ASPECTS DÉFINITIONNELS
Le conte fait partie des genres du récit bref dès sa parution dans la littérature française européenne au Moyen Âge. Le récit bref est un des genres où, il est plaisant de narrer une histoire dans une file continue, bien structurée et très courte. Dans sa genèse, le récit bref englobait en lui les lais, l’exemplum, le conte, la fable… Nous pouvons parler aussi des fables qui, sont des textes versifiés comme le conte avec une intrigue bien concise et brève. Ce dernier relate des faits imaginaires, toutefois, ces faits découlent de la société avec à la fin une morale, étant donné que les personnages sont des animaux et quelquefois des êtres à caractère humain. Elle se « promène dans le monde réel des faits. […]. L’homme social traduit donc son monde rationnel en habillant les hommes du vêtement transparent des animaux ». Au Moyen Âge, la fable signifiait fiction, mensonge sur le plan éthique. Relevant de l’aspect purement divertissant. Pierre-Yves Badel en parle en ces termes : La fable s’oppose à l’estoire véridique ou encore au dit. Le fabliau permet au public du XIIIe siècle de satisfaire son goût des contes purement divertissants, qui ne tirent pas à conséquence. Les motifs de ces contes au folklore universel. Transmis oralement, ils ont parfois reçu une forme écrite qui révèle chez le narrateur un réel talent. Le récit bref sera remarquablement présent dans le genre du conte, c’est avec le Décaméron 27 (vers 1350) de Boccace qu’on assiste à la naissance du conte dans la littérature française. En Europe, parut avec une mise en scène qui nécessite la présence physique du conteur ou du narrateur. Cette personne met en tableau un récit, une aventure ou une anecdote avec une complicité de son public. Car le conteur n’est pas seul, il a son public qui joue son rôle passif et actif à la fois dont le narrateur ne peut pas ne pas tenir compte. Par la parole, l’intonation, le geste, la mimique, la danse, le chant, les silences, il agit sur les gens qui l’écoutent et le regardent, et dont les réactions vont à leur tour se répercuter sur lui. Entre le conteur et l’auditoire se créent des liens, des échanges. Toute l’assemblée présente sur les lieux participe à la réalisation harmonieuse du conte. Cependant, dans leurs formes écrites, ces récits (les contes) racontent, à la manière du roman, une fiction, à la différence de la brièveté notée sur leur forme ; leur structure est la même car tous deux usent de l’octosyllabe : de la forme versifiée la plus neutre qui soit à cette époque. C’est ce qui fait dire à Gautier « […] caractérisé en effet par un nombre de page limité, une structure assez simple, un nombre de personnages et d’événement réduit. Le récit est le plus souvent fermé sur lui-même, dans un écho au début, ou dans une conclusion d’un narrateur confident »30. C’est avec l’avènement des Mille et une nuits31, que le conte connaîtra son apogée dans le monde. Le conte revêt la pensée humaniste au XVIe siècle, avec les écrits de François Rabelais le Pantagruel (1532) et Gargantua (1534). Ces contes, tenaient la chronique du récit bref parce qu’ils mettaient en scène des personnages de géant qui considèrent « la raison [comme la] source du bon sens ». Une valorisation de l’humanité était faite, par la pédagogie, qui était l’un des piliers de la pensée humaniste. On en vient au conte de fée durant le XVIIe siècle, période pendant laquelle le conte populaire est transcrit de l’oral à l’écrit dans les milieux ruraux par la Bibliothèque Bleu32. C’est cette bibliothèque qui, selon Sevestre, « a révolutionné la culture populaire, jusque-là uniquement oral, [et] destiné à un public peu fortuné et peut instruit ». À cette époque, on assista à une littérature de colportage au rang de roman avec des papiers de peu de valeur imprimée en bleu, considérée non seulement comme une couleur de la pauvreté mais aussi de l’innocence ; d’où sa visée beaucoup plus enfantine. Ce type de conte met des personnages en petit nombre facilement repérable et dans un cadre merveilleux. En effet, comme le déclare Jean-Pierre Aubrit : [le] merveilleux, […], suppose que l’on accepte immédiatement et