Le trouble de la personnalité borderline
La prévalence du TPB est évaluée à environ 2% de la population générale et à 20% chez les patients psychiatriques (American Psychological Association, 2003). La prévalence féminine est élevée, avec une prédominance de 3 femmes pour 2 hommes (APA, 2003; Debray & Nollet ,1995). Selon Linehan (1993), les personnes aux prises avec un TPB présentent des difficultés en divers secteurs d’activité de leur vie. Elles démontrent, en premier lieu, des difficultés de gestion émotionnelle et une impulsivité comportementale importante. Ces personnes montrent des comportements inadéquats en agissant de manière impulsive et extrême, allant jusqu’à poser des gestes suicidaires et parasuicidaires lorsqu’elles se sentent abandonnées. En outre, une forte instabilité relationnelle est présente; leurs relations seraient intenses et conflictuelles. En situation de stress, certaines présenteraient des épisodes de dépersonnalisation, de dissociation ou d’idées de persécution. De plus, il y a présence d’un fort sentiment de malaise qui a été qualifiée de « vide intérieur » ainsi qu’une profonde ignorance de leur identité (Linehan, 1993).
La gestion des émotions chez les personnes présentant un TPB
Selon Linehan (1993), au cœur des symptômes du TPB se trouverait la dysrégulation émotionnelle. Selon l’interprétation de Linehan (1993), cette dysrégulation émotionnelle serait d’origine biologique, mais également exacerbée par des expériences personnelles spécifiques.
La dysrégulation émotionnelle chez ces personnes pourrait inclure trois composantes : 1) une forte sensibilité aux stimulations à valeur émotionnelle, 2) une forte intensité de l’expérience émotionnelle en elle-même, 3) un retour lent vers la quiétude émotionnelle (Linehan, 1993). La réponse émotionnelle chez le TPB serait donc rapide et intense, ce qui en compliquerait la gestion. En fait, cet état émotionnel intense viendrait perturber les mécanismes cognitifs associés à l’analyse, la compréhension ainsi que la planification de stratégies permettant de limiter l’activation émotionnelle en lien avec la situation inductrice d’une émotion.
La régulation émotionnelle
La régulation des états émotifs est une fonction complexe qui inclut plusieurs processus cognitifs et émotifs. Certaines aptitudes permettant la régulation des émotions sont évoquées (Gottman & Katz, 1990; Linehan, 1993). Il est ainsi question de la capacité à : 1) inhiber tout comportement impulsif inapproprié induit par une émotion négative ou positive intense; 2) autoréguler la réaction physiologique reliée à l’émotion; 3) recentrer l’attention en présence d’une émotion intense; 4) coordonner l’action afin de servir un objectif externe, non dépendant de l’humeur. Il semble donc que la régulation des émotions implique des processus cognitifs, à la fois attentionnels et exécutifs, et que ces derniers aient une incidence sur l’adaptation entre le comportement émis et la demande environnementale, ce qui correspond à la qualité de la gestion de la réponse suite à l’induction émotionnelle. Thompson (1994) propose que la régulation des émotions se compose de processus extrinsèques et intrinsèques chargés de la surveillance, l’évaluation et la modification des réactions émotionnelles, en particulier leur intensité et leur décours temporel pour atteindre ses objectifs.
La capacité de mentalisation
Fonagy, Gergely et Target (2000) soutiennent que pour comprendre le fonctionnement psychologique des personnes avec TPB, il est important de considérer leur capacité limitée à utiliser les stimuli externes et internes de manière à permettre une analyse de leurs propres états mentaux ainsi que des ceux des autres.
Une définition générale de la TdE ou de la mentalisation est ici proposée :
La mentalisation (ou la capacité à formuler une théorie de l’esprit, ajout de l’auteur) implique la capacité à reconnaître un état d’esprit distinct entre soi et autrui. Elle permet d’inférer l’état psychologique d’une autre personne au moyen d’expressions faciales, du ton de voix ainsi que tous les autres stimuli provenant d’une communication verbale et non-verbale. Cette habileté conduit l’individu à comprendre ses propres comportements et ceux des autres comme provenant d’états mentaux impliquant des croyances, des sentiments ainsi que des motivations [traduction libre] (Gabbard, 2005).
