LE VIRAGE GÉNÉRIQUE

LE VIRAGE GÉNÉRIQUE

LES GENRES SELON SPITZ

La littérature, ce sont aussi des genres. Soit explicitement, soit de biais, Spitz s’est occupé et a été préoccupé de questions génériques dès le début de son activité littéraire, au cours de toute la période ici couverte, et très certainement plus tard.Le journal recèle ainsi une hiérarchie des genres tantôt implicite, tantôt explicitée, et variable, selon que Spitz envisageait sa propre pratique et ses productions, ou celles des écrivains dont il lisait ou relisait telles ou telles œuvres. Cette hiérarchie était dynamique, vivante en quelque sorte, parce que partie prenante de l’activité d’un écrivain lui même lecteur, s’essayant à différents genres et cherchant sans cesse son propre renouvellement formel. On pourrait dire que l’intérêt de Spitz est passé de la poésie à une forme d’essai autobiographique puis au roman : le journal et divers documents d’archives témoignent de son parcours. Hésitation ou double avenue ?
Bien entendu, ce passage s’est fait progressivement, Spitz écrit tour à tour des récits, des poèmes, en vers et en prose, s’adonne largement à l’écriture automatique, puis s’essaye à l’aphorisme ; en praticien conscient de sa pratique, il y revient, la décortique, s’examine en usant des concepts de style, de poétique, de ton, de forme, qui tous entraînent des considérations explicites sur la dimension générique des textes, à laquelle Spitz s’est constamment frotté par le biais d’explorations formelles et de projets, dont tous n’ont évidemment pas abouti. En voici un bref exemple, parmi plusieurs : « Sujets de conte : La journée. 1° Donner simplement les adresses que reçoit un chauffeur de taxi. 2° Mettre bout à bout les phrases qu’on entend durant le jour » (Journal). Sa décision de diviser par genres ou sous-genres sa production, un peu comme l’avait fait André Gide, témoigne de l’insistance de sa préoccupation. Dans une dactylographie tardive conservée à la BnF, Spitz n’accole explicitement le mot roman, employé seul, qu’à sa dernière œuvre publiée, Albine au poitrail. C’était sans compter, bien sûr, sa série de romans fantastiques, désignation elle-même significative dans la mesure où ce couple n’est pas encore tout à fait usité, puisque c’est au conte que le fantastique était traditionnellement lié, et dans la mesure également où l’adjectif fantastique ne correspond certainement pas, selon les standards contemporains, à tous les romans écrits par Spitz, certains plus près de l’anticipation, d’autres voisinant avec la SF, comme nous aurons l’occasion de le voir et comme la suite des événements se chargera de le lui rappeler. Nul ne songerait aujourd’hui à considérer Les évadés de Van 4000 ou La guerre des mouches comme relevant du fantastique, quelle que puisse être sa perception globale, voire sa définition plus étroite du genre.

