Le vivre-ensemble, pour apprendre à se connaître et à connaître les Autres
La difficulté des élèves à vivre ensemble au sein d’une classe à l’origine du choix du sujet
L’Ecole est en soi une culture, et ce que l’enfant ou l’adolescent y apprend, c’est d’abord l’Ecole elle-même avec ses rituels et ses usages (organisation du temps, rapport à l’espace, usage protocolaire de la parole, gestes, règlements, modalité des cours et des contrôles).
Pour cette première année en tant qu’enseignante stagiaire dans un établissement du secondaire, j’ai été affectée sur un poste au collège Boris Vian, situé dans le 17ème arrondissement. Cet établissement fait partie, depuis 2013, du Réseau d’Education Prioritaire (REP), ce qui a réduit ses effectifs à 450 élèves.
On m’a confié la charge de trois classes de deux niveaux différents : deux classes de quatrième, et une classe de sixième composée de deux demi-groupes provenant de deux classes. C’est sur les deux classes de quatrième que portera cette étude. Les deux classes sont constituées de 25 élèves dont le niveau scolaire est assez faible (les derniers résultats de réussite au brevet des collèges étaient de 69% en 2016, soit 20% de moins que la moyenne nationale pour la même année) . Les élèves des deux classes sont de nationalités variées (ce qui, nous le verrons plus tard, a été utilisé dans cette démarche du vivre ensemble et du respect de l’autre). Chaque classe compte une moyenne de dix origines/nationalités différentes. Plusieurs raisons m’ont poussée à concentrer ma recherche sur ces deux classes.
Tout d’abord, le fait d’enseigner dans deux classes de même niveau m’a aidé à mettre en place et à tester des activités ou des pratiques variées. Le fait de pouvoir comparer l’application ou la mise en œuvre d’une même pratique dans deux classes m’a permis de retravailler, de remettre en question mes procédés mais aussi de comprendre pourquoi telle activité fonctionnait et pourquoi telle autre ne gagnait pas l’adhésion des élèves. De plus, des réactions différentes selon les classes, face à une même mise en œuvre, m’ont également donné la possibilité de refaçonner mes séances et/ou séquences tout en affinant ma pratique.
Enfin, je trouvais intéressant le fait de pouvoir comparer ces deux classes dans cette étude sur le vivre ensemble. Toute réaction individuelle ou de groupe, la moindre interaction (qu’il s’agisse des élèves entre eux ou des élèves avec moi) ou le moindre comportement m’ont aidée à d’autant mieux comprendre et appréhender la difficulté que peuvent rencontrer les élèves à vivre ensemble, vivre en classe, à comprendre ce que Nicole Priou et Roger Guyon appellent « la culture de l’école ».
La seconde raison qui m’a poussée à me concentrer sur ces deux classes de 4ème est tout simplement l’âge des élèves.
L’adolescence est une construction de soi dans un débat permanent avec les autres, surtout les autres en soi dans la mesure où la quête majeure du jeune est alors celle des limites : savoir ce que les autres peuvent attendre de lui et ce qu’il peut attendre des autres.
Comme l’explique David Le Breton, l’adolescence est une période charnière durant laquelle les élèves ont du mal à trouver leur propre identité mais aussi leur place et leur intérêt au sein d’un groupe ou d’une société. « Jusqu’alors, dans la plupart des cas, il s’identifiait principalement en référence à ses parents. Là, il va commencer à trouver – ou du moins à chercher ! – qui il est, lui. » Cela est d’autant plus vrai au sein d’une classe dans laquelle vingt-cinq adolescents passent leurs journées ensemble. Comme l’explique Marie-Jeanne Trouchaud dans son ouvrage La Violence à l’école, un adolescent, après « l’appartenance à la filiation », cherche une « appartenance par l’affiliation ». La quête d’identité individuelle des jeunes passe notamment, et en grande partie, par la place qu’ils trouvent au sein d’un groupe. Ce groupe répond à certains codes, certaines pratiques mutuelles… tout comme le fait en réalité le groupe-classe ! C’est pour toutes ces raisons que le développement de certains savoir-être et de l’art du vivre ensemble m’a semblé indispensable à cet âge-ci et au sein d’une classe. En effet, l’élèveadolescent doit se sentir inclus au sein du groupe-classe ce qui l’aidera plus tard, dans sa future vie de citoyen. « Pour être soi, il faut se nourrir des autres et être différent d’eux » : le professeur Jeammet résume ici toute la complexité de l’adolescence face au groupe. L’individu veut s’en détacher pour trouver sa propre identité mais a besoin de ce groupe pour le faire.
Durant l’adolescence, à la recherche identitaire s’ajoute un moment de transition : «Encore dépendant, il est épris de liberté. Déjà capable de se prendre en charge dans certaines circonstances, il a encore tellement besoin du soutien des adultes…». Ainsi, l’adolescent a des relations fragiles avec ses pairs mais peut également se montrer inconsistant dans ses rapports avec les adultes. Pour sortir de cette carapace qu’est l’enfance, « il lui est indispensable de s’opposer ». Cette opposition peut s’expliquer si l’on en croit l’interview d’un psychiatre de Claire Chartier, journaliste de l’Express : « Plus l’adolescent a peur, plus il a tendance à faire peur pour masquer son anxiété ». J’ai vraiment pu constater ces dires cette année et plus particulièrement avec les classes de 4ème. Il m’a donc fallu développer des stratégies, mettre en place des activités pédagogiques adaptées mais aussi apprendre à moduler ma voix, modifier mon comportement selon les situations pour essayer d’instaurer une ambiance dans laquelle les élèves pouvaient se sentir en sécurité et ainsi assurer des séquences/séances efficaces. Faire de la classe un environnement serein dans lequel je pouvais transmettre des savoirs mais également des savoir-faire et des savoir-être a tout de suite été une des conditions sine qua non de mon rôle d’enseignante.