sans réticence la présence au sein de notre monde d’éléments totalement irrationnels, dont la réalité ne fait pas plus de doute que le quotidien le plus banal où il s’inscrit. Le critère de la vraisemblance y est donc non seulement absent, mais encore inopérant. Il est appelé aussi féérique avec un héros qui s’adapte et se meut dans le surnaturel de la manière la plus naturelle qui soit, sans connaître de trouble émotionnel vu que sa quête se termine toujours par un succès. La fin est toujours heureuse. Il est plus usité par Charles Perrault et Mme d’Aulnoy. Charles Perrault, arrêtons-nous sur lui un moment, il est celui qui a permis au conte de fées de connaître son succès et d’avoir une telle expansion dans le monde de la littérature dite merveilleuse. Toutefois, avant d’être rédigés et publiés par Charles Perrault, les contes de fées étaient des divertissements de la haute classe, ils se contaient dans des salons. De même, des œuvres de femmes sont à signaler « essentiellement (Mme d’Aulnoy, Mme d’Auneuil, Mme Durand, Mme de Murat, Mlle Lhéritier, Mlle de La Force), les contes de fées “littéraire’’ sont partie prenantes ̶ au double sens de l’expression ̶ de la littérature romanesque »35. Cependant de toutes ces femmes, seules les œuvres de Mme d’Aulnoy gagneront les cœurs telles que : Les fées à la mode (1697), et les Illustres fées (1698). Par la publication de son recueil de conte : Histoires ou contes du temps passé (1697), Charles Perrault venait d’inscrire le conte dans une véritable vogue de fées. Avec la parution de ses cinq premiers contes en prose sous le titre Contes de ma mère l’Oye (1948) qui est composé de : La Belle au bois dormant, Le Petit chaperon rouge, La Barbe bleue, Le chat botté et Les Fées, l’auteur montre qu’il n’a fait que transcrire les contes que racontent les nourrices. Par ailleurs, dans l’édition originale des Histoires ou contes du temps passé de (1697), nous retrouvons le même titre énoncé ainsi prouve que Perrault est de l’ancienne école. L’intitulée est sur dessous : la gravure en frontispice inscrit sur une pancarte fixée à la porte de la chambre où une vieille paysanne filant au coin du feu conte des histoires à une petite fille et deux garçons. Perrault se réclame ainsi clairement de la tradition orale la plus populaire, celle des contes de nourrices. D’ailleurs, Charles Perrault nous invite à lire ces contes comme : L’expression d’une vision du monde […], d’une civilisation, d’un ensemble de pratiques culturelles, sociales, religieuses, morales, et que son intérêt est de faire connaître ce monde auquel appartient l’auteur et qu’il restitue au moment d’inventé une histoire qui a pour fin “ d’attacher l’esprit ˮ du lecteur. Puis, naissent les contes philosophiques sous la plume de Voltaire avec Zadig (1747), Micromégas (1752), où il peint des situations avoisinant le réel, dans un style parodique et ironique, avec des personnages familiers. Dans ces contes, l’auteur pousse les lecteurs à la réflexion à travers des concepts philosophiques, c’est le rationalisme qui est plus mis en exergue, dans une atmosphère de providence. Dans son épanchement, il devient fantastique à l’époque du romantisme français avec les Contes (1961) de Charles Nodier, les frères Grimm avec Blanche neige (1812). Le fantastique est en quelque sorte, le voisin des contes de fées ou merveilleux. Dans ces contes, les auteurs aiment y représenter les failles de la vie quotidienne, dans un mélange de situation qui se perd entre réel et irréel, poussant l’imagination à l’horreur morbide. Si nous savons comme le soutient Pierre-Georges Castex que : le fantastique […] ne se confond pas avec l’affabulation conventionnelle des récits mythologique ou des féeries, qui implique un dépaysement de l’esprit. Il se caractère au contraire par une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle ; il est lié généralement aux états morbides de la conscience qui, dans les phénomènes de cauchemar ou de délire, projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. Avec Guy de Maupassant La bécasse (1883) et Alphonse Daudet avec Conte du lundi (1873), le conte sera marqué par la vision