Objectifs de recherche
La présente recherche fait partie d’une étude multi-méthodes plus large dont l’objectif est de mesurer de manière qualitative et quantitative l’impact des expéditions thérapeutiques sur la qualité de vie et l’ajustement psychosocial d’adolescents et d’adolescentes canadiens atteints de cancer. L’objectif spécifique de la présente étude est d’évaluer l’impact de la participation à une expédition thérapeutique sur la motivation à prendre part à une activité physique et sur le temps consacré à la pratique d’activité physique chez des adolescents âgés de 14 à 20 ans atteints d’un cancer ou en rémission.
Hypothèses et questions de recherche
Deux hypothèses ont été testées quantitativement :
1) La motivation des participants pour l’activité physique sera plus autodéterminée dans les mois suivant l’expédition thérapeutique qu’avant l’expédition.
2) La fréquence de la pratique d’activité physique des participants sera plus élevée dans les mois suivant l’expédition thérapeutique qu’avant l’expédition.
Les questions de recherche suivantes ont été explorées qualitativement :
1) De quelle façon l’expédition thérapeutique a-t-elle un impact sur la motivation à la pratique de l’activité physique?
2) De quelle façon l’expédition thérapeutique a-t-elle un impact sur la participation aux activités de plein-air?
Méthodologie
Cette recherche emploie un devis multi-méthodes comportant un volet qualitatif et un volet quantitatif. Une méthode mixte, telle que définie par Karsenti et Savoie-Zajc (2000), est une approche pragmatique de recherche dans laquelle des données qualitatives sont jumelées à des données quantitatives afin d’enrichir la méthode et les résultats de recherche et permet de contrecarrer certaines lacunes des devis quantitatifs et qualitatifs pris séparément (Creswell & Clark, 2007; Creswell & Poth, 2017). La recherche qualitative permet de connaître l’expérience subjective des individus dans leurs échanges avec l’environnement. Ainsi, la compréhension de ce qui est vécu par la personne est prioritaire. La recherche quantitative porte sur l’expérience rendue objective par la mesure de plusieurs individus dans leurs échanges avec l’environnement. Il y a donc également une recherche de sens du vécu des personnes, qui est toutefois motivée par la recherche d’explication corrélationnelle ou causale (Pinard, Potvin, & Rousseau, 2004).
Un devis mixte permet à la recherche quantitative et qualitative de se compléter et permet également à la recherche d’être la plus utile et la plus instructive possible (Zajc & Karsenti, 2000). Pour cette raison, il apparaît pertinent d’utiliser un tel devis. Les données ont été recueillies en quatre temps de mesure : deux semaines avant l’expédition (T1), deux semaines après l’expédition (T2), quatre mois après l’expédition (T3) et un an après l’expédition (T4). Les moments d’évaluation sont inspirés d’une autre étude portant sur le camping thérapeutique (Török et al., 2006).
Déroulement
Les expéditions thérapeutiques de la présente étude ont été réalisées par la Fondation Sur la pointe des pieds. Ces expéditions sont organisées depuis 1996 et plus de 200 jeunes ont eu l’occasion d’y prendre part. À chaque expédition, un nouveau lieu est déterminé et plusieurs destinations sont prévues selon l’expédition organisée.
Par contre, toutes les expéditions sont réalisées selon le même format, avec le même plan d’intervention. Celles-ci durent 10 jours et comprennent un parcours qui permet aux jeunes de se dépasser physiquement. Elles sont également une occasion pour les jeunes atteints de cancer de côtoyer d’autres jeunes qui partagent les mêmes réalités. Pour ce faire, plusieurs activités telles que la marche à pieds, le canot, le kayak, la raquette et même la motoneige peuvent être au programme. Les expéditions ont lieu deux fois par année, une à l’été et une à l’hiver. De 8 à 12 jeunes participent aux expéditions de la Fondation en même temps et il y a donc un maximum de 24 participants possible par année.
