Leadership et coordination de l’écosystème d’affaires dans la littérature
À la suite de Moore (1993, 1996, 2006), Iansiti et Levien (2004 a, 2004 b) ont développé la métaphore en s’appuyant sur les concepts de l’écosystème biologique, et ont cherché àmieux caractériser les écosystèmes d’affaires. Dans leur ouvrage de 2004 (Iansiti et Levien 2004 a), ils proposent quatre types de stratégies en divisant les différents rôles d’acteurs au sein des écosystèmes d’affaires : le keystone player, le dominateur, le niche player, et l’hub landlord.
Les avantages du keystone player sont particulièrement soulignés. Le concept de keystone player s’appuie sur la métaphore biologique et fait référence àl’espèce clé de voûte (Paine 1995). En biologie, c’est une espèce qui a un effet disproportionné sur son environnement. Le keystone affecte de nombreux autres organismes dans un écosystème. Lorsqu’une espèce clé de voûte disparaît, l’ensemble de l’écosystème peut subir un déclin. Il ne s’agit pas nécessairement d’une espèce de grande taille, mais d’une espèce qui structure son écosystème. Dans les écosystèmes d’affaires, l’acteur keystone correspond aux acteurs qui ont envie d’établir une performance collective au sein de l’ESA en créant des plates-formes, telles que Wal-Mart ou Microsoft. Le contrôle de ressources par le keystone est décentralisé. En tant que noyau de l’écosystème, l’acteur keystone crée la valeur et organise le partage entre ses membres. Il atteint ces objectifs en explorant et en exploitant des ressources afin d’offrir plus d’opportunités pour ses membres, et envisage d’assurer l’équilibre des échanges de valeur entre les autres acteurs. Cela favorise la suggestion de March (1991) dans l’évolution des organisations.
La stratégie de dominateurs (IBM) vise à intégrer horizontalement et/ou verticalement les compétences de l’ensemble des membres afin de réaliser un contrôle centralisé (Iansiti et Levien 2004 a) des contributions, des créations de valeur, et des ressources. Le dominateur contrôle à la fois la capture et la création de valeur. Un grand nombre d’acteurs de l’écosystème sont des niche-players et développent des interactions avec les autres acteurs et dépendent de ces acteurs. L’ensemble des niche-players peut créer une valeur très importante pour l’ESA, mais leurs stratégies ont souvent pour but d’améliorer leurs propres capacités. La stratégie de l’acteur hub landlord, décrit une entreprise pivot qui profite excessivement de la valeur créée par l’écosystème. Il ne se préoccupe pas du destin global de l’écosystème, et se concentre davantage sur la capture de valeur que sur la création. Une conséquence possible amenée par ce type de stratégie est que le déséquilibre d’acquisition d’intérêt peut détruire la stabilité de l’écosystème, comme dans le cas d’Enron. Le keystone et le dominateur jouent un rôle de leader dans l’écosystème d’affaires. Cependant, la stratégie de keystone est considérée comme une intelligence symbiotique pour l’ensemble des membres par les auteurs. Le keystone établit la plate-forme et crée des valeurs pour la survie des niches players. Dans ce sens, les membres de cet écosystème co-évoluent de manière symbiotique afin de soutenir la stabilité de l’écosystème.
Le travail de Moore (1993,1996, 2006) puis celui de Iansiti et Levien (2004 a, 2004 b) posent les premiers jalons des études autour de cette métaphore écologique qui seront suivis de nombreux autres travaux dans les années 2010. La plupart des chercheurs soulignent ainsi le rôle de coordination de l’ensemble des membres de l’ESA des acteurs focaux (Tellier, 2015 ; Adner, 2017). De nombreux travaux (Adner & Kapoor, 2006, 2010 ; Barbaroux, 2014 ; Froehlicher, 2008) se concentrent sur une innovation focale par l’ensemble de l’écosystème. Ces auteurs considèrent que l’écosystème d’affaires englobe « les accords de collaboration par lesquels les entreprises combinent leurs offres individuelles dans un environnement cohérent, tourné vers le client » (Adner 2006, p 98). Koenig (2012) questionnait cependant déjà cette perspective très structuraliste. Sa typologie nous aide à voir plus clairement la pluralité des formes d’écosystèmes et il propose d’aller plus loin dans l’analogie, au-delà de la métaphore. Reprenant la définition de l’écosystème d’affaires de Moore et partiellement l’analyse de Iansiti et Levien, il classe les écosystèmes selon deux dimensions : le contrôle les ressources essentielles, et le régime liant les acteurs entre eux.
