Selon le Ministère de l’Education Nationale (MEN, 2007), quatre écoliers sur dix, soit environ 300 000 élèves, sortent chaque année de l’école primaire avec de graves lacunes : près de 200 000 d’entre eux ont des acquis fragiles et insuffisants en lecture, écriture et calcul. L’un des objectifs prioritaires de l’école primaire est la prévention précoce des difficultés dans les apprentissages fondamentaux. Le dernier rapport sur l’école primaire du Haut Conseil de l’Education (2007) souligne que les difficultés – identifiées dès le début de la scolarité obligatoire – s’aggravent avec le temps et seraient prédictives de faibles chances de réussite ultérieure (Caille, 2004). Pour y remédier, précocement, des mesures d’aide sont proposées aux élèves. Les plus fréquentes sont le redoublement d’une classe – malgré les injonctions diverses du ministère pour le rendre exceptionnel – et le suivi par le Réseau d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté (RASED) (Piquée, 2007 ; Troncin, 2005). Ces difficultés, pour les plus jeunes d’entre eux, se situent principalement dans la maîtrise du langage écrit. Aussi le niveau en lecture occupe une place importante dans les décisions pédagogiques. Contrairement au RASED, le redoublement au cours de la scolarité obligatoire a fait l’objet de nombreuses études dans différents pays, y compris la France. Elles concernent principalement des enfants en fin d’école primaire ou au collège. Ont notamment été étudiés : son équité, son coût pour le système éducatif, son efficacité ou son inefficacité pour les progrès individuels des élèves et les résultats généraux de différents systèmes éducatifs (à la lumière des comparaisons internationales de pays ayant des pratiques différentes en la matière).
Au vu de ces travaux, le redoublement semble inéquitable et inefficace. Il amplifierait les inégalités et plus il interviendrait tôt dans la scolarité, plus il serait prédictif de faibles chances de réussite ultérieure, et moins il favoriserait les acquisitions. De tels résultats sont d’autant plus préoccupants que l’école primaire est cruciale pour l’acquisition et la maîtrise du socle commun. Selon Cosnefroy et Rocher (2005), si une année supplémentaire s’avère inefficace ou « neutre » en terme de progression des élèves, elle n’en reste pas moins stigmatisante. Une étude réalisée auprès de collégiens (Leboulanger, 1995) montre que le redoublement modifie la représentation que les élèves ont d’eux-mêmes et du « métier d’élève ». Chez la moitié d’entre-eux l’estime de soi s’est détériorée un an après le redoublement. De nombreux auteurs considèrent que l’estime de soi est une dimension conative directement impliquée dans l’évolution des apprentissages scolaires et en particulier ceux de l’écrit (Chapman, Tunmer, & Prochnow, 2000 ; Fadhel, 2000 ; Giasson, 1990 ; Prêteur & Louvet-Schmauss, 1994 ; Siaud-Facchin, 2005). Ces différents travaux de recherche nous amènent à penser que l’estime de soi médiatiserait les effets négatifs du redoublement sur les acquisitions scolaires. A notre connaissance, cette question, en tout début de scolarité obligatoire, n’a jamais été traitée jusqu’à présent. L’une des raisons est très certainement qu’il est difficile d’évaluer l’estime de soi chez les jeunes enfants. D’ailleurs, nous ne disposons pas, en France, d’outils d’évaluation de l’estime de soi utilisables auprès d’enfants de moins de neuf ans. Lorsque l’on sait qu’un redoublement en début de scolarité prédit généralement une sortie sans qualification du système éducatif, il importe d’évaluer l’impact des mesures d’aide et des décisions pédagogiques, à ce niveau scolaire, sur l’estime de soi. Cette dimension conative étant fortement impliquée dans les processus d’apprentissage de l’écrit, elle ne peut être ignorée dans le traitement de la grande difficulté scolaire à ce niveau du cursus. De plus, si les études au sujet du redoublement sont nombreuses, celles concernant le RASED le sont beaucoup moins et amènent à se demander si ce dispositif pédagogique produit les mêmes effets. Enfin, au vu de l’importance accordée à la maîtrise de la lecture en tout début d’apprentissage, nous prenons le parti d’examiner ce phénomène chez des élèves de CP-CE1 sous l’angle des acquisitions en lecture.