Pendant les expéditions, les jeunes doivent participer aux activités de montage et de démontage des installations de campements, de cuisine et du matériel d’expédition. Les jeunes peuvent également participer au cercle de partage, qui permet d’exprimer leur vécu auprès du groupe afin de briser l’isolement et ainsi permettre une meilleure acceptation des souvenirs et défis qui sont associés à leur maladie. Les jeunes ne sont pas obligés de s’exprimer, ni d’assister au cercle de partage. Ce genre d’activités où il y a des échanges de groupe sont animées par des intervenants formés en psychoéducation, en travail social ou en psychologie. Une équipe médicale est également sur place afin d’assurer la sécurité physique des participants. Quatre guides d’expéditions spécialisés en plein-air, un intervenant psychosocial et une infirmière accompagnent les adolescents. Afin d’assurer une véritable coupure de la famille lors du parcours, les parents ne peuvent pas entrer en contact avec les jeunes durant l’expédition. Par contre, un blogue est tenu par l’un des guides de l’expédition et les parents peuvent s’y référer pour prendre des nouvelles à distance.
Afin d’être éligibles aux expéditions de la Fondation Sur la pointe des pieds, les participants doivent être âgés de 14 à 20 ans, être atteints d’un cancer et avoir une condition physique leur permettant d’entreprendre le périple. Le recrutement des participants se fait partout à travers le Canada par le biais d’équipes médicales en oncologie affiliées à la Fondation Sur la pointe des pieds : au Québec, le Centre de santé et de services sociaux de Chicoutimi, l’Hôpital Sainte-Justine, l’Hôpital de Montréal pour enfants, le Centre universitaire de Santé de l’Estrie et le Pavillon CHUL du CHUQ; dans les maritimes, l’IWK Health Center; en Ontario, le Children’s Hospital of Eastern Ontario, The Hospital for Sick Children Toronto; en Alberta, le Calgary Health Region et en Colombie-Britannique, le BC Children’s Hospital. Avant d’être contactés par l’équipe de recherche, les participants doivent donner leur consentement à la Fondation Sur la pointe des pieds, qui envoie ensuite les coordonnées des participants à l’équipe de recherche.
Participants
Avec la collaboration de la Fondation Sur la pointe des pieds, les participants ont été initialement sollicités par courrier. Seuls les jeunes ayant donné l’autorisation de transmission de leurs coordonnées par la Fondation ont été contactés. Des lettres de recrutement et des formulaires de consentement écrits avec enveloppe préaffranchie ainsi qu’une copie signée des documents destinés aux participants ont ensuite été envoyés aux jeunes intéressés à participer à l’étude. Le consentement des parents a également été demandé. Quatre certificats cadeau de 200$ chez Mountain Equipment Co-op a été tiré au hasard parmi les participants comme compensation à la participation à chaque temps de mesure de l’étude, et ce, pour chacune des cohortes d’expédition.
Les taux de participation à l’étude sont illustrés dans le Tableau 1. Pour être inclus dans le présente étude, les jeunes devaient avoir participé à une expédition thérapeutique de la Fondation Sur la pointe des pieds et avoir donné leur consentement à participer à la recherche. Cette étude s’inscrit dans le contexte d’une étude plus large menée de 2012 à 2014 dont le taux de participation était de 74,3% (Paquette, Fortin, Crête, & Bilodeau, 2016). Toutefois, l’échantillon précis de la présente étude est seulement composé des jeunes ayant été recruté à partir de 2012. À partir de cette période, à la lumière des données préliminaires suggérant que les jeunes exprimaient ressentir un plus grand intérêt envers l’activité physique à la suite de l’expédition, deux nouveaux questionnaires relatifs à la motivation à pratiquer une activité physique (BREQ-2) et à la fréquence d’activité physique (Godin) ont été ajouté au protocole de l’étude principale. L’échantillon de la présente étude est donc composé de 42 participants issus de six groupes d’expéditions différents, dont 24 garçons et 18 filles âgés de 16,2 ans en moyenne (ÉT=1,5). L’échantillon est composé de 29 francophones (69%) et de 13 anglophones (31%). Le taux de désistement, qui représente le taux de participants qui ont abandonné leur participation au cours de l’étude, est de 20,93%. Des études menées auprès d’une population pédiatrique ayant une maladie chronique rapportent un taux de désistement moyen de 32% (Karlson & Rapoff, 2009).
