Évolutions du secteur et spécificités du tourisme rural
De façon générale, il semble pertinent de mettre en contexte l’industrie touristique et son évolution comme activité économique, notamment dans les milieux ruraux. Puis, nous observerons la place de cette industrie majeure dans la région de la Gaspésie et dans l’ un de ses secteurs : la Haute-Gaspésie. Le tourisme est un secteur d’activité qui a vécu de profondes transformations durant le siècle dernier. Autrefois réservé à l’élite et aux aventuriers, ce type d’ activité s’ est rapidement démocratisé avec l’essor de la société des loisirs. En effet, on assiste à un plus grand accès des travailleurs aux périodes de vacances. Officiellement, c’ est « à partir des années 1950 que le tourisme de masse prend de l’envergure et atteint son apogée, selon les pays, au cours des années 1970 ou 1980 » (LeRoy, 1999 : 107). On assiste alors à une forme d’ industrialisation du tourisme, caractérisée par une standardisation des produits touristiques et à une concentration de l’ offre; pensons seulement à la croissance extrêmement rapide des stations touristiques de type Club Med et du nombre de plus en plus élevé de gens y prenant des vacances, montrant la naissance du tourisme de masse. La popularité de ce genre de séjour vient notamment de la sensation d’être chez soi dans un nouveau milieu, un dépaysement exotique avec toutes les commodités (Ibid: 108). Parallèlement à l’expansion du tourisme de masse, la demande touristique a récemment évolué. Il est possible, selon Leroy, de faire trois constats sur cette nouvelle demande: le touriste souhaite être plus actif que contemplatif, il a besoin de se rapprocher de la nature et préfère les séjours de courte durée (Ibid: 113). Le tourisme est donc en mutation, les touristes veulent vivre des séjours expérientiels, partent moins longtemps et moins loin.Le tourisme rural a un parcours alternatif au tourisme précédemment défini. C’est un type de tourisme différent, qui a peu à voir avec le tourisme de masse industrialisé des années 1970 et 1980. Les difficultés financières et la crise de l’agriculture de la fin des Trente Glorieuses ont créé un contexte favorable à la montée du tourisme dans les régions rurales, notamment en France et au Québec. C’ est un domaine d’ activités plus facilement implantable que d’autres types d’industries puisqu’il « demande peu d’investissement, de formation ou de capital » (Wilson et al., 2001 : 132, traduction libre).
La place du tourisme dans l’économie de la Gaspésie
Depuis longtemps, la Gaspésie est une destination touristique rurale prisée de la province. C’est une industrie importante pour la région et, selon des données fournies par le ministère du Tourisme du Québec, il y avait 1083 entreprises associées au secteur touristique en Gaspésie en 2008 (Tourisme Québec, 2009 : 8). Elle fournirait, entre autres, 17 % de l’emploi dans les entreprises de plus de cinq employés (Programme ACCORD, en ligne). Comme cette statistique exclut les microentreprises touristiques (1 à 4 employés), et considérant que cette industrie comporte surtout de petites et moyennes entreprises, il est possible de conclure qu’elle fournirait encore plus d’emplois que les chiffres officiels. Le territoire de la « Gaspésie touristique » est géographiquement divisé en cmq secteurs touristiques. Ce territoire ne correspond cependant pas au territoire administratif de la région, puisqu’ il comprend également les municipalités régionales de comté (MRC) de Matane et de la Matapédia et qu’ il exclut les Îles-de-la-Madeleine (c.f. Carte 1). Les cinq secteurs sont tous orientés vers le tourisme de nature – quoique pas nécessairement de manière exclusive – et ils misent sur les paysages associés à la nature pour faire la promotion de la Gaspésie. Que ce soit la Côte avec les Jardins de Métis, la Haute-Gaspésie avec le Parc de la Gaspésie et la réserve faunique des Chic-chocs, la Pointe avec le Parc national du Canada – Forillon, le Rocher Percé et l’Île Bonaventure, la Baiedes-Chaleurs qui mise sur ses plages et, finalement, la Vallée qui est orientée vers la chasse et la pêche, toute la Gaspésie touristique présente des activités reliées de près ou de loin au plein air et à leur intégration dans un paysage particulier. Le paysage contribue ainsi à l’expérience touristique. Même lors de la saison froide, la nature est au cœur du produit touristique alors que l’industrie mise sur les voyages de découverte du territoire en motoneige. Le tourisme en Gaspésie est aussi considéré comme un créneau leader régional au sem du programme d’Action concertée de coopération régionale de développement (ACCORD) du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation du Québec (MDEIEQ). Dans le cadre de ce programme, le créneau leader est intitulé récréotourisme santé et nature. Il vise à faire de la région une destination touristique quatre saisons. Pour l’ année 2006, le tourisme aurait généré près de 225 millions de dollars de retombées économiques selon les estimations et la région aurait été visitée par 690000 touristes (Programme Accord, 2008 : 1). L’un des objectifs du programme est d’ augmenter de plus de 100 millions de dollars les revenus issus du tourisme. Politiquement, ce secteur d’ activité est défini comme une priorité grâce à ce programme, notamment par l’implication importante d’élus et d’ administrateurs de différents ministères sur le comité de suivi.