du réalisme. Et pour préciser, le conte, en Occident, met en scène seulement des personnages à caractère humain et dans un monde fantastique qui « n’est rien d’autre qu’une hésitation prolongée entre une explication naturelle et une autre surnaturelle ». En Afrique Noire, c’est un autre cadre de vision qui se présente. Étant caractérisée par une société conservatrice de valeurs sociales et où la tradition orale est selon Lilyan Kasteloot le fondement et véhicule de la civilisation du continent et ses différentes cultures, elle est la source inépuisable des interprétations du cosmos, des croyances et des cultes, des lois et des coutumes ; des systèmes de parenté et d’alliance ; des systèmes de production et de répartition des biens ; des modes de pouvoirs politiques et de stratifications sociales ; des critères de l’éthique et de l’esthétique ; des concepts et représentations de valeurs morales.La parole étant le moyen de communication africaine, c’est par elle que se transmettait le savoir. Parmi les genres de la littérature orale, a fortiori le conte il se présente de manière différente à celle de l’Occident. Car c’est avec l’avènement de la colonisation que le Noir a commencé à écrire. C’est un récit court, qui est régi par des préceptes très clairs tel que le soutient Samba Dieng qui dira que « le but (c’est d’instruire et de plaire), le moment (la nuit), la manière (musique du griot), une originalité (un narrateur et un musicien) non confondu (et ayant un auditoire) ». Dans les contes africains, nous sommes souvent en présence de personnification d’animaux, vue que, dans un même univers, les animaux, les plantes de même que les hommes sont tous animés car « tout rit, tout vit, tout possède une âme ». Ces séances se font souvent par une « utilisation du tam-tam, du chant [qui] permet de maintenir le suspens, d’entretenir une angoisse, mais il permet d’instaurer la joie, de souligner une victoire ». Cependant, à noter que ce qu’on appelle conte en Afrique est en général une fable en Occident, même si dès fois il est remarqué une ressemblance des fables nouvelles « qui semble être la transgression, en un texte grêle au style sec et dépouillé, de conte populaire », comme nous le lisons dans Les Fables (1694) de La Fontaine où se trouve « une réelle connivence entre le conte et le genre didactique [surtout] celui de la fable »45. Le conte revêt toujours des moments d’union, de partage, d’échange entre les individus d’une même société. Raconté par une personne âgée, c’est toujours à la manière d’une institution que la société initie sa relève future (les enfants). « Le conte appartient à l’univers prélogique, et ses enseignements portent sur des savoir-être »46. C’est ce savoir-être que les aïeuls transmettaient à leurs descendances autour du feu, et au soir de pleine lune.
UNE CONTROVERSE AUTOURS DE LA STRUCTURE DU RÉCIT
Par sa forme et ses normes, le conte a permis aux chercheurs d’avoir divers points de vue sur ce qui constitue les normes canoniques de ce genre. Le conte, met en scène des personnages dans différentes fonctions et dans « une sphère d’action ». Vladimir Propp distingue des éléments constants qui sont permanents dans le conte qu’il nomme tout simplement fonction. La fonction, pour lui, est « l’action d’un personnage, définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue ». Et quel que soit ces personnages, et la manière dont ces fonctions sont accomplies, ces dernières demeurent pour lui les parties constitutives et fondamentales du conte. Il en dénombre un nombre limité dans le conte merveilleux (trente et une), leur succession est toujours identique et tous les contes merveilleux font partie du même type structural. Vladimir Propp donne la définition suivante du conte merveilleux : « […] du point de vue morphologique, tout développement partant d’un méfait ou d’un manque, et passant par toute les fonctions intermédiaires pour aboutir au mariage ou à autre fonction utilisée comme dénouement ». Donc ce n’est pas le personnage qui est le noyau par qui tout doit obéir mais c’est plutôt au personnage de s’adapter aux fonctions, d’autant plus que les fonctions