Le travail d’éducation au sein des lieux de vie de la protection de l’enfance et de la jeunesse

L’œuvre d’un individu est la confession d’un corps, d’un vécu, et d’expériences particulières (Nietzsche, 1997). La présentation de mon parcours professionnel et universitaire, en quelques lignes, participe à la contextualisation de ma réflexion et du travail de recherche présenté ici.

Mon parcours professionnel dans le milieu de l’éducation a commencé dans l’animation socioculturelle, à 17 ans. Après un baccalauréat scientifique, j’ai multiplié les expériences en centre de loisirs, colonies de vacances, puis ai travaillé à temps plein en Zone d’Éducation Prioritaire (ZEP), où ma formation pratique sur-le-tas eu lieu au contact d’enfants issus de milieux socioculturels défavorisés. Cette première expérience fut marquante. Dans un tel contexte, on peut affirmer que la Foi en l’humain est le principal moteur de l’action éducative. Les formations et cadres étaient inexistants, les moyens très limités, le relationnel avec les jeunes et les familles parfois difficile, et sans procédure institutionnelle. Nous faisions « avec ce que nous étions », c’est-à-dire des « grands frères » tentant d’apporter un peu de cadre et d’animation au sein de territoires sinistrés, et à partir de nos propres représentations et valeurs. Trouver une gratification ne pouvait se faire uniquement via le salaire, celui-ci étant dérisoire et lié à des contrats précaires. Il s’agissait, par la force de l’engagement et de la volonté, de créer un relationnel de qualité avec les enfants, pour leur transmettre certaines valeurs de respect, de solidarité, de curiosité… Le souci était que personne n’était là pour expliquer ou même discuter de ce qu’est un relationnel de qualité, un positionnement éthique, une réponse adaptée… Il est facile d’imaginer la place importante des représentations sociales individuelles et collectives dans une telle perspective, avec son intérêt d’engagement personnel et humaniste, mais aussi sa dangerosité de tendre vers des formes de toute-puissance. Les animateurs, jugés compétents, relevaient d’un certain charisme, d’une prestance, d’une ancienneté…bien souvent induite par leur capacité à « tenir » un groupe, et à utiliser les codes sociaux et langagiers de la population rencontrée. Il s’agissait de normes que l’on qualifiera tout au long de cet écrit d’implicites.

De la culture au paradigme de la forme

Introduction à une approche comparée des pratiques d’éducation

L’éducation comparée est née au début du XIXème siècle. Son père se nomme Marc-Antoine Jullien de Paris (1775-1848), et son ouvrage Esquisse et vues préliminaires d’un ouvrage sur l’éducation comparée, et séries de questions sur l’éducation (1817) est tout à fait fondateur. Audelà de son caractère novateur en matière d’éducation comparée, ce dernier texte mentionne pour la première fois le terme « science de l’éducation » (au singulier) en français, ce qui en fait également un pionnier dans ce champ (Schriewer, 1997). L’éducation comparée se construit initialement en tant que soutien de réformes politiques en direction des systèmes éducatifs. L’école, en tant que moteur de progrès et de civilisation, est alors particulièrement valorisée (Novoa, 1998). Au cours du XXème siècle, un courant de l’éducation comparée passe progressivement d’une vision uniforme de l’évolution sociale, à une approche souhaitant analyser et respecter les particularités locales. La conception réformatrice se mue en souhait d’élaborer une science de l’éducation comparée, avec ses méthodologies propres. Cette distance épistémologique s’accentue à partir des années 1950 et de l’internationalisation des questions d’éducation. Les organisations de type UNESCO et OCDE nourrissent des politiques, en direction notamment du « Tiers-Monde », armées de la théorie du capital humain, des théories de la modernisation, et des méthodes de planification élaborées en contexte majoritairement occidental. De nombreux comparatistes se mettent au service de ces démarches positivistes, quantitatives et fonctionnalistes. Mais en parallèle émerge un courant cherchant à concevoir une éducation comparée à vocation avant tout savante, plutôt qualitative dans ses pratiques. Celle-ci cherche à mettre en lumière les différences et divergences dans la comparaison, plutôt que d’aligner les contextes étudiés sur des catégories communes que les tenants de cette approche considérées comme nécessairement forcées et altérant la réalité.

