Une question d’argent
Le prix d’un produit est un élément déterminant pour la vente de celui-ci. Dans le domaine des équipements de souveraineté, le prix peut très vite grimper du fait d’un retard dans le programme de recherche et développement ou une augmentation du prix dû au traitement des obsolescences en particulier des composants électroniques… Pour le Rafale, on a pu lire dans la presse qu’il était trop cher par rapport à ses concurrents et qu’on ne le vendait pas principalement à cause de ça. Nous allons voir en effet que le Rafale est un avion coûteux mais qui vaut son prix et que cette question de financement n’est pas un problème insurmontable.
Une polyvalence qui coûte cher
Le Rafale a été conçu comme un avion polyvalent. En 1986, il était l’avion le plus abouti sur le plan technologique. La France avait réussi à rattraper son retard sur les américains mais tout ceci à un coût.
Un prix élevé malgré un programme de développement économe.
Le prix d’un avion de combat est calculé en fonction du coût de production de l’appareil, des dépenses de fonctionnement de l’entreprise (salaires des techniciens, amortissement des engins de la chaine de montage …) et aussi en fonction du coût du programme de recherche et développement qui englobe la construction d’avions prototype, tous les travaux de recherche effectués en amont avant même la construction du premier prototype ainsi que toutes les phases de test au sol et en vol de l’appareil avant sa mise en service. Une fluctuation des prix sur le marché des matières premières ou du retard dans la phase de recherche et développement entraine automatiquement une augmentation du prix.
Or, le programme de développement du Rafale s’est passé sans problèmes notoires contrairement à d’autres appareils qui ont connu des soucis notamment sur les commandes de vol électriques (crash d’au moins un Gripen, et également de plusieurs Typhoon à cause d’une défaillance des commandes de vol). Le programme de développement du Rafale n’a donc pas connu de retard autre que des interruptions du programme de développement pour des raisons de restrictions budgétaires, il a en effet duré 10-15 ans du début des années 80 au milieu des années 90. Le prix du Rafale n’a donc pas souffert d’un problème majeur qui aurait retardé sa mise en service. Le fait que le prix du Rafale soit si élevé (La France achète ses Rafales environ 50 millions d’euros l’unité (ce pris annoncé intègre t’il celui des équipements « B » comme le radar de Thales ?) et le propose à l’exportation entre 70 et 100 millions d’euros l’unité) réside notamment dans son avionique à la pointe de la technologie.
Un prix à la hauteur de ses performances mais un prix toujours trop élevé.
Le Rafale est une véritable vitrine technologique, commandes électriques, radar à balayage électronique, système d’optronique, un système d’armement qui permet de basculer d’une mission de supériorité aérienne à une mission de destruction de cibles au sol sans changer sa configuration de vol, un fuselage en matériaux composites qui rend l’avion plus léger et possédant une relative furtivité … Tous ces systèmes font du Rafale un avion polyvalent très performant, probablement le plus performant de sa génération. Mais tout ceci a un prix qui reste très élevé par rapport à ces concurrents directs, le Gripen qui se négocie vers les 30 millions d’euros et le Super Hornet qui coute entre 50 et 70 millions d’euros l’unité. De plus, l’entretien du Rafale se trouve être très onéreux, l’heure de vol revient à 39000 euros lorsque ses concurrents présentent une facture deux voire trois fois inférieure. L’avion de Dassault se trouve donc être un appareil très onéreux à l’achat du fait de son équipement sophistiqué qui a nécessité énormément de travail de recherche et de développement afin que le Rafale soit le plus performant possible ; et le Rafale est un avion qui coûte aussi très cher en entretien ce qui joue plutôt en défaveur de l’appareil français. Ce qui est paradoxale c’est que le prix du Rafale pourrait être revu à la baisse s’il était produit en plus grande quantité ce qui permettrait d’étalonner les coûts de la recherche et développement sur un nombre plus grand d’appareil. Or, pour l’instant le Rafale n’a qu’un seul client, la France dont le marché ne suffit pas à réduire le prix du Rafale à l’exportation.