Le contrôle des ressources essentielles peut être centralisé ou décentralisé par la firme focale (Fombrun 1982). Cette typologie de centralisée et décentralisée apparait dans le travail d’Assens (2003) pour décrire le pouvoir de pilotage de deux types de réseaux. La deuxième dimension est relative àla manière dont l’interdépendance s’exerce entre les membres. Le régime de pool concerne une grande quantité d’acteurs qui ne sont pas liés formellement. Dans les interdépendances réciproques en revanche, les acteurs coopèrent souvent formellement, et l’interdépendance entre les membres est aussi plus forte. Ce concept des régimes d’interdépendance réciproque et de pool a été proposé par Thompson (1967) et complété par l’analyse de la typologie des stratégies collectives faite par Astley et Fombrun (1983). Cette dernière typologie repose explicitement sur la relation existant entre le nombre de membres que comptent les collectifs et leur mode d’interaction : formelle ou informelle, directe ou indirecte.
Les systèmes d’offres présentent une concentration de ressources et une formalisation forte des relations entre les firmes. Dans ce type d’écosystème, la firme focale contrôle des ressources essentielles et le noyau d’acteurs afin d’assurer son leadership. Elle définit les règles et les contributions de chacun. L’entreprise focale a un accès privilégié à une ou plusieurs ressources clés (Donada et Fournier 2014), par exemple l’écosystème de Nike. Le contrôle des ressources reste très centralisé par Nike, qu’il s’agisse de la marque, de la technologie ou de la chaîne d’approvisionnement et l’entreprise anime un réseau de partenaires (fournisseurs et distributeurs) pour proposer la meilleure offre. Selon Iansiti et Levien (2004 a, 2004 b), Nike joue un rôle de dominateur dans son écosystème d’affaires, mais la caractérisation de l’écosystème est très proche ici de celle d’un réseau.
La plate-forme est définie comme un ensemble de solutions auquel les membres de l’écosystème peuvent accéder pour développer leurs propres produits (Iansiti et Levien, 2004 b). Elle joue un rôle de keystone qui met un actif clé à disposition d’autres acteurs selon des règles précises afin de développer une activité propre. Donc dans ce type d’écosystème d’affaires, les coopérations entre les acteurs sont moins formelles. C’est plutôt la plate-forme qui leur offre les interfaces et favorise la multiplication d’initiatives indépendantes les unes des autres. Chaque contribution des membres peut être améliorée de façon pratiquement indépendante. Le contrôle des ressources est centralisé.
L’Amazon Web Service est un bon exemple d’écosystème d’affaire de type plate-forme. Il met à disposition de ses partenaires sa connaissance du développement des logiciels de commerce électronique (Isckia, 2009). Pour Amazon, les partenaires n’ont pas besoin de se mettre d’accord entre eux pour vendre sur cette plate-forme. Il suffit qu’ils soient d’accord avec Amazon. Comme les règles sont bien définies, il n’y a pas nécessairement de coopération formelle ou directe entre les membres. Ce qui diffère du système d’offre, c’est que l’entreprise plate-forme qui contrôle l’écosystème d’affaires ne définit pas les contributions des acteurs extérieurs, mais spécifie seulement les règles que le contributeur doit observer pour utiliser la plate-forme (Donada & Fournier 2014).
Koenig donne l’exemple de Sematech et ces partenaires dans son article pour montrer les caractéristiques de la communauté de destin. Dans ce type d’écosystème d’affaires, les acteurs sont plus hétérogènes que dans les deux précédents. Le contrôle de ressources essentielles est décentralisé par tous les membres qui sont animés par une solidarité existentielle. Lacontribution des membres est parfois plus élevée que celle du leader. L’idée de ce type d’agencement suppose l’existence d’un lien indépendant de la volonté des acteurs et suggère une forte interdépendance entre les acteurs. Nous pouvons penser alors aux districts industriels, aux systèmes de production locaux ou aux clusters par exemple, dans lesquels chacun dépend des autres pour survivre, ce qui favoriserait l’émergence d’une solidarité existentielle. Les règles et les contributions de chacun sont fixées par la communauté de destin, le succès des membres dépend de leur propre capacité. Les membres de ce type d’écosystème, s’apparentent aux niches-players de Iansiti et Levien.