Ainsi, l’Histoire de l’éducation comparée est-elle particulièrement chaotique, et fortement en lien avec les contextes économiques et internationaux dans lesquels elle a été amenée à évoluer. Cette compréhension est indispensable, en ce qu’elle nous amène à penser nos choix méthodologiques et théoriques, en fonction de l’objet étudié et de nos objectifs en tant que chercheur. En ce qui concerne notre travail de recherche, il s’agira de proposer une analyse compréhensive, fortement ancrée au sein de contextes historiques situés dans le temps et l’espace. Selon Schriewer (1992), une utilisation importante de l’Histoire en éducation comparée permet la valorisation des particularités locales et globales, tout en les alliant et les interprétant dans un tout ayant un sens. Nous nous inspirerons notamment des travaux comparatistes s’inscrivant une perspective sociohistorique (Novoa, 1998 : 38), en considérant l’infiniment grand (l’Histoire) et l’infiniment petit (l’activité des éducateurs au sein des foyers), « non pas comme deux processus distincts, mais comme deux moments d’un même processus historique ». Nous considérerons le travail d’éducation comme processus de transmission de repères socio-culturels (les formes de l’échange), dans un contexte plus large qui est celui des histoires singulières de la France et du Québec. Bien entendu, nous nous focaliserons sur l’Histoire de la protection de l’enfance et de la jeunesse au sein de ces deux nations, afin de mieux comprendre les modalités de formation des pratiques, paradigmes et conceptions de l’Humain, animant l’activité d’éducation. Nous retenons comme définition de paradigme celle donnée par Kuhn (1983 : 238) :

Un ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné.

Mais également :
un élément isolé dans cet ensemble : les solutions concrètes d’énigmes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent remplacer les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui subsistent dans la science normale. (Kuhn, 1983 : 238).

Ces contributions imposent de ne pas s’arrêter aux dimensions prescriptives de l’activité, tant légales que théoriques. Nous devrons nous intéresser au travail réel, dans un niveau micro d’analyse, pour identifier des marges de manœuvre, bricolages, activités subversives ou clandestines. A propos du terme de « pratique », nous considérons qu’elles : concernent la totalité de l’individu, en tant que sujet, dans ses relations avec l’environnement dans les différents contextes de sa vie personnelle, professionnelle et sociale. (Marcel, Olry, Rothier-Bautzer, Sonntag, 2002 : 146).

L’un de nos objectifs est de créer des liens analytiques et compréhensifs entre l’élaboration et le développement de l’activité des éducateurs, et leurs contextes particuliers d’exercice professionnel. La dimension « sociale », de l’approche socio-historique mobilisée ici, sera fournie par le paradigme de la forme (Macquet, Vrancken, 2003), qui s’intéresse, nous le verrons, aux modalités valorisées, en contexte, des liens entre individus permettant un échange apaisé et pérenne. La comparaison a ceci de salutaire qu’elle propose au chercheur, et aux lecteurs, de prendre de la distance avec ses propres schémas de références. Un certain risque d’ethnocentrisme peut être prévenu, chaque culture possédant ses propres conceptions des phénomènes sociaux. Admettre qu’un système serait universellement bon, ou meilleur qu’un autre système, peut en effet se révéler dangereux, car si l’on en croit Licata et Heine (2013 : 18) :

Sous-estimer l’influence de la culture, c’est en quelque sorte penser qu’il existe une manière universelle d’être, de penser et d’agir.

L’Histoire montre qu’à bien des reprises, de tels positionnements ont mené à conflits, guerres, colonisations violentes…et que l’éducation comparée, lorsque mise au service de théories comme celle du capital humain, peut se rendre complice d’aberrations et d’échecs sociopolitiques retentissants. Dans le même temps, apprendre et étudier le fonctionnement de l’autre, comprendre ses pratiques et paradigmes constituent un certain intérêt heuristique et épistémologique.  En effet : L’apport de l’éducation comparée est à la fois informatif et pratique. Dans un premier temps, elle permet une approche cognitive des grandes questions qui relèvent de l’éducation et aboutit à la connaissance des causes. (Meuris, 2008 : 3)

Les entreprises, organisations internationales et États ont intégré ces enjeux à propos des politiques, notamment éducatives (Phillips, Ochs, 2003). Ainsi, la comparaison des compétences à l’échelle internationale s’est-elle largement diffusée ces dernières années. L’exemple le plus médiatisé est sans conteste le Programme International pour le Suivi des Elèves, ou PISA. Il s’agit d’études menées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et visant à mesurer les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Elles sont menées tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les  34 pays membres de l’OCDE, ainsi que dans de nombreux pays partenaires. Elles aboutissent enfin à un classement dit « classement PISA ». À la suite des conclusions de ce type d’enquête, certains pouvoirs publics sont tentés d’importer des méthodes et outils extérieurs, espérant susciter de manière automatique le même résultat au sein de leur propre contexte, avec pour ambition ultime l’amélioration des résultats des futures enquêtes. Ces transpositions n’apportent bien entendu pas satisfaction de façon si mécanique (Groux, 1997), mais la démarche d’identification de ressources censées favoriser un développement et une croissance rapide et efficace est devenue la norme, dans un contexte général de recherche de performance et de rentabilité. Concernant la France, les pays occidentaux francophones (Québec, Belgique…) servent très naturellement de référence. Dans les médias sont également convoqués les pays Scandinaves en ce qui concerne les questions de solidarité et de social, l’Allemagne à propos du travail et des performances économiques…