Analyses
Analyses quantitatives. Des modèles mixtes à mesures répétées ont été réalisés avec l’aide du Statistical Analysis Software (SAS). Un modèle mixte (Creswell & Poth, 2017) permet de voir si les moyennes de groupe diffèrent dans le temps, de la même manière qu’une ANOVA pour mesures répétées. Cependant, le modèle mixte comporte certains avantages. Premièrement, lorsque la méthode du maximum de vraisemblance restreint (restricted maximum likelihood : REML) est utilisée, l’analyse effectue une correction pour les données manquantes à partir d’une estimation des corrélations entre les différents temps de mesure. Autrement dit, les données manquantes affectent de façon minime le résultat final, puisqu’une estimation de ce que pourraient être les données manquantes est réalisée en tenant compte des données présentes.
Deuxièmement, ce modèle a moins de conditions d’applications que l’ANOVA, il n’est donc pas nécessaire de vérifier l’homoscédasticité ainsi que la sphéricité des données. Troisièmement, ces analyses prennent en considération les variances sur plusieurs niveaux et la répétition des temps de mesure permet de pouvoir observer si un effet d’interaction existe entre les variables avec plus de puissance statistique que dans une analyse de variance classique. Par exemple, la variance dans la variable « temps » est calculée. Ensuite, à un niveau plus spécifique, la variance expliquée par la variable « participants » est prise en compte. Comme les participants sont mesurés à chaque temps de mesure, on peut dire que la variable « temps » est nichée à l’intérieur de la variable « participants ».
L’analyse permet donc de séparer ces différentes sources de variance avec plus de puissance statistique qu’une ANOVA régulière. Ces types d’analyses est fréquemment utilisées dans des domaines tels que la sociologie (e.g. Carvajal et al., 2001), l’éducation (e.g. Broekkamp et al., 2002), la biologie (e.g. Agrawal et al, 2001) la médecine (e.g. Beacon and Thompson, 1996) et la psychologie (Firth, Barkham, Kellett, & Saxon, 2015). Pour les fins d’analyses, la variable temps (4 temps de mesures) a été utilisée comme variable indépendante. Les variables dépendantes étaient les six différents types de régulations de la motivation (amotivation, régulation externe, régulation introjectée, régulation identifiée, régulation intrinsèque, régulation identifiée) le score relatif d’autodétermination et la fréquence d’activité physique.
Des variables de contrôle ont aussi été intégrées dans chacune des analyses réalisées : la cohorte d’expédition, le genre et la langue de l’entrevue. La langue d’entrevue a été introduite pour contrôler un possible effet de traduction du questionnaire qui a été administré en anglais ou en français, selon la préférence du participant.
Analyses qualitatives. Les thèmes principaux en lien avec le sujet d’étude ont été analysés avec l’aide de NVivo, version 10. Une méthode déductive a été utilisée pour coder les thèmes liés à l’activité physique et la forme physique, pour ainsi créer différentes catégories (Saldaña, 2013), qui avaient été signalées lors des analyses préliminaires du projet pilote réalisé à l’été 2011 (Paquette et al., 2013). Les thèmes qui étaient alors explorés étaient : le plaisir lié à l’expérience, la création de liens, l’estime de soi, l’apprentissage, la connaissance de soi, etc. C’est en discutant avec les participants que la décision d’introduire des questions en lien avec l’activité physique a été prise, puisque certains participants mentionnaient ce thème lorsque interrogés.
Par ailleurs, une méthode inductive a également été employée : si du contenu en lien avec la question de recherche émergeait en cours de route lors des entrevues avec les participants, celui-ci a été analysé et inclus dans l’étude. Une dimension évaluative par l’inclusion des valences positives et négatives a été ajoutée à la méthode des thématiques principales. Cela permet de tenir compte de l’appréciation des participants face à leur expérience. Cette méthode de codification est appelée « evaluation coding » (Patton, 2002).
Résultats
Données quantitatives
Le Tableau 3 présente les statistiques descriptives (moyennes et écart-type) non ajustées pour les différents temps de mesure afin de permettre les comparaisons avec les données normatives recueillies auprès d’autres populations sur les mêmes échelles. Le Tableau 4 présente les moyennes (écart-type) ajustées en fonction des variables de contrôle pour chacun des temps de mesure, ainsi que les résultats des analyses de variance visant à vérifier les hypothèses principales de l’étude.
La première hypothèse proposait que la motivation autodéterminée des participants augmenterait au terme de l’expédition thérapeutique. Les résultats révèlent un effet principal de temps sur l’échelle Relative Autonomy Index (RAI), qui mesure le niveau d’autonomie globale de la personne, F(3, 89)=2,96, p=0,037. Spécifiquement, une différence statistiquement significative est observée entre les temps 1 (avant l’expédition) et 3 (4 mois après l’expédition). Ainsi, le score d’autodétermination est significativement plus élevé 4 mois après l’expédition comparativement à avant l’expédition (différence : 1.56) tel qu’illustré à la Figure 1. Ce qui témoigne d’une augmentation de la motivation autodéterminée quatre mois suivant l’expédition. Toutefois, aucun autre effet principal n’a été détecté sur les autres variables à l’étude.
Un effet de la langue a toutefois été observé sur la régulation intrinsèque, F(3, 89)=4.19, p=0,048, entre les temps 1 et 4, et une interaction temps par langue a pu être observée en ce qui concerne l’échelle de régulation externe, F(3, 89)=2,76, p=0,047 entre les temps 1 et 4, t(89)=2,86, p=0,005. Plus précisément, le score des francophones à cette échelle diminue, tandis que celui des anglophones augmente. Pour l’échelle de motivation intrinsèque, il est possible d’observer qu’entre le temps 1 (3.09+/-0.14) et le temps 4 (3.26+/-0.10) il y a une certaine augmentation (0.19), qui est cependant seulement marginalement statistiquement significative F(3, 92)=1.27, p=0.059.
La seconde hypothèse postulait que le niveau d’activité physique augmenterait suite à l’expédition. Les résultats ne rapportent aucune augmentation significative au Godin Leisure-Time Exercise Questionnaire en fonction du temps, suggérant une absence d’augmentation significative de la fréquence d’activité physique suite à l’expédition.
Données qualitatives
L’analyse des données qualitatives a donné lieu à l’émergence de neuf thèmes qui permettent de rendre compte de ce que les jeunes ont vécu dans le domaine de l’activité physique en lien avec l’expédition : 1) le sentiment de s’être surpassé physiquement ou le désir de se surpasser, 2) l’augmentation d’un sentiment de compétence physique, 3) l’augmentation de l’intérêt ou de la motivation pour les activités de plein-air ou les activités physiques, 4) l’augmentation de l’activité physique, 5) aucun changement aux activités sportives, 6) les appréhensions sur le plan physique – deux semaines avant l’expédition, 7) le plaisir à prendre part à une activité physique, 8) l’augmentation de la forme physique, 9) aucun changement aux activités de plein-air. Le Tableau 5 présente la fréquence des thèmes à chacun des temps de mesure. Dans les prochains paragraphes, les thèmes sont présentés du thème le plus fréquemment énoncé par les participants, à celui le moins souvent nommé
Thème 1 : Sentiment de s’être surpassé physiquement ou désir de se surpasser. Quinze (n=15) jeunes ont rapporté un désir de se surpasser au sein de l’expédition lors du temps 1. Ce thème permet d’observer comment les jeunes parlent du fait qu’ils se sont surpassés, mais surtout comment ce sentiment de s’être surpassé semble avoir un impact indirect sur la motivation :
« […] je m’attends à me dépasser moi-même vu qu’on va monter une montagne […] ».