Cela a été l’un des plus grand, si ce n’est le plus grand, défi de mon année de stage, et c’est pourquoi j’ai tenu à travailler sur ce sujet et avec ces classes en particulier. Le concept du vivre ensemble dépend non seulement de la relation de l’enseignant avec l’élève, mais également de la relation de l’enseignant avec le groupe-classe, celle des élèves entre eux et enfin celle de l’élève avec lui-même et sa potentielle difficulté à trouver sa place dans la classe. Tout autant d’axes sur lesquels développer des stratégies au cours de l’année pour optimiser les séances.
La complexité du développement individuel à l’adolescence
Les problèmes individuels de comportement se sont manifestés de manière diverse par les élèves cette année. J’ai tout d’abord constaté l’image déformée que certains élèves pouvaient avoir d’euxmêmes. En effet, nombre d’entre eux ont, à cet âge-là, une image négative de leur propre personne et ont souvent tendance à se dévaloriser et à être découragés par la difficulté, ce qui s’est évidemment révélé être un frein pendant le cours d’anglais, autant au niveau de l’apprentissage en lui-même que du déroulement des séances dans un cadre serein et propice aux apprentissages. Par exemple, il arrivait souvent à un des élèves, A., de refuser tout aide sous prétexte qu’il « était trop nul et que ça ne servait à rien ». Il lui arrivait même de pleurer de rage lorsque je lui proposais une aide plus poussée tant il avait perdu confiance en lui et tant son propre cas lui semblait désespéré. En effet, « en s’opposant, il n’est pas seul, il s’assure un minimum d’échange, en même temps qu’il se rassure sur sa différence, puisqu’il n’est jamais d’accord. » Le conflit est un moyen pour l’adolescent de construire son identité, et, toujours selon le Professeur Jeammet, c’est souvent contre les personnes dont il a le plus besoin que l’adolescent choisit de s’opposer. Encore une fois, la classe est un environnement important pour un élève : il a besoin de l’enseignant pour apprendre mais égalementde ses pairs pour grandir, mûrir et se construire. C’est pourquoi j’ai voulu commencer par me pencher sur les problèmes que les élèves pouvaient rencontrer au niveau individuel, sur leurs combats intérieurs. Ils ne peuvent pas réussir à vivre ensemble au sein d’une classe s’ils n’arrivent pas, dans un premier temps, à vivre avec eux-mêmes.
J’ai classé ces problèmes individuels en trois catégories.
➤ La première regroupe les élèves venant de milieux sociaux défavorisés dont l’environnement familial ne leur permet pas toujours d’être suivis dans leur cursus scolaire. Certains de mes élèves pouvaient être classés dans cette catégorie. Les établissements REP sont en effet définis comme tels suivant un « indice social », grâce à « quatre paramètres impactant la réussite scolaire » :
– Le taux de catégories sociaux-professionnelles défavorisées
– Le taux d’élèves boursiers
– Le taux d’élèves résidant en zone urbaine sensible (ZUS)
– Le taux d’élèves ayant redoublé en sixième .
L’appartenance à un milieu dit « défavorisé » a plusieurs impacts sur les élèves et leur réussite scolaire. D’une part, les parents ne sont pas toujours aptes à suivre de près l’évolution scolaire de leurs enfants, soit par manque de temps soit par manque de connaissances « scolaires ». Certains des élèves sont aussi les aînés de grande fratrie, ce qui les oblige quelquefois à devoir s’occuper de leurs petits frères ou petites sœurs (certains de mes élèves s’occupaient de leurs 5 frères et sœurs). A cela s’ajoute les tâches ménagères, surtout pour les filles, que les élèves font après l’école, les appartements exigus où il est souvent impossible de s’isoler pour étudier, être au calme ou dormir dans de bonnes conditions. Cela laisse peu de temps et de facilité pour les devoirs et un apprentissage optimal à la maison mais peut également affecter la concentration des élèves pendant les cours.
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Table des matières
Introduction
I) Le vivre-ensemble, pour apprendre à se connaître et à connaître les Autres.
A) La difficulté des élèves à vivre ensemble au sein d’une classe à l’origine
du choix du sujet
B) La complexité du développement individuel à l’adolescence
C) La difficulté des élèves à trouver leur place au sein d’un groupe
II) Construction d’un protocole et mise en place de différentes stratégies favorisant le vivre-ensemble
A) Aider l’élève à trouver sa place dans le groupe-classe
B ) Harmoniser le groupe pour permettre son épanouissement via des projets communs et différentes stratégies
III) Résultats obtenus suite aux recueils de données et limites des stratégies mises en place.
A) De l’importance du sentiment de « sécurité » chez l’élève
B) Des objectifs communs pour fortifier le groupe
Conclusion
Annexes
Bibliographie
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