Un isolement qui coute cher
A ses prémices le programme Rafale ne devait pas être un programme franco-français.
A cette époque, on discutait beaucoup de la création d’un avion européen. Les discussions se sont éternisées et la France a décidé de lancer son propre programme d’avion de combat qui intéressait aussi l’Espagne. Finalement, l’Espagne a rejoint la Grande Bretagne, l’Allemagne et l’Italie qui lancèrent le programme de l’Eurofighter Typhoon et la France lança le Rafale. En se séparant de ses homologues européens, la France s’est aussi interdit de vendre son avion de combats sur un marché plus vaste que le seul marché français.
La faiblesse du marché français
La solution pour baisser le prix du Rafale, nous l’avons vu, serait de le produire en plus grande quantité, or, le marché français ne permet pas une telle production.
Contrairement au Rafale, le Typhoon, même si son développement a été beaucoup plus laborieux que celui du Rafale, peut s’appuyer sur un marché beaucoup plus important vu qu’il est le fruit de la collaboration de quatre États (Grande Bretagne, Italie, Espagne, Allemagne) qui ont tous commandé plusieurs dizaines voire centaines d’avions chacun afin de renouveler leurs parcs aéronautiques. Le Typhoon peut alors s’appuyer sur un marché interne fort afin d’être proposer à l’exportation à un prix raisonnable. De même, les USA achètent en masse leurs propres avions parce qu’ils en ont les moyens et aussi parce qu’ils en ont besoin. Ils s’appuient sur leur propre marché pour proposer des avions abordables à l’exportation et sur certains marchés les américains n’hésitent pas à faire du dumping. Cette pratique est théoriquement interdite par l’OMC, mais les équipements de sécurité et de souveraineté sont en dehors de ces accords. Il en est de même pour la Russie, et cela sera aussi le cas pour la Chine avec le J-10.
Un isolement en partie due à la mondialisation
Pendant la guerre froide, la géopolitique était plus simple. On avait deux camps face à face, les occidentaux qui se sont réunis sous l’égide de l’OTAN, et l’Union Soviétique qui regroupait tous les États du pacte de Varsovie. Les États-Unis fournissaient son matériel aux occidentaux et L’URSS fournissait tous les États du pacte de Varsovie et autres États communistes de la planète. Le marché pour le matériel français était évident, il était représenté par les États qui étaient non affiliés à l’un des deux blocs. D’ailleurs, la France a très bien vendu les Mirage III, Mirage F1 et Mirage 2000 à l’étranger. Le Mirage 2000 possédait un rapport qualité-prix plus intéressant que celui des concurrents de l’époque. On aurait pu croire qu’avec la fin de la guerre froide de nouveaux marchés
allaient apparaître et profiterait à la France pour vendre le Rafale, or, s’il y a en effet eu de nouveaux marchés qui se sont ouverts. Ce sont les USA qui en ont profité d’une part parce qu’ils ont mieux appréhendé l’entrée dans cette phase de mondialisation mais également parce que la fin de la guerre froide signifiait pour eux la perte d’un adversaire qui leurs permettait d’écouler leur matériel. Paradoxalement, la France a mieux vendu ses avions pendant la guerre froide où les clients potentiels étaient peu nombreux, que dans une phase de mondialisation où les marchés se sont multipliés. La France n’a tout simplement pas su faire face à la concurrence européenne et américaine.
L’euro, une monnaie non adaptée à l’exportation
L’euro est aujourd’hui la deuxième monnaie au monde juste derrière le dollar qui reste la monnaie la plus utilisée dans les transactions économiques. La France est entrée dans l’euro le 1 janvier 1999. L’euro a, aujourd’hui, une valeur plus forte que le dollar puisque 1 euro équivaut à 1,4463 dollars, alors qu’à sa mise en service l’euro valait un peuplus d’un dollar et quelques mois après il était même descendu à 0,87 dollar.