« Bien c’était surtout de voir comment j’étais au niveau physiquement là. Pis euh mentalement aussi là. Puis c’est ça essayer de me dépasser parce que j’ai jamais fait de canot-camping comme ça là ».
Thème 3 : Augmentation de l’intérêt ou de la motivation pour les activités de plein-air ou les activités physiques. Certains jeunes ne parlaient pas explicitement d’une augmentation de leur activité physique, mais soulignaient tout de même une augmentation de l’intérêt ou de la motivation à bouger davantage, que ce soit de façon générale ou dans un contexte spécifique au plein air. Plusieurs jeunes ont mentionné des contenus pouvant être liés à une augmentation de l’autodétermination, puisque ce qui ressort beaucoup, c’est le plaisir lié à l’activité physique fait au sein de l’expédition et comment ceux-ci se sentent plus motivés à reproduire ce sentiment de plaisir dans leur futur. Certains des participants décrivent une motivation qui est plus autodéterminée, et d’autres décrivent même une motivation qui est devenue intrinsèque. Au temps 2, quatre (n=4) participants abordent cet aspect :
« […] il y en a que pendant la fin de semaine de relâche, bien… La semaine de relâche, ils sont restés chez eux devant leur télévision ou leur ordinateur… En train de jouer sur le Playstation, des affaires de même puis… C’est du gaspillage que je trouve là de… Tu sais… Tu peux faire tellement d’autres choses que ça là… Mes parent me disaient tout le temps quand j’étais jeune : « va dehors », t’sais : « va jouer dehors, il fait beau », puis tout ça là, « non ça ne me tente pas ». Ça ne me tentait pas, mais j’y allais pareil là… Puis bon, je ne faisais rien, mais là tu sais je le sais là… je le vois là… Tu peux faire tellement plus qu’en restant juste devant l’écran là… Tu sais… C’est beaucoup plus vaste… On peut faire beaucoup plus de choses qu’on peut croire là, dehors… ».
« […] ça m’a fait découvrir un peu plus le plein-air. J’en avais déjà fait avant, mais… Ça m’a comme encore donné plus le goût d’en faire […] ça m’a donné le goût de faire des expéditions, sérieux. Comme refaire la même chose, je dirais. Comme surtout des expéditions de randonnée là, je dirais. Ou n’importe quelle expédition, mais… juste… aller comme… Embarquer dans quelque chose qu’on a jamais essayé ».
Au temps 3, ce sont quinze (n=15) jeunes qui ont rapporté une plus grande motivation autodéterminée. Ceux-ci abordaient encore une fois la question en termes d’attrait de la nouveauté et de l’aventure. Il semble que l’expédition leur a permis de voir les activités physiques et de plein-air sous l’angle du plaisir :
« Je crois que ça m’a fait comme envie de faire du sport, ça m’a fait vouloir faire du sport. Parce que c’est dehors, puis ouais […] le canot ce n’était pas trop dur, mais ce n’était pas trop facile. Donc c’était comme parfait, puis ça m’a donné envie de faire plus d’activité physique ».
« […] dans le fond, en étant plus active, en faisant plus de sport. Ça m’a donné le goût de plus bouger […] De plus, m’aventurer dans une excursion comme ça […] Je suis plus tentée à aller faire des affaires nouvelles comme le camping, à vivre de nouvelles expériences que je ne connais pas, mettons m’aventurer dans le bois avec du monde […] ».
« D’aller dehors, d’aller en expédition. Comme ça m’a donné le goût d’essayer des nouvelles choses, comme. T’sais c’était quelque chose que j’avais jamais fait, puis j’ai vraiment aimé ça, fait que ça me donne le goût de refaire ça ».