L’échec scolaire au sein du système éducatif français
Aujourd’hui, il est admis qu’il est possible d’agir efficacement contre l’échec scolaire en intervenant le plus tôt possible auprès des élèves en difficulté. L’un des objectifs prioritaires de l’école primaire est la prévention précoce des difficultés dans les apprentissages fondamentaux. Il sera alors question dans un premier temps du traitement de l’échec scolaire. Nous verrons notamment quelles sont les mesures d’aide proposées aux élèves en difficultés. Dans un deuxième temps, nous traiterons de l’efficacité et de l’équité de ces mesures. Cependant, nous verrons qu’aujourd’hui la plupart des études se sont intéressées uniquement au redoublement. Enfin, nous aborderons la question du jugement de l’enseignant afin de comprendre comment se décide l’échec scolaire et quels sont ses effets sur les élèves.
Le traitement de l’échec scolaire en France
Définition de l’échec scolaire
La notion d’échec scolaire ne fait pas l’objet d’une définition consensuelle car d’unepart, l’échec scolaire dépend d’une culture et du système d’enseignement au sein duquel il se produit et d’autre part, cette notion n’est pas stable car elle dépend du moment historique considéré (Best, 1997). Ainsi, en Angleterre ou en Irlande du Nord, compte tenu notamment de l’organisation du système éducatif, la notion d’échec scolaire s’exprime par le concept d’ « under-achieving » qui correspond à la situation d’un élève ne parvenant pas à réaliser ses capacités individuelles. Dans les pays scandinaves, l’échec scolaire est défini par le manque d’épanouissement personnel ou par l’arrêt dans le progrès individuel. En France, c’est une notion relativement récente puisqu’elle date des années 60 (Isambert-Jamati, 1992). Elle a longtemps concerné les enfants issus de familles bourgeoises qui, destinés à faire de longues études, n’y arrivaient pas. Depuis la loi d’orientation de 1989 et le principe d’égalité des chances dans le système scolaire, l’idée que tous peuvent réussir s’est imposée : l’échec scolaire peut désormais concerner les enfants de tous les milieux socio-économiques. Les études concernant l’échec scolaire se sont alors multipliées tout comme les critères pour le définir. Selon Best (1997), l’échec scolaire peut être défini par des critères purement scolaires : les retards dus aux redoublements, les sorties sans qualification du système éducatif, les orientations en éducation spécialisée et les résultats obtenus aux évaluations nationales. Pour Chauveau (1996), le terme d’échec scolaire recouvre six types de problèmes tels les difficultés d’adaptation à la structure, les difficultés d’apprentissage, les orientations négatives (redoublement), le non-accès au lycée ou à l’enseignement supérieur, les difficultés d’insertion professionnelle et sociale et l’absence de certification scolaire. Plus généralement, De Landsheere (1992, p. 91) définit l’échec scolaire comme « la situation où un objectif éducatif n’a pas été atteint ». Dans la même optique, selon Inizan (1992), l’échec scolaire implique que le niveau d’acquisition scolaire d’un enfant soit inférieur au niveau fixé par les objectifs de l’enseignement pour son âge. Ces définitions permettent de considérer qu’un élève est en échec scolaire lorsque son niveau de compétence réel est en décalage avec les objectifs définis par le système éducatif. Aujourd’hui, on préfère la notion de difficulté scolaire ou de grande difficulté scolaire à celle d’échec scolaire pour désigner l’écart entre les performances réelles des élèves face et les objectifs fixés par l’école. Mais si l’on considère qu’un élève répondant à l’un des critères cités précédemment, est en échec scolaire ou en grande difficulté scolaire, ce terme peut alors aussi bien qualifier un élève ayant des difficultés scolaires en CP, qu’un adulte en difficulté d’insertion professionnelle. Lorsque l’on sait qu’un des objectifs de l’école est d’amener 100% des enfants à la réussite et que chaque année, en France, les élèves sont confrontés à des objectifs spécifiques à leur niveau scolaire, on peut se demander combien se sont retrouvés en position d’échec scolaire à un moment donné de leur scolarité. Cependant, la quantification des élèves en difficulté scolaire est délicate à effectuer. Selon Hussenet et Santana (2004) elle dépend du critère pris en compte (évaluation bilan de fin de 3 ème, notes obtenues au diplôme national du brevet, sorties sans qualification et difficultés face à l’écrit) et peut ainsi varier, en France, de 4% à 20%, ce qui offre une étendue considérable. Afin de traiter l’échec scolaire ou la grande difficulté scolaire, un certain nombre de mesures d’aide sont proposées aux élèves.