Le conflit euro / dollar
A l’entrée en vigueur de l’euro, le dollar était toujours plus fort que l’euro, aujourd’hui l’euro est plus fort que le dollar. L’intérêt d’une monnaie forte comme l’euro aujourd’hui est que cela permet d’augmenter le pouvoir d’achat et relancer la consommation en achetant des produits dont la devise est faible. De plus, cela permet de limiter les variations du prix du baril de pétrole qui lui est en dollar. Cependant, une monnaie faible permet de renforcer la compétitivité des produits destinés à l’exportation. Dans un entretien accordé à la chaîne d’information I-télé, Serge Dassault propriétaire de Dassault aviation pointe l’euro comme étant la cause de l’échec, à l’heure actuelle, à l’exportation du Rafale indiquant que « On vend plus cher que les Américains de 30%», à cause des taux de changes » et « On a des difficultés parce qu’on a une compétition énorme avec les Anglais, les Américains, et surtout le problème du prix: on est trop cher, on est plus cher ». Sur ce point Serge Dassault a raison, il suffit de regarder le cours du dollar pour s’apercevoir que le dollar est en effet inférieur à l’euro de 40%.
La solution préconisée par Serge Dassault : une dévaluation de l’euro
Pour remédier à ce problème d’un euro trop fort par rapport au dollar empêchant ainsi de proposer un avion aux tarifs plus compétitifs sur le marché de l’exportation Serge Dassault préconise une solution simple et radicale : la dévaluation de l’euro. La dévaluation de l’euro permettrait en effet de rendre le Rafale plus compétitif à l’exportation du fait de la diminution de son prix. De plus, cela engendrerait une reprise de la croissance économique des États de la zone euro qui seront plus attractifs pour les investissements de capitaux étrangers ainsi qu’une reprise de la consommation. A noter que le pouvoir d’achat à l’intérieur de la zone euro ne serait pas non plus touché. Cependant, les importations seront plus chères et provoqueront une baisse de la consommation des produits provenant d’États en dehors de la Zone euro. Cette perspective pourrait ainsi ouvrir de nouveaux marchés pour le Rafale en Europe. Toutefois, le manque de succès du Rafale à l’exportation ne peut pas être expliqué seulement par une monnaie trop forte. En effet, des entreprises comme Airbus ou Eurocopter connaissent un grand succès à l’exportation alors qu’elles sont aussi soumises aux mêmes fluctuations de l’euro. L’Eurofighter Typhoon fait face au même problème du taux de change de l’Euro, et a néanmoins remporté des marchés d’Exportation, Le prix du Rafale est l’une des raisons pour lesquelles il ne s’est pas encore vendu à l’étranger, toutefois, cet obstacle est loin d’être insurmontable. La situation économique actuelle de l’Europe et de la zone euro pourrait aboutir à une dévaluation de l’euro qui serait un point positif pour l’exportation du Rafale qui pourrait être alors produit en plus grande quantité et ainsi proposer des prix encore plus compétitifs. Toutefois, cette question d’argent n’est pas le seul problème auquel doit faire face l’avion de Dassault.
Le Rafale, un appareil adapté à la France
Le Rafale est un appareil conçu pour répondre avant tout aux besoins de la France.
Il est destiné à remplacer tous les avions de combats français. Mais les besoins de la France ne s’accordent pas forcément avec les besoins d’États étrangers désireux d’acquérir un avion de combat…
Le Rafale un avion à la clientèle restreinte
Le Rafale sait tout faire, il a été conçu pour faire la guerre, être présent aussi bien pour défendre le territoire national que pour des opérations extérieures comme en Afghanistan ou en Libye. Un État va acheter un Rafale s’il compte s’en servir, intervenir sur des théâtres d’opération. Il serait assez improbable qu’un État dépense plusieurs milliards d’euros pour quelques Rafales si ses intentions ne sont pas de s’en servir, au prix que coûte le Rafale, il faut rentabiliser l’achat. Le Rafale s’adresse à des États développés qui souhaitent renouveler leur parc aéronautique, comme la Suisse qui doit remplacer ses F-5 Tiger vieillissants, parce que ces États vont pouvoir utiliser tout le potentiel du Rafale; ou alors le Rafale va s’adresser à des États émergents, qui s’affirment petit à petit comme véritable puissance économique et militaire mondiale, comme l’Inde ou le Brésil. Les autres États, notamment les États en voie de développement n’ont pas l’utilité d’un avion de combat tel que le Rafale et n’ont de toute façon pas les moyens de l’acheter. Cependant, l’Ouganda a récemment acheté des Soukhoï SU-30 qui sont un avion très performant notamment par rapport aux arsenaux des pays qui l’entourent. Il ne faut donc pas non plus fermer totalement la porte aux Etats en voie de développement.