Enfin, au temps 4, vingt-six (n=26) jeunes ont relaté un plus grand sentiment de motivation intrinsèque en lien à l’activité physique et aux activités de plein air, expliquant ressentir un intérêt nouveau pour les activités qui demandent un effort physique. Un des extraits démontre comment une participante conçoit désormais que l’activité physique peut être agréable et que selon elle, ce n’est pas obligé d’être une expérience difficile et désagréable :
« J’en faisais autant [de l’activité physique], mais j’étais pas aussi… hmm… motivée […] j’ai vu que… hmm… Y avait des activités physique c’est… ça a pas toujours besoin d’être difficile, alors que ça peut être amusant, comme quand on est partis faire du canot. Donc… ouais ».
« Bien on dirait que je m’intéresse plus aux… Je sais pas comment dire ça, pas aux expéditions, mais aux sentiers pédestres, aux trucs comme ça. J’aime mieux aller dans la nature que d’être pris dans un gymnase […] d’être dans le bois pendant une dizaine de jours, ça a juste… ça donne le goût ».
« […] j’aimerais ça comme refaire une expédition comme ça là. Genre avant, je pensais pas que j’étais comme ce genre-là là. Ça m’intéressait pas ».
« Avant j’avais une vision du plein-air vraiment ennuyante. Mais maintenant j’aime ça. J’avais déjà participé à des expéditions de comme quelques jours avant, puis t’sais, je suis allée la semaine passée à cette expédition-là, je suis retournée parce que je savais que c’était plein-air puis j’aimais ça. Ça fait que ça a changé ma vision, c’est sûr, parce que je trouvais ça avait l’air vraiment ennuyant au début là. Je me disais : oh mon dieu, qui voudrait faire de la marche ou du kayak? Mais maintenant, j’ai un kayak à moi toute seule, donc je dirais que c’est juste le fait d’être allée, ça a changé ma perception ».
Thème 4 : Augmentation de l’activité physique. Au temps 2, un seul participant a remarqué une augmentation dans sa pratique d’activité physique, soulignant qu’il a recommencé à faire des activités qu’il faisait déjà par le passé :
« […] j’avais comme tout arrêté ce que je faisais avant : baseball, sport, tout le kit. Pis le fait d’aller là-bas, ça m’a comme donné une poussée, ça m’a inspiré. Pis, à c’t’heure, pour une fois, je recommence à faire ce que je faisais ».
Au temps 3, ce sont dix-huit (n=18) jeunes qui ont noté une augmentation dans leurs activités sportives. La plupart d’entre eux ont abordé la question en exprimant qu’ils faisaient déjà de l’activité physique avant les traitements :
« Bien, avant l’expédition, je ne faisais plus grands sports, parce que… Bien justement, j’ai le cancer, j’avais comme arrêté… mais là, il y avait beaucoup d’efforts physiques à faire, puis ça m’a comme redonné le goût, ça m’a comme donné une poussée, puis rendu chez nous, j’ai continué… ».
Parmi les 18 adolescents, d’autres ont rapporté qu’ils ne faisaient pas d’activités physiques avant et que l’expédition leur a permis de développer un intérêt pour cela :
« […] avant de faire du traîneau à chien, je n’étais pas vraiment quelqu’un qui faisait de l’activité physique. J’étais juste pas vraiment intéressé, mais après avoir fait du traîneau à chien, je me suis rendu compte que ça me faisait vraiment du bien de me sentir en forme, et que je me sentais, hum, plus réveillé le matin après avoir fait de l’exercice, puis j’ai vraiment aimé ce sentiment, donc quand je suis revenu à la maison, j’ai commencé à faire du rameur, je me suis acheté un rameur […] et j’ai commencé à faire du rameur à tous les matins, comme, à peu près 3000 mètres, pis, ouais. C’est vraiment super. J’aime vraiment ce genre d’exercice. Je n’aime pas vraiment courir ou les choses trop intenses, mais au moins d’avoir ça, ça me fait vraiment sentir bien le matin ».
Au temps 4, quinze (n=15) adolescents ont constaté qu’ils étaient plus actifs physiquement :
« Rendu là-bas j’avais pas trop le choix, fallait que je bouge. Fait que ça m’a redonné le goût mettons là. Rendu chez nous bien j’ai recommencé à faire un peu d’exercices […] j’en fais de plus en plus encore là ».
