Les zones côtières constituent des espaces d’interface entre la mer, la terre et l’atmosphère. Ces zones sont très productives bien qu’elles ne représentent que 7% de la surface des mers (Walsh, 1988; Nixon, 2003). Situées à l’embouchure des rivières, ces zones côtières agissant comme de véritables fronts hydrologiques, et sont caractérisées par d’importantes concentrations en nutriments et une forte production primaire (Levin et al., 2015; Newton et al., 2012) et présentent un intérêt biologique majeur. Leur niveau de production secondaire est très élevé, et sont peuplées par des communautés animales le plus souvent composées d’espèces à croissance rapide et à forte productivité (Gaudy et al., 2003). De plus, elles constituent un lieu de passage obligatoire pour de nombreux organismes marins à un moment particulier de leur cycle biologique (Day et al., 1989), ce qui contribue encore à accroître l’importance de la biomasse présente. L’ensemble de ces caractéristiques place les zones marines côtières situées à l’embouchure des fleuves parmi les écosystèmes les plus productifs de la planète (Béthoux et al., 1998; Durrieu de Madron et al., 2011) et explique l’intense exploitation dont elles font l’objet dans le monde entier. Dans le contexte socio-économique actuel, avec l’émergence d’une conscience collective de la nécessité d’une gestion rationnelle des ressources vivantes marines, mieux comprendre leur fonctionnement est devenu une priorité. Les apports continentaux s’y superposent aux éléments nutritifs déjà présents dans le milieu marin et influencent de façon considérable la productivité et le fonctionnement de ces écosystèmes (Bosc et al., 2004 ; Montagna et al., 2002). De plus, les crues conjoncturelles injectent également de fortes quantités de matière organique particulaire et divers particules d’origine terrestre. Son influence sur la dynamique temporelle des communautés marines à l’embouchure peut s’avérer primordiale, notamment dans le cas de mers semi-ouvertes ou oligotrophes comme la Méditerranée (Caddy, 2000 ; Durrieu de Madron et al., 2011; Margalef, 1985). Plus en amont, au niveau du bassin versant alimentant la zone côtière, la surexploitation des eaux souterraines, le drainage des zones humides, la construction des barrages, la déforestation et l’érosion des sols agricoles (Vörösmarty & Sahagian, 2000), occasionnent d’importantes influences sur ces systèmes côtiers déjà fragiles du fait de leurs faibles profondeurs. En dépit de ces perturbations, la relation directe entre les apports hydriques de nutriments fluviaux et de la productivité biologique des écosystèmes marins est universellement bien établit (Estrada, 1996 ; Tsai et al., 1997, Daskalov, 1999 ; Lloret et al., 2004). En tant que zones de transitions entre le continent et la mer ouverte, les zones côtières forment des écosystèmes particuliers, caractérisés par d’intenses échanges et transformations chimiques, physiques et biologiques (Telesh, 2004). Elles constituent donc de véritables zones filtres (Lisitzin, 1999; Conley et al., 2000 ; Canton et al., 2012; Hallas and Huettel, 2013) en piégeant les nutriments et les contaminants et par les transformations biologiques de la matière introduite à la côte. Sur un autre plan écologique, des relations directes entre l’importance des apports en eaux douces et les nutriments qui s’en issus et la production biologique littorale sont maintenant bien établis (Deegan et al., 1986; Budgen et al., 1982; El-Sayed et van Gert, 1995; Estrada, 1996; Tsai et al., 1997; Postel et al., 1998; Daskalov, 1999). L’environnement côtier peut donc être hautement contrôlé par les enrichissements en nutriments d’origines fluviale et estuarienne.
Pour comprendre la dynamique des écosystèmes côtiers, il est important d’étudier la structure et la fonction du compartiment zooplanctonique (Gaudy et al., 2003). Les premières études sur la structure spatiale du zooplancton remontent à la fin du 19e siècle (Hensen 1884). Elles se sont multipliées depuis les années 1960 (Cassie, 1963 ; Frontier, 1973 ; Fasham et al., 1974 ; Lewis, 1978). En raison de leur proéminence dans les eaux océanique et côtière et à leur distribution géographique, les organismes zooplanctoniques forment des indicateurs biologiques importants dans l´environnement marin. En effet, les communautés zooplanctoniques sont souvent le plus fidèle moyen de caractériser des masses d’eaux d’origine différente (Seguin, 1973 ; Furnestin, 1977) et d’évaluer les influences océaniques et côtières de l´environnement (Webber et al., 2005 ; Suárez-Morales et al., 1999). En effet les communautés zooplanctoniques sont très sensibles et très réactives aux perturbations de l’environnement (Harris et al. 2000). Dans la plupart des cas, une modification des populations zooplanctoniques reflète un changement des conditions hydroclimatiques. Pour cette raison, de nombreux auteurs ont suggéré d’utiliser le zooplancton comme indicateur du changement global (Beaugrand et al., 2002 ; Fernandez de Puelles et al., 2004 ; Mackas et al., 2004). Le zooplancton, de part son importance dans la chaîne trophique et sa sensibilité aux modifications climatiques, est depuis peu utilisé pour évaluer l’impact du changement global sur l’écosystème marin (Hays et al., 2005).
