Le TRM en médecine légale
Pour commencer, nous allons parler du cadre de la médecine légale et des TRM en Suisse. Le Centre Universitaire Romand de Médecine Légale (CURML) comprend l’unité de médecine forensique (UMF). Cette unité est chargée de traiter les affaires médico-légales permettant de résoudre les enquêtes pénales ou civiles. L’UMF est un lien direct entre le domaine médical et judiciaire. Elle s’occupe aussi de mandats particuliers provenant d’avocats, d’institutions nationales et internationales. Elle peut être parfois mandatée lors de catastrophes telles que des accidents de masse, de transport etc. Les activités principales sont les autopsies, les expertises cliniques et sur dossiers. L’UMF est constituée par une équipe de seize médecins, de quatre préparateurs de corps, d’une anthropologue et d’un poste de technicien en radiologie médicale. Ces dernier se partage le poste à divers taux d’occupation. Il faut ajouter que le poste de TRM en médecine légale est une originalité du CURML.
Dans la plupart des centres, l’imagerie est réalisée par les médecins (Chapatte, 2014).Selon Schneider et al. (2012), l’acquisition des images joue un rôle important en médecine légale, car l’obtention des données sont des preuves qui peuvent être utilisées au tribunal. C’est pourquoi la qualité des images est un facteur essentiel. Selon eux, les examens avec le MDCT doivent être acquis par des spécialistes : les techniciens en radiologie médicale. Les TRM effectuent les examens CT en natif de routine, et créent des protocoles plus adaptés à la médecine légale. Ils s’occupent aussi du poste traitement des images et archivent les données dans le PACS. L’IRM est aussi utilisée pour lesexamens post-mortem, surtout chez les enfants. Cependant, cette machine est plus complexe à utiliser que le MDCT, et demande la présence de professionnel formé à la manipuler. Afin de développer les techniques et les protocoles d’imagerie, le CURML a constitué en 2009 ungroupe interdisciplinaire formé de médecins légistes, radiologues, techniciens en cardiologie, ingénieurs, informaticiens et de techniciens en radiologie médicale. Ce groupe a pour but de développer des techniques pour améliorer les examens d’angiographie post-mortem.
Cet examen permet une investigation du système vasculaire d’une manière détaillée. Ces résultats sont impossibles à obtenir avec une autopsie traditionnelle. La collaboration interprofessionnelle permet à l’imagerie médicale d’agir de manière complémentaire à l’examen d’autopsie (Grabherr, Dominguez et Mangin 2011, p. 1507-1510). Les techniciens en radiologie médicale réalisent tous les gestes techniques de cet examen de manière autonome. Pour résoudre le problème d’absence de circulation sanguine dans le corps du cadavre, les TRM relient une pompe à circulation extracorporelle avec l’artère fémorale du cadavre afin de simuler la circulation sanguine. Pour ce faire, ils doivent pratiquer une incision d’environ 10 cm sur le cadavre, au niveau inguinal.
Réactions émotionnelles engendrées par la mort et le cadavre
La thématique de l’émotion ressort des articles lus. Nous aborderons d’une part, les différentes réactions en lien avec les émotions vécues dans les corps de métiers cités ci-dessus et d’autre part, la gestion des émotions face à la mort et aux cadavres.Pour Wolf (2006), habituellement, l’émotion et le travail renvoient à des univers bien distincts. Le premier est en rapport avec l’affect et il aurait un caractère spontané, imprévisible et perturbateur. Le second se baserait sur la rationalité, l’ordre, le contrôle de soi. Selon Wolf (2006), l’émotion nous submerge et nous tient sous son emprise.