« Bien, je me suis inscrite dans une équipe de flag football, puis je fais plus de vélo qu’avant là. J’en fais vraiment, vraiment plus là, avant j’en faisais juste pour aller à l’école, maintenant j’en fais genre pour aller partout là. Genre ça aussi c’est un bon exercice, mais c’est ça, avant je faisais pas de sport […] cette année-là, j’ai vraiment, j’ai vraiment commencé à faire du sport. Mais ouais, c’est ça, le lien que je vois c’est que l’expédition c’était physique puis ça m’a… je me suis vraiment détendue, puis je pense qu’être détendue, ça donne confiance en soi, puis là bien de fil en aiguille, bien je me suis inscrite à des activités sportives puis tout ça là, à l’école ».
Discussion
La présente étude avait comme objectif d’évaluer l’impact d’une expédition thérapeutique de la Fondation Sur la pointe des pieds sur la motivation et sur le niveau d’activité physique des adolescents atteints de cancer au terme d’une expédition. Un devis mixte a été utilisé (quantitatif et qualitatif).
Motivation à faire de l’activité physique
La première hypothèse suggérait que la motivation des participants serait plus autodéterminée dans les mois qui suivraient l’expédition thérapeutique. Ainsi, une augmentation de la motivation autodéterminée était attendue, particulièrement au niveau de la motivation intrinsèque. Les analyses quantitatives ne permettent pas de confirmer la présence d’une augmentation significative de la motivation autodéterminée en raison de l’expédition, mais il demeure possible d’observer la présence d’une légère augmentation, même si celle-ci demeure marginale. Il est toutefois impossible de conclure que cette augmentation est réellement subséquente à l’expédition, puisque celle-ci pourrait être explicable par un autre facteur.
Par exemple, il est possible que la simple rémission du cancer et la fin des traitements pour certains participants contribue à les rendre plus actifs : certains d’entre eux recommencent peut-être à aller à l’école de façon régulière et prennent désormais part aux cours d’éducation physique, ce qui peut influer sur leur niveau d’activité physique et leur motivation. Néanmoins, il est possible d’observer que dans les mois qui suivent l’expédition, une tendance s’installe chez les participants : une augmentation de la motivation à faire de l’activité physique est présente, et cette motivation est plus autodéterminée, sans que cette augmentation ne soit statistiquement significative. De plus, les analyses qualitatives viennent suggérer que certains jeunes perçoivent leur participation à l’expédition comme un élément déclencheur à un recommencement pour l’activité physique ou le plein-air et l’augmentation de leur motivation.
De façon générale, certains participants rapportent un intérêt et une motivation plus grande pour les sports et pour les activités de plein-air suite à l’expédition.
L’échelle RAI (Relative Autonomy Index) démontre en effet une augmentation de la motivation autodéterminée entre le temps 1 et le temps 3. Cela signifie que lors du quatrième mois suivant l’expédition, les jeunes rapportent se sentir plus motivés de façon autodéterminée à prendre part à une activité physique qu’ils ne l’étaient deux semaines avant de prendre part à l’expédition. Cela suggère un probable impact de l’expédition thérapeutique sur la motivation autodéterminée des participants, qui se limite cependant à quatre mois après l’expérience. La même mesure prise un an plus tard ne rapporte pas un résultat significatif, c’est-à-dire entre les temps de mesure un et quatre. Il est donc possible que, chez les participants, les effets de l’expédition thérapeutique sur la motivation à pratiquer une activité physique ne soient pas durables dans le temps pour tous les participants et que certains d’entre eux observent une diminution de leur motivation.