Le maintien ou redoublement
Afin de mieux comprendre les propos qui vont suivre, il nous semble pertinent de préciser que l’organisation du cheminement au sein du système éducatif français est régie par la Loi d’Orientation sur l’éducation de 1989. La scolarité primaire est organisée en trois périodes identifiées par trois cycles d’une durée de deux ans pour le premier cycle et de trois ans pour les deuxième et troisième cycles. Le cycle des apprentissages premiers (Cycle I) est constitué des Petites et Moyennes Sections de l’école Maternelle. Ce cycle peut être parcouru de manière variable, l’entrée à l’école maternelle restant du libre arbitre des familles. Le cycle des apprentissages fondamentaux (appelé Cycle II) est constitué de la Grande Section Maternelle (GSM), du Cours Préparatoire (CP) et du Cours Elémentaire niveau 1 (CE1). Le cycle des approfondissements (appelé Cycle III) est constitué du Cours Elémentaire niveau 2 (CE2), du Cours Moyen niveau 1 (CM1) et du Cours Moyen niveau 2 (CM2). Pour chacun de ces cycles, des objectifs pédagogiques sont définis, qui correspondent aux compétences à acquérir liées aux apprentissages disciplinaires, à la maîtrise de la langue française, aux acquisitions d’ordre méthodologique ainsi qu’aux attitudes et aux comportements.
Le redoublement est utilisé en France pour remédier aux difficultés d’apprentissage des élèves. D’après Boissy (2005, p. 177-229), le redoublement est synonyme du terme « maintien ». Il se définit comme le prolongement d’une année supplémentaire pour les élèves qui n’ont pas acquis les apprentissages exigés en fin de cycle. Aujourd’hui, même si les études emploient toujours ce terme, dans le système éducatif on ne parle plus de redoublement car l’élève en difficulté doit bénéficier d’un Programme Personnalisé de Réussite Educative (PPRE) qui vise à lui donner les moyens de combler ses lacunes. Ainsi, le développement de dispositifs collectifs ou individualisés d’aide aux élèves diminuerait le nombre de maintiens. Le redoublement a vu le jour avec un mode d’organisation des apprentissages. Il est lié à un rythme d’apprentissage théorique imposé aux élèves regroupés au sein d’un même groupe pédagogique – la classe – qui doivent assimiler le même ensemble de connaissances dans un laps de temps identique : l’année scolaire (Paul & Troncin, 2004). Par ailleurs, la loi d’orientation de 1989 instaure un seul maintien pendant l’école primaire. Le maintien au CP doit rester exceptionnel mais il se justifie pour des enfants nouveaux-arrivants (enfants de migrants ne maîtrisant pas la langue française ou inscrits pour la première fois en école maternelle) qui se seraient d’abord heurtés à l’apprentissage du français. De plus, le maintien doit s’effectuer en fin de cycle (GSM, CE1, CM2). Ainsi, le taux de redoublement est en baisse depuis quelques années.
Le redoublement, une pratique en régression
La fréquence des redoublements est en baisse depuis quarante ans. Il est passé de 52% en 1960 à 37% en 1980 et a diminué depuis pour atteindre 19,5% en 2000, et ce à tous les niveaux du système éducatif (Seibel & Levasseur, 1983 ; Seibel, 1984; Troncin, 2004. Cependant, cette diminution se situe surtout dans le premier degré (Troncin, 2004). En effet, alors que plus de la moitié des élèves de CM2 était en retard en 1960 (dont près de 20% avaient deux ans de retard ou plus), après l’instauration de la politique des cycles, en 1990, c’est le cas de plus du quart d’entre eux (avec un peu plus de 5% ayant deux ans de retard ou plus). En 1999, les retards de deux ans ou plus sont devenus très rares et concernent un peu plus de 1% des élèves. Par ailleurs, la politique des cycles aurait permis de diminuer le nombre de maintien au CP. En 1960, alors que 20% des élèves de CP étaient âgés de 7 ans, en 1999 ils n’étaient plus que 7% (cf. Education et Formation n°66, 2003). Si les redoublements sont aujourd’hui toujours concentrés en début de scolarité, ils se répartissent de manière relativement équilibrée entre le CP et le CE1 : 6% des élèves redoublent la première classe, 7% la seconde (RERS, 2008). Toutefois, la pratique du redoublement reste importante. Bien que la réforme des cycles ait permis une baisse sensible du redoublement, cette dernière n’est pas toujours appliquée et certains élèves redoublent encore le CP ou une autre classe de milieu de cycle. Une étude de Caille (2004) a permis de mesurer l’ampleur de ce phénomène à partir des panels d’élèves de la DEP en 1989 et 1995. Ainsi, il note que la France se classe parmi les pays européens qui ont le taux de redoublants le plus élevé : 67% des élèves entrés en sixième en 1989 ont redoublé au moins une fois du CP à la terminale (Caille, 2004). La baisse du redoublement est bien sensible mais touche encore près d’un élève sur deux en France. Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le redoublement pratiqué dans ce pays à tous les niveaux de l’enseignement n’est pas également utilisé en Europe.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Chapitre 1 : L’échec scolaire au sein du système éducatif français