Selon Bateman (2007), la mentalisation comprendrait au moins deux sousprocessus soit la reconnaissance de l’état émotif d’une autre personne qui peut être considérée comme un processus perceptuel (impliquant les voies amygdaliennes) et la mentalisation comme telle correspondrait à un processus dont les aspects inférentiels seraient plus complexes impliquant les voies cognitives executives. La mentalisation consisterait en somme aux processus à la fois de synthèse d’informations perceptuelles et d’abstraction, conduisant à l’élaboration d’une conception unitaire et cohérente d’autrui de ses états psychologiques, ce qui favoriserait sa propre compréhension, celle d’autrui de même que la communication sociale. Cette capacité à formuler une théorie de l’esprit, elle-même incluse dans un concept plus large de mentalisation, a fait l’objet d’un développement important en clinique psychopathologique théorique concernant l’élaboration du Moi comme structure psychique (Fonagy, Gergely & Target, 2007).
La mentalisation contribue de façon essentielle à la régulation des affects, au contrôle des impulsions, à la maîtrise de soi et à l’expérience de l’organisation du soi (identité) (Fonagy & Target, 1997; Fonagy et al, 2007), Pour ces auteurs, ces capacités seraient profondément liées entre elles et un dysfonctionnement de l’une viendrait affecter le fonctionnement de l’autre (p.ex. des difficultés de gestion des émotions auraient des conséquence sur la capacité de mentalisation de l’individu). Bateman (2007) indique que certains préalables cognitifs doivent être présents afin d’assurer un fonctionnement optimal de la capacité de mentalisation. Il souligne, entre autres, la capacité de la personne à inférer et à attribuer aux autres des états mentaux incluant les intentions, pensées, émotions découlant de comportements. Il semble donc que la reconnaissance d’états émotionnels chez l’autre fasse partie de la capacité de mentalisation.
Bateman et Fonagy (2004) soutiennent qu’il sera difficile pour un individu exposé à des traumas ou des dysfonctions parentales durant l’enfance de se représenter ses propres états mentaux et ceux des autres. Selon ces auteurs, l’enfance perturbée résultera en une «…intégration inadéquate des formes précoces de représentation interne, qui constitue normalement la base de la capacité d’expérience de la réalité psychique sur le chemin de la mentalisation. Cela engendrera une représentation interne rigide de l’expérience de soi ainsi que dans les relations avec les autres …» (p. 201). Ce développement fautif aurait des répercussions directes sur les comportements et les relations interpersonnelles chez les TPB. De plus, les conceptions que peuvent se faire les personnes avec TPB concernant les émotions et les intentions d’autrui tendent à être clivées, donc dichotomiques, sans nuances et rigides (Arntz & Veen, 2001). Ces personnes auraient tendance à inférer chez autrui plus d’intentions négatives qu’il y en aurait réellement (Sieswerda, Arntz & Wolfis, 2005).
La théorie de l’esprit
Bien qu’issue du milieu clinique, la notion de capacité de mentalisation est considérée comme une habileté équivalente à la capacité de formulation d’une théorie de l’esprit (TdE) (Fonagy, Gergely, & Target, 2000; Fonagy, 2003). La TdE constitue un processus cognitif de haut niveau ayant été décrit par le courant neurocognitif (Baron- Cohen, Leslie & Frith, 1985). Elle se définit par l’habilité à imputer des états mentaux à soi-même et aux autres. Elle permet d’effectuer des inferences concernant les pensées d’autrui afin de prévoir ce qu’une personne fera dans une autre situation (Premack & Woodruff, 1978; Baron-Cohen, Leslie & Frith, 1985).