L’implantation de la filière éolienne en Gaspésie: source de changement pour le paysage
« Il Y aura plus de deux milles éoliennes au Québec d’ici 2014, dont les deux tiers se situeront en Gaspésie »’. Cette déclaration montre l’importance de la voie éolienne choisie par le gouvernement du Québec pour assurer une offre énergétique en lien avec le développement durable. En effet, si l’ensemble des projets annoncés en 2009 sont réalisés, le territoire gaspésien comptera à terme une vingtaine de parcs éoliens (Technocentre Éolien, 2009). L’ éolien est considéré comme une source d’énergie ayant peu d’impacts écologiques. Ce type d’ énergie a été développé suite à la crise pétrolière des années 1970, pour remédier à « l’importante dépendance de l’ humain envers les combustibles fossiles » (Lyrette, 2003 : 2). Au départ, le développement éolien au Québec a été réalisé à travers des ententes de gré à gré, c’est-à-dire des négociations entre des promoteurs privés et la société d’État HydroQuébec autour des grands parcs de production. Ces premiers projets devaient également avoir l’ aval des municipalités ou propriétaires des terrains choisis pour les projets. Les premières éoliennes apparaissent sur le territoire de la province avec Le Nordais, un parc de 133 éoliennes divisé en deux sites (près de Matane et de Cap-Chat), projet qui sera détaillé au chapitre 4. Bien qu’ il ait été moins contesté que certains projets plus récents, Le Nordais a tout de même fait l’objet de quelques critiques de la part d’opposants au projet. La contestation se situait principalement sur le plan des « impacts négatifs sur le paysage et du bruit potentiel» (Lyrette et Trépanier, 2004 : Il). Actuellement, la filière éolienne est soutenue en Gaspésie comme un créneau émergent par un volet du programme ACCORD, le même programme qui appuie le tourisme comme autre important secteur économique.
Le travail des acteurs touristiques sur le paysage en changement
Comme mentionné précédemment, le paysage est une ressource importante pour l’industrie touristique. Lorsque des changements surviennent et que le paysage se voit possiblement modifié, il est probable que cette industrie s’en trouve également modifiée. Les études sur les changements dans les paysages touristiques et leurs impacts sont rares et les auteurs qui ont travaillé sur ce sujet, tels Buzinde et al. (20 10) et Scarles (2004), ont principalement observé les changements survenus suite à une cause naturelle (ex: érosion des berges suite à une tempête tropicale) et non anthropique. Selon Buzinde et ses collaborateurs, les ressources paysagères telles que les plages, les montagnes, les lacs ou les régions côtières influencent intimement l’industrie touristique (2010: 581). Scarles abonde dans ce sens en ajoutant que le paysage est le principal motif orientant le choix d’ une destination touristique (2004). Dredge et Jenkins (2003) ajoutent que certaines ressources permettent de créer une particularité locale (local distinctiveness) qui jette les bases de l’ attractivité d’une destination. Lorsqu’ un changement survient, notanm1ent causé par des situations naturelles comme le réchauffement climatique, ce type d’industrie peut en être gravement touché (Buzinde et al. 2010 : 582). Buzinde et ses collègues avancent le fait que l’identité d’une destination touristique est influencée par le travail des promoteurs sur les représentations du paysage, mais également par les représentations des touristes sur ce même paysage. Lorsqu ‘ un paysage est modifié et que le travail des promoteurs touristiques sur ce paysage ne l’ est pas, il pourrait s’ en suivre un décalage entre les attentes des touristes, stimulées par la promotion touristique, et l’expérience vécue in situ. Afin d’éviter ce décalage, une cohérence entre les images véhiculées dans les publicités et le paysage réel vu par les touristes apparaît importante. L’emphase est ainsi mise sur le travail des promoteurs touristiques.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
LISTE DES TABLEAUX ET ILLUSTRATIONS
LISTE DES ABRÉVIATIONS, DES SIGLES ET DES ACRONYMES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 THÉORIES, CADRE D’ANALYSE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
1.1 ÉTAT DES CO AISSANCES: TOURISME ET PA YSAGES
1.1.1 Les modèles du Système touristique localisé et du Tourisme rural intégré
1.1.2 Le paysage
1.2 LA PROBLÉMATIQUE ET LES QUESTIONS SPÉCIFIQUES DE RECHERCHE
1.3 D ÉFINITION DES CONCEPTS CLÉS ET DES DIMENSIONS D’ANALYSE
1.3.1 Les réseaux endogènes d’acteurs
1.3.2 La structure du développement touristique
1.4 MÉTHODOLOGIE
1.4.1 La stratégie méthodologique: l’étude de cas
1.4.2 Le territoire à l’étude
1.4.3 Outils de collecte des dOlmées : analyse documentaire et entretiens individuels
CHAPITRE 2 LES STRUCTURES ET RÉSEAUX D’ACTEURS DU SECTEUR TOURISTIQUE EN HAUTE-GASPÉSIE
2.1 LES ACTEURS DE LA GASPÉSIE TOURISTIQUE ET LA CONFIGURA TION DES RÉSEAUX
2.1.1 Organisations touristiques de la Gaspésie et de la Haute-Gaspésie
2.1.2 Les liens d’association et de collaboration entre les organisations
2.1.3 Première caractérisation d’un grand réseau touristique en Haute Gaspésie
2.2 STRUCTURE DU DÉVELOPPEMENT TOURISTIQUE: REPRÉSENTATIONS, ENCASTREMENT ET RÉGULATION
2.2.1 Représentations du paysage
2.2.2 La place accordée au tourisme comme priorité sociopolitique locale
2.2.3 Les acteurs de la régulation: les élus locaux au premier plan
CHAPITRE 3 LES PARCS ÉOLIENS COMME SOURCE DE CHANGEMENT
3.1 HISTORIQUE DE LA PRÉSENCE ÉOLI ENNE EN GASPÉS IE TOURISTIQUE
3.1.1 Le projet Éole
3.1.2 Le projet Le Nordais
3.1.3 Le parc Nordais en 2010
3..1.4 Développement éolien en Gaspésie, évolution récente
3.2 PARCS ÉOLIENS ET PAYSAGES: QUATRE INITI ATIVES EN GASPÉSIE TOURiSTIQUE
3.2.1 Les paysages éoliens dans la promotion touristique: un positionnement régional pour un territoire local
3.2.2 Les paysages éoliens comme attraits touristiques: activités d’interprétation à Cap-Chat
3.2.3 La maîtrise locale des paysages éoliens: encadrement règlementaire à Sainte-Anne-des-Monts
3.2.4 Planifier parcs et paysages: une proposition de l’A TRG
3.3 ANALYSE DES REPRÉSENTATIONS DU DÉVELOPPEME T ÉOLIEN
3.3.1 Évolution des représentations dans le temps
3.3.2 Le développement éolien et le tourisme
3.3.3 Le développement éolien et le paysage
3.3.4 Les impacts perçus du développement éolien
CHAPITRE 4 LES DYNAMIQUES DES RÉSEAUX : QUELLES CAPACITÉS À CONCILIER DES POINTS DE VUE ET À MOBILISER?
4.1 TENSIONS ET CONFLITS ENTRE ACTEURS TOURISTIQUES
4.2 LE DÉVELOPPEMENT ÉOLIEN COMME SOURCE DE DÉSACCORDS ET DE TENSIONS
4.3 RÉACTIONS FACE AUX STRATÉGIES ADOPTÉES FACE AU DÉVELOPPEMENT ÉOLIEN
CHAPITRE 5 ANALYSE ET DISCUSSION DES RÉSULTATS
5.1 LA RESSOURCE DU PAySAGE
5.1.1 Le paysage est une ressource, mais
5.1.2 Stratégies autour du paysage éolien: d’ abord la valorisation, puis une petite volonté d’encadrement
5.1.3 Des stratégies concertées?
5.1.4 Des effets sur l’efficacité des réseaux
5.2 LE TRAVAIL EN RÉSEAU: VERS UNE VISION COMMUNE DU DÉVELOPPEMENT?
CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXE 1 QUESTIONNAIRE D’ENTRETIEN
ANNEXE II CERTIFICAT D’ÉTHIQUE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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