C’est pourquoi les émotions peuvent être un frein à l’activité professionnelle pratiquée dans un cadre mortuaire. De plus, selon Bronet et al (2013, p.11), il faut du temps pour maîtriser son ressenti par rapport aux cadavres, avant d’être pleinement capable d’apprécier les cours pratiques d’anatomie. Des signes de stress sont expliqués dans l’étude statistique de Petrognani (2007, p. 240-241). Elle a récolté ces données à l’aide d’un questionnaire à visée descriptive contenant trois chapitres : l’identification des signes de stress, les moyens de lutte contre le stress et les besoins en formation des infirmièr(e)s et des aides-infirmièr(e)s. Les résultats montrent qu’il y a trois réactions de stress vécu par les infirmièr(e)s les aides-infirmièr(e)s lors de la réalisation de la toilette mortuaire : le stress utile, qui permet de faire face à la situation, « le stress dépassé », qui rend l’action inefficace, et « le stress cumulatif », menant progressivement au burnout professionnel. C’est pourquoi nous pensons que ce stress dépassé peut être un frein à la pratique du professionnel.
Ce phénomène de stress est souligné dans plusieurs articles. Selon Sergentanis et al (2010, p. 287) et Godeau (2013, p.84), les étudiants en médecine affrontent une épreuve physique et psychique liée au stress dans le cadre des corps donnés à la science. Le but de l’article de Sergentanis et al est de suivre les étudiants en médecine dans les laboratoires de dissection, afin de pouvoir mener une étude quantitative permettant d’analyser le stress vécu lors de cette expérience. Il a pu relever que la moitié des étudiants éprouvent de la peur et de l’anxiété. Au niveau physique, ces émotions sont exprimées par de la tachycardie, des nausées, des vertiges, des sueurs et de la dyspnée.Un autre inducteur émotionnel est le fait de pénétrer dans la chair en disséquant et en recousant. C’est ce qu’observe Wolf (2006, paragraphe 15), qui précise que le contact physique réduit la distance entre l’agent mortuaire et le cadavre, créant ainsi un lien direct avec la mort de l’autre. Elle observe chez certains professionnels que le fait de diminuer cette distance physique avec le cadavre apporte un aspect émotionnel.
Elle cite les propos d’un agent mortuaire: «voir ça ne me dérange pas mais c’est le fait de pénétrer dans la chair qui me gêne ». Cet exemple relève bien la subjectivité de l’émotion : chez certains la visualisation du cadavre n’a pas de conséquence émotionnelle, mais le fait de toucher, manipuler, recoudre peut être d’une grande difficulté.
Stratégies employées pour faire face aux émotions
Comme expliqué précédemment, les auteurs insistent sur le fait que maîtriser son affect au mieux permet d’effectuer son travail correctement sans être submergé par ses émotions. Pour cela, il existe plusieurs stratégies que nous allons présenter.Selon Castra (2004, p. 60), les infirmièr(e)s en soins palliatifs se partagent le travail et s’appuient sur l’équipe. Ce qui nous renvoie à une notion, celle « d’équipe protectrice ». L’équipe permet d’équilibrer les difficultés émotionnelles qui sont variables pour chaque professionnel. C’est-à-dire qu’il est donc possible de distribuer les tâches en prenant compte de ce que ressent chaque infirmièr(e).
En effet, Castra explique que les tâches n’ont pas la même difficulté d’une personne à une autre. De plus, Petrognani (2007, p. 241) précise que, durant la toilette mortuaire effectuée par les infirmièr(e)s et aide infirmièr(e)s dans les USLD, le fait de relater ses expériences avec les collègues permet de se soulager et de faire face aux stress. La présence d’une équipe est donc un paramètre important. Les réunions et les discussions permettent de mettre à distance le ressenti du personnel. L’équipe dilue les responsabilités et favorise ladiminution de l’investissement personnel et émotionnel (Castra, 2004, p. 61). C’est-à dire que le fait de travailler à plusieurs permet aux professionnels de se relayer les tâches, et de s’appuyer les uns sur les autres. Par ailleurs, la notion de mise à distance avec le cadavre est une stratégie souvent mentionnée dans les articles. Pour expliquer cette notion, nous reprenons les propos de Wolf (2006, paragraphe 14-15) cités plus haut. Selon cet auteur, la mise à distance est un point essentiel pour que les agents mortuaires puissent accomplir leur travail.