Les peuplements zooplanctoniques jouent un rôle pivot dans les réseaux trophiques de l’écosystème marin en véhiculent la matière organique vers les niveaux trophiques supérieurs. L’importance du plancton au point de vue de l’économie générale de la mer a été reconnue pratiquement déjà par les pêcheurs italiens du Moyen Age : ‹‹qui dit poissons, dit plancton››. De simples praticiens ont décelé ainsi, depuis des siècles, les relations étroites qui existent entre l’abondance du plancton et le rendement des pêches qui les faisaient vivre. Toutefois l’importance du plancton au point de vue alimentaire ne se limite pas aux poissons, mais intéresse l’ensemble de la biocénose marine (non autotrophes), qu’elles soient des formes benthiques, nectoniques ou pélagiques (Moriarty et O’Brien, 2013; Kimmel et al., 2015). De part l’indication hydrologique qu’apporte le zooplancton, quelques taxons zooplanctoniques marins constituent aussi des sources nutritives pour beaucoup de poissons d’aquaculture (Barnabé, 1986). En effet, dans le bassin algérien et dans presque la totalité de la Méditerranée, les anchois et la sardine se nourrissent principalement de copépodes et, dans une moindre mesure, les cladocères et les appendiculaires (Sharif et al., 2016 ; Bacha and Amara, 2009; Morote et al., 2010).
Milieu et méthodes
Présentation de la Baie d’Annaba
La baie d’Annaba s’étend sur un large plateau continental allant, depuis la côte, jusqu’à 40 km et reçoit les apports à l’Est par la rivière-estuaire du Mafragh et à l’Ouest par la rivière-estuaire de Seybouse (Fig. 1). Les eaux du large y pénètrent, à travers une veine du courant atlantique modifié (Modified Atlantic Water : MAW) permettent un certain renouvellement des eaux intérieures de la baie (Ounissi et al., 1998). Ces avantages océanographiques sont contrastés par les rejets industriels (Fertial en particulier) et domestiques de la ville d’Annaba, fortement urbanisée avec près d’un million d’habitants. Si les influences naturelles (apports continentaux, courant permanent) ont pour effet le renouvellement hydrologique et la fertilisation du milieu (Fréhi, 1995 ; Ounissi et Fréhi, 1999; Gouiez, 2006; Ziouch, 2007; Ziouch, 2014), les rejets urbains et industriels ramènent à la côte Ouest des masses considérables de sels nutritifs et de matières organiques (Saker, 2007; Khammar, 2007; Laabed et al., 2006 ; Ounissi et al., 2007).
La zone Est de la baie n’est pas totalement épargnée de ces influences anthropiques mais semble plutôt sous la dépendance des relations d’échanges avec l’estuaire du Mafragh. En effet, le panache du Mafragh lors des crues s’étent sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés entraînant d’importantes quantités de sédiments, de matières en suspension, de sels nutritifs et de divers contaminants terrestres. En période d’ouverture de l’estuaire (Fig. 3), la frange côtière est renouvelée et enrichit par les flux estuariens au gré d’une marée biquotidienne, permettant un échange de 20 millions de m3 par jour (Khélifi-Touhami et al., 2006). En phase de fermeture de l’estuaire (qui dure selon la pluviométrie, quelques jours à quelques mois), la côte n’est soumise qu’aux conditions atmosphériques, courant atlantique modifié et aux apports par les sources émergées du massif dunaire.
