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Le végétal comme origine de l’architecture.
Comme celui de Semper, les discours sur l’origine de l’architecture ont souvent comme point commun d’ancrer leurs racines dans le végétal. Dans son second livre, Vitruve présente la hutte primitive comme forme originelle de l’architecture. Il écrit, en parlant des hommes primitifs, qu’ “aussi commencèrent-ils les uns à construire des huttes de feuillages, les autres à creuser des cavernes au pied des montagnes; quelques-uns, à l’imitation de l’hirondelle qu’ils voyaient se construire des nids, façonnèrent avec de l’argile et de petites branches d’arbres des retraites qui purent leur servir d’abri”13
Au XVIIIe siècle, cette forme originelle de l’architecture donne lieu à de nombreux débats. Le texte le plus célèbre à ce propos est celui de Laugier: Essai sur l’art. Il y explique que : « l’homme veut faire un logement qui le couvre sans l’ensevelir. Quelques branches abattues dans la forêt font les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes qu’il élève perpendiculairement, et qu’il dispose en carré. Au dessus, il en met quatre autres en travers, et sur celles-ci, il en élève qui s’inclinent et qui se réunissent en pointe des deux côtés. Cet espèce de toit est recouvert de feuilles assez serrées pour
que ni le soleil, ni la pluie ne puissent y pénétrer. Et voilà l’homme logé. Il est vrai que le froid et le chaud lui feront sentir leur incommodité dans la maison ouverte de toute part; mais alors il remplira l’entre deux des piliers et se trouvera garanti. Telle est la marche de la simple nature, c’est à l’imitation de ces procédés que l’art doit sa naissance. La petite cabane rustique que je viens de décrire est le modèle sur lequel on a imaginé toutes les magnificences de l’architecture; c’est en se rapprochant dans l’
exécution de la simplicité de ce premier modèle que l’on évite les défauts essentiels, que l’on saisit les perfections véritables.»14
Pour Laugier, cette cabane est “le modèle originel de l’architecture que tout architecte devrait avoir à l’esprit en travaillant”. Cette idée est nuancée voire contestée par de nombreux théoriciens de l’époque. Lucan, dans composition, non-composition, explique que «Quatremère de Quincy faisait de la cabane seulement l’origine de l’architecture grecque»15. Ainsi le temple grec serait l’expression pétrifiée d’une charpente initialement construite en bois. Les triglyphes correspondant à la terminaison des poutres, les denticules signifiant la place des chevrons … En 1875, dans son Histoire de l’habitation humaine, Viollet le Duc décrit une autre cabane (pp.5-7) : “ Epergos (…) choisit deux arbres espacés, se hissant sur l’un d’eux, il le fait courber par le poids de son corps … attire le sommet de l’autre par un bois crochu et, joignant ainsi les deux arbres, il les lie ensemble avec des joncs. (…) Il faut les incliner en cercle en appuyant leurs sommets contre les deux premiers arbres attachés pour garnir les autres intervalles avec des roseaux. “16
Viollet le Duc présente une description de la hutte primitive dont l’assemblage évoque celui auquel se réfère James Hall dans son ouvrage Essay on the origin, history and principles of gothic architecture.
Hall explique être à la recherche de principes originels des formes architecturales gothiques, en se basant sur l’idée que l’architecture du temple grec est bien issue de la pétrification d’un modèle en bois17. Ainsi, il en serait de même pour les formes gothiques : puisque la pierre n’a pas de forme particulière, les architectes lui prêtent celle du bois, dans un effort de circonscription de leur imagination. Dans son explication, il fait référence à des habitations de fortune qu’il croise lorsqu’il voyage en France. “ A rustic dwelling might be constructed of such rods, bearing a resemblance to works of gothic architecture, and from which the peculiar forms of that style might have been derived.”18 Pour illustrer son propos l’auteur fait graver des planches par Edward Blore, illustrant l’idée de la pétrification de formes végétales de l’architecture gothique (Fig. 16). Ces quelques exemples montrent comment le végétal et sa manipulation sont mis en récit comme origine des règles constructives de différentes formes architecturales.
Agriculture et architecture Dans son texte Sublimation, Sébastien Marot questionne le discours sur la pétrification du temple en bois.
Il explique que l’historien G. Peschken émet l’hypothèse que le temple dorique grec est plutôt une “transposition monumentale de greniers vernaculaires, servant à stocker et à protéger le grain d’une année sur l’autre.”19 Le temple serait donc issu de la forme du grenier symbolisant l’autonomie du village. Cette hypothèse, bien que questionnant les discours habituels sur l’origine de l’architecture, fait cependant du règne végétal un point de départ pour la création architecturale. Il est évident que la relation végétal-architecture est extrêmement présente dans le monde agricole. De nombreux exemples montrent comment la culture d’espèces végétales conduit à la production de formes architecturales spécifiques. Dans son livre Taking the country’s side, agriculture and architecture, Marot rappelle que “ces deux pratiques ont évolué en parallèle depuis leur berceau commun au néolithique.” 20.
On peut citer un exemple – parmi d’autres – plus récent à ce sujet. En 1938, une des rares aventures rurales du Corbusier a lieu lorsqu’il dessine un projet – jamais réalisé – de réorganisation agraire ferme et village radieux à Piacé (72). Parmi les éléments de ce projet, il emploie une ossature Dom-ino pour la maison de l’agriculteur exploitant. Après avoir redistribué les 41 exploitations du village, il distribue à chaque agriculteur un parcelle de 20 hA. Au centre de chaque exploitation se trouvent la maison familiale et le hangar. La maison, sur pilotis, surélève l’espace domestique et lui donne une vue panoramique sur l’exploitation. Elle devient alors lieu de contemplation et de surveillance de la croissance des cultures dont le fermier est propriétaire. “ l’essentiel, la question capitale, est que le logis du paysan sera l’équivalent du logis citadin – commodités, confort, hygiène- pour le reste, la nature y pourvoit : poésie.”21
L’architecture du jardin.
Dans son projet de maison pour un agriculteur, Le Corbusier ne traite pas seulement la surface cultivée comme un outil de travail nourricier, nécessaire à la subsistance du paysan et sa famille. Dans son caractère “scénographié”, il est, dans une certaine mesure, traité comme un jardin, un lieu de contemplation.
Dans sa définition, l’art des jardins possède d’étroites relations avec l’architecture. Le mot jardin provient du franc “gart”, qui signifie clôture: “un espace gardé, un espace clos, un espace disposant d’un cadre, qui contient, regroupe, organise, distinguant le jardin du monde qui l’entoure”. Ainsi, le jardin se définit comme un enclos protecteur pour l’homme, à l’intérieur duquel il semble dominer les forces de la nature. Le jardin détermine une limite, souvent par la présence d’un mur, ou d’un fossé, séparant un intérieur et un extérieur, ainsi que le fait l’architecture. L’article 2 de la charte de Florence (1981) définit un jardin historique comme “une composition d’architecture dont le matériau est principalement végétal donc vivant, et comme tel, périssable et renouvelable. Son apport résulte ainsi d’un perpétuel équilibre entre le mouvement cyclique des saisons, du développement et du dépérissement de la nature, et la volonté d’artifice qui tend à en pérenniser l’état.”22
Nous voyons alors ici aussi de quelle manière architecture et jardin peuvent s’assimiler.
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Table des matières
Introduction Méthodologie
Partie I : Le végétal représenté
L’architecture mobilisant la lore, entre présentation et représentation.
I – 1) Le végétal dans le projet d’architecture, une longue histoire de références
L’ornement végétal
Le végétal comme origine de l’architecture
Agriculture et architecture L’architecture du jardin
I – 2) Mobilisations du végétal par des architectes contemporains
Le végétal en présence La métaphore végétale
Partie II : La représentation du végétal
Quelle place dans la production d’une image de rendu de projet d’architecture ?
L’image de rendu
II – 3) Histoire de la présence du végétal dans l’image de rendu de projet d’architecture. 1960 -1990: La révolution numérique et l’arrivée de l’image de synthèse. 1990 – 2000 : L’invention des logiciels fondamentaux
2000 – 2010 : L’hégémonie de l’image de synthèse
2010 – 2020 : Questions de style
Le futur
II – 4) La production d’une image de rendu d’architecture
II – 5) La place du végétal au sein de la production d’une image de rendu de projet d’architecture.
II – 6) Etude de cas : Deux concours d’architecture a Rennes : le rôle du végétal dans les images de synthèse
Partie III : Ce que représente le végétal Rélexions sur l’usage et la symbolique du végétal dans les perspectives de projet d’architecture. Conclusion
Iconographie
Bibliographie
Annexes
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