Les conséquence de ce modèle d’affaires
Avec cette stratégie commerciale, les pays producteurs sont livrés à une forte concurrence. De ce fait, ils cherchent à posséder un avantage comparatif, afin d’accroître leur richesse nationale. Cette pression exercée sur les pays exportateurs ainsi que le cadre légal international qui repose sur des normes et des conventions, appelé droit mou, ont poussé les gouvernements des pays de production à établir leur propre législation concernant le droit du travail, de façon à être le plus attractif possible aux yeux des multinationales du textile. La sphère d’influence au sein des parlements joue un rôle très important également. En effet, par exemple, au Bangladesh, une grande partie du gouvernement est composée d’entrepreneurs du textile, qui ont des contrats avec l’industrie du textile globalisée. Ce conflit d’intérêts amplifie ce phénomène. A cela s’ajoute le fait que ces entreprises multinationales disposent d’un grand pouvoir économique et politique. En effet, les bénéfices générés par ces dernières dépassent parfois le PIB des pays producteurs : en 2013, le géant de la distribution Walmart affichait un chiffre d’affaires de 459,6 milliards de dollars12, alors que le PIB du Bangladesh s’élevait à 150 milliards de dollars13. Ce modèle a également engendré l’externalisation des risques et de la responsabilité des entreprises donneuses d’ordres. En effet, les multinationales, ne possédant pas de personnalité juridique internationale, ne reconnaissent pas leur responsabilité relative à l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Les risques sont alors transférés sur les échelons les plus bas de la production, alors que les bénéfices sont récoltés par les entreprises donneuses d’ordres. De plus, cette configuration de l’industrie a généré une perte de repères des consommateurs quant aux prix. La distance physique et psychologique entre les fabricants et les consommateurs leur fait oublier le travail nécessaire à la confection des vêtements qu’ils portent. De ce fait, le travail est dévalorisé et les modes de consommation ne sont pas durables.
Le « white washing »
Toutefois, avec la pression médiatique grandissante et les événements dramatiques survenus, tels que l’effondrement du Rana Plaza, les firmes ont modifié leurs discours et cherchent à se responsabiliser aux yeux de leurs consommateurs. L’éloignement géographique entre les sites de production et de distribution a créé une distance entre les compétences : pour les entreprises donneuses d’ordres, les problématiques liées à la fabrication ne sont plus leur priorité. De ce fait, les stratégies RSE sont abordées sous un angle marketing et le développement durable est alors perçu comme un outil de communication. La prise de conscience des entreprises concernant la demande croissante de la population d’une consommation éthique, n’a donc pas permis d’améliorer les conditions des travailleurs dans la chaîne de valeur. Par exemple, H&M a lancé, en 2011, une gamme nommée « conscious » et indique que les produits issus de cette dernière sont « fabriqué(s) dans le respect des êtres humains et de l’environnement» (PERSSON Karl-Johan, PDG H&M 2013). Or, Tobias Meier, directeur du département du commerce équitable chez Helvetas et expert en matière de développement durable, affirme : «H&M a des milliers de producteurs. C’est un ensemble difficile à contrôler. Sur un tel processus, il est dur de prétendre pouvoir être conscient de A à Z. On ne peut pas prétendre être conscient juste parce qu’il y a des produits recyclés à un endroit donné.» (MEIER Tobias 2013) Bien que le géant suédois montre son engagement en étant leader mondial dans l’utilisation du coton bio17, le manque de transparence sur l’ensemble de son processus de production se dresse comme une barrière à l’information aux consommateurs ; cette opacité ne leur permet pas de détenir des informations complètes et concrètes sur la fabrication dite « consciente » de la firme. La complexité de la chaîne d’approvisionnement ne peut pas être considérée comme une excuse à l’opacité de l’information. La transparence est donc un aspect crucial à la responsabilité sociétale de l’entreprise, car elle prouve la bonne foi de ces dernières.
La Fair Wear Foundation (FWF) est une initiative multipartite dont le but est d’améliorer les conditions des travailleurs dans l’industrie du textile, se concentrant sur l’étape de la confection. Son conseil d’administration est représenté par différents représentants de fédérations d’employeurs, des ONG ainsi que des syndicats. Créée en 1999, elle compte aujourd’hui 80 membres, représentant 120 marques différentes qui sont basées dans sept pays du continent européen et qui commercialisent leurs produits dans plus de 80 pays à travers le monde21. De plus, la fondation est active dans onze pays de production en Europe, en Asie et en Afrique. La FWF a donc développé un « Code of Labour Practise » qui a été élaboré sur les bases des négociations entre les différentes parties prenantes de l’initiative ainsi que sur le travail de recherche, accompli par la CCC et la Coupole Internationale de Syndicats (CSI). Ce dernier s’appuie sur les normes de l’OIT ainsi que sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU. Ne s’affichant pas comme un label, l’initiative est plus perçue, par les membres, comme une garantie des bonnes pratiques et de la volonté d’amélioration des conditions des travailleurs. Par l’adhésion à la FWF, les marques s’engagent à respecter le « Code of Labour Practise », au travers d’une démarche progressive, transparente et vérifiée. D’une part, les entreprises doivent procéder à un contrôle interne et, d’autre part, la FWF effectue des audits de vérification qui seront ensuite tous deux publiés, sous forme de rapport. Visant une démarche de progrès, la non-conformité aux critères imposés par la FWF n’implique pas forcément une exclusion de l’organisation. Si ces derniers ne sont pas respectés, l’entreprise doit alors élaborer un plan de travail qui consiste à apporter des mesures d’amélioration. C’est seulement le manque d’engagement à mettre en place des mesures correctives qui impliquera l’exclusion des entreprises de cette initiative.