Des standards non adaptés à l’exportation
Nous l’avons vu, la clientèle du Rafale est plutôt restreinte et doit faire face à une concurrence féroce sur les quelques marchés qui restent encore ouverts. De plus; il n’existe pas de version du Rafale dédiée seulement à l’exportation. Il est vrai que la plupart de ses concurrents ne présente pas non plus une version spéciale exportation mis à part le F-16 dont la dernière mouture est réservée à l’exportation. Cependant, le Super Hornet s’appuie sur son prédécesseur le F-18 Hornet qui s’est très bien vendu à l’étranger.
Il existe trois standards pour le Rafale (F1, F2, F3) qui sont trois standards adaptés aux besoins opérationnels de la France. Or, les besoins opérationnels de la France ne sont pas forcément les mêmes que ses homologues. La solution pourrait être alors de proposer à la vente seulement la plateforme du Rafale et laisser à l’acheteur le choix des équipements qu’il souhaite à bord. La capacité de lancer un missile nucléaire est interdite aux états signataires du TNP, le système OSF (Optronique Secteur Frontal) n’est pas indispensable non plus. Une version « allégée » du Rafale, similaire à ce qu’était le Mirage 5 par rapport au Mirage IIIE, pourrait être envisagée afin de proposer un appareil moins cher qui pourrait toucher une clientèle plus importante que la clientèle actuelle du Rafale, une clientèle qui n’a pas besoin d’un appareil ultra-performant.
Le Rafale est un avion performant mais son prix est élevé et il n’est pas forcément adapté aux besoins de ses potentiels clients. D’autres éléments comme la publicité et l’influence politique sont aussi capitales et peuvent décider de l’issu d’un marché. Or nous allons nous apercevoir que dans ces deux domaines, la France manque encore d’influence.
Le manque d’influence
Lorsque l’on souhaite vendre un produit, à plus forte raison lorsque ce produit est un avion de combat, il faut montrer que son avion est le plus adapté, qu’il est le plus performant, qu’il est meilleur que ces concurrents. Avec la médiatisation des conflits, les États n’hésitent pas à montrer leur matériel en pleine action. On l’a vu pendant la guerre du golf où CNN montrait l’efficacité des frappes chirurgicales, l’efficacité des bombardiers furtifs F-117 … La publicité, ou le faire-savoir, joue un rôle déterminant sur la réputation d’un matériel de combat. Un autre élément tout aussi capital, qui va permettre d’imposer le choix de son avion et pas un autre, va être l’influence politique. En effet, lorsque l’on achète un avion de combat on n’achète pas qu’un avion. De plus, la France se montre parfois maladroite lors des négociations ce qui ouvre des portes à ses concurrents et a ainsi couté à la France certains marchés comme au Maroc.
La publicité, un atout que la France a du mal à maitriser
Comme pour n’importe quel produit la publicité est un atout qui, lorsque l’on sait l’utiliser, peut s’avérer très efficace. Le but est de montrer son produit, pour les avions de combats cela passe par la participation à des meetings aériens, à des exercices militaires regroupant plusieurs nations … De plus, aujourd’hui, avec la médiatisation des conflits, on peut montrer partout dans le monde l’efficacité de son appareil en situation de combat à condition que l’on sache se servir efficacement des médias. Ce faire-savoir va permettre d’obtenir pour son appareil le fameux label « combat proven ».
