ASPECTS DรFINITIONNELS
ย ย Le conte fait partie des genres du rรฉcit bref dรจs sa parution dans la littรฉrature franรงaise europรฉenne au Moyen รge. Le rรฉcit bref est un des genres oรน, il est plaisant de narrer une histoire dans une file continue, bien structurรฉe et trรจs courte. Dans sa genรจse, le rรฉcit bref englobait en lui les lais, lโexemplum, le conte, la fableโฆ Nous pouvons parler aussi des fables qui, sont des textes versifiรฉs comme le conte avec une intrigue bien concise et brรจve. Ce dernier relate des faits imaginaires, toutefois, ces faits dรฉcoulent de la sociรฉtรฉ avec ร la fin une morale, รฉtant donnรฉ que les personnages sont des animaux et quelquefois des รชtres ร caractรจre humain. Elle se ยซ promรจne dans le monde rรฉel des faits. [โฆ]. Lโhomme social traduit donc son monde rationnel en habillant les hommes du vรชtement transparent des animaux ยป. Au Moyen รge, la fable signifiait fiction, mensonge sur le plan รฉthique. Relevant de lโaspect purement divertissant. Pierre-Yves Badel en parle en ces termes : La fable sโoppose ร lโestoire vรฉridique ou encore au dit. Le fabliau permet au public du XIIIe siรจcle de satisfaire son goรปt des contes purement divertissants, qui ne tirent pas ร consรฉquence. Les motifs de ces contes au folklore universel. Transmis oralement, ils ont parfois reรงu une forme รฉcrite qui rรฉvรจle chez le narrateur un rรฉel talent. Le rรฉcit bref sera remarquablement prรฉsent dans le genre du conte, cโest avec le Dรฉcamรฉron 27 (vers 1350) de Boccace quโon assiste ร la naissance du conte dans la littรฉrature franรงaise. En Europe, parut avec une mise en scรจne qui nรฉcessite la prรฉsence physique du conteur ou du narrateur. Cette personne met en tableau un rรฉcit, une aventure ou une anecdote avec une complicitรฉ de son public. Car le conteur nโest pas seul, il a son public qui joue son rรดle passif et actif ร la fois dont le narrateur ne peut pas ne pas tenir compte. Par la parole, lโintonation, le geste, la mimique, la danse, le chant, les silences, il agit sur les gens qui lโรฉcoutent et le regardent, et dont les rรฉactions vont ร leur tour se rรฉpercuter sur lui. Entre le conteur et lโauditoire se crรฉent des liens, des รฉchanges. Toute lโassemblรฉe prรฉsente sur les lieux participe ร la rรฉalisation harmonieuse du conte. Cependant, dans leurs formes รฉcrites, ces rรฉcits (les contes) racontent, ร la maniรจre du roman, une fiction, ร la diffรฉrence de la briรจvetรฉ notรฉe sur leur forme ; leur structure est la mรชme car tous deux usent de lโoctosyllabe : de la forme versifiรฉe la plus neutre qui soit ร cette รฉpoque. Cโest ce qui fait dire ร Gautier ยซ [โฆ] caractรฉrisรฉ en effet par un nombre de page limitรฉ, une structure assez simple, un nombre de personnages et dโรฉvรฉnement rรฉduit. Le rรฉcit est le plus souvent fermรฉ sur lui-mรชme, dans un รฉcho au dรฉbut, ou dans une conclusion dโun narrateur confident ยป30. Cโest avec lโavรจnement des Mille et une nuits31, que le conte connaรฎtra son apogรฉe dans le monde.ย Le conte revรชt la pensรฉe humaniste au XVIe siรจcle, avec les รฉcrits de Franรงois Rabelais le Pantagruel (1532) et Gargantua (1534). Ces contes, tenaient la chronique du rรฉcit bref parce quโils mettaient en scรจne des personnages de gรฉant qui considรจrent ยซ la raison [comme la] source du bon sens ยป. Une valorisation de lโhumanitรฉ รฉtait faite, par la pรฉdagogie, qui รฉtait lโun des piliers de la pensรฉe humaniste. On en vient au conte de fรฉe durant le XVIIe siรจcle, pรฉriode pendant laquelle le conte populaire est transcrit de lโoral ร lโรฉcrit dans les milieux ruraux par la Bibliothรจque Bleu32. Cโest cette bibliothรจque qui, selon Sevestre, ยซ a rรฉvolutionnรฉ la culture populaire, jusque-lร uniquement oral, [et] destinรฉ ร un public peu fortunรฉ et peut instruit ยป. ร cette