La première ligne de conduite est le fait de se préserver en gardant de la distance avec ce qui trouble le professionnel. Cette attitude vise à se séparer du facteur troublant pour maitriser les émotions. Nous observons que d’autres professionnels arrivent à créer une distance en communiquant directement avec le cadavre. Trompette & Caroly (2004, p. 9) parlent d’une situation professionnelle d’un thanatopracteur. Durant le soin thanatopraxique, il justifie et commente certains gestes qu’il effectue comme par exemple lorsqu’il masse le visage en lui disant : « Ne fais pas cette tête-là ! » ou encore lorsqu’il coud et ferme la bouche : « Je vais arranger ça avec du coton, n’est-ce pas mamie ? ». En premier lieu, ce comportement semblerait rapprocher le professionnel du cadavre. Cependant, nous observons que le professionnel dialogue avec un discours familier imprégné d’humour et d’ironie. Certaines de ses phrases illustrent bien le ton comique utilisé par celui-ci : « …Elle boit vite. Mamie est gloutonne. Elle boit comme un cochon de lait… ».
Cette attitude permet d’apporter de la distance dans une situation où le thanatopracteur risquerait d’être trop proche du défunt.Dans les laboratoires d’anatomie, l’odeur émanant du cadavre est aussi un paramètre important au vu des réactions qu’elle provoque. Afin de se protéger des émanations volatiles perçues par l’odorat et depréserver une certaine distance, Godeau (2013, p.85) nous explique les stratégies utilisées par les étudiants en médecine, telles que : l’utilisation de mouchoir, parfum, écharpe, encens et inhalateur d’eucalyptus.
Le vocabulaire employé par les professionnels
La déshumanisation du corps s’exprime aussi avec le vocabulaire employé par les professionnels. Dans le cas des corps donnés à la science, les termes employés évoluent au fil du parcours du corps dans le processus de déshumanisation. Les termes techniques sont utilisés par les aides d’anatomie comme « éviscérer », « désosser » ou encore « amputer ». Ces dénominations illustrent bien la transformation du cadavre en « viande ». L’aide d’anatomie est lui-même assimilé par ses collègues à un boucher : « lui on dirait un bon charcutier de campagne les pommettes bien rouges, le tablier blanc en train d’aiguiser son couteau sur sa pierre… » Les termes « trier », « stocker » et « congeler dans un sac » assimilent le mort à de la marchandise. (Godeau, 2013, p.79-80).
Selon Mauro et al (2006, paragraphe 31), la dénomination du corps sur le terrain professionnel se fait sur trois critères :
– La nature de la mort, le cadavre est identifié selon la cause du décès : « un noyé, un pendu, un carbonisé ».
– Les critères organiques du cadavre : « le putréfié, le frais, le glaçon »
– L’état du cadavre en fonction du travail effectué : suite à la toilette mortuaire, le cadavre est qualifié de défunt, il est à présent présentable au public, il reprend une place sociale. Godeau nous explique que les termes utilisés entre les étudiants en médecine est un moyen essentiel à leur propre protection. Ils échangent paroles, regards et rires pour se soulager et diluer leurs ressentis. Ils utilisent des termes pour les assimiler aussi à la viande : « bidoche ou charogne » permettant d’animaliser le mort. Les gestes et commentaires, l’humour noir permettent de supporter l’insupportable et les plaisanteries sont un mode de défense contre l’angoisse causée par la représentation de la mort .
Observations et entretiens en médecine légale
La charge de travail des techniciens est directement proportionnelle au nombre de corps arrivés en médecine légale. C’est pourquoi certains matins l’activité des TRM était vraiment faible, il nous est arrivé de n’avoir rien à observer. Il faut préciser que les TRM travaillent de manière individuelle. L’équipe de l’UMF se compose d’un seul technicien en radiologie par jour. Pour optimiser nos observations d’une durée de cinq jours, nous avons tenu rigoureusement un journal de bord dans lequel nous avons essayé d’écrire la totalité des faits observés et entendus.
Nos observations ont commencé systématiquement par les colloques suivis des scanners corps entier, des examens externes et, selon les exigences du procureur et du médecin légiste, des autopsies et/ou des angiographies post-mortem.Les TRM nous ont accueilli avant le colloque et nous ont permis de nous présenter à l’ensemble de l’équipe. Dans la limite du temps disponible, nous avons pu observer la globalité du travail du TRM tout en les aidant parfois dans certaines tâches. Nous avons pu constater que l’équipe de l’UMF est très ouverte et partage volontiers leurs expériences et leurs savoirs avec les étudiants. Il nous a été facile de communiquer avec eux.