La médiatisation des conflits au service de la vente d’armes. On a pu observer que depuis la première guerre du golf en 1990, tous les conflits majeurs qui ont suivi (Kosovo, Afghanistan, guerre en Irak, conflit en Libye …) ont été médiatisés. L’intervention des médias dans les conflits a permis de montrer l’efficacité de ses avions de combat. On se rappelle encore de CNN et même des médias français qui parlaient de l’efficacité et de la précision des frappes chirurgicales qui permettaient d’éviter les dommages collatéraux. Idem pour la guerre au Kosovo, la marine française avait bien réussi sa communication sur ses avions embarqués en montrant dans les journaux télévisés ses avions en train d’être catapultés ou d’apponter. L’armée de l’air avait par contre raté sa promotion de sa nouvelle version du Mirage 2000 (le Mirage 2000-D). Pendant la guerre en Afghanistan, on a pu voir l’armada américaine se mettre en action alors que les avions, les soldats, et les hélicoptères français sont totalement passés inaperçus. Si les États Unis savent depuis longtemps utiliser les médias à leur avantage, la France doit encore beaucoup progresser dans ce domaine qui peut s’avérer être un atout précieux. Le Rafale a d’ailleurs souffert de ce manque de publicité, on lui reprochait de ne pas encore avoir prouvé son efficacité au combat alors qu’il était et est toujours engagé en Afghanistan. La France l’a compris et a très largement montré à la télévision l’efficacité de son avion de combat lors du conflit en Libye ce qui lui a permis d’obtenir enfin le label « combat proven ». Il faut noter que les américains sont très compétents dans ce domaine de la publicité. Ils savent se servir des médias et n’hésitent pas non plus à faire figurer dans de grands films hollywoodiens leur matériel, on pourrait citer le film « Top Gun » par exemple. Les films peuvent se montrer comme un outil efficace pour diffuser des images de leurs avions de combat, leurs chars … à travers le monde.
Le label « combat proven »
Le label « combat proven » indique qu’un appareil a prouvé son efficacité au combat, qu’il a su remplir les missions qui lui ont été attribuées. Ce label est très influent.
En effet, lorsque l’on décide de lancer un appel d’offre pour l’achat de plusieurs avions de combat, on va privilégier l’achat d’un appareil qui a prouvé sa valeur. Eurocopter s’était d’ailleurs plaint du fait que l’intervention de son hélicoptère de combat Tigre en Afghanistan n’avait pas été médiatisée ce qui ne lui a pas permis d’obtenir ce fameux label « combat proven ». La médiatisation de l’intervention et de l’efficacité du Rafale en Libye, qui lui a permis d’obtenir ce label, risque d’aider la France dans ses négociations avec les Émirats Arabes Unis notamment, et peut être, pourrait débloquer d’autres marchés.
La publicité joue un rôle important dans la vente d’armes mais souvent se sont des enjeux politiques qui vont faire pencher la balance dans un camp ou dans un autre.
L’influence politique
Le choix d’un avion de combat n’est jamais anodin, lorsque l’on décide d’acheter un avion et pas un autre. On ne choisit pas qu’un avion, on choisit aussi un partenaire évidemment économique mais aussi politique. L’influence politique, les pressions, le lobbysme sont omniprésents lorsque l’on négocie des contrats de plusieurs centaines de millions d’euros. Chaque concurrent va ainsi promettre plus que des avions, des sous marins ou des chars, en promettant des transferts de technologie, en acceptant de délocaliser une partie de la production … A ce jeu là, il faut reconnaître que les États Unis ont de nombreux arguments que la France, elle, ne possède pas.
