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Le modèle « cognitif-énergétique »
Sergeant et ses collègues ont une toute autre approche (Sergeant, Piek, & Oosterlaan, 2006; Sergeant, 2000). Ils proposent que les difficultés observées chez les patients avec un TDA/H soient liées à des facteurs énergétiques (éveil, effort, activation). Pour ces auteurs, le déficit d’inhibition dépend de l’état du sujet et plus précisément de l’énergie qu’il va mettre à disposition pour la réalisation d’une tâche (Figure 11). Le raisonnement de ces auteurs est basé sur des études montrant une amélioration de la performance chez des enfants avec un TDA/H en présence d’une récompense ou d’une punition (Osterland et al., 1994). De leur point de vue, les facteurs énergétiques influencent tous les autres processus mis en jeu dans le traitement de l’information, de même que le niveau de vigilance nécessaire à l’encodage des informations, la prise de décision et l’activation de la réponse. Ce modèle inclut aussi un module de contrôle de l’exécution nécessaire pour planifier et maintenir les représentations mentales du comportement dirigé vers un but. Ainsi, pour ces auteurs, un niveau d’activation inadéquat du mécanisme d’inhibition chez les individus avec un TDA/H est la clé pour expliquer le déficit de ces patients lors de paradigmes évaluant la capacité d’inhibition (par exemple, les tâches de go/no go, de stop, de paradigme de changement).
Les modèles motivationnels du TDA/H
Egalement dans le cadre théorique de la motivation mais avec une approche plus neurobiologique, Sagvolden et collaborateurs (1991,1998) ont suggéré que le déficit central chez les patients avec un TDA/H ne serait pas un problème d’inhibition mais serait plutôt lié à un dysfonctionnement motivationnel.
Pour ces auteurs, les symptômes observés chez ces patients sont le résultat d’une perturbation des circuits fronto-striataux connus pour être ceux de la récompense. Celle-ci aurait pour conséquence une réduction du contrôle exercé par la récompense future sur le comportement actuel. En effet, les études de Sagvolden et collaborateurs (1998) montrent que les enfants avec un TDA/H sont plus sensibles au renforcement que les enfants sains, sauf lorsque le renforcement est éloigné temporellement de la réponse, cas où il n’y a alors aucune différence entre les groupes d’enfants. Cette difficulté à attendre parait dissociée d’un déficit de la capacité à inhiber (Solanto et al., 2001; Sonuga-Barke et al., 1994). Ce comportement a été qualifié d’aversion pour les délais, ce qui rapproche ce modèle de celui proposé par Sonuga- Barke (1994) et portant le nom de modèle d’aversion au délai. Selon celui-ci, l’émotion aversive provoquée par le délai est à l’origine d’un comportement négatif de l’enfant entraînant des difficultés avec son entourage. Deux types de comportement sont possibles selon que l’enfant a le choix de subir le délai ou non. Soit la réponse émotionnelle négative entraîne une tentative d’évitement ou de minimisation du délai ce qui se manifeste alors par un comportement impulsif chez l’enfant. Soit il ne peut pas échapper au délai, et dans ce cas il va essayer de réduire l’attente temporelle en maximisant son attention vers les différentes informations présentes dans l’environnement ce qui entraînera une accélération « du passage du temps ». Dans ce cas, l’enfant apparaîtra comme inattentif et hyperactif pour son entourage (Figure 12).
Le TDAH chez l’adulte
Les patients dont les symptômes persistent à l’âge adulte rencontrent souvent des difficultés dans leur vie professionnelle, sociale et privée. Par exemple, une situation aussi banale que celle d’une simple conversation peut se voir perturber à cause de l’incapacité à garder son attention fixée sur le discours de l’interlocuteur, ce qui a pour conséquence une pensée qui s’évade. De fait la répétition de ce type d’attitude et la multiplication des étourderies vont rapidement épuiser l’entourage et dans certains cas seront coûteuses et très pénalisantes pour le patient.
Des études longitudinales prospectives comme celle de Weiss (1979) au Canada ainsi que des observations cliniques réalisées chez l’adulte avec un TDA/H ont permis de réaffirmer la persistance d’un tableau clinique chez l’adulte bien que celui-ci soit modifié et plus complexe que chez l’enfant (Tableau 1). Hart et collaborateurs (1995) ont montré qu’à l’âge adulte les symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité déclinent notablement, mais pas ceux liés au déficit d’attention. Entre 6 et 20 ans, le nombre moyen de symptômes diminue de 50% pour l’agitation, 40% pour l’impulsivité et seulement 20% pour l’inattention.
