Le travail en équipe vu par les enseignants : l’unicité

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Le travail en équipe vu par les enseignants : l’unicité

« Travail bien réparti ne tue pas » Proverbe français

Une classe, un maître

Beaucoup d’enseignants ont choisi cette profession pour être « maître de leur classe ». En effet, le système éducatif français, tel qu’il est conçu, offre cette possibilité. L’enseignant a sa classe, ses programmes, ses outils, ses élèves et sitôt la porte fermée, il peut vivre en autarcie et se soustraire au regard et à l’influence des collègues. L’offre des supports (manuels, ouvrages didactiques et pédagogiques, matériel, blogs d’enseignants) est telle que l’enseignant peut exercer sans avoir recours aux compétences de ces collègues en présence.
Cette situation est renforcée par le développement des réseaux sociaux : il suffit de poser une question relative aux difficultés rencontrées, sous un avatar donc dans le plus parfait anonymat, et l’on se retrouve avec des réponses, plus ou moins pertinentes, certes, mais qui donnent l’illusion de partager, de communiquer. On ne s’expose pas au jugement de ses collègues de la classe d’à côté mais l’on se dévoile auprès de pairs dont on n’a pas à craindre le regard car on ne les rencontrera probablement jamais.
Pour un enseignant, sa mission est le plus souvent résumée à la transmission des trois savoirs aux élèves, donc dans la classe face à ceux-ci. Et l’inspection est vécue comme une intrusion dans l’intimité de son espace classe. On parle de « ma » classe, « mes » élèves. Une autre partie importante selon les enseignants est la préparation des cours et la correction des copies, là encore activité la plupart du temps solitaire.
La présence d’une tierce personne peut s’avérer nécessaire dans une classe, par souci d’équité envers les enfants. Laisser la transmission de savoirs, savoir-faire, savoir-être et la responsabilité d’évaluer ces savoirs à une seule personne peut mener à des déviances. La réussite de chacun et de tous est une lourde responsabilité pour un seul et même enseignant : envers les enfants, envers les familles et envers lui-même. Le recours au travail en équipe peut palier cette lourde responsabilité.
C’était le choix effectué par mon établissement d’exercice d’origine, une école de l’AEFE au Liban. Certes, cet établissement diffère beaucoup des établissements en France dans son organisation et de par son statut. L’établissement de l’AEFE est implanté dans la capitale et accueille quelques 1648 élèves de la petite section à la terminale, dont 343 en élémentaire. Ces élèves de maternelle et primaire sont répartis sur 33 classes (quatre classes par niveau de la PS au CM2, sauf cinq classes pour le CP), prises en charge par douze enseignants de français, six d’arabe, ainsi que douze ATSEM, la plupart de la nationalité du pays d’accueil. Outre ces enseignants titulaires de leur classe, des intervenants spécialisés enseignent le sport, l’informatique, les arts plastiques, le fait religieux, l’anglais, et une documentaliste assure un temps de BCD prévu dans l’emploi du temps de chaque classe. Un élève de cet établissement est donc en présence de quatre intervenants dès la petite section, de six dès la grande section et huit dès le CE2. La réussite de ces élèves ne tient pas du fait d’un seul intervenant sur une année, mais de plusieurs qui croisent leurs regards sur ces enfants et qui décèlent des compétences dans telle discipline que d’autres n’auront pas entrevues dans telle autre discipline. L’enseignant de français reste cependant le référent pour les élèves, les enseignants des autres disciplines enseignant dans plusieurs classes, mais ses pairs complètent son appréciation sur les étudiants qui lui sont confiés.
Ce schéma traditionnel une classe/un maître peut donc être remis en cause dans des établissements de grande envergure et dans des établissements de moindre ampleur en France, comme celui dans lequel j’exerce, il s’effrite de plus en plus, même s’il demeure le modèle dominant, avec la multiplication des acteurs. Ce développement du recours aux intervenants répond à une demande plus en plus large de la polyvalence de l’enseignant.