sont totalement indépendantes des personnages. Nonobstant, c’est un autre cadre qui se dessine dans Les Malheurs de Sophie. D’abord, nous ne sommes pas en présence d’un conte merveilleux, comme dans les études de Vladimir Propp. Et là où les fonctions narratives, selon lui, doivent être successives et partir d’une situation de manque, ici, comme le montre l’antienne d’ouverture c’est plutôt le contraire que nous constatons, « […] il faut ouvrir une grande caisse que papa m’a envoyée de Paris! Je crois que c’est une poupée de cire, la poupée de cire qu’il m’avait promise » (MDS, p. 5). Le conte ici débute plutôt par la réception d’un présent, la « poupée de cire ». C’est ce qui formera le nœud de l’intrigue dans ce chapitre et dans ce cadre, n’interviendront que les fonctions choisies par l’auteur ayant une corrélation avec le sujet. C’est dans ce sens qu’André Régnier dira qu’« un conte n’utilise en général qu’une partie des fonctions de la suite fondamentale, et il peut les intervertir » ; d’autant plus que tout conteur est libre d’inclure dans son récit les bifurcations qui se présenteront à lui. Dans Les Malheurs de Sophie, c’est un processus de manque qui se traduit par sa désobéissance, sa coquetterie, sa gourmandise, sa malhonnêteté ; par son « manque » d’écoute des conseils, sa curiosité… qui aboutiront à une situation de « manque comblée », en passant par des situations de « dégradation », mettant en scène des fonctions telles que l’absence ou l’éloignement. En l’absence de sa mère qui ne veut pas que Sophie aille dans la cour sans elle Sophie en profita : elle « courut à la porte, l’ouvrit et pénétra vivement dans la cour » (MDS, p. 19). Cette absence de la mère est la cause de la désobéissance de Sophie, car elle fera l’interdit : « elle posa délicatement le pied sur la chaux, persuadée que c’était en effet aussi dure que la glace » (MDS, p. 19). Si nous nous référons à Mémoires de porc-épic, le récit débute avec la victoire du héros qui venait d’échapper aux obstacles. Ici, c’est non le héros lui-même, le jeune Kibandi, mais au contraire son « double nuisible » (MPP, p. 16), qui était censé mourir avec lui le même jour. C’est ce double qui a échappé à la mort qui nous raconte leur aventure « donc je ne suis qu’un animal de rien du tout, les hommes diraient une bête sauvage… je ne devrai plus être de ce monde… » (MPP, p. 11). Ensuite l’auteur enchaîne les fonctions dans une diversité de tempo, pour en venir au dénouement, non à la manière classique, où la fin est heureuse pour le héros mais dans cette présente œuvre, c’est au contraire une punition qui marque la fin.
UNE SPÉCIFICITÉ STRUCTURAL DANS LES RÉCITS
Comme nous l’avons montré plus haut, les récits que nous étudions sont traversés par une écriture libre, qui met en relief l’esthétique renouvelée du conte. Que cela soit dans les récits de Sophie ou celui du porc-épic, la file suit une logique bien déterminée ; les conteurs, dans la nouveauté qu’ils apportent, choisissent divers types de conte. Chez la Comtesse de Ségur, c’est un mélange de merveilleux et de féérique à travers la datation car le temps semble être non pris en compte en glissant dans les textes des formules d’ouverture : « ce jour-là, le soleil était brûlant » (MDS, p. 08) ou de clôture : « c’est ainsi que Sophie en fut débarrassée, et depuis lors elle ne fit plus jamais souffrir aucun animal » (MDS, p. 36). Cela s’explique du fait peut-être que l’auteur ne vise pas seulement le public enfant mais aussi celui adulte puisque « pour l’enfant et pour l’adulte qui, comme Socrate, sait qu’il subsiste un enfant dans la partie la plus sage de notre être, les contes […] révèlent de vérités sur l’espèce humaine et sur l’homme lui-même »109. Les adultes auraient-ils besoin à nouveau d’être éduquer ? Bref, force est de constater que les enfants qui sont mis en scène pensent comme de grande personne et poussent ainsi le lectorat à une réflexion innocente mais osée. C’est parce que Sophie voit et comprend comment on fait du thé, qu’elle n’hésite pas à en faire malgré l’interdit de sa maman quand elle reçoit pour cadeau d’anniversaire un service à thé en métal (MDS, p. 