de faire des parents des partenaires, et cela par l’intermédiaire de nouveaux modèles éducatifs plus démocratiques (Migeot-Alvarado, 2000). L’Education Nationale encourage depuis plusieurs décennies l’expression et l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants notamment en leur accordant de plus en plus de droits qu’ils peuvent faire valoir mais dont ils s’emparent inégalement. Il s’agit d’incorporer les familles à l’école que ce soit de façon individuelle, collective ou représentative, ce qui va permettre à l’école d’accomplir pleinement sa mission de service public d’éducation. À ce propos, François Dubet remarque que les institutions sont de plus en plus amenées à s’ouvrir, à se mettre en réseau, à tisser des partenariats et passer des « contrats » pour produire des services et des biens publics. Cela fait partie des nouvelles politiques publiques (Dubet, 2003). Quant à lui, Pierre Périer ajoute que le partenariat représente le mode de coopération que l’institution scolaire a inventé pour tenter de réguler la division du travail éducatif et la répartition des rôles entre les différents acteurs mobilisés (Périer, 2005).

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Table des matières

Introduction
I. L’école et les familles : un lent rapprochement
A. L’évolution historique de la place des familles au sein de la sphère scolaire
1. Une école historiquement réfractaire aux influences extérieures
2. Une école en mutation dans un contexte de massification du système
3. De nouveaux droits pour les parents
B. Des relations inégales selon le milieu social des familles
1. Toutes les familles s’intéressent à l’école
2. … mais certaines ont les moyens de s’impliquer
3. … alors que d’autres moins
C. Un devoir de coéducation pour les membres de la communauté éducative
1. Avec les enseignants : des relations encore perfectibles
2. Le conseiller principal d’éducation comme interface entre École et familles
II. Méthodologie de l’enquête
A. Méthode de recueil des données empiriques
B. Contexte de l’enquête : présentation des établissements
C. Description des enquêtés
III. Analyse des résultats
A. L’École, une institution qui a connu des changements
1. Jadis, des établissements fermés tels des forteresses
2. Une nette évolution de la place des parents au sein de l’École
3. Une institution qui prône la coéducation sans en donner les moyens aux acteurs de terrain
B. Des relations École – familles ponctuées par des inégalités sociales et culturelles
1. Des relations avec les familles issues de milieux favorisés « globalement faciles »
2. Des rapports distanciés avec les familles de milieux défavorisés
3. Un manque de communication de l’institution à destination des familles
C. Un triptyque École-famille-élève pas toujours évident à instaurer et à conserver
1. L’enfant / élève comme point de jonction entre deux mondes
2. Des parents admis dans l’École… à condition de ne pas trop empiéter sur son territoire
3. Le CPE, acteur central de la relation École – famille
Conclusion
Bibliographie
Annexe n°1 : entretien CPE lycée
Annexe n°2 : entretien CPE collège
Annexe n°3 : entretien enseignante lycée
Annexe n°4 : entretient enseignante collège
Annexe n°5 : entretien représentant parents lycée
Annexe n°6 : entretien représentant parents collège
Annexe n°7 : notes ethnographiques

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