Substrats neurobiologiques du TDAH
Les système de neurotransmission
Une grande partie de la littérature sur le TDA/H soutient l’hypothèse d’un dysfonctionnement e certains neuromédiateurs d’origine génétique. Bien que différents neuromédiateurs comme la noradrénaline, la sérotonine et le GABA aient parfois été mentionnés, le neuromédiateur le plus impliqué dans le TDA/H serait la dopamine. La focalisation des recherches sur le rôle de la dopamine dans le TDA/H provient d’une part du rôle joué par la dopamine dans le contrôle de l’activité motrice (Costentin, 1995), d’autre part des effets indiscutables des psychostimulants (par exemple, le méthylphénidate) sur les symptômes du TDA/H. En effet, le méthylphénidate semble améliorer les symptômes d’inattention, d’hyperactivité et d’impulsivité (Cantwell, 1996). Il est fait l’hypothèse que le méthylphénidate agirait en bloquant le transporteur de la dopamine (DAT), produisant une augmentation de la quantité et de la durée de présence de dopamine dans la synapse. Des souris chez lesquelles le gène du DAT a été inactivé présentent certaines caractéristiques comportementales du TDA/H, tels que l’hyperactivité ou le déficit de mémorisation et d’apprentissage (Giros et al., 1996.
Gainetdinov et al., 2000). De plus, des études génétiques menées chez les sujets présentant un TDA/H convergent vers l’idée qu’il y aurait une mutation des gènes codant pour les récepteurs D4 (DRD4) et D5 (DRD5) de la dopamine (Heise et al., 2004 ; Whol et al., 2005). Le gène du DRD4 a été un des premiers gènes étudié. Il a été proposé qu’il soit associé à la recherche de nouveauté qui est un trait de caractère associé, entre autres, au TDAH, au trouble des conduites et à l’abus de substances psychoactives (pour revue, voir Kluger et al., 2002).
Par ailleurs, la dopamine est principalement synthétisée et libérée par des populations de neurones très restreintes situées dans l’aire tegmentale ventrale (TAV) et dans la substance noire de la pars compacta (SNc). Les neurones dopaminergiques de la SNc vont principalement se projeter vers la partie supérieure du striatum constitué du noyau caudé et du putamen, structures également connues pour être impliquées dans la modulation de la motricité, tandis que les neurones dopaminergiques de l’ATV vont se projeter vers le cortex frontal (Figure 13). A ce titre, il est intéressant de noter qu’il a été rapporté que le méthylphénidate augmente l’activation frontale chez les enfants et adolescents atteints du TDA/H (Shafritz et al., 2004; Vaidya et al., 1998). Le système dopaminergique semble donc impliqué dans les processus cognitifs attentionnels dont les déficits seraient à l’origine des symptômes présents chez le TDA/H (Schonwald, 2005).
La fonction d’activation de l’attention
La fonction d’activation de l’attention fait référence à l’état général de préparation qui permet au sujet de traiter et de répondre à une stimulation non déterminée de manière efficace. Elle est influencée par divers facteurs externes (liés aux stimuli) et internes (liés aux aspects biologiques). Elle recouvre divers états qui sont l’alerte, la vigilance et l’attention soutenue. L’état d’alerte d’un sujet correspond, par exemple, à l’état d’un sujet suite à une consigne ou un signal avertisseur lui annonçant l’arrivée d’une tâche à effectuer. On distingue classiquement deux types d’alerte en fonction de la durée de mobilisation de l’alerte : phasique et tonique. L’alerte phasique correspond à une préparation attentionnelle brève, par exemple celle du sprinter dans les starting-blocks alors que l’alerte tonique permet de rester préparé pendant une plus longue période, par exemple lorsqu’on est arrêté au feu rouge et que l’on attend qu’il passe au vert. Le niveau d’activation pourra être plus élevé en alerte phasique mais maintenu moins longtemps qu’en alerte tonique.
Lorsque la durée des tâches augmente encore, on parle alors de vigilance. Il s’agit de la capacité à maintenir un niveau suffisant d’efficacité attentionnelle au cours de tâches monotones et de longue durée exigeant, par exemple, la détection d’événements qui se produisent rarement. La vigilance est souvent mesurée dans des tâches de détection au cours de laquelle le sujet doit percevoir et rapporter la présence ou l’absence d’un changement spécifié dans l’environnement.
Enfin lorsque le flux d’informations est constant et demande un traitement actif continu de la part du sujet, on parle alors d’attention soutenue qui peut se définir comme la capacité à maintenir sa concentration pour une période de temps important.
La notion d’attention divisée et de ressources attentionnelles
Une autre problématique liée à l’attention a été celle cherchant à comprendre les processus mis en jeu en situation d’attention divisée, c’est-à-dire pouvant rendre compte de la manière dont notre cerveau pouvait gérer la réalisation de deux actions simultanées. En 1973, Kahneman propose un modèle à capacité limité selon lequel il n’existerait qu’un seul réservoir de ressources attentionnelles destinées à l’accomplissement d’une tâche et que celles-ci étant disponibles en quantité limitée, elles devraient être partagées entre les différentes tâches en compétition. Dans son modèle, il insiste sur le caractère intensif de l’attention, c’est-à-dire sur la quantité des ressources attentionnelles susceptibles d’être investies en plus ou moins grande quantité (intensité) dans les diverses opérations de traitement. Ainsi, la quantité de ressources disponibles à un instant t serait dépendante du niveau d’éveil et également de différences individuelles. L’allocation des ressources serait d’une certaine manière sous contrôle volontaire.
En 1984, Wickens introduit l’idée qu’il pourrait y avoir plusieurs réservoirs de ressources. Selon lui, les ressources d’un même réservoir pourraient être partagées entre plusieurs tâches, et inversement une même tâche pourrait puiser dans des réservoirs différents mais le contenu serait toujours limité. Ainsi ce modèle permettrait d’expliquer pourquoi il est parfois possible de partager son attention entre plusieurs tâches sans forcément assister à un écroulement des performances. En effet, il pourrait y avoir simplement une réorganisation de l’utilisation des ressources, plusieurs réservoirs pouvant même travailler en parallèle. Cette théorie implique un système superviseur central qui gèrerait l’allocation de ces différentes ressources attentionnelles. Ce pourrait même être le rôle premier de l’attention.
Modèles théoriques interprétatifs de l’interférence dans la double tâche
Dans la littérature qui traite de la double-tâche, divers modèles et concepts tentent de rendre compte de l’interférence observée lors de la réalisation de deux tâches concurrentes (Diedrichsen et al., 2001; Greenwald, 1973; Jolicoeur, 1999; Navon & Gopher, 1979a;
Pashler, 1984; Pashler & Johnston, 1989; Schumacher et al., 2001; Tombu & Jolicoeur, 2002; Welford, 1952; Wickens et al., 1983). Nous regrouperons les modèles prédominants en trois catégories : 1/les modèles à goulot d’étranglement (type bottleneck) posant comme principe que le système de traitement a une capacité limité. Selon ces modèles, l’interférence a lieu lorsque les deux tâches ont besoin en même temps de ressources pour la même étape de traitement (Pashler, 1994), 2/ les modèles à capacité partagée (type capacity-sharing) qui proposent que l’attention soit une ressource fluide pouvant être partagée parmi tous ou une partie des processus mentaux, 3/ les modèles dits «crosstalk» postulant que l’interférence est dépendante du contenu de la tâche.
Les modèles à goulot d’étranglement
Les modèles du type « goulot d’étranglement » considèrent que l’architecture cognitive du cerveau a un seul canal de traitement (Welford, 1952 ; Pashler, 1984, 1994; Pashler & Johnston, 1989). Selon ce postulat, les informations doivent être traitées de manière séquentielle, c’est-à-dire les unes après les autres puisqu’elles peuvent avoir accès au processeur central seulement une à la fois. Cette observation s’appuie sur le paradigme classique de période réfractaire psychologique (PRP). Ce paradigme comprend deux stimuli S1 et S2 présentés avec un décalage dans le temps, l’intervalle séparant ces deux stimuli est dit SOA (Stimulus Onset Asynchrony) et peut être variable. Les sujets doivent fournir deux réponses rapides et différentes, R1 et R2, respectivement associées aux stimuli S1 et S2. Un effet robuste et classiquement obtenu dans ce type de paradigme consiste en un allongement du temps de réponse R2 quand le SOA diminue. Cet effet a été expliqué par l’existence d’un goulot d’étranglement au niveau duquel les ressources attentionnelles ne pourraient être attribuées qu’à une seule étape de traitement à la fois. Ainsi, la même étape de la seconde tâche nécessitant les mêmes ressources attentionnelles ne pourrait commencer que lorsque cette étape est terminée dans la première tâche (Figure 17).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I Traitement de l’information et contrôle de l’interférence.
1. Quelques mots sur le traitement de l’information
2. La contribution de la chronométrie mentale
3. Le contrôle de l’interférence et la tâche de Simon
4. Interprétations théoriques de la diminution de l’effet d’interférence avec
l’allongement des TR
5. Les effets séquentiels
Chapitre II Le Trouble déficitaire de l’attention avec/ou sans hyperactivité (TDA/H)
1. Evolution de l’étiologie du TDA/H au cours de l’histoire
2. Caractéristiques diagnostiques du TDA/H
3. Les aspects cliniques du TDA/H
4. Un survol des théories explicatives
5. Le TDAH chez l’adulte
6. Substrats neurobiologiques du TDAH
Chapitre III
L’ATTENTION
1. La notion d’attention
2. Les fonctions de l’attention
3. La notion d’attention divisée et de ressources attentionnelles
4. Substrats neurobiologiques de l’attention
5. Le rôle de l’attention dans l’estimation du temps
Contribution expérimentale
Contribution expérimentale 1
A dual-task paradigm to study the interference reduction in the Simon task.
Contribution expérimentale 2
New tools for evaluating the control interference in adults with ADHD.
Contribution expérimentale 3
The cognitive structure of time estimation impairments in adults with ADHD.
Discussion générale
1. L’attention joue-t-elle un rôle dans le contrôle de l’interférence ?
2. Que nous apprennent les patients avec un TDA/H sur le contrôle de l’interférence ?
3. Que nous apprennent ces études sur le TDA/H?
Perspectives et projets
1. Le contrôle de l’interférence.
2. Le Trouble déficitaire d’attention et hyperactivité (TDA/H )
3. Généralisation des outils utilisés à d’autres pathologies du contrôle cognitif
Bibliographie
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