76). Elle pensa comme une grande personne que s’était du gâchis d’avoir du matériel de service de thé et de ne pas pouvoir le faire. La féerie se lit à travers justement les dons que reçoive Sophie, et par la présence de sa mère qui occupe en quelque sorte la place de la fée. Comme nous le lisons dans les contes de fée, la maman est à chaque fois remplacée par la fée qui est souvent appelée marraine (dans Cendrillon, Peau d’âne, La belle au bois dormant). Elle est en somme une deuxième mère pour les protagonistes. Si dans les contes merveilleux ou les contes de fées, il s’agit de détourner ou déjouer les plans des méchants en passant par plusieurs épreuves, dans Les Malheurs de Sophie, il s’agirait plutôt d’un merveilleux qui se trouve agressé par la présence récurrente des méfaits de Sophie. Dans Mémoires de porc-épic, Alain Mabanckou mêle merveilleux, fantastique et conte noire. Le fantastique est cette méthode de mélanger le réel et l’irréel, le naturel et le surnaturel dans une représentation horrible et plaisante des faits de la vie. Pierre Georges Castex souligne que : Le fantastique […] ne se confond pas avec l’affabulation conventionnelle des récits mythologiques ou des féeries, qui impliquent un dépaysement de l’esprit. Il se caractérise par une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle ; il est lié généralement aux états morbides de la conscience qui, dans les phénomènes de cauchemar ou de délire, projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. Ceci est présent dans le récit de Kibandi qui découvre avec surprise cette vie des ténèbres quand, pour la première fois, il voit et connaît en réalité la vie que mène son père. Le tableau que peint l’auteur est du domaine totalement de la frayeur : « […], une nuit peuplé d’effraies, de chauvessouris, […] le petit Kibandi assista à une scène si peu croyable qu’il se frotta les yeux à plusieurs reprise » (MPP, p. 79), il a du mal à se situer, à la vue de ces deux personnes qui sont identiques. Cette réalité pousse le lecteur à s’horrifier car ce sont des choses nouvelles pour lui qui choque même l’esprit. La présence de l’horreur dans son récit montre qu’il n’est pas fait pour la psyché de l’enfant seulement, vu que l’auteur utilise des phases crues pour raconter son histoire. Comme si cela ne le satisfait pas, il use du conte noir dont le but est de chercher « à provoquer des réactions d’horreur ou, en tout cas, une secousse nerveuse, chez le lecteur, si bien que sa cruauté peut-être emprunté à la vie quotidienne 111». C’est vraiment un conte pour adulte, étant donné que, l’innocence ne saurait encaisser, une si lourde réalité. Le merveilleux y est peu représenté. Il est vu à travers les objets que Kibandi a reçus de son père qui touche un peu à la magie : le mayamvumbi, ou la noix de palme, qui est un legs de la famille. Mais aussi, le merveilleux se lit dans le décor des lieux habités par Kibandi et sa famille comme le décrit le narrateur, « Kibandi et ses parents vivaient alors au nord du pays, très loin d’ici, à Mossaka, une région d’eau, d’arbre géants, de crocodiles et de tortues grosses comme des montagnes » (MPP, p. 47). Ou encore dans l’appellation de certains mots quand il dépeint l’attitude d’Amedé qui « […] regardais avec satisfaction son image se réfléchir sur l’onde apaisée et presque complice de cette coquetterie » (MPP, p. 153). Cependant, la structure dans les deux contes est très complexe en ce sens que, les auteurs jouent sur plusieurs plans et sur plusieurs registres. Ils usent de la diversité des genres pour exploiter à fond et représenter à leur façon des réalités. Toutefois, nous voyons le sens ultime du message du conte qui se trouve greffer, dans une myriade de cheminement. Aucune logique n’est suivie, sur la théorie de Vladimir Propp, quand il dit que les fonctions doivent être successives ; encore moins de la thèse de Denise de Paulme, quand elle expose sur les contes à événement circulaire ou d’effet de miroir. Comme pour le roman, pour le théâtre, ou pour la poésie…, les auteurs dans leurs récits adoptent un nouveau style d’écriture. L’entrée in medias res en dit tout, ils se plaisent de débuter leur récit à la façon du roman, car ils ne veulent certainement pas obtenir un sens unitaire, ou un sens qui suit une hiérarchie, vue que, tous les traits de parole sont signifiants. Force est de noter avec Barthes que : […] l’analyse des contes [est de] dégager les grandes actions, les articulations primordial de l’histoire (contrats, épreuves ou aventures subies par le héros) ; mais le récit littéraire, ces grandes actions une fois repérées (à supposer que ce soit facile), il reste une foule de menues actions, d’apparence souvent futile et comme machinale […]. Toutes les actions d’un récit, si menues qu’elles paraissent, doivent être analysées, intégrées à un ordre qu’il convient de décrire : dans le texte […] aucun trait de parole n’est insignifiant. Dans Les Malheurs de Sophie, de même que, dans Mémoires de porc-épic, non seulement nous remarquons une même entrée en matière, mais aussi la conclusion est à peu près identique. La fin de l’histoire des Malheurs de Sophie, ouvre la brèche vers d’autres horizons qui seront marquée par des expériences, étant donné que l’héroïne et toute sa famille, ainsi que, la famille de son cousin et ami bien aimé Paul entreprennent une pérégrination, pour l’Amérique. Pas de fin à la manière merveilleuse classique, où la princesse était censée épouser le prince, son héros. Au contraire, c’est une fin et un commencement ; ou aussi, si nous voulons une suite de la croissance, de la maturité de Sophie. Car c’est l’auteur elle-même qui incite le lecteur à lire la suite de « leurs aventures » en ces termes, « […] vous la connaitrez en lisant Les petites filles modèles, où vous retrouverez Sophie, et Les vacances, où vous saurez ce que devient Paul » (MDS, p. 190). Nous y trouvons qu’une continuité des bases d’une éducation que veut toujours donner la Comtesse de Ségur. Elle rassure dans cette nouvelle approche de fin qu’elle invente. La formule « Ils eurent beaucoup d’enfant et vécurent heureux jusqu’à la fin des temps », est ici éliminée, pour laisser place à une assurance sur les faits et gestes de notre « princesse » et de notre « prince », Sophie et Paul nos deux héros.
LA PSYCHOLOGIE DES PERSONNAGES
Les personnages sont conçus pour faciliter les conflits cognitifs, ils présentent et représentent les diverses postures existantes dans la société relativement au problème scientifique donné : situation beaucoup plus difficile à provoquer à l’oral et en direct, que sur le papier. Les personnages sont un genre de reflet qui apparaît à dans un miroir. Ils vivent des choses comme nous les vivons dans le monde. C’est pour cela qu’ils sont confrontés à des situations, au point que, même en voulant « échapper à la réalité en nous plongeant dans la lecture […] [d’un récit], cette même fiction nous ramène à notre propre réalité en nous la donnant à voir sous un autre jour »128, à travers l’expérience des héros. Sophie, comme la présente la narratrice, est une gentille petite fille qui avait une forte personnalité du haut de ses quatre ou cinq ans. Elle est une fille très volontaire (MDS, p. 6). Ce qui laisse entrevoir une héroïne bien imagée et campée dans son milieu, pour un voyage des plus tumultueux de l’initiation à la vertu. Signalons que les contes populaires, dans leurs versions orales, ne font aucune place à la psychologie des personnages. Ce sont des êtres sans épaisseur, simplement porteur de leurs actes. Ils sont mus par des causes extérieures, contrairement aux personnages romanesques, dont les actions résultent de motivations psychologiques. C’est pourquoi ils se chargent de toutes les projections, de tous les fantasmes. Par contre, nous notons que, la psychologie des personnages détient une place importante, dans notre compréhension du récit et de notre propre environnement réel. Dans sa psychologie, force est de constater que, Sophie est une fille qui aime la découverte. Elle est très curieuse, même si parfois sa gâterie lui coûte des punitions. C’est un enfant qui reflète la candeur. Ce fait se voit à chaque fois qu’elle reçoit un présent, comme cette fois où elle […] eut la joie de voir apparaître la tête blonde et frisée d’une magnifique poupée de cire. Elle poussa un cri de joie et voulut aussitôt s’emparer de la poupée encore couverte de papier de soie, […] [aussi quand elle reçue son service de thé] ̶ Oh merci, Maman ! s’écria Sophie au comble de la joie, merci ! Et elle courut d’un bond embrasser sa mère, […] [ou encore quand sa mère lui propose de lui offrir un âne] ̶ Quel bonheur ! chic ! chic ! (MDS, pp. 5-155) Aussi, il faut dire que telle une grande personne, Sophie aime penser et dire des choses qui relèvent de l’ordre social. Elle aime les animaux ; ce qui n’est pas étonnant d’ailleurs, vue qu’elle en possède cinq. Parmi ces derniers, il y avait un chat qu’elle avait ramassé et recueilli chez elle et en plus elle s’en occupait bien (MDS, p. 126). Malgré les soins, à chaque fois ces animaux (le chat ramassé, l’écureuil qu’elle avait chassé avec l’aide de son cousin Paul, l’âne que sa maman lui avait fait cadeau de même que la tortue) (MDS, pp. 48-181) mouraient à l’exception du poney. Sophie se faisait une joie de s’occuper de ses compagnons. Elle était un enfant choyé, et bien gâté. À l’inverse, le jeune Kibandi à la différence de Sophie n’a jamais demandé quoi que ce soit par lui-même. Il n’a pas choisi d’avoir un double nuisible, ni devenir un mangeur d’hommes. A l’aurore de ses dix-ans (MPP, p. 47), il sera arraché de son innocence une nuit, quand son papa décida de le réveiller pour l’initier à la vie de double. Grande sera son étonnement quand, pour la première fois, il vit son père en deux personnes. Une question traversait ses pensées, « il se demanda cependant si c’était bien celui-là son vrai géniteur » (MPP, p. 80). Son innocence est ainsi torpillée. C’est ce qui explique le fait qu’il soit triste et calme. Il vivra des situations tumultueuses, éprouvantes qui sortent du commun. Ses tracas commencent au lendemain de son breuvage, car le petit « ne dormais plus, il devait lutter contre les effets de ce liquide rituel » (MPP, p. 48). Kibandi traine dans son esprit des préjugés à ne pas finir sur les gens. Il sera dans une paranoïa accrue, puisque pour lui, tous les gens sont ses ennemis. À son avis, même la Bible le condamne parce qu’il : « […] estimait que le livre de Dieu blâmait ses propres croyances, critiquait ses pratiques » (MPP, p. 24). Il erre comme une âme perdue à la recherche de l’amour. Sa vie est fade, vécue in petto et est non réussie, à cause de ce double nuisible reçu, l’obligeant à vivre comme un spectre vivant. Il est devenu celui que son père voulait qu’il devienne : un faquin. Sa psychè reste confrontée dans son être antérieur à ce qu’il est devenu. Comme le dit Michel Foucault : « le devenir psychologique est à la fois évolution et histoire ; le temps du psychisme doit s’analyser à la fois selon l’antérieur et l’actuel »130. C’est dans son évolution que Kibandi a perdu son équilibre par l’obligation qu’il a subi, de la part de son père de posséder un double nuisible, ce père qui aurait dû le protéger est celui-là même qui le torture, lui infligeant une conduite désastreuse car : La prééminence des réactions automatiques, la succession sans cesse rompue et désordonnée des conduites, la forme explosive des réactions émotionnelles sont caractéristiques d’un niveau archaïque dans l’évolution de l’individu. Ce sont des conduites qui donnent leur style aux réactions de l’enfant : absence des conduites de dialogue, ampleur des monologues sans interlocuteurs..
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LE CONTE, UN GENRE EN MUTATION
CHAPITRE I : GENÈSE DU CONTE
1.1 . ASPECTS DÉFINITIONNELS
1.2 DU CONTE CLASSIQUE AU CONTE MODERNE
CHAPITRE II : UNE TYPOLOGIE EN QUESTION
2.1 : UNE CONTROVERSE AUTOURS DE LA STRUCTURE DU RÉCIT
2.2. UNE SPÉCIFICITÉ STRUCTURAL DANS LES RÉCITS
DEUXIEME PARTIE : LA TRANSGRESSION NARRATIVE
CHAPITRE III : LE TRAVESTISSEMENT DES PERSONNAGES
3.1. LA PSYCHOLOGIE DES PERSONNAGES
3.2. L’IMPACT DES PARENTS DANS LA TRANSCENDANCE DES ACTANTS
CHAPITRE IV : FONCTION DU CONTE
4.1. UNE DUALITÈ PÉDAGOGIQUE
4.2. LA RECONSTRUCTION D’UN IDÉAL SOCIAL
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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