Modèles du fonctionnement de la théorie de l’esprit
Quatre modèles fondamentaux tentent d’expliquer la TdE et son développement (Youmans, 2004; Sodian, 2005). Le premier modèle propose que la capacité à formuler une TdE soit basée sur le traitement d’information par des unités neurologiques spécialisées, dans une conception essentiellement modulaire. Leslie (1994) suppose trois modules spécifiques et hiérarchiques dont la maturation se produit durant les premières années de vie. Ils permettent la mise en place des mécanismes nécessaires à l’élaboration de la TdE soit : 1) la distinction entre agent, non agent, 2) la représentation d’un agent intentionnel et 3) la méta-représentation. L’accès à la méta-représentation permettrait de résoudre des problèmes de fausse croyance, tâche type d’évaluation de la TdE. La métareprésentation semble en lien avec le fonctionnement exécutif.
Le second modèle est celui de la simulation ou de l’identification. Il propose que l’interprétation psychologique et intuitive des comportements humains soit basée sur nos propres expériences, pensées et sentiments. Cette connaissance serait accessible dès la naissance, mais la capacité à simuler et à construire des scénarios permettrait d’accéder à la représentation volontaire et ainsi de réussir des tâches de type TdE. La capacité de simulation est décrite en deux étapes. La première consiste en la capacité à se projeter dans la situation vécue par autrui. La seconde permet l’accès à l’interrogation concernant ce qu’autrui peut penser, croire ou ressentir (Youmans, 2004 ; Sodian, 2005). Il est possible de présumer que l’accès au second processus soit difficile chez les TPB.
Le troisième modèle est social et interactionniste. Il propose que la TdE s’acquière lors des interactions sociales au cours du développement physique, intellectuel et social de l’enfant. Ce modèle propose une indépendance de mécanismes spécifiques et l’indépendance par rapport à une maturation spécifique d’une région du cerveau. En ce sens que, bien que la maturation du cerveau soit essentielle au développement d’une TdE chez l’enfant, la qualité et la quantité des expériences sociales vont créer des différences individuelles importantes dans la progression de la capacité de développer une TdE (Gopnik, 1993; Wellman, 1990; Plumet, 2008). Selon ce modèle, l’enfant dispose dès l’âge de trois ans d’une forme de théorie basée sur ses désirs et ceux des autres, et il continuera de développer cette capacité au-delà de l’âge de 5 ans vers des formes plus complexes d’interprétation des interactions sociales et de TdE.
Le quatrième et dernier modèle est basé sur le fonctionnement du système exécutif. Il propose que les fonctions executives soient nécessaires, voire suffisantes selon certains auteurs, afin d’expliquer l’habileté d’inférence sociale propre à la TdE (Hugues, Russell & Robins, 1994; Ozonoff, Pennington & Rogers, 1991; Youmans, 2004). Selon les tenants de ce modèle, la maturation du système exécutif et de la capacité d’inférence de type TdE sont concomitantes. Les résultats aux tests des fonctions executives seraient donc en mesure de prévoir les résultats au test de TdE. Cette théorie est en lien avec l’hypothèse que les mécanismes de la TdE correspondent aux opérations cognitives du système exécutif ou encore recrutent le fonctionnement exécutif lorsque nécessaire. La documentation scientifique disponible suggère un lien étroit entre les fonctions executives et la TdE, surtout au niveau de la mémoire de travail ainsi que de l’inhibition du comportement (Moses, Carlson & Sabbagh, 2005).
La mémoire de travail peut être considérée comme une partie de la structure cognitive, ayant une capacité d’emmagasinage limitée. Elle permet la rétention temporaire d’informations, pour traitement, lors de la réalisation de tâches cognitives complexes (Nicolas, 2003). Par ailleurs, et tel que décrit plus bas, d’autres études et modèles ne supportent pas ce lien étroit et fonctionnel entre les TdE et le système exécutif.
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Table des matières
Introduction
Le trouble de la personnalité borderline
La régulation émotionnelle
La capacité de mentalisation
La théorie de l’esprit
Les fonctions executives
Hypothèses et corrélations attendues
Méthode
Participantes
Instruments de mesure
Déroulement
Résultats
Analyse des données
Présentation des résultats
Analyses statistiques entre les groupes
Analyses statistiques corrélationnelles
Discussion
Proposition d’intégration générale des résultats
Forces et limites de l’étude
Suggestions pour les recherches futures
Conclusion
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