LA POESIE

Le journal jette un éclairage complètement inédit sur l’image que se faisait la critique d’un écrivain exclusivement romancier, car parallèlement à son activité romanesque, Spitz poursuit, en 1928 et 1929, une activité de poète féconde. Mais sa poésie va demeurer de l’ordre de l’intime, ne jamais s’aventurer hors du journal et de ses divers cahiers et feuillets. Je ne sais s’il a tenté de faire publier un recueil quelconque, ni s’il y a trace d’un tel recueil. Sa pratique de la poésie et de l’écriture automatique (pour autant qu’il faille faire cette distinction, marquer la différence entre l’une et l’autre à cette époque de la vie de Spitz) ne se relâche d’abord pas, puis elle tombe peu à peu, jusqu’à ce que Spitz marque nettement son détachement: «Maintenant que j’ai déchiffré ma poésie, ça ne m’amuse plus, j’en ai plein le dos » (Journal). Il en a, pour ainsi dire, fait le tour. Spitz s’est donc premièrement vu comme poète et il l’était à en juger par la quantité de poèmes en vers et en prose présents dans les années d’ouverture du journal. Le plus ancien texte qu’on ait de lui est un poème, «Allitération», daté du 6 août 1922 (NAF 28009 (20), f. 3). Il est significatif et tout à fait dans l’esprit formalisant de Spitz que le titre reprenne le nom d’un procédé poétique. Datée de l’été 1923, sa « Ballade des femmes qui chient » évoque à la fois Rabelais et Villon. Composé comme une ballade en assez bonne et due forme, ce poème témoigne à la fois de sa sensibilité aux genres canoniques et d’un côté subversif qu’on retrouvera dans beaucoup d’œuvres ultérieures.
La poésie a très certainement occupé le sommet de sa hiérarchie des genres pendant quelques années. Pas étonnant si ses principales admirations comptent plusieurs poètes:Rimbaud, Lautréamont, Valéry et Aragon. Qui ne lirait de son journal que les années 1928 et 1929 croirait avoir essentiellement affaire à un poète et serait surpris d’apprendre qu’il ne publia jamais de recueil de vers, seulement cette Mise en plis qu’il auto-édita. Ses poèmes et ébauches de poèmes, ses réflexions sur la poésie et sur la poétique de même que ses séances d’écriture libre abondent et représentent assurément les trois-quarts des deux premières années.
Bien entendu, Spitz était en plein surréalisme et surréaliste lui-même, sinon officiellement, du moins par l’esprit. Témoins son intérêt pour l’inconscient et ses manifestations, dont le rêve, sa valorisation de la liberté de la plume qui avance sur la page (littéralement parlant) et, partant, son recours à l’écriture automatique, son refus du roman, son intérêt pour des pratiques et des genres populaires, de même que, dans un autre ordre d’idées, sa haine manifeste de la bourgeoisie et de sa morale étroite. Cela dit, paradoxalement, Spitz sera demeuré très sensible à l’idéal classique de clarté, très valéryen encore, en dépit de son appréciation changeante de l’auteur de Monsieur Teste. Son souci du lecteur revient régulièrement.Notable encore, dans cette optique, sa volonté valéryenne de démonter le mécanisme, de s’observer écrivant et de noter le résultat de ses observations dans son journal. L’extrait suivant le montre tiraillé entre son souci de transparence et sa haine d’une conception bourgeoise de la littérature

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Table des matières

RÉSUMÉ 
REMERCIEMENTS
LISTE DES ANNEXES 
LISTE DES ABRÉVIATIONS DES ŒUVRES CITÉES DE JACQUES SPITZ
INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 BIOGRAPHIE 
1.1 FAMILLE, ÉDUCATION
1.2 QUELQUES AMITIÉS
1.3 AMOURS
1.4 VIE SOCIALE
CHAPITRE 2 LE CAS SPITZ 
2.1 FORTUNE ACTUELLE ET IMAGE
2.1.1 À REBOURS : LES ANNÉES 1970 ET 1960
2.1.2 LES ANNÉES 1950
2.1.3 L’ŒUVRE PUBLIÉE, INÉDITE ET RÉÉDITÉE
CHAPITRE 3 SPITZ ÉCRIVAIN 
3.1 LA CONCEPTION SPITZIENNE DE LA LITTÉRATURE
3.2 LES GENRES SELON SPITZ
3.2.1 LA POÉSIE
3.2.2 L’IDÉE DU DRAME
3.2.3 VERS L’ESSAI ROMANCÉ
3.2.4 LE ROMAN
3.3 LECTURES, MODÈLES ET INFLUENCES
3.3.1 UN ANTI-MODÈLE
3.4 SON RAPPORT À L’INSTITUTION
CHAPITRE 4 L’ŒUVRE 
4.1 LE VIRAGE GÉNÉRIQUE
4.1.1 « CHOISIR UN GENRE PEU FRÉQUENTÉ »
4.1.2 À PROPOS DE GENRES
4.2 LES GENRES : ENJEUX ESTHÉTIQUES ET SYMBOLIQUES
4.2.1 LA SF EN FRANCE : QUELQUES ÉLÉMENTS D’HISTOIRE
4.3 LA CHRONOLOGIE
4.4 LEPARATEXTE
4.5 LECTURES
4.5.1 LE PERSONNAGE
4.5.2 L’AUTORÉFLEXIVITÉ
4.5.3 HYBRIDATION/ EXPLORATION FORMELLE
4.5.4 PRATIQUES INTERTEXTUELLES
CONCLUSION 
JOURNAL DE JACQUES SPITZ 
BIBLIOGRAPHIE 
INDEX

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