L’envers des négociations
La négociation d’un contrat ne porte pas seulement sur le produit à acheter, elle porte aussi sur les avantages dont va pouvoir bénéficier l’acheteur si il va par exemple choisir l’avion français Rafale au détriment du Gripen suédois. Ce n’est pas forcément le meilleur avion qui va l’emporter mais ce sera la meilleure proposition. Ainsi, on va promettre à l’acheteur un transfert partiel ou total de technologie, on va accepter de délocaliser une partie de la production sur le territoire de l’acheteur, on va s’engager à acheter du matériel militaire chez eux dans un avenir proche … Chaque concurrent va essayer de proposer quelque chose de plus, par exemple dans les négociations pour l’achat de sous marins SCORPENE français par l’Inde, et le Brésil la France avait accepté que les sous marins soient construits sous licence dans ces pays et avait aussi accepté un transfert de technologie, y compris l’assistance au Brésil pour développer un sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire. Ce petit jeu profite en général à l’acheteur et aujourd’hui, la France accepte facilement de délocaliser une partie de sa production ou bien de fournir un transfert de technologie même s’il faut parfois se méfier de ce procédé. Toutefois, les États Unis n’hésitent pas à utiliser certains procédés, des pressions politiques qui se révèlent parfois être à la limite du chantage afin d’imposer leur avion, ou dans d’autres cas leur matériel. Il faut alors reconnaître que dans ce domaine la France n’a malheureusement pas de quoi rivaliser.
Les pressions politiques, une spécialité américaine
La France et le Groupe Dassault se sont souvent plaints du comportement des américains lors de la négociation de plusieurs contrats notamment parce qu’ils n’hésitent pas à pratiquer le dumping par la vente d’avions « d’occasion neuve », et aussi parce qu’ils n’hésitent pas à rappeler à son interlocuteur qu’il aurait beaucoup à perdre s’il ne choisissait pas son appareil. Un exemple frappant est celui de l’appel d’offre de la Corée du Sud en 2002 pour un nouvel avion de combat. Le Rafale était opposé au F-15 Eagle de Boeing, le Rafale était devant le F-15 pendant toute la série de test, le Rafale aurait du être choisi. Les USA n’ont pas hésité à rappeler à la Corée du Sud que sa sécurité face à la Corée du Nord était en partie due à la présence des américains au Japon et en mer de Chine; La Corée du Sud a alors modifié ses critères d’évaluations pour permettre aux américains et au F-15 de remporter l’appel d’offre.
Idem en 2005 lorsque la France perd le contrat singapourien au profit des américains toujours avec le F-15. Suite à ce nouveau revers, Dassault aviation avait cité ce proverbe chinois « Le bambou penche toujours du coté de celui qui pousse le plus fort. », qui illustre bien la force d’influence des États Unis sur les marchés d’exportation.
Les maladresses françaises
La France a du mal à gérer l’instrument médiatique, la France ne possède les arguments politiques et la puissance politique des américains, elle doit donc se montrer irréprochable et ne pas faire d’erreur pour pouvoir espérer décrocher un contrat. Or la France se met parfois elle-même des bâtons dans les roues. Plusieurs exemples, le marché marocain était pourtant promis à la France; or, des luttes franco-françaises ont fait échouer le contrat. La Direction Générale de l’Armement a mené des négociations de son coté et Dassault a mené ses négociations du sien; le manque de communication entre les deux a abouti à une succession d’erreurs qui a ouvert la voie au concurrent américain qui a remporté le marché. Ce type de maladresse est surtout du à l’égo français, on est parfois trop confiant comme au Maroc ou on ne fait pas l’effort de s’adapter à la culture du pays à qui on souhaite vendre notre matériel comme en Corée du Sud. La France doit absolument faire des efforts dans ce domaine car elle a beaucoup d’autres facteurs qui jouent contre elle.
Des contrats en cours de négociation
Depuis son entrée dans le service actif, la France n’a pas encore réussi à vendre son avion vedette, le Rafale. Ces échecs sont souvent dus à l’omniprésence des américains qui, depuis la fin de la guerre froide, s’attaquent à tous les appels d’offre qui peuvent croiser leur route. Mais, certains échecs sont aussi dus à des négligences coté français, le dernier en date étant la perte du marché marocain en 2007 (un marché de 2 milliards de dollars) au profit des USA parce que la France n’a tout simplement pas proposé de solution de financement de l’appareil croyant que l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis seraient les mécènes du Maroc pour acheter l’avion de Dassault. Grossière erreur, les américains se sont engouffrés dans la brèche et ont remporté le marché qui à la base était tout destiné à la France. La France en a alors tiré une leçon. A l’heure actuelle, la situation n’est pas encore désespérée, la France est en cour de négociations avec le Brésil et les Émirats Arabes Unis, si le marché brésilien s’assombrit un peu, le marché avec les Émirats Arabes Unis se présente sous de bons augures; de plus, d’autres marchés pourraient s’ouvrir au Rafale, tous les espoirs sont encore permis.