1. Introduction
2. Le traitement de l’échec scolaire en France
2.1. Définition de l’échec scolaire
2.2. Le maintien ou redoublement
2.2.1. Le redoublement, une pratique en régression
2.2.2. Hétérogénéité du redoublement
2.2.3. Organisations des systèmes scolaires et politiques de passage en classe supérieure
2.2.4. Différences de performance entre les pays qui pratiquent le redoublement et les pays qui pratiquent le passage automatique
2.2.5. Performances scolaires en Angleterre et en France
2.2.6. Impact du redoublement sur les aspects motivationnels
2.3. Les Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté (RASED)
2.4. La classe d’adaptation (CLAD)
2.5. Le regroupement d’adaptation (RA)
2.6. Les classes d’intégration scolaire (CLIS)
2.7. Des structures spécialisées et le secteur médico-éducatif
2.8. Conclusion
3. Efficacité et équité des actions conduites contre l’échec scolaire
3.1. Efficacité du redoublement
3.1.1. Le redoublement ne favorise pas les acquisitions scolaires
3.1.2. Redoublement et trajectoire scolaire : prédiction de faibles chances de réussir
3.1.3. Le redoublement amplifie les inégalités
3.2. Equité du redoublement
3.3. Efficacité et équité des dispositifs de prévention
4. Le jugement des enseignants
4.1. Exactitude des jugements des enseignants
4.2. La construction du jugement scolaire
4.3. Les effets du jugement de l’enseignant sur les perceptions de soi des élèves
4.4. Evaluation des enseignants et trajectoires scolaires
4.5. Evaluation des enseignants et performances en lecture
4.6. Jugement de l’enseignant et facteurs les plus prédictifs des performances ultérieures
5. Conclusion
Chapitre 2 : L’apprentissage de la lecture et ses difficultés
1. Introduction
2. Les mécanismes nécessaires à la lecture
2.1. Identification des mécanismes
2.2. Description des mécanismes
2.2.1. L’identification des mots écrits
2.2.2. La compréhension
3. Apprentissage de la lecture
3.1. Les modèles d’apprentissage de l’identification du mot écrit
3.2. Le modèle de compréhension en lecture de Giasson (1990)
3.3. L’enseignement de la lecture
4. Les difficultés d’apprentissage de la lecture
4.1. Les bons et les mauvais lecteurs
4.2. La proportion d’élèves en grande difficulté
4.3. Les difficultés à l’aube de l’apprentissage de la lecture
4.4. Les difficultés spécifiques à la lecture
4.4.1. Les difficultés de traitement des mots écrits
4.4.2. Problèmes de gestion et d’intégration des informations de plus haut niveau
4.5. Les difficultés rencontrées face aux spécificités de la lecture en langue française
4.6. Les facteurs liés aux difficultés d’apprentissage de la lecture
5. Conclusion
Chapitre 3 : L’estime de soi et la réussite scolaire
1. Introduction
2. Définition, structure et principales caractéristiques de l’estime de soi
2.1. Différents concepts associés au soi
2.2. Problème de définition : Estime ou concept de soi
2.2.1. Le concept de soi
2.2.2. L’estime de soi
2.3. L’évolution des approches structurales
2.4. Les caractéristiques de l’estime de soi
3. Développement de l’estime de soi
3.1. Les principaux facteurs influençant l’estime de soi
3.1.1. La perception des compétences propres
3.1.2. Les interactions sociales
3.1.3. L’environnement familial
3.1.4. L’environnement scolaire
3.1.5. Effet de l’âge
3.2. Les théories du développement de l’estime de soi
3.2.1. Le développement de l’estime de soi selon L’Ecuyer
3.2.2. Le développement de l’estime de soi selon Harter
3.2.3. Le développement de l’estime de soi selon Marsh
3.3. Les limites des échelles d’estime de soi destinées aux enfants
4. Relation entre la réussite scolaire et l’estime de soi
4.1. Estime de soi et résultats scolaires des élèves
4.2. Estime de soi et performances en lecture
4.3. Estime de soi et contexte scolaire
4.4. Sens de la relation entre estime de soi et performance scolaire
5. Conclusion
Chapitre 4 : Problématique générale et hypothèses
CONCLUSION