Une approche interactionniste de la culture

La culture désignait originellement le fait de s’occuper des récoltes et des animaux. Par évolution métaphorique, le terme s’est progressivement lié à la civilisation et au développement humain. Au cours du XIXème et XXème siècle, et à mesure que l’ouverture sur le monde extérieur n’était plus systématiquement synonyme de colonisation et d’imposition d’une civilisation par la force, la conception de la culture est devenue plurielle. Reuter (2014 : 36), propose la définition suivante de la culture :

[…] une construction sociale, qui met en relation un ensemble plus ou moins articulé d’objets (langagiers ou non), de savoirs, connaissances, représentations…, de codes, normes, valeurs…, de pratiques, de manière de dire, de faire, de penser…et une communauté donnée.

Nous nous attarderons sur le terme de « construction ». Le CNRTL1 propose qu’il soit issu du latin construere : « entasser par couches », « bâtir », « édifier ». Avec son cousin dérivé, « la structure », ces deux mots illustrent un processus fixe et solide, tout en admettant un caractère dynamique et mouvant, les « couches » entassées représentant les générations apportant chacune leur pierre à l’édifice de la construction, jamais terminée, de la culture d’une communauté donnée. Selon Mason (2010 : 155) :

La culture fonctionne plutôt comme une force productive qui serait une masse relativement informe constituée de facteurs mollement liés les uns aux autres qui influencent la vie des individus en faisant partie tout en étant influencée par ces mêmes individus.

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Table des matières

INTRODUCTION.
PREMIERE PARTIE : APPROCHE COMPAREE DES CONTEXTES CULTURELS.
Chapitre 1 : De la culture au paradigme de la forme.
1.1 Introduction à une approche comparée des pratiques d’éducation.
1.2 Une approche interactionniste de la culture.
1.3 Formes d’échange et paradigme de la forme.
Chapitre 2 : Histoire et organisation de la protection de l’enfance en France.
2.1 De l’institution catholique à la loi de 2002.
2.2 Loi de 2002 : le projet et l’évaluation en tant que nouveaux organisateurs du travail ?
2.3 Lois du 05 mars 2007 et du 14 mars 2016 : l’épine dorsale de la protection de l’enfance.
2.4 L’organisation institutionnelle, et le rôle des associations.
Chapitre 3 : Histoire et organisation de la protection de la jeunesse au Québec.
3.1 Des origines religieuses jusqu’à la Révolution tranquille.
3.2 Loi de 2006 sur la protection de la jeunesse.
3.3 Loi de 2012 sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS).
3.4 L’organisation institutionnelle de la protection de la jeunesse : le monopole de l’État ?
Synthèse Partie I.
DEUXIEME PARTIE : CADRES THEORIQUES.
Chapitre 4 : Le développement et modalités des formes de l’échange et des systèmes symboliques en Occident.
4.1 La dynamique de l’occident.
4.2 Les formes de l’échange en configuration domaniale.
4.3 Les formes de l’échange en configuration communautaire.
Chapitre 5 : L’analyse du travail d’éducation dans une comparaison culturelle.
5.1 Le travail d’éducation spécialisée en internat.
5.2 La contribution de la psychologie culturelle et de l’approche historico-culturelle.
5.3 De la compréhension du travail à l’analyse de l’activité.
5.4 Le MADDEC : un modèle de la compétence.
Synthèse Partie II.
TROISIEME PARTIE : ANALYSE DU TRAVAIL D’EDUCATION DANS LES LIEUX DE VIE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE ET DE LA JEUNESSE.
Chapitre 6 : Principes méthodologiques.
6.1 Enquête exploratoire.
6.2 Les entretiens compréhensifs.
Chapitre 7 : Présentation de l’échantillon
7.1 Éducateur spécialisé (FRA).
7.2 Moniteur-éducateur (FRA).
7.3 Psychoéducateur (QUE).
7.4 Éducateur spécialisé (QUE).
Chapitre 8 : Situations et compétences étudiées.
8.1 Évaluation de la situation de l’enfant (EVA).
8.2 Accompagnement de l’enfant (EDU).
Chapitre 9 : Méthodologie d’analyse et de traitement des données.
9.1 Catégorisation.
9.2 Éléments de la compétence.
9.3 Orientation de l’activité.
9.4 Configurations du paradigme de la forme.
9.5 Modalités d’analyse.
Synthèse Partie III.
CONCLUSION

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