Le marché brésilien
Le Brésil est aujourd’hui une puissance régionale confirmée. En effet, sous l’impulsion du Brésil, a été créé une zone de libre échange MERCOSUR en 1991 regroupant l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et le Brésil pour favoriser la stabilité de la région sud américaine. En 2008, toujours sous l’impulsion de Brasilia, a été mise en place l’Union des Nations Sud Américaine (UNASUR) qui regroupe les pays du MERCOSUR auxquels viennent s’ajouter le Pérou, l’Équateur, la Bolivie, la Colombie, le Surinam, le Chili et le Guyana; pour faire face à la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques) proposée par les USA. Sur la scène internationale, le Brésil trouve petit à petit sa place en participant de plus en plus aux missions de maintien de la paix sous l’égide des Nations Unies comme au Kosovo, au Liberia, en Cote d’Ivoire … Sur le plan de la Défense, le Brésil a connu une période creuse au début des années 90 où son industrie de Défense a pris du retard sur ses concurrents américains et européens. Depuis, le Brésil essaie de combler son retard par l’acquisition de matériel et de nouvelles technologies par le biais des transferts de technologies. C’est dans ce contexte que le président Luiz Inacio Lula da Silva a lancé au début des années 2000 un appel d’offre pour l’acquisition de 36 avions de combat pour lequel le Rafale était donné favori. Le changement de présidence avec l’arrivée au pouvoir de Madame Dilma Rousseff a cependant changé la donne, et le Rafale n’est plus en position de force face à ses concurrents qui sont le Super Hornet américain et le Gripen suédois.
Le marché brésilien sous l’ère Lula
Après la guerre froide, le budget de la défense brésilienne a été grandement amputé ce qui a eu un effet désastreux sur son industrie de Défense qui a accumulé du retard sur les américains et les européens, mais aussi sur la qualité de son parc aéronautique sur sa marine nationale et son infanterie. Or, pour que le Brésil puisse s’affirmer sur la scène internationale, il faut pouvoir se poser comme étant une véritable puissance militaire. Pour le président Lula da Silva et son ministre de la défense Nelson Azevedo Jobim, cette nécessité passait par l’acquisition de matériels performants mais aussi par le fait de rattraper son retard sur le plan technologique. Lorsque le Brésil a passé son appel d’offre pour l’acquisition d’un nouvel avion de combat, évidemment il cherchait à acquérir un appareil performant mais aussi un transfert de technologie qui lui permettrait à long terme de construire son propre avion de chasse. En effet, on sait que l’industrie aéronautique brésilienne est très performante dans le domaine civil, un transfert de technologie dans le domaine militaire pourrait s’avérer très avantageux. Or, lors des négociations pour l’obtention du marché, la France avait garanti un transfert total de la technologie du Rafale, chose que ses principaux concurrents, les américains avec le F-18 et les suédois avec le Gripen, n’avaient pas fait. Certes, le Rafale est le plus cher des trois avions, l’offre de Dassault Aviation de 6,2 milliards de dollars et bien supérieur à celle des américains (5,7 milliards de dollars) et à celle des suédois (4,7 milliards de dollars). Cependant, le Rafale est l’avion le plus performant et le plus abouti technologiquement par rapport à ses concurrents et la perspective, pour le président Lula da Silva d’acquérir en plus de l’avion la technologie du Rafale, avait fait pencher la balance en faveur de l’avion de Dassault qui était alors devenu le Grand favori. Tout le monde pensait que la signature du contrat ne serait alors qu’une formalité, malheureusement le contrat n’a pas pu être signé avant les nouvelles élections présidentielles et l’arrivée au pouvoir de Dilma Rousseff.