Un enseignant, des disciplines : la polyvalence de l’enseignant

Cette figure du maître seul dans sa classe s’efface au profit d’un maître devant faire face à une multitude d’acteurs.
La polyvalence de l’enseignant n’est en fait qu’un leurre. Elle devient élastique au fil des années, on y ajoute l‘enseignement moral et civique, celui des langues, du numérique, de l’histoire des arts, etc. En revanche, les compétences de l’enseignant ne sont pas aussi malléables. Les maîtres sont attachés à cette polyvalence, mais de plus en plus, ce fondement de leur profession ne fait que dévoiler leurs lacunes dans tel ou tel domaine d’enseignement qu’on rajoute à leur mission. Les enseignants se questionnent alors sur leurs réelles aptitudes et sur les champs où ils auraient besoin de quelqu’un de plus spécialisé qu’eux-mêmes. Ce peut être affaire de compétences, mais également d’affinités avec la discipline ou encore de refus de devenir maître à tout enseigner. Dans ce dernier cas, Pascale Garnier souligne que ces enseignants revendiquent une polyvalence de qualité et non une polyvalence de quantité et mettent en place des partenariats pour offrir un enseignement de qualité.
C’est ainsi que l’établissement au Liban a fait le choix de confier à des personnes expertes dans leur spécialité l’enseignement de cette discipline. L’arabe et l’anglais étaient enseignés par des natifs ou des diplômés dans la langue cible. Les enseignants en art, EPS et informatique étaient des professionnels de leur discipline. La seule matière qui n’était pas enseignée par un spécialiste et qui était laissée à la polyvalence de l’enseignant de français était l’éducation musicale et force était de constater que les élèves de cet établissement chantaient très peu ! Et c’est également le cas dans les écoles de France. On demande aux enseignants d’enseigner l’anglais, langue que certains enseignants ne comprennent même pas. Et on y ajoute l’histoire des arts et l‘éducation civique et moral, etc. Il est tout à fait justifié que les enseignants, se sentant débordés par le nombre de cordes qu’on rajoute à leur arc, fassent appel à des spécialistes qu’ils jugent plus compétents, ou plus passionnés, qu’eux en la matière. Encore faut-il qu’ensuite il y ait coordination au minimum, coopération et collaboration au maximum.
La multiplication des intervenants dans les écoles contraint donc tout un chacun à travailler un minimum en équipe. Mais il ne s’agit là que d’une régulation de la situation, pas de véritable travail d’équipe. Cela entraîne une évolution du métier. Selon Daniel Calin, le travail en équipe est tout d’abord appelé à se développer par les besoins de coordination impliquée par cette diversification des métiers et des fonctions (Calin, 2014)10. Pascale Garnier parle de régulation avec le personnel municipal (ATSEM) plus que de partenariat (Garnier, 2003)11. Elle juge la situation plus compliquée avec les AVS (Assistant de vie scolaire), car ceux-ci sont recrutés sans formation : il faut diriger leur action et les prendre en main pour les élever au rang de partenaires. Thierry Vasse note une grande disparité dans le travail avec l’ATSEM (horaires, emploi du temps, tâches requises). Ces disparités sont liées à hétérogénéité des fonctionnements municipaux et aux modalités selon lesquelles le directeur ou les enseignants impliquent ces personnels dans leur activité.
Cette problématique apparait dans l’école rurale où j’exerce cette année. En effet, les ATSEM sont en poste depuis plus de vingt-cinq ans dans cet établissement scolaire. Elles ont vu défiler nombre d’enseignants, animés de courants méthodologiques différents auxquels elles ont dû se plier. De par leur ancienneté, elles pensent qu’elles n’ont plus rien à apprendre. Cela va même plus loin, car elles se substituent parfois à l’enseignant en prenant, par exemple, la parole en lieu et place du maître. Elles sont également en recherche de reconnaissance et de ce fait, sont méfiantes vis-à-vis de l’équipe pédagogique et portent un regard de jugement sur le travail des enseignantes. Le travail en équipe est loin d’en être facilité.