รฉpoque, on assista ร une littรฉrature de colportage au rang de roman avec des papiers de peu de valeur imprimรฉe en bleu, considรฉrรฉe non seulement comme une couleur de la pauvretรฉ mais aussi de lโinnocence ; dโoรน sa visรฉe beaucoup plus enfantine. Ce type de conte met des personnages en petit nombre facilement repรฉrable et dans un cadre merveilleux. En effet, comme le dรฉclare Jean-Pierre Aubrit : [le] merveilleux, [โฆ], suppose que lโon accepte immรฉdiatement et sans rรฉticence la prรฉsence au sein de notre monde dโรฉlรฉments totalement irrationnels, dont la rรฉalitรฉ ne fait pas plus de doute que le quotidien le plus banal oรน il sโinscrit. Le critรจre de la vraisemblance y est donc non seulement absent, mais encore inopรฉrant. Il est appelรฉ aussi fรฉรฉrique avec un hรฉros qui sโadapte et se meut dans le surnaturel de la maniรจre la plus naturelle qui soit, sans connaรฎtre de trouble รฉmotionnel vu que sa quรชte se termine toujours par un succรจs. La fin est toujours heureuse. Il est plus usitรฉ par Charles Perrault et Mme dโAulnoy. Charles Perrault, arrรชtons-nous sur lui un moment, il est celui qui a permis au conte de fรฉes de connaรฎtre son succรจs et dโavoir une telle expansion dans le monde de la littรฉrature dite merveilleuse. Toutefois, avant dโรชtre rรฉdigรฉs et publiรฉs par Charles Perrault, les contes de fรฉes รฉtaient des divertissements de la haute classe, ils se contaient dans des salons. De mรชme, des ลuvres de femmes sont ร signaler ยซ essentiellement (Mme dโAulnoy, Mme dโAuneuil, Mme Durand, Mme de Murat, Mlle Lhรฉritier, Mlle de La Force), les contes de fรฉes โlittรฉraireโโ sont partie prenantes ฬถ au double sens de lโexpression ฬถ de la littรฉrature romanesque ยป35. Cependant de toutes ces femmes, seules les ลuvres de Mme dโAulnoy gagneront les cลurs telles que : Les fรฉes ร la mode (1697), et les Illustres fรฉes (1698). Par la publication de son recueil de conte : Histoires ou contes du temps passรฉ (1697), Charles Perrault venait dโinscrire le conte dans une vรฉritable vogue de fรฉes. Avec la parution de ses cinq premiers contes en prose sous le titre Contes de ma mรจre lโOye (1948) qui est composรฉ de : La Belle au bois dormant, Le Petit chaperon rouge, La Barbe bleue, Le chat bottรฉ et Les Fรฉes, lโauteur montre quโil nโa fait que transcrire les contes que racontent les nourrices. Par ailleurs, dans lโรฉdition originale des Histoires ou contes du temps passรฉ de (1697), nous retrouvons le mรชme titre รฉnoncรฉ ainsi prouve que Perrault est de lโancienne รฉcole. Lโintitulรฉe est sur dessous : la gravure en frontispice inscrit sur une pancarte fixรฉe ร la porte de la chambre oรน une vieille paysanne filant au coin du feu conte des histoires ร une petite fille et deux garรงons. Perrault se rรฉclame ainsi clairement de la tradition orale la plus populaire, celle des contes de nourrices. Dโailleurs, Charles Perrault nous invite ร lire ces contes comme : Lโexpression dโune vision du monde [โฆ], dโune civilisation, dโun ensemble de pratiques culturelles, sociales, religieuses, morales, et que son intรฉrรชt est de faire connaรฎtre ce monde auquel appartient lโauteur et quโil restitue au moment dโinventรฉ une histoire qui a pour fin โ dโattacher lโesprit หฎ du lecteur. Puis, naissent les contes philosophiques sous la plume de Voltaire avec Zadig (1747), Micromรฉgas (1752), oรน il peint des situations avoisinant le rรฉel, dans un style parodique et ironique, avec des personnages familiers. Dans ces contes, lโauteur pousse les lecteurs ร la rรฉflexion ร travers des concepts philosophiques, cโest le rationalisme qui est plus mis en exergue, dans une atmosphรจre de providence. Dans son รฉpanchement, il devient fantastique ร lโรฉpoque du romantisme franรงais avec les Contes (1961) de Charles Nodier, les frรจres Grimm avec Blanche neige (1812). Le fantastique est en quelque sorte, le voisin des contes de fรฉes ou merveilleux. Dans ces contes, les auteurs aiment y reprรฉsenter les failles de la vie quotidienne, dans un mรฉlange de situation qui se perd entre rรฉel et irrรฉel, poussant lโimagination ร lโhorreur morbide. Si nous savons comme le soutient Pierre-Georges Castex que : le fantastique [โฆ] ne se confond pas avec lโaffabulation conventionnelle des rรฉcits mythologique ou des fรฉeries, qui implique un dรฉpaysement de lโesprit. Il se caractรจre au contraire par une intrusion brutale du mystรจre dans le cadre de la vie rรฉelle ; il est liรฉ gรฉnรฉralement aux รฉtats morbides de la conscience qui, dans les phรฉnomรจnes de cauchemar ou de dรฉlire, projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. Avec Guy de Maupassant La bรฉcasse (1883) et Alphonse Daudet avec Conte du lundi (1873), le conte sera marquรฉ par la vision du rรฉalisme. Et pour prรฉciser, le conte, en Occident, met en scรจne seulement des personnages ร caractรจre humain et dans un monde fantastique qui ยซ nโest rien dโautre quโune hรฉsitation prolongรฉe entre une explication naturelle et une autre surnaturelle ยป. En Afrique Noire, cโest un autre cadre de vision qui se prรฉsente. รtant caractรฉrisรฉe par une sociรฉtรฉ conservatrice de valeurs sociales et oรน la tradition orale est selon Lilyan Kasteloot le fondement et vรฉhicule de la civilisation du continent et ses diffรฉrentes cultures, elle est la source inรฉpuisable des interprรฉtations du cosmos, des croyances et des cultes, des lois et des coutumes ; des systรจmes de parentรฉ et dโalliance ; des systรจmes de production et de rรฉpartition des biens ; des modes de pouvoirs politiques et de stratifications sociales ; des critรจres de lโรฉthique et de lโesthรฉtique ; des concepts et reprรฉsentations de valeurs morales.La parole รฉtant le moyen de communication africaine, cโest par elle que se transmettait le savoir. Parmi les genres de la littรฉrature orale, a fortiori le conte il se prรฉsente de maniรจre diffรฉrente ร celle de lโOccident. Car cโest avec lโavรจnement de la colonisation que le Noir a commencรฉ ร รฉcrire. Cโest un rรฉcit court, qui est rรฉgi par des prรฉceptes trรจs clairs tel que le soutient Samba Dieng qui dira que ยซ le but (cโest dโinstruire et de plaire), le moment (la nuit), la maniรจre (musique du griot), une originalitรฉ (un narrateur et un musicien) non confondu (et ayant un auditoire) ยป. Dans les contes africains, nous sommes souvent en prรฉsence de personnification dโanimaux, vue que, dans un mรชme univers, les animaux, les plantes de mรชme que les hommes sont tous animรฉs car ยซ tout rit, tout vit, tout possรจde une รขme ยป. Ces sรฉances se font souvent par une ยซ utilisation du tam-tam, du chant [qui] permet de maintenir le suspens, dโentretenir une angoisse, mais il permet dโinstaurer la joie, de souligner une victoire ยป. Cependant, ร noter que ce quโon appelle conte en Afrique est en gรฉnรฉral une fable en Occident, mรชme si dรจs fois il est remarquรฉ une ressemblance des fables nouvelles ยซ qui semble รชtre la transgression, en un texte grรชle au style sec et dรฉpouillรฉ, de conte populaire ยป, comme nous le lisons dans Les Fables (1694) de La Fontaine oรน se trouve ยซ une rรฉelle connivence entre le conte et le genre didactique [surtout] celui de la fable ยป45. Le conte revรชt toujours des moments dโunion, de partage, dโรฉchange entre les individus dโune mรชme sociรฉtรฉ. Racontรฉ par une personne รขgรฉe, cโest toujours ร la maniรจre dโune institution que la sociรฉtรฉ initie sa relรจve future (les enfants). ยซ Le conte appartient ร lโunivers prรฉlogique, et ses enseignements portent sur des savoir-รชtre ยป46. Cโest ce savoir-รชtre que les aรฏeuls transmettaient ร leurs descendances autour du feu, et au soir de pleine lune.