Cela pourrait aussi s’expliquer par le fait que parmi les participants, certains peuvent retourner en traitement. En effet, chaque participant a un vécu qui diffère et, si certains jeunes se rétablissent et redeviennent fonctionnels, d’autres continuent à lutter contre la maladie. Cette réalité peut avoir un potentiel impact sur les résultats en lien avec la motivation autodéterminée des participants, qui doivent dans certains cas composer de nouveau avec la maladie et les traitements. Par ailleurs, de façon générale, la motivation autodéterminée des participants de la présente étude est, à la base, supérieure à des populations ayant des limitations physiques, issues d’autres études utilisant le BREQ-2 pour mesurer la motivation autodéterminée (Brunet et al., 2013; Finnegan et al., 2007; Milne et al., 2008).
Dans un cas, une étude utilisant le Treatment Self-Regulation Questionnaire-Physical Activity TSRQ-PA démontre que les participants atteints de cancer ont généralement une plus faible motivation autodéterminée qu’une population en santé (Wilson et al., 2006). Cela pose un questionnement en lien avec l’échantillon de la présente étude : peut-être que les participants étaient à la base plus motivés de façon intrinsèque à faire de l’activité physique, et peut-être que les individus qui décident de s’engager dans une expédition thérapeutique sont des individus qui présentent initialement un plus grand désir de pratiquer une activité physique.
Il est possible d’observer que plusieurs participants expriment avoir un sentiment de compétence qui découle de l’expédition : lorsqu’ils participent à l’expédition, les participants semblent pouvoir mettre à l’épreuve leurs capacités physiques et la plupart d’entre eux rapportent qu’ils ont davantage de capacités qu’ils ne le croyaient avant. En ce sens, le sentiment de compétence physique qui émerge au terme de l’expédition semble être un élément non négligeable de la présente étude, puisque ce sentiment de compétence est intimement lié à l’autodétermination (Laguardia & Ryan, 2000). Les résultats de la présente étude ne permettent pas clairement d’appuyer cela, mais un sentiment de compétence élevé a une influence positive sur l’autodétermination. Ainsi, on peut voir que les expéditions permettent aux jeunes de retrouver un sentiment d’utilité et de compétence physique, et cela a un impact direct sur la motivation autodéterminée, ce qui va dans le sens des études en lien avec la théorie de l’autodétermination (Laguardia & Ryan, 2000; Ryan & Deci, 2000).
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Table des matières
Liste des tableaux
Liste des graphiques
Remerciements
Introduction
Contexte théorique
Effets du cancer sur le développement de l’adolescent
L’activité physique chez les personnes atteintes de cancer
L’activité physique, la motivation et théorie de l’autodétermination
Les expéditions thérapeutiques chez les adolescents atteints d’un cancer
Programme de la Fondation Sur la pointe des pieds
Objectifs de recherche
Hypothèses et questions de recherche
Méthodologie
Déroulement
Participants
Instruments
BREQ-2
Godin Leisure-Time Exercise Questionnaire
Marlowe-Crowne Social Desirability Scale
Entrevue qualitative
Analyses
Analyses quantitatives
Analyses qualitatives
Résultats
Données quantitatives
Données qualitatives
Thème 1 : Sentiment de s’être surpassé physiquement ou désir de se surpasser
Thème 2 : Augmentation d’un sentiment de compétence physique
Thème 3 : Augmentation de l’intérêt ou de la motivation pour les activités de plein-air ou les activités physiques
Thème 4 : Augmentation de l’activité physique
Thème 5 : Aucun changement aux activités sportives
Thème 6 : Appréhensions sur le plan physique
Thème 7 : Plaisir à prendre part à une activité physique
Thème 8 : Augmentation de la forme physique
Thème 9 : Aucun changement aux activités de plein-air
Discussion
Motivation à faire de l’activité physique
Interaction temps par langue de la sous-échelle de régulation externe
Différence de score à l’échelle de régulation intrinsèque pour les francophones
Augmentation du niveau d’activité physique
Influence du type d’activité physique lors de l’expédition
Le rôle de la satisfaction des besoins psychologiques
Limites et conclusion
Références
Annexe A – Questionnaires quantitatifs en français
Annexe B – Questionnaires quantitatifs en anglais
Annexe C – Questionnaire qualitatif en français
Annexe D – Questionnaire qualitatif en anglais
Annexe F – Approbation éthique
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