Le secteur Sud Ouest de la baie est sous la triple influence des apports de Seybouse, des rejets industriels (Fertial : grand complexe de production de fertilisants) et des rejets urbains de la ville d’Annaba et de ses agglomérations. Si les apports diffus de Seybouse enrichissent ce secteur (Aounallah, 2015) et alimentent la baie en nutriments et en sédiments, les rejets urbains (Khammar, 2007) et industriels (Saker, 2007) se déversant directement sans traitement sont susceptibles de provoquer des situations d’eutrophisation qui perdurent presque toute l’année (Fréhi et al., 2007 ; Ounissi et al., 1998). Le régime des courants côtiers affectant la baie d’Annaba a été étudié par le LCHF (1976) en utilisant des moyens de mesure différents et en exploitant les renseignements extraits des instructions nautiques. Les résultats de l´étude signalent l’existence d’un courant général dirigé vers l’Est (orientation 100°-120°), pouvant atteindre 0,5 à 1,25 m/s et passant à quelques milles au large (Fig. 2). Il s’agit du courant atlantique modifié (MAW) décrit dans plusieurs travaux de Millot (cf Millot, 1999; Millot et Taupier Letage, 2005) et schématisé à la figure 3. Il existe un autre courant résiduaire de 0,25 à 0,75 m/s qui circule plus prés de la côte entre le cap de Garde et l’Oued Mafragh, prenant une direction Sud (150°-180°) et qui pourrait s’annuler au cours des tempêtes d’Est (LCHF, 1976). Prés des côtes, de longs tourbillons apparaissent prenant une direction Est (90°-100°) avec une faible vitesse variant de 0,10 à 0,25 m/s. En revanche, en période de crues ou par tempête d’Est, les eaux coulent vers le Nord (LCHF, 1976 ; Ounissi et al., 1998).
D’autre part, la baie d’Annaba est battue par les vents Nord à Nord Ouest de la fin de l’automne jusqu’à la fin du printemps et par un vent d’Est en été. La côte Sud Est particulièrement exposée aux vents du Nord, est sujette à de forts transports et accumulations sédimentaires.
Analyse des récoltes zooplanctoniques
Les échantillons sont conservés à bord dans une solution de formol à 4% et colorés au rose Bengal. Le tri est effectué dans une cuve de Dollfuss sous microscopique de routine (Olympus CH 20) au grossissement G x 3,2 et G x 10. Lorsque c’est nécessaire pour l’identification, les spécimens sont isolés, posés sur une goutte glycérinée entre lame et lamelle et observés au grossissement G x 40 ou même G x 100. Le comptage est réalisé sur 3 sous fractions représentant 20-50% du volume de la récolte, selon la densité du zooplancton. L’identification jusqu’à l’espèce a concerné les copépodes, les cladocères, les Siphonophores et les méduses. Quand cela était possible, l’identification s’étendait partiellement à d’autres groupes habituellement faiblement représentés.
Les ouvrages utilisés pour l’identification sont: Russell (1977, 1981) ; Tregouboff et Rose (1978) ; Bjornberg (1981) ; Malt (1983) ; Pagès et al. (1992a, 1992b) ; Bradford (1994) ; Williams et Wallace (1975) ; Bowman et al. (1971) ; Boxshall (1977). S’ajoutent à ces ouvrages de base plusieurs publications et plusieurs sites web :
http://copepodes.obs-banyuls.fr/en;
http://www.imas.utas.edu.au/zooplankton/image-key/copepoda);
http://marinebio.org/oceans/zooplankton;
http://www.marinespecies.org/aphia.php?p=taxdetails&id=104683 (World Register of Marine Species);
http://www.biodiversitylibrary.org/;
http://species-identification.org/index.php (Marine Species identification portal);
http://naturalhistory.si.edu/ (Smithsonian National Museum of Natural History);
http://www.eol.org/ (Encyclopedia of Life).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Matériel et méthodes
1. Présentation de la Baie d’Annaba
2. Prélèvements et méthodes d’analyses chimiques
2.1. Echantillonnage et choix des stations
2.2. Analyse des récoltes zooplanctoniques
2.3. Expression des résultats
3. Analyses hydrologiques
4. Biomasse du zooplancton
4.1. Biomasse en poids sec
4.2. Biomasse en carbone
5. Analyses statistiques
6. Aperçu sur l’environnement physico-chimique lors du suivi du zooplancton
RESULTATS
Chapitre II : Le zooplancton total
1. Composition et abondance du zooplancton
1.1. Noctiluca scintillan
1.2. Copépodes et Cladocères
1.3. Le méroplancton
1.4. Cnidaires : Méduses et siphonophores
1.5. Appendiculaires et Chaetognathes
1.6. Dolioles et Salpes
1.7. Divers
2. Biomasse du zooplancton
Chapitre III : Les Copépodes
1. Composition des Copépodes
2. Abondance des Copépodes
2.1. Principaux taxons
3. Diversité et structure démographique
4. Analyses statistiques
Discussion
Conclusion
Références
Résumés
Annexe