Le transport aérien, les émissions de dioxyde de carbone, la consommation de carburant : bilan actuel et perspectives
En 2013, la flotte mondiale de l’aviation civile comportait 25 310 avions qui ont garanti le transport de près de 3 milliards de passagers et 40 000 000 tonnes de fret. En conséquence, le secteur aéronautique consomme environ 200 millions de tonnes de jet fuel par an, ce qui correspondait en 2010 à environ 5 % de la consommation mondiale de pétrole [1 ; 2]. Parallèlement, le marché ne cesse de se développer, principalement en raison de la forte croissance économique des pays émergents. L’intensification de la demande correspond à une augmentation record de 5 à 6% du nombre de passagers par kilomètre en 2013. Ainsi, cette même année, plus de 31.6 millions de vols ont été programmés pour l’aviation civile, ce qui représente un accroissement de 2% par rapport à 2012. Par ailleurs, 1400 nouveaux avions ont été mis en service en 2013, d’une taille moyenne supérieure aux appareils remplacés, augmentant de 5% le nombre de sièges qui se chiffre alors à 3.4 millions [2]. L’accroissement de la quantité annuelle de kérosène consommé est de 1 à 2 % et pourrait même atteindre 3 % à l’horizon 2050 [1 ; 3].
Le secteur aéronautique est aujourd’hui responsable de 2% à 3% des émissions anthropogéniques mondiales de dioxyde de carbone, ce qui représentait 677 millions de tonnes émises en 2008 [4]. Les biocarburants émettent également du dioxyde de carbone, mais au cours de leur cycle de vie, ils pourraient permettre de réduire jusqu’à 80% des émissions de carbone par rapport à un carburant classique d’origine fossile. Par ailleurs, la distribution de biojetfuels dans 190 aéroports mondiaux suffirait à approvisionner 80% des vols [2].
Directement concerné par l’adéquation entre la demande et la production des ressources pétrolières, le transport aérien est fortement exposé à la fluctuation du prix du baril de pétrole, qui est passé de 70$ en moyenne en 2009 à 124.5$ le baril de Brent en 2013 . Les estimations faites pour 2014 prédisaient un tarif similaire voire à la hausse, alors que la chute du cours du pétrole observée en fin d’année (à partir de septembre 2014) a abaissé la moyenne annuelle du prix du baril de Brent à 99 dollars [5].
En conséquence, les dépenses des compagnies aériennes associées au carburant sont considérables : en 2013 le coût du carburant représentait 31% des dépenses directes de fonctionnement des compagnies aériennes, il s’élevait à 33% en 2012.
Les enjeux du développement de carburant alternatif pour l’aviation
Dans ce contexte, le développement de biocarburants pour l’aéronautique, désignés par biokérosène ou bio jet fuel, revêt des enjeux importants. De nouvelles matières premières alternatives aux ressources fossiles pour la production de jet fuel devraient permettre de sécuriser l’approvisionnement, de stabiliser les prix et de diminuer l’empreinte environnementale. Cependant, un avion ayant une durée de vie d’environ 30 ans, le jet fuel produit doit répondre aux spécifications techniques de la flotte actuelle. L’Union Européenne reconnait la nécessité de promouvoir les énergies renouvelables avec l’objectif complémentaire de développer une nouvelle filière économique compétitive qui sécurise l’approvisionnement tout en favorisant un développement rural de par l’exploitation de résidus agricoles comme matières premières [2 ; 4]. Ainsi, la «European Union Renewable Energy Directive» fixe à 10% la part minimale d’énergie renouvelable devant être présente dans le secteur des transports en 2020 [2]. L’industrie aéronautique, qui ne fait pas partie de la directive, s’est alignée, en accord avec les acteurs majeurs, sur cette valeur cible. Elle a étendu ses objectifs environnementaux aux contraintes suivantes : accroissement de l’efficacité énergétique de 1.5% d’ici 2020, croissance neutre en carