Le trouble de l’oralité : cause ou conséquence de la nutrition artificielle ?
Qu’est-ce que la nutrition artificielle ?
Les différents types de nutrition artificielle
La nutrition artificielle est mise en place lorsqu’une alimentation par voie orale n’est pas possible ou que les apports sont insuffisants. Ainsi, ce type de nutrition peut être retrouvé chez une personne dont le tube digestif fonctionne normalement mais également lorsqu’il y a des troubles digestifs majeurs. Les nutriments dont a besoin la personne sont alors apportés dans l’organisme autrement que par voie orale. La nutrition artificielle peut être exclusive ou partielle. Il existe différents types de nutrition artificielle :
– La nutrition entérale :
Dans la nutrition entérale, les nutriments sont directement acheminés dans l’estomac ou l’intestin. C’est une méthode de nutrition artificielle se rapprochant le plus de l’alimentation naturelle car elle utilise une grande partie du système digestif. Elle est donc indiquée en présence d’un intestin fonctionnel lorsque l’alimentation par voie orale est impossible ou insuffisante. Les deux principaux modes de nutrition entérale sont la sonde nasogastrique et la gastrostomie .
o Sonde nasogastrique :
La sonde nasogastrique est une sonde d’alimentation introduite par le nez, descendant dans l’œsophage et allant jusqu’à l’estomac. Elle permet d’amener directement les nutriments dans l’estomac. Elle est souvent indiquée pour des nutritions entérales de courte durée.
o Gastrostomie :
La gastrostomie consiste en l’implantation d’une sonde ou d’un bouton de gastrostomie au niveau de l’estomac, en regard de la paroi abdominale. Les nutriments sont directement administrés au niveau de l’estomac par bolus ou pompe.
– La nutrition parentérale :
La nutrition parentérale est mise en place dans le cas où la nutrition entérale n’est pas possible ou insuffisante. Les nutriments sont directement administrés dans le sang par voie veineuse, ce qui implique la mise au repos du tube digestif. Cette nutrition peut se faire par un cathéter court veineux, au niveau d’une veine de l’avant-bras ou de la main et est généralement préconisée pour une nutrition parentérale de courte durée. Dans le cadre d’une alimentation parentérale plus longue, elle se fera par un cathéter veineux central. Ces soins nécessitent une hygiène très stricte et des conditions d’asepsie totale .
La nutrition artificielle : un rythme imposé par l’extérieur ?
Définition du rythme
Le rythme peut être défini comme le « Retour, à des intervalles réguliers dans le temps, d’un fait, d’un phénomène ; Succession de temps forts et de temps faibles […] » . P. Fraisse, lui, définit un rythme biologique comme « un système oscillant dans lequel des événements identiques se produisent à des intervalles de temps sensiblement égaux».
D’après P. Fraisse, deux composantes sont caractéristiques du rythme : la périodicité et la structure. La périodicité se traduit par le retour de groupements identiques. La structure correspond au regroupement d’éléments qui peuvent être identiques en durée, en qualité ou en intensité, c’est la façon dont les parties sont organisées pour former un tout.
Rythmes internes et externes :
D’après J.C Coste, « Le rythme est le facteur de structuration temporelle qui soutient l’adaptation au temps » . Selon lui, il faut distinguer les rythmes externes des rythmes internes. « Ceux, externes, […] organisent la succession des événements naturels : rythmes des saisons, des jours, des heures de la journée, et l’ensemble des phénomènes qui leur correspondent : clarté-obscurité, chaleur-froid, germinaison et floraison, migration des animaux, etc. » . Les rythmes internes sont ceux, « qui dès la naissance plongent l’enfant dans la dimension temporelle : battement cardiaque […] rythme respiratoire […], rythmes digestifs, rythmes hormonaux et neuro-végétatifs » . La notion temporelle est donc inhérente à l’individu de par les rythmes biologiques auxquels est soumis le corps.
P. Fraisse, parle lui, de rythmes exogènes et endogènes. Il définit le rythme exogène comme dépendant de stimulations externes : « On peut facilement vérifier qu’un rythme est exogène s’il cesse dès qu’on le soustrait aux influences périodiques qui le déterminent » . Le rythme endogène, lui, est produit par l’organisme, « il se manifeste au moins pendant un certain temps lorsque les conditions extérieures deviennent uniformes, c’est-à-dire s’il est auto-entretenu par l’organisme » . Il définit le rythme biologique comme « un système oscillant dans lequel des événements identiques se produisent à des intervalles de temps sensiblement égaux » .
Témoignage de la maman d’Augustin sur la vitesse de nutrition :
« A la maison, Augustin était nourri à une vitesse de 36 mL/heure ce qui fait que la nutrition était réalisée en continu sur quasiment toute la journée, y compris la nuit. Les seuls moments où il pouvait être débranché, c’était pour les soins et la toilette ». Depuis la pose de sa gastrostomie, la vitesse d’alimentation a été augmentée, « il y a eu des tentatives de nourrissage à 60 mL/heure au cours desquelles Augustin a pu montrer un ou deux hautle-cœur ». Aujourd’hui, la nutrition s’est faite à 100 mL/heure. Après sa nutrition, Augustin a beaucoup de haut-le-cœur, il semble très inconfortable. La pose du Nissen* évite les vomissements mais pas les réflexes nauséeux. L’infirmière explique qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre que ça passe et le tenir de manière verticale. La maman évoque que cela est « insupportable pour elle de le voir comme ça ».
Le trouble de l’oralité alimentaire
Définition du trouble de l’oralité
D’après C. Thibault, le terme de troubles du comportement alimentaire ou «dysoralité de l’enfant recouvre l’ensemble des difficultés de l’alimentation par voie orale. Il peut s’agir de troubles par absence de comportement spontané d’alimentation, ou par refus d’alimentation, et de troubles qui affectent l’ensemble de l’évolution psychomotrice, langagière et affective de l’enfant » . Pour V. Leblanc et M. Ruffier-Bourdet, « le trouble de l’oralité alimentaire se résume souvent par cette petite phrase courte : ‘Il ne mange pas’» .
Dans certains cas, le trouble de l’oralité est secondaire à une pathologie organique. Par exemple, une malformation au niveau de la zone orale peut entraver la succiondéglutition et ainsi limiter l’alimentation par voie orale. Pour subvenir aux besoins nutritionnels, la mise en place d’une nutrition artificielle est alors nécessaire. Dans ce cas, le trouble de l’oralité se trouve être la cause de cette nutrition artificielle. C’est également le cas lorsqu’une hypersensibilité est présente et à l’origine d’un trouble de l’oralité. Mais dans d’autres cas, c’est la nutrition artificielle qui peut être à l’origine du trouble de l’oralité. En effet, un enfant présentant une pathologie organique l’empêchant de s’alimenter par voie orale (telle qu’une pathologie digestive), devra avoir recours à une nutrition artificielle. Par le peu d’investissement de la zone orale, pouvant se prolonger, un trouble de l’oralité pourra alors se développer et sera la conséquence de la nutrition artificielle.
Classification des troubles de l’oralité
Les troubles de l’oralité peuvent être répertoriés selon la classification proposée par Irène Chatoor et l’école de Washington. Cette nosographie est issue de la classification Zéro-To-Three (DC : 0-3 R, 2005), destinée aux enfants de la naissance à 3 ans. Il existe six sous-types de troubles de l’oralité : trouble alimentaire de la régulation des états, trouble alimentaire par manque de réciprocité mère-bébé, anorexie du bébé, aversions sensorielles alimentaires, trouble alimentaire avec une cause organique associée et le trouble alimentaire post traumatique. La différence entre un trouble alimentaire et des difficultés d’alimentation ordinaires du bébé et du jeune enfant peut être faite selon la sévérité des symptômes et l’état pondéral. Les problématiques des enfants que je vais présenter à travers mes cas cliniques s’apparentent principalement à des troubles alimentaires avec cause organique associée. Néanmoins, je vais également être amenée à aborder le trouble alimentaire posttraumatique ainsi que les aversions sensorielles alimentaires.
Troubles alimentaires avec cause organique associée
Les troubles alimentaires avec cause organique associée comprennent principalement les troubles alimentaires secondaires à des reflux gastro œsophagiens, à des pathologies, malformations ou interventions chirurgicales digestives, ou encore à des troubles de la déglutition d’origine mécanique. Selon T. Cascales, « […] habituellement, le bébé commence le biberon sans exprimer de refus, puis il montre corporellement des signes d’inconfort (il se tortille, se cambre, pleure…) et finit par repousser le biberon avec les bras ou en tournant la tête » . Ce sont des bébés qui prennent généralement de petites quantités de nourriture et ne prennent pas de poids, voire en perdent. Il y a en général, la mise en place d’une nutrition artificielle afin de permettre des apports nutritionnels suffisants, nécessaires au développement staturo-pondéral de l’enfant. D’après T. Cascales, « Le diagnostic de trouble du comportement alimentaire avec une cause organique associée proposé par l’école de Washington doit donc être compris comme la conséquence psychique et fonctionnelle d’une cause organique » .
Aversions sensorielles alimentaires
Les aversions sensorielles alimentaires sont marquées par une sélectivité alimentaire importante en lien avec le goût, la texture, l’odeur et l’apparence. Elles apparaissent de manière précoce, généralement au moment de la diversification alimentaire. Cette aversion s’exprime par des réactions défensives telles que des grimaces, des réflexes nauséeux ou des vomissements. L’enfant refuse alors de poursuivre l’alimentation ce qui est source de tensions au moment du repas. Ces enfants peuvent également présenter une hypersensibilité tactile mais également aux odeurs et aux sons. Ce diagnostic ne peut être posé uniquement si l’aversion sensorielle est associée à une déficience nutritionnelle ainsi qu’à un retard de la motricité orale.
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Table des matières
INTRODUCTION
Partie I : A la rencontre de l’alimentation artificielle
I. Présentation des lieux de stage
1. Service hospitalier spécialisé dans les troubles de l’oralité
2. Cabinet libéral
II. Le trouble de l’oralité : cause ou conséquence de la nutrition artificielle ?
1. Qu’est-ce que la nutrition artificielle ?
1.1. Les différents types de nutrition artificielle
1.2. La nutrition artificielle : un rythme imposé par l’extérieur ?
2. Le trouble de l’oralité alimentaire
2.1. Définition du trouble de l’oralité
2.2. Classification des troubles de l’oralité
2.2.1. Troubles alimentaires avec cause organique associée
2.2.2. Aversions sensorielles alimentaires
2.2.3. Trouble alimentaire post-traumatique
3. Présentation des patients
3.1. Augustin
3.2. Zoé
3.3. Timéo
3.4. Malilé
3.5. Gabriel
4. Quelle vision de ces alimentations artificielles ?
Partie II : La place de l’oralité dans la construction des premiers liens avec l’environnement
I. Le concept d’oralité
1. Définition de l’oralité
2. Développement de l’oralité à travers la fonction nutritive
2.1. D’un point de vue fonctionnel
2.2. Oralité primaire et secondaire
3. Les enjeux de l’oralité au-delà du rôle nutritionnel : la communication
3.1. Le dialogue tonique comme appui à la communication
3.2. Etre contenu pour pouvoir contenir
II. Vignettes cliniques
1. Timéo
2. Malilé
3. Zoé
4. Gabriel
III. Impacts de l’alimentation artificielle dans le rapport à l’environnement
1. L’alimentation artificielle permet-elle à l’enfant d’être acteur dans la communication?
1.1. Rythme imposé par la nutrition artificielle
1.2. Impact sur les compétences parentales
2. Comment faire de la « nutrition artificielle » un « temps d’alimentation » ou comment donner du sens à cette nutrition artificielle en psychomotricité ?
Partie III : Impacts de l’alimentation artificielle dans la construction de soi
I. Construction d’une enveloppe
II. Construction du dedans/dehors
III. La zone orale : premier espace où se coordonnent les sens
1. Permet de créer une cohérence autour du temps du repas
2. Lorsqu’une rupture entraîne des particularités sensorielles
IV. Le rythme vécu durant l’alimentation permet de se construire
1. La rythmicité du temps d’alimentation permet de donner des repères
2. Nécessité de vivre le rythme pour pouvoir se construire
V. Découverte du monde par la bouche qui permet ensuite la construction de l’axe corporel
CONCLUSION