Un ciel qui s’assombrit pour le Rafale sous l’ère Dilma Roussef. Donné grand favori pour remporté le marché brésilien sous la présidence de Lula da Silva, le Rafale a très vite vu sa position remis en cause sous la présidence de Dilma Rousseff. En effet, la nouvelle présidente a annoncé à sa prise de pouvoir, qu’elle n’avait aucune préférence entre les trois prétendants. De plus, plusieurs autres éléments se trouvent être en défaveur du Rafale. Tout d’abord, le refus des militaires brésilien de l’avion français qui considèrent que le Rafale est trop cher, trop complexe, que son entretien est trop onéreux et qu’il n’est pas adapté aux besoins du Brésil. Un document a même été remis au gouvernement brésilien indiquant que le Rafale serait en troisième position, les militaires préférant le F-18 américain et le Gripen suédois. A cela, il faut ajouter aussi la signature d’un accord entre Brasilia et Washington qui serait « un grand accord pour établir le cadre formel d’engagements supplémentaires entre les armées, ainsi que des échanges, du partage d’information et une coopération en matière de recherche et de développement liés à la défense », et ne qui porterait pas sur le marché en cours de négociation. Or, il ne faut pas se montrer candide, cet accord traduit bien la volonté de la nouvelle présidente du Brésil de renouer des liens avec les américains, liens qui s’étaient détériorés sur la fin du mandat de Lula da Silva. Il est évident qu’à travers cet accord les américains essaient de se replacer dans la course à l’obtention du marché. Et en juillet dernier, le Brésil a annoncé qu’il prendrait sa décision qu’en 2012, le gouvernement souhaitant en priorité s’atteler aux problèmes de politiques internes. L’année 2011 n’a donc pas été une bonne période pour la négociation du marché brésilien voyant les certitudes françaises voler en éclat; cependant rien n’est encore perdu, l’offre française reste particulièrement intéressante avec sa promesse de transfert sans limite des technologies militaires et civiles du Rafale, effort que les américains ne sont pas prêts à fournir et que les suédois ne peuvent pas fournir sans l’autorisation du congrès américains car, le Gripen possède des composants d’origine américaine, dont le moteur GE F-404. L’Élysée et le groupe Dassault restent donc encore confiant quand au succès du Rafale au Brésil.
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Table des matières
LE RAFALE : 1986, UN AVENIR DORÉ; 2011, TOUJOURS AUCUNE VENTE
CHAPITRE 1 – UNE QUESTION D’ARGENT
Une polyvalence qui coûte cher
Un isolement qui coute cher
L’euro, une monnaie non adaptée à l’exportation
CHAPITRE 2 – LE RAFALE, UN APPAREIL ADAPTÉ À LA FRANCE
Le Rafale un avion à la clientèle restreinte
Des standards non adaptés à l’exportation
CHAPITRE 3 – LE MANQUE D’INFLUENCE
La publicité, un atout que la France a du mal à maitriser
L’influence politique
PARTIE 2:UNE SITUATION PAS ENCORE CATASTROPHIQUE
CHAPITRE 4 – DES CONTRATS EN COURS DE NÉGOCIATION
Le marché brésilien
Les Émirats Arabes Unis, un marché prometteur
CHAPITRE 5 – LE RÊVE INDIEN
L’Inde un marché providentiel pour le Rafale
La France, un fournisseur idéal pour l’Inde
CHAPITRE 6 – LE MARCHÉ EUROPÉEN
La Suisse, un dossier compliqué
La Grèce, un marché en perdition pour le Rafale
PARTIE 3:L’ÉCHEC À L’EXPORTATION DU RAFALE, DES CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES POUR LA FRANCE ET SON INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE
CHAPITRE 7 – LE RAFALE, DERNIER AVION DE COMBAT FRANÇAIS
La perte d’un savoir-faire industriel
Des emplois menacés
Vers un partenariat industriel
Une atteinte à la souveraineté française
La composante aérienne de la dissuasion nucléaire menacée
Un partage de technologies et de compétence témoin de notre perte d’autonomie
Conclusion
Sources
Table des illustrations (dans le texte)
Table des matières
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