UNE CONTROVERSE AUTOURS DE LA STRUCTURE DU RรCIT
ย ย Par sa forme et ses normes, le conte a permis aux chercheurs dโavoir divers points de vue sur ce qui constitue les normes canoniques de ce genre. Le conte, met en scรจne des personnages dans diffรฉrentes fonctions et dans ยซ une sphรจre dโaction ยป. Vladimir Propp distingue des รฉlรฉments constants qui sont permanents dans le conte quโil nomme tout simplement fonction. La fonction, pour lui, est ยซ lโaction dโun personnage, dรฉfinie du point de vue de sa signification dans le dรฉroulement de lโintrigue ยป. Et quel que soit ces personnages, et la maniรจre dont ces fonctions sont accomplies, ces derniรจres demeurent pour lui les parties constitutives et fondamentales du conte. Il en dรฉnombre un nombre limitรฉ dans le conte merveilleux (trente et une), leur succession est toujours identique et tous les contes merveilleux font partie du mรชme type structural. Vladimir Propp donne la dรฉfinition suivante du conte merveilleux : ยซ […] du point de vue morphologique, toutย dรฉveloppement partant dโun mรฉfait ou dโun manque, et passant par toute les fonctions intermรฉdiaires pour aboutir au mariage ou ร autre fonction utilisรฉe comme dรฉnouement ยป. Donc ce nโest pas le personnage qui est le noyau par qui tout doit obรฉir mais cโest plutรดt au personnage de sโadapter aux fonctions, dโautant plus que les fonctions sont totalement indรฉpendantes des personnages. Nonobstant, cโest un autre cadre qui se dessine dans Les Malheurs de Sophie. Dโabord, nous ne sommes pas en prรฉsence dโun conte merveilleux, comme dans les รฉtudes de Vladimir Propp. Et lร oรน les fonctions narratives, selon lui, doivent รชtre successives et partir dโune situation de manque, ici, comme le montre lโantienne dโouverture cโest plutรดt le contraire que nous constatons, ยซ [โฆ] il faut ouvrir une grande caisse que papa mโa envoyรฉe de Paris! Je crois que cโest une poupรฉe de cire, la poupรฉe de cire quโil mโavait promise ยป (MDS, p. 5). Le conte ici dรฉbute plutรดt par la rรฉception dโun prรฉsent, la ยซ poupรฉe de cire ยป. Cโest ce qui formera le nลud de lโintrigue dans ce chapitre et dans ce cadre, nโinterviendront que les fonctions choisies par lโauteur ayant une corrรฉlation avec le sujet. Cโest dans ce sens quโAndrรฉ Rรฉgnier dira quโยซ un conte nโutilise en gรฉnรฉral quโune partie des fonctions de la suite fondamentale, et il peut les intervertir ยป ; dโautant plus que tout conteur est libre dโinclure dans son rรฉcit les bifurcations qui se prรฉsenteront ร lui. Dans Les Malheurs de Sophie, cโest un processus de manque qui se traduit par sa dรฉsobรฉissance, sa coquetterie, sa gourmandise, sa malhonnรชtetรฉ ; par son ยซ manque ยป dโรฉcoute des conseils, sa curiositรฉ… qui aboutiront ร une situation de ยซ manque comblรฉe ยป, en passant par des situations de ยซ dรฉgradation ยป, mettant en scรจne des fonctions telles que lโabsence ou lโรฉloignement. En lโabsence de sa mรจre qui ne veut pas que Sophie aille dans la cour sans elle Sophie en profita : elle ยซ courut ร la porte, lโouvrit et pรฉnรฉtra vivement dans la cour ยป (MDS, p. 19). Cette absence de la mรจre est la cause de la dรฉsobรฉissance de Sophie, car elle fera lโinterdit : ยซ elle posa dรฉlicatement le pied sur la chaux, persuadรฉe que cโรฉtait en effet aussi dure que la glace ยป (MDS, p. 19). Si nous nous rรฉfรฉrons ร Mรฉmoires de porc-รฉpic, le rรฉcit dรฉbute avec la victoire du hรฉros qui venait dโรฉchapper aux obstacles. Ici, cโest non le hรฉros lui-mรชme, le jeune Kibandi, mais au contraire son ยซ double nuisible ยป (MPP, p. 16), qui รฉtait censรฉ mourir avec lui le mรชme jour. Cโest ce double qui a รฉchappรฉ ร la mort qui nous raconte leur aventure ยซ donc je ne suis quโun animal de rien du tout, les hommes diraient une bรชte sauvageโฆ je ne devrai plus รชtre de ce mondeโฆ ยป (MPP, p. 11). Ensuite lโauteur enchaรฎne les fonctions dans une diversitรฉ de tempo, pour en venir au dรฉnouement, non ร la maniรจre classique, oรน la fin est heureuse pour le hรฉros mais dans cette prรฉsente ลuvre, cโest au contraire une punition qui marque la fin.
UNE SPรCIFICITร STRUCTURAL DANS LES RรCITS
ย ย Comme nous lโavons montrรฉ plus haut, les rรฉcits que nous รฉtudions sont traversรฉs par une รฉcriture libre, qui met en relief lโesthรฉtique renouvelรฉe du conte. Que cela soit dans les rรฉcits de Sophie ou celui du porc-รฉpic, la file suit une logique bien dรฉterminรฉe ; les conteurs, dans la nouveautรฉ quโils apportent, choisissent divers types de conte. Chez la Comtesse de Sรฉgur, cโest un mรฉlange de merveilleux et de fรฉรฉrique ร travers la datation car le temps semble รชtre non pris en compte en glissant dans les textes des formules dโouverture : ยซ ce jour-lร , le soleil รฉtait brรปlant ยป (MDS, p. 08) ou de clรดture : ยซ cโest ainsi que Sophie en fut dรฉbarrassรฉe, et depuis lors elle ne fit plus jamais souffrir aucun animal ยป (MDS, p. 36). Cela sโexplique du fait peut-รชtre que lโauteur ne vise pas seulement le public enfant mais aussi celui adulte puisque ยซ pour lโenfant et pour lโadulte qui, comme Socrate, sait quโil subsiste un enfant dans la partie la plus sage de notre รชtre, les contes [โฆ] rรฉvรจlent de vรฉritรฉs sur lโespรจce humaine et sur lโhomme lui-mรชme ยป109. Les adultes auraient-ils besoin ร nouveau dโรชtre รฉduquer ? Bref, force est de constater que les enfants qui sont mis en scรจne pensent comme de grande personne et poussent ainsi le lectorat ร une rรฉflexion innocente mais osรฉe. Cโest parce que Sophie voit et comprend comment on fait du thรฉ, quโelle nโhรฉsite pas ร en faire malgrรฉ lโinterdit de sa maman quand elle reรงoit pour cadeau dโanniversaire un service ร thรฉ en mรฉtal (MDS, p. 76). Elle pensa comme une grande personne que sโรฉtait du gรขchis dโavoir du matรฉriel de service de thรฉ et de ne pas pouvoir le faire. La fรฉerie se lit ร travers justement les dons que reรงoive Sophie, et par la prรฉsence de sa mรจre qui occupe en quelque sorte la place de la fรฉe. Comme nous le lisons dans les contes de fรฉe, la maman est ร chaque fois remplacรฉe par la fรฉe qui est souvent appelรฉe marraine (dans Cendrillon, Peau dโรขne, La belle au bois dormant). Elle est en somme une deuxiรจme mรจre pour les protagonistes. Si dans les contes merveilleux ou les contes de fรฉes, il sโagit de dรฉtourner ou dรฉjouer les plans des mรฉchants en passant par plusieurs รฉpreuves, dans Les Malheurs de Sophie, il sโagirait plutรดt dโun merveilleux qui se trouve agressรฉ par la prรฉsence rรฉcurrente des mรฉfaits de Sophie. Dans Mรฉmoires de porc-รฉpic, Alain Mabanckou mรชle merveilleux, fantastique et conte noire. Le fantastique est cette mรฉthode de mรฉlanger le rรฉel et lโirrรฉel, le naturel et le surnaturel dans une reprรฉsentation horrible et plaisante des faits de la vie. Pierre Georges Castex souligne que : Le fantastique [โฆ] ne se confond pas avec lโaffabulation conventionnelle des rรฉcits mythologiques ou des fรฉeries, qui impliquent un dรฉpaysement de lโesprit. Il se caractรฉrise par une intrusion brutale du mystรจre dans le cadre de la vie rรฉelle ; il est liรฉ gรฉnรฉralement aux รฉtats morbides de la conscience qui, dans les phรฉnomรจnes de cauchemar ou de dรฉlire, projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. Ceci est prรฉsent dans le rรฉcit de Kibandi qui dรฉcouvre avec surprise cette vie des tรฉnรจbres quand, pour la premiรจre fois, il voit et connaรฎt en rรฉalitรฉ la vie que mรจne son pรจre. Le tableau que peint lโauteur est du domaine totalement de la frayeur : ยซ [โฆ], une nuit peuplรฉ dโeffraies, de chauvessouris, [โฆ] le petit Kibandi assista ร une scรจne si peu croyable quโil se frotta les yeux ร plusieurs reprise ยป (MPP, p. 79), il a du mal ร se situer, ร la vue de ces deux personnes qui sont identiques. Cette rรฉalitรฉ pousse le lecteur ร sโhorrifier car ce sont des choses nouvelles pour lui qui choque mรชme lโesprit. La prรฉsence de lโhorreur dans son rรฉcit montre quโil nโest pas fait pour la psychรฉ de lโenfant seulement, vu que lโauteur utilise des phases crues pour raconter son histoire. Comme si cela ne le satisfait pas, il use du conte noir dont le but est de chercher ยซ ร provoquer des rรฉactions dโhorreur ou, en tout cas, une secousse nerveuse, chez le lecteur, si bien que sa cruautรฉ peut-รชtre empruntรฉ ร la vie quotidienne 111ยป. Cโest vraiment un conte pour adulte, รฉtant donnรฉ que, lโinnocence ne saurait encaisser, une si lourde rรฉalitรฉ. Le merveilleux y est peu reprรฉsentรฉ. Il est vu ร travers les objets que Kibandi a reรงus de son pรจre qui touche un peu ร la magie : le mayamvumbi, ou la noix de palme, qui est un legs de la famille. Mais aussi, le merveilleux se lit dans le dรฉcor des lieux habitรฉs par Kibandi et sa famille comme le dรฉcrit le narrateur, ยซ Kibandi et ses parents vivaient alors au nord du pays, trรจs loin dโici, ร Mossaka, une rรฉgion dโeau, dโarbre gรฉants, de crocodiles et de tortues grosses comme des montagnes ยป (MPP, p. 47). Ou encore dans lโappellation de certains mots quand il dรฉpeint lโattitude dโAmedรฉ qui ยซ [โฆ] regardais avec satisfaction son image se rรฉflรฉchir sur lโonde apaisรฉe et presque complice de cette coquetterie ยป (MPP, p. 153). Cependant, la structure dans les deux contes est trรจs complexe en ce sens que, les auteurs jouent sur plusieurs plans et sur plusieurs registres. Ils usent de la diversitรฉ des genres pour exploiter ร fond et reprรฉsenter ร leur faรงon des rรฉalitรฉs. Toutefois, nous voyons le sens ultime du message du conte qui se trouve greffer, dans une myriade de cheminement. Aucune logique nโest suivie, sur la thรฉorie de Vladimir Propp, quand il dit que les fonctions doivent รชtre successives ; encore moins de la thรจse de Denise de Paulme, quand elle expose sur les contes ร รฉvรฉnement circulaire ou dโeffet de miroir. Comme pour le roman, pour le thรฉรขtre, ou pour la poรฉsieโฆ, les auteurs dans leurs rรฉcits adoptent un nouveau style dโรฉcriture. Lโentrรฉe in medias res en dit tout, ils se plaisent de dรฉbuter leur rรฉcit ร la faรงon du roman, car ils ne veulent certainement pas obtenir un sens unitaire, ou un sens qui suit une hiรฉrarchie, vue que, tous les traits de parole sont signifiants. Force est de noter avec Barthes que : [โฆ] lโanalyse des contes [est de] dรฉgager les grandes actions, les articulations primordial de lโhistoire (contrats, รฉpreuves ou aventures subies par le hรฉros) ; mais le rรฉcit littรฉraire, ces grandes actions une fois repรฉrรฉes (ร supposer que ce soit facile), il reste une foule de menues actions, dโapparence souvent futile et comme machinale [โฆ]. Toutes les actions dโun rรฉcit, si menues quโelles paraissent, doivent รชtre analysรฉes, intรฉgrรฉes ร un ordre quโil convient de dรฉcrire : dans le texte [โฆ] aucun trait de parole nโest insignifiant. Dans Les Malheurs de Sophie, de mรชme que, dans Mรฉmoires de porc-รฉpic, non seulement nous remarquons une mรชme entrรฉe en matiรจre, mais aussi la conclusion est ร peu prรจs identique. La fin de lโhistoire des Malheurs de Sophie, ouvre la brรจche vers dโautres horizons qui seront marquรฉe par des expรฉriences, รฉtant donnรฉ que lโhรฉroรฏne et toute sa famille, ainsi que, la famille de son cousin et ami bien aimรฉ Paul entreprennent une pรฉrรฉgrination, pour lโAmรฉrique. Pas de fin ร la maniรจre merveilleuse classique, oรน la princesse รฉtait censรฉe รฉpouser le prince, son hรฉros. Au contraire, cโest une fin et un commencement ; ou aussi, si nous voulons une suite de la croissance, de la maturitรฉ de Sophie. Car cโest lโauteur elle-mรชme qui incite le lecteur ร lire la suite de ยซ leurs aventures ยป en ces termes, ยซ [โฆ] vous la connaitrez en lisant Les petites filles modรจles, oรน vous retrouverez Sophie, et Les vacances, oรน vous saurez ce que devient Paul ยป (MDS, p. 190). Nous y trouvons quโune continuitรฉ des bases dโune รฉducation que veut toujours donner la Comtesse de Sรฉgur. Elle rassure dans cette nouvelle approche de fin quโelle invente. La formule ยซ Ils eurent beaucoupย dโenfant et vรฉcurent heureux jusquโร la fin des temps ยป, est ici รฉliminรฉe, pour laisser place ร une assurance sur les faits et gestes de notre ยซ princesse ยป et de notre ยซ prince ยป, Sophie et Paul nos deux hรฉros.
LA PSYCHOLOGIE DES PERSONNAGES
ย ย Les personnages sont conรงus pour faciliter les conflits cognitifs, ils prรฉsentent et reprรฉsentent les diverses postures existantes dans la sociรฉtรฉ relativement au problรจme scientifique donnรฉ : situation beaucoup plus difficile ร provoquer ร lโoral et en direct, que sur le papier. Les personnages sont un genre de reflet qui apparaรฎt ร dans un miroir. Ils vivent des choses comme nous les vivons dans le monde. Cโest pour cela quโils sont confrontรฉs ร des situations, au point que, mรชme en voulant ยซ รฉchapper ร la rรฉalitรฉ en nous plongeant dans la lecture [โฆ] [dโun rรฉcit], cette mรชme fiction nous ramรจne ร notre propre rรฉalitรฉ en nous la donnant ร voir sous un autre jour ยป128, ร travers lโexpรฉrience des hรฉros. Sophie, comme la prรฉsente la narratrice, est une gentille petite fille qui avait une forte personnalitรฉ du haut de ses quatre ou cinq ans. Elle est une fille trรจs volontaire (MDS, p. 6). Ce qui laisse entrevoir une hรฉroรฏne bien imagรฉe et campรฉe dans son milieu, pour un voyage des plus tumultueux de lโinitiation ร la vertu. Signalons que les contes populaires, dans leurs versions orales, ne font aucune place ร la psychologie des personnages. Ce sont des รชtres sans รฉpaisseur, simplement porteur de leurs actes. Ils sont mus par des causes extรฉrieures, contrairement aux personnages romanesques, dont les actions rรฉsultent de motivations psychologiques. Cโest pourquoi ils se chargent de toutes les projections, de tous les fantasmes. Par contre, nous notons que, la psychologie des personnages dรฉtient une place importante, dans notre comprรฉhension du rรฉcit et de notre propre environnement rรฉel. Dans sa psychologie, force est de constater que, Sophie est une fille qui aime la dรฉcouverte. Elle est trรจs curieuse, mรชme si parfois sa gรขterie lui coรปte des punitions. Cโest un enfant qui reflรจte la candeur. Ce fait se voit ร chaque fois quโelle reรงoit un prรฉsent, comme cette fois oรน elle [โฆ] eut la joie de voir apparaรฎtre la tรชte blonde et frisรฉe dโune magnifique poupรฉe de cire. Elle poussa un cri de joie et voulut aussitรดt sโemparer de la poupรฉe encore couverte de papier de soie, [โฆ] [aussi quand elle reรงue son service de thรฉ] ฬถ Oh merci, Maman ! sโรฉcria Sophie au comble de la joie, merci ! Et elle courut dโun bond embrasser sa mรจre, [โฆ] [ou encore quand sa mรจre lui propose de lui offrir un รขne] ฬถ Quel bonheur ! chic ! chic ! (MDS, pp. 5-155) Aussi, il faut dire que telle une grande personne, Sophie aime penser et dire des choses qui relรจvent de lโordre social. Elle aime les animaux ; ce qui nโest pas รฉtonnant dโailleurs, vue quโelle en possรจde cinq. Parmi ces derniers, il y avait un chat quโelle avait ramassรฉ et recueilli chez elle et en plus elle sโen occupait bien (MDS, p. 126). Malgrรฉ les soins, ร chaque fois ces animaux (le chat ramassรฉ, lโรฉcureuil quโelle avait chassรฉ avec lโaide de son cousin Paul, lโรขne que sa maman lui avait fait cadeau de mรชme que la tortue) (MDS, pp. 48-181) mouraient ร lโexception du poney. Sophie se faisait une joie de sโoccuper de ses compagnons. Elle รฉtait un enfant choyรฉ, et bien gรขtรฉ. ร lโinverse, le jeune Kibandi ร la diffรฉrence de Sophie nโa jamais demandรฉ quoi que ce soit par lui-mรชme. Il nโa pas choisi dโavoir un double nuisible, ni devenir un mangeur dโhommes. A lโaurore de ses dix-ans (MPP, p. 47), il sera arrachรฉ de son innocence une nuit, quand son papa dรฉcida de le rรฉveiller pour lโinitier ร la vie de double. Grande sera son รฉtonnement quand, pour la premiรจre fois, il vit son pรจre en deux personnes. Une question traversait ses pensรฉes, ยซ il se demanda cependant si cโรฉtait bien celui-lร son vrai gรฉniteur ยป (MPP, p. 80). Son innocence est ainsi torpillรฉe. Cโest ce qui explique le fait quโil soit triste et calme. Il vivra des situations tumultueuses, รฉprouvantes qui sortent du commun. Ses tracas commencent au lendemain de son breuvage, car le petit ยซ ne dormais plus, il devait lutter contre les effets de ce liquide rituel ยป (MPP, p. 48). Kibandi traine dans son esprit des prรฉjugรฉs ร ne pas finir sur les gens. Il sera dans une paranoรฏa accrue, puisque pour lui, tous les gens sont ses ennemis. ร son avis, mรชme la Bible le condamne parce quโil : ยซ [โฆ] estimait que le livre de Dieu blรขmait ses propres croyances, critiquait ses pratiques ยป (MPP, p. 24). Il erre comme une รขme perdue ร la recherche de lโamour. Sa vie est fade, vรฉcue in petto et est non rรฉussie, ร cause de ce double nuisible reรงu, lโobligeant ร vivre comme un spectre vivant. Il est devenu celui que son pรจre voulait quโil devienne : un faquin. Sa psychรจ reste confrontรฉe dans son รชtre antรฉrieur ร ce quโil est devenu. Comme le dit Michel Foucault : ยซ le devenir psychologique est ร la fois รฉvolution et histoire ; le temps du psychisme doit sโanalyser ร la fois selon lโantรฉrieur et lโactuel ยป130. Cโest dans son รฉvolution que Kibandi a perdu son รฉquilibre par lโobligation quโil a subi, de la part de son pรจre de possรฉder un double nuisible, ce pรจre qui aurait dรป le protรฉger est celui-lร mรชme qui le torture, lui infligeant une conduite dรฉsastreuse car : La prรฉรฉminence des rรฉactions automatiques, la succession sans cesse rompue et dรฉsordonnรฉe des conduites, la forme explosive des rรฉactions รฉmotionnelles sont caractรฉristiques dโun niveau archaรฏque dans lโรฉvolution de lโindividu. Ce sont des conduites qui donnent leur style aux rรฉactions de lโenfant : absence des conduites de dialogue, ampleur des monologues sans interlocuteurs..
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIรRE PARTIE : LE CONTE, UN GENRE EN MUTATION
CHAPITRE I : GENรSE DU CONTE
1.1 . ASPECTS DรFINITIONNELS
1.2 DU CONTE CLASSIQUE AU CONTE MODERNE
CHAPITRE II : UNE TYPOLOGIE EN QUESTION
2.1 : UNE CONTROVERSE AUTOURS DE LA STRUCTURE DU RรCIT
2.2. UNE SPรCIFICITร STRUCTURAL DANS LES RรCITS
DEUXIEME PARTIE : LA TRANSGRESSION NARRATIVE
CHAPITRE III : LE TRAVESTISSEMENT DES PERSONNAGES
3.1. LA PSYCHOLOGIE DES PERSONNAGES
3.2. L’IMPACT DES PARENTS DANS LA TRANSCENDANCE DES ACTANTS
CHAPITRE IV : FONCTION DU CONTE
4.1. UNE DUALITร PรDAGOGIQUE
4.2. LA RECONSTRUCTION DโUN IDรAL SOCIAL
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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