La dynamique des écosystèmes
La métaphore biologique a conduit à représenter les écosystèmes comme ayant un cycle de vie. Ils naissent, se développent, évoluent, se régénèrent et meurent parfois comme l’écosystème de Nokia décrit par Gueguen et al. (2012). Ces transformations de l’écosystème depuis sa naissance et dans les différentes phases d’adaptation nécessitent une co-évolution des entreprises qui participent à l’ESA pour satisfaire toujours l’objectif collectif visé. La transformation peut conduire certaines entreprises à intégrer l’écosystème tandis que d’autres en sortent. Dans un écosystème centralisé, le ou les leaders s’approprient alors des compétences nouvelles au gré de l’évolution.
Dans une perspective plus constructive de l’écosystème, la co-évolution peut conduire un même groupe d’entreprises à co-évoluer, par adaptations successives, pour adapter la création de valeur au marché visé. L’intégration progressive d’un écosystème d’affaires est décrite alors comme un processus de régulation, de reproduction et d’apprentissage. Il s’agit en effet de développer les capacités des membres qui permettent de supporter la flexibilité, l’adaptation et le pilotage par objectifs (Mira-Bonnardel, et al. 2012). Cette idée se rapproche de la proposition de Teece et al. (1997, 2007), selon laquelle la performance de l’organisation dépend de ses propres capacités et des capacités dynamiques de l’ensemble des membres de l’écosystème. Le processus d’intégration suppose ainsi de construire et de reconfigurer les compétences afin de faire face aux évolutions (Teece, Pisano, et Shuen 1997).
Dans un écosystème non coordonné par un leader, si un tel écosystème existe, on peut s’interroger sur les conditions de son évolution. L’absence de leader suggère que les décisions d’entrée et de sorties de l’écosystème sont prises par les entreprises de manière autonome par chacune des entreprises, par délibération. En l’absence de leader qui coordonne, l’interprétation des conditions de l’environnement, de la proposition de valeur à satisfaire, des compétences à développer, dépendent des capacités cognitives des membres de l’écosystème. En l’absence de contrôle direct, la co-évolution nécessite selon Jacobides (2018), l’intégration de normes ou de standards. Afin que chacun contribue à la cohérence de la proposition de valeur collective, la co-évolution doit néanmoins s’appuyer sur l’auto-adaptation des acteurs aux transformations des autres acteurs ainsi que sur leur auto-adaptation aux variations de l’environnement.
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Table des matières
Introduction
I. Cadre théorique
1.1 Contexte de la recherche
1.2 Revue de littérature
1.2.1. Leadership et coordination de l’écosystème d’affaires dans la littérature
1.2.2. La dynamique des écosystèmes
1.3 Les écosystèmes de l’approche biologico-évolutionniste
1.4 Application et limites de la transposition de la théorie biologique aux écosystèmes entrepreneuriaux non coordonnés
1.5 Un retour de la littérature sur les écosystèmes biologiques
1.5.1 Éléments et notions des écosystèmes biologiques
1.5.2 La structure de l’écosystème
1.5.3 Une auto-organisation non coordonnée liée à la coévolution des espèces
1.6 Questions de recherches
1.6.1 Le rôle des pouvoirs publics
1.6.2 La dynamique des populations organisationnelles
1.6.3 Le mode de gouvernance au sein de l’écosystème entrepreneurial non coordonné
1.6.4 La nature d’interaction entre les acteurs au sein des écosystèmes entrepreneuriaux non coordonnés
1.6.5 L’ESA et les autres formes d’organisations
1.7 Les hypothèses
II. La Méthodologie
2.1 La transposition de la théorie biologique aux écosystèmes entrepreneuriaux
2.2 Le choix du terrain de recherche
2.3 Le choix des méthodes
2.4 Construction de questionnaire d’échelle de Likert
2.5 Collecte des données quantitatives
2.6 Les Entretiens
2.7 Traitements des données quantitatives
Conclusion
III. Présentation des travaux
3.1. La gouvernance publique du tourisme, une étude de l’impact de la loi NOTRe
3.2. La dynamique collective dans un écosystème entrepreneurial touristique : le cas du tourisme côtier normand
3.3 Quelle gouvernance des zones touristiques ?
3.4. La transformation des villes portuaires et le cas de Honfleur
3.5. La dynamique collective, entre écosystème et réseau non centré
IV. La présentation des résultats principaux et la discussion sur la recherche
4.1Présentation des résultats
4.1.1 Les données collectées
4.1.2 Présentation des résultats quantitatives
4.2 Discussions
Conclusion
Bibliographies
Annexe