L’ATSEM interrogée exprime cet état de fait dans ses relations avec les autres agents d’animation : « On est au même endroit au même moment, si tu veux, mais si la fille est là depuis cinq ans et que moi, je suis là que depuis un an, et qu’elle a décidé ça comme ça, moi, elle va me donner que les déchets à ramasser et les yaourts à ouvrir, pendant qu’elle, elle va faire le service, elle va parler avec les enfants, euh, tout ce qui est plus agréable. Pour moi, c’est pas du travail en équipe ». Dans l’établissement de l’AEFE au Liban, l’attitude de non-intervention adoptée par le directeur vis-à-vis des enseignantes spécialistes s’explique, à mon avis, par le fait que ces intervenantes, natives du pays, exerçaient dans l’établissement depuis plus de vingt ans, pour certaines. De par cette ancienneté, ces enseignantes pensaient n’avoir plus rien à apprendre. De par leur origine locale, elles voyaient d’un œil méfiant cette succession, tous les trois ou cinq ans, de directeurs ou de conseillers pédagogiques détachés de France qui, voulant laisser des traces de leur passage, s’échinaient à vouloir construire quelque chose de nouveau sans toujours tenir compte de ce qui avait été établi les années précédentes et en imposant des choix qui ne correspondaient pas nécessairement aux attentes des personnels en place de façon permanente. Le travail imposé ne suscite pas une grande énergie participative. Ce qui pouvait expliquer leur manque de volonté de travailler, ensemble, avec une équipe régulièrement renouvelée en partie. Enfin, leur statut d’intervenants spécialistes faisait qu’elles n’étaient considérées que comme des enseignantes secondaires, ayant du mal à trouver leur place, tant auprès des élèves qu’auprès de la communauté éducative (autres enseignants, parents, direction). D’ailleurs, elles n’étaient pas formellement conviées aux réunions de concertation ou aux conseils de cycle, sauf demande expresse des enseignants titulaires pour leur apport sur un projet bien spécifique (par exemple, dans le cadre de la semaine du goût en CM2, nous avions fait appel à l’enseignante d’arts plastiques pour un travail sur les portraits d’Arcimboldo).
Dans tous ces cas, il est donc nécessaire de dégager du temps pour construire un partenariat or c’est un temps qui n’est pas prévu dans les emplois du temps des uns et des autres (Vasse, 2008)12. Philippe Dessus distingue deux cercles : les enseignants et les autres (agents administratifs, de direction, de santé), soumis à des modes de fonctionnement parallèles souvent opaques les uns pour les autres ce qui engendre des frictions (Dessus, 2009)13. Karine Texier va dans le même sens en insistant sur le fait que les équipes doivent apprendre à travailler ensemble. En effet, bien souvent ces différents intervenants (éducation, administration, santé, animation, etc.) n’ont pas de vision commune, pas d’objectif commun qui peut être la raison du travail en équipe. Leurs cultures professionnelles sont parfois éloignées, leurs diplômes et leur formation sont différents. Tous ces facteurs sont autant de résistances au travail en équipe. Ces résistances peuvent se retrouver au sein de l’équipe enseignante elle-même (Texier, 2015)14. C’est d’ailleurs cette culture professionnelle profondément ancrée qui, selon Daniel Calin, fait que les changements de modalités de travail vont être difficiles à amorcer. Travailler en équipe, c’est partager. Et comment partager si l’on considère ses préparations comme propriété intellectuelle, en prétextant le temps investi et la partie de soi qu’on y a mise (Texier, 2015) ? Et comment partager si l’on n’a pas la même philosophie de l’enseignement, les mêmes pratiques ?