Les TRM décrivaient spontanément leurs actes et répondaient aisément à nos questions. Cependant, l’un de nos buts était de ne pas interférer avec le travail du TRM, d’être presque invisible. Ainsi, nous voulions que les TRM soient complètement naturels lors de leur prise en charge. L’ouverture et l’envie de partager des TRM nous ont poussés vers un autre type d’observation, l’observation participante (OP). L’OP implique de la part du chercheur une immersion totale dans son terrain, pour tenter d’en saisir toutes les subtilités, au risque de manquer de recul et de perdre en objectivité. L’avantage est cependant clair en terme de production de données : cette méthode permet de vivre la réalité des sujets observés et de pouvoir comprendre certains mécanismes difficilement décryptables pour quiconque demeure en situation d’extériorité. En participant au même titre que les acteurs, le chercheur a un accès privilégié à des informations inaccessibles au moyen d’autres méthodes empiriques. (Soulé, PhD, 2008). Dans notre cas, l’immersion n’était pas totale car les TRM nous ont permis d’effectuer quelques actes délégués.
Ceci nous a apporté une meilleure compréhension de leur travail sur le corps. Nous avons effectué des déplacements sur le corps, des biopsies, etc. Nous avons pu donc vivre partiellement la16 réalité du travail du TRM. Par contre, nous n’avons pas utilisé les données liées à notre participation. C’est pourquoi, nous ne pensons pas que la participation pratiquée lors de nos observations cause un manque d’objectivité à notre étude.
Les deux entretiens effectués nous ont permis d’avoir un dialogue plus profond avec les TRM interrogés. Ils nous ont parlés ouvertement de leur ressenti et ont apporté des éléments d’exemple de prise en charge. Lors des entretiens, ils nous ont informés que le CURML avait déménagé ses locaux. Anciennement sur le site de la cité hospitalière du CHUV, le centre est à présent à proximité de la localité du Chalet-à-Gobet. Ce déménagement a apporté certains changements dans la prise en charge.
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Table des matières
1. Introduction
2. Problématique
2.1. Le TRM en médecine légale
2.2. Professionnels en lien avec la mort
2.3. Réactions émotionnelles engendrées par la mort et le cadavre
2.4. Stratégies employées pour faire face aux émotions
2.4.1. La déshumanisation des cadavres
2.4.2. Le vocabulaire employé par les professionnels
3. Question de recherche et but de l’étude
4. Méthodologie
4.1. Observations
4.2. Entretiens
4.3. Population-cible
4.4. Dimensions éthiques
5. Résultats
5.1. Observations et entretiens en médecine légale
5.2. Aspects non anticipés dans la problématique
5.3. Grille d’analyse des résultats
5.3.1. Le rôle du TRM en médecine légale
5.3.2. Le ressenti du TRM face aux cadavres
5.3.3. Le TRM et la communication en médecine légale
5.3.4. La déshumanisation et ré-humanisation
5.3.5 Le respect du corps
6. Analyse des résultats et discussion
6.1. Discussion sur le rôle du TRM en médecine légale
6.1.1. Le parcours du corps et les différents professionnels en médecine légale.
6.1.2. Le colloque interprofessionnel
6.1.3. Le travail du TRM en imagerie médicale
6.1.4. Le travail sur le corps
6.2. Discussion sur le ressenti du TRM face aux corps
6.2.1. L’aspect du cadavre et son odeur
6.2.2. L’humanité persistante du corps
6.2.3. La distanciation physique et psychologique
6.3. Discussion sur les stratégies employées par les TRM
6.3.1. La communication du TRM avec le corps
6.3.2. La communication du TRM avec les différents professionnels
6.3.3. Les termes employés par les TRM
6.3.4. La déshumanisation du corps
6.3.5. La notion de distanciation
6.4. Le respect du corps
6.4.1 La ré-humanisation
7. Perspectives de recherche
8. Conclusion
9. Bibliographie
9.1 Références bibliographiques
9.2 Listes bibliographiques
10. Annexes
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