L’initiative « pour des multinationales responsables » Comme énoncé précédemment dans ce travail, le cadre légal international repose sur des mesures volontaires des états membres. Une coalition de 77 organisations souhaite mettre en place une initiative « pour des multinationales responsables » qui vise à instaurer, dans la législation suisse, des règlementations plus contraignantes pour les entreprises qui opèrent sur le territoire. En effet, c’est par le constat de l’inefficacité des mesures volontaires, qui n’ont aujourd’hui pas fait preuve d’une amélioration concernant les violations des droits humains, que cette coalition a décidé de lancer cette initiative populaire. C’est donc, grâce à son inscription dans la Constitution fédérale, que cette loi sur le devoir de diligence des entreprises pourrait exiger de ces dernières qu’elles prennent leur responsabilité quant à leur chaîne d’approvisionnement. Chaque entreprise devrait alors faire une analyse de sa chaîne d’approvisionnement et de ses activités à l’étranger, afin d’identifier les risques de violation des droits humains et du droit du travail.
Par la suite, elle devrait en faire un rapport qui serait publié, pour expliquer les mesures qu’elle a décidé de mettre en oeuvre afin de pallier à ces risques. De ce fait, cette loi permettrait d’accroître la transparence des firmes, concernant leurs activités de sous-traitance. En cas de violation, les victimes à l’étranger auraient la possibilité de déposer une plainte civile en Suisse. L’entreprise devrait alors se défendre devant un tribunal. Si elle prouve qu’elle a mis en oeuvre toutes les mesures qui étaient en son pouvoir, elle ne risque rien ; dans le cas contraire, elle devra alors réparer ses torts, sous forme d’indemnisations. Si d’autres pays ont aussi des discussions dans ce sens, cette initiative reste la plus exhaustive. En effet, elle prend en compte les multinationales, mais aussi les plus petites entreprises : une PME qui travaille dans les diamants, par exemple, serait tout aussi concernée. L’instauration de cette initiative permettrait donc de montrer l’exemple, mais aussi de démontrer la cohérence de la Suisse quant aux principes directeurs des Nations Unies.
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Table des matières
Contexte
La mondialisation
Renforcement des inégalités
Un outil de développement
La solidarité internationale
Le cadre légal international
La responsabilité sociétale des entreprises
Les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits humains
La société de consommation à travers les âges
Phase I : la démocratisation du désir
Phase II : la société d’abondance
Phase III : la société d’hyperconsommation
L’industrie du textile – habillement
Les étapes de production d’un produit textile
L’évolution de cette industrie
La répartition de la production
La distribution
La consommation
Problématique traitée et objectifs
Méthodologie
Collecte d’informations
Conduite des interviews
Utilisation des données
Analyse
Identification des parties prenantes
Le modèle d’affaires inhérent à l’industrie du textile
Des entreprises « Fabless »
Le phénomène de la « Fast Fashion »
Les conséquence de ce modèle d’affaires
Les enjeux sociaux
Les conditions des travailleurs
Les salaires
Les heures supplémentaires
Le label « Fairtrade International » pourrait-il résoudre les problèmes sociaux relatifs à la chaîne d’approvisionnement
de l’industrie du textile ?
DUBATH Caroline v
3.3.1.3La liberté syndicale
3.3.1.4La sécurité des bâtiments
3.3.1.5L’interconnexion des problèmes
3.4Les enjeux éthiques
3.4.1Le refus de la responsabilité
3.4.2Le « white washing »
3.4.3Le manque de transparence
3.5Synthèse des responsabilités des parties prenantes
3.5.1L’influence des parties prenantes
3.6Les mesures mises en place
3.6.1La Business Social Compliance Initiative
3.6.2La Fair Wear Foundation
3.6.3L’Asia Floor Wage Alliance
3.6.4Respect code
3.6.5L’Accord sur la protection contre les incendies et la sécurité des bâtiments au Bangladesh
3.6.6L’initiative « pour des multinationales responsables »
3.7Le label Fairtrade
3.7.1Ses exigences
3.7.1.1Les salaires
3.7.1.2Les heures supplémentaires
3.7.1.3La liberté syndicale
3.7.1.4La sécurité des bâtiments
3.7.2Synthèse des points forts et des points faibles
4Les recommandations
4.1Les limites du label Fairtrade
4.2Changer les stratégies commerciales
4.2.1Les mesures concrètes
4.2.1.1Elaborer un code de conduite
4.2.1.2Instaurer un référentiel crédible
4.2.1.3Définir un plan d’action
4.2.1.4Adhérer à des initiatives multipartites
4.2.1.5Raccourcir la distance avec les fournisseurs
4.2.1.6Offrir une traçabilité des produits
4.2.1.7La faisabilité et l’impact des mesures
4.2.2Les autres sources pour amener ce changement
4.2.2.1Des réglementations contraignantes
4.2.2.2Lobbysme auprès des pays producteurs
4.2.2.3Les campagnes de sensibilisation
5.Conclusion
5.1Appréciation critique
Bibliographie
Annexe 1: Questionnaire
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