Un enseignant, des méthodologies : la liberté pédagogique

Cette solitude de l’enseignant est renforcée par la liberté pédagogique de l’enseignant, juridiquement définie par la loi Fillon15 en 2005, au nom de laquelle l’enseignant peut se prévaloir de sa spécificité pédagogique et de son autonomie par rapport au groupe. Et cette liberté pédagogique est souvent invoquée pour conserver ce rapport 1 classe/1 maître. « La liberté pédagogique est ainsi devenue l’alibi des conservateurs et “la liberté de faire comme avant » (P. Frackowiak)16. Il est ainsi commode de se prévaloir de cette liberté pédagogique pour refuser de travailler en équipe.
Cependant, très vite, le ministre Gilles De Robien va déclarer que “la liberté pédagogique n’est pas la liberté de faire n’importe quoi”, ajoutant en janvier 2006 : “La liberté pédagogique s’arrête où commence le danger pour les enfants”.
La problématique de la liberté pédagogique pose en effet plusieurs questions : où s’arrête la liberté pédagogique de chacun et dans quelle mesure s’exerce-t-elle dans un contexte très cadré avec une multitude de textes de référence, d’outils normés mis à la disposition des acteurs (livret scolaire unique numérique par exemple) ? En effet, la liberté n’est finalement qu’illusoire car, qui peut croire encore qu’il suffit de refermer sa porte pour n’avoir plus de comptes à rendre à personne ? Le travail en équipe ne serait-il pas une réponse possible à ce questionnement ? Cela implique un changement de posture, une évolution du métier d’enseignant et exercer cette liberté pédagogique dans le cadre de l’équipe. Le concept de liberté pédagogique ne va pas à l’encontre du collectif si tant est que ce choix du collectif ne devienne pas une obligation de service. La liberté pédagogique s’entend ici comme avoir le choix de ce qui va se construire en équipe et non pas subir un projet.
Cette question du choix est récurrente dans les propos de mes collègues. Le travail en équipe devient un frein, chez les enseignantes comme chez l’ATSEM s’il est imposé, car alors il peut ne pas être adapté à tous et est source de réticences et de tensions au sein de l’équipe. En effet, un projet qui n’est pas pensé en équipe ne prend pas en compte les avis, les idées des uns et des autres car l’on ne demande pas d’y réfléchir et l’on n’est alors que dans l’exécution de tâches que l’on n’a pas impulsées, l’on ne s’investit pas du tout de la même manière que si l’on avait porté ce projet. On n’est alors que récepteur, on subit le projet.
Concernant un projet de cycles sur tous les continents, mais décidé par le cycle 2, une collègue de cycle 1 avoue que « Si on impose quelque chose, (…), ça me convient pas si je reste vraiment collée à leur projet, donc il faut que je digresse de mon côté et que j’adapte à mon niveau. »
Entretien avec Clarisse
L’ATSEM interviewée pense de même : « Pour moi, le travail en équipe ne doit pas être imposé mais doit être vu en équipe ».

Une école, des espace-temps

L’espace scolaire est dorénavant un espace strictement professionnel à la différence de l’école de Jules Ferry, où l’espace scolaire se confondait avec l’espace privé. L’espace est devenu collectif, quand la classe unique s’est muée en groupe scolaire, de par l’expansion démographique des années 60. C’est ainsi que l’on a ouvert une salle d’informatique, une BCD, une salle polyvalente, une salle de sport, une salle des professeurs, etc. La mise à disposition de ces nouveaux locaux permettait la mise en œuvre de modalités de travail inédites avec la séparation du groupe classe en demi-classes et la nécessaire coopération, à tout le moins coordination, avec le partenaire en charge de l’une des deux demi-classes. Mais le collectif ne concerne que la disposition spatiale : « (…) ce collectif des enseignants de l’école est simplement « géographique ». L’espace est un espace cloisonné en autant de classes. Seule existe une coordination minimale de la cour lors des accueils et des récréations. La dimension individuelle est fortement préservée » (Marcel, 2005)17. La modernisation des moyens illustre également cette illusion du collectif. On passe du duplicateur à alcool individuel (chaque maître a le sien) au photocopieur (un par école donc pour plusieurs enseignants). Mais là encore, ce n’est pas un outil commun à un établissement qui va faire travailler des individus en équipe. On se succède « à la photocopieuse », on y attend son tour, mais bien souvent quand on y croise un collègue, on retourne bien vite dans sa classe pour y revenir quelques minutes après.
Cependant ce dispositif existe dans les écoles secondaires, mais très rarement dans les écoles primaires, en particulier en espace rural. Dans ces écoles plus petites, pas de salle des professeurs, parfois pas de salle informatique. Pas de bibliothèque commune non plus pour les enseignants où seraient mutualisées des ressources utiles à tous. Au lieu de cela, chaque enseignant conserve, au fond de sa classe, ses trésors gardés jalousement.
Dans l’école où j’enseigne, le seul espace commun suffisamment grand pour accueillir une réunion d’équipe (à trois !) est la cuisine où il est malaisé de s’entendre parler, à cause des différents appareils électroménagers en fonctionnement et, où il est difficile de trouver un bout de table pour prendre des notes car elles sont souvent envahies par du matériel utilisé en TAP, Temps d’Activités Périscolaires mis en place pour répondre à la réforme sur les rythmes scolaires. L’espace est donc partagé par de plus en plus d’acteurs qui gravitent autour des enfants.
Ces espaces pourraient être à usage simultané mais ils sont en fait à usage unique. En effet, il s’agit d’espaces communs mais que l’on n’investit pas en équipe. La salle de motricité, bien que très vaste, n’est jamais utilisée par deux classes en même temps ou deux demi-classes de deux classes différentes pour y faire une activité commune. Donc, là encore, espaces communs mais dans le sens où c’est un lieu occupé par plusieurs classes mais jamais de façon synchronisée. L’espace, c’est aussi la répartition des locaux sur le site scolaire. Et le directeur de l’école évoque le lien avec la taille de l’école, notamment l’ancienne école où il exerçait et où il n’y avait que cinq classes. Avec huit classes, l’école se suffit à elle-même, les enseignants ne ressentent pas le besoin de faire des ponts, de créer du lien avec d’autres collègues, d’autres écoles. Avec moins de classes, « géographiquement déjà, c’était plus resserré, y avait qu’un seul bâtiment, et à cinq, c’est facile d’arriver à un moment à être les cinq ensemble et à se dire un truc. (…) Ici, à part les jours de réunions, j’arrive jamais à réunir les huit d’un coup. »
L’espace, plutôt la disposition des locaux de l’école dans l’espace, contribue donc à l’existence même du travail en équipe.
Le temps, plus précisément l’absence de temps, est souvent invoquée comme prétexte au manque de travail en équipe. Cette notion de temps recouvre plusieurs réalités :
– Le temps par rapport à l’espace, comme on vient de le voir. Un temps alternatif pour occuper les locaux communs qui n’est pas celui du travail en équipe.
– Le temps de la professionnalisation. N’oublions pas que l’institution veut développer le travail en équipe, il fait d’ailleurs l’objet d’une compétence dans le référentiel de compétences du professeur : coopérer, contribuer et participer sont cités dans 4 compétences sur 14. Mais on ne devient pas enseignant en ayant le concours. Il y a toute une démarche de professionnalisation, qui prend du temps. Et l’institution pourrait faciliter cette dimension d’échanges au sein des établissements en instaurant des temps de concertation pour que les enseignants puissent remplir leurs missions. Mais le temps sans la volonté de partager, la ténacité face aux résistances ne suffira pas pour rentrer dans une dynamique d’équipe18.
– Le temps du travail : le temps de travail des enseignants est calculé en fonction du temps de face à face pédagogique avec les élèves.
– Le temps du travail en équipe : dans mon établissement d’origine au Liban, le travail coopératif fonctionnait très bien horizontalement, c’est-à-dire entre classes d’un même niveau, d’un même cycle, voire d’un cycle à l’autre grâce à l’organisation mise en place (les intervenants spécialistes prenaient un demi-groupe tandis que l’enseignante d’arabe avait l’autre demi-groupe en charge. L’enseignant de français était alors disponible. C’est grâce à cette planification horaire que du temps était dégagé pour une réunion de concertation hebdomadaire par niveau de classe). Mais, verticalement, au sein d’une même classe, le travail en équipe était beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. Dans le système français, l’enseignant reste maître de sa classe, même s’il y a un intervenant qui prend en charge son groupe ou une partie de son groupe. L’enseignant définit ses objectifs, en discute avec l’intervenant spécialiste et celui-ci programme des activités qui vont répondre aux objectifs fixés. Dans cet établissement, pourtant à programme français, cette règle n’était pas de mise. Les intervenants spécialistes fixaient leurs propres objectifs et programmaient leurs activités sans concertation avec l’enseignant titulaire de la classe. Dans le meilleur des cas, ce qui était assez rare, l’enseignant spécialiste communiquait sa progression à l’enseignant. Et l’enseignant titulaire pouvait alors faire des liens avec ce que l’intervenant proposait. Cela a été le cas en arts plastiques et en fait religieux avec la mythologie grecque. Concernant les autres disciplines, nous savions par nos élèves quels étaient les contenus des enseignements. Les élèves étaient donc témoins de la mauvaise coordination des enseignements. Difficile alors de leur demander de coopérer entre eux.
Ces enseignants spécialistes intervenaient dans les classes de grande section à CM2, donc auprès de vingt-cinq enseignants titulaires de français. Il leur était difficile de trouver un temps de concertation avec tous ces enseignants. D’autre part, il n’y avait pas d’exigence institutionnelle, avec un outil à disposition, comme pour les réunions de concertation et les conseils de cycle. Le directeur n’était pas dupe de la situation mais semblait laisser faire, sauf dans le cas où l’institution portait un regard évaluatif. Ainsi lors de mon inspection, le directeur a rappelé que nous devions avoir toutes les progressions des intervenants à disposition de l’inspecteur.
Cette problématique du temps se retrouve dans les établissements élémentaires français. Le manque de temps est aussi évoqué par les collègues actuels : des volontés se manifestent pour travailler en équipe mais il est compliqué de réunir l’ensemble des enseignants qui pourraient être ou se sentir concernés. Mais quand je demande s’il leur est arrivé de ne pas s’investir dans un projet faute de temps, la réponse est non. Le manque de temps me semble invoqué quand le projet est subi, imposé par le directeur, un collègue enseignant ou la municipalité mais quand les enseignants sont force de proposition, il s’avère que le rapport au temps n’est pas vécu de la même façon.
Le temps de concertation est donc pris sur la journée scolaire, les surveillances de récréation, la pause méridienne mais aussi, hors temps scolaire, lors d’échanges téléphoniques ou de mails. Ces temps informels ne sont pas propices à de réelles réflexions mais répondent plus à des urgences en termes de mise en œuvre. La réflexion se fait en amont, individuellement, et le travail en équipe consiste alors à la mise en commun des apports de chacun. Peut-on réellement dans ce cas parler de travail d’équipe ? Oui, en termes de réunion de l’équipe physique mais non, en termes de travail participatif.
« Le timing et le temps, c’est quand même un sacré p’tit souci… oui, après, c’est sûr, y a l’énergie qu’on veut mettre dedans ; une réunion, à telle heure où il faut prendre des décisions, on y est mais on y est pas que physiquement, il faut vraiment être disponible, quoi…est-ce qu’on veut être dans la collaboration…C’est symptomatique, ça enquiquine les collègues de faire des réunions… De ma place de directeur, (le conseil des maîtres), c’est ce qui alimente plus la concertation, c’que j’trouve qu’il devrait y avoir après, c’est des conseils de cycle, euh, à plus petits effectifs où on est plus dans le pédagogique, dans le concret des classes… on est loin de faire les 48h imposées par l’institution et on traine les pieds ».

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Table des matières

Introduction
1- Le travail en équipe vu par l’institution : une injonction
a- Les textes
b- Le système éducatif français
c- De l’inspection individuelle à l’inspection collective
2- Le travail en équipe vu par les enseignants : l’unicité
a- Une classe, un maître
b- Un enseignant, des disciplines : la polyvalence de l’enseignant
c- Un enseignant, des méthodologies : la liberté pédagogique
d- Une école, des espaces-temps
3- Le travail en équipe vécu par les enseignants : la multiplicité
a- Un « mal » rendu nécessaire par l’évolution du métier d’enseignant : la multiplicité des intervenants
b- Un remède à l’échec scolaire
4- Les différentes formes de travail en équipe
a- Des définitions, des apports, des freins
b- Des formes
c- Des conditions
d- Des illusions
5- Les perspectives pour coopérer efficacement
a- La reconnaissance par l’institution
b- La formation initiale
c- L’accueil des fonctionnaires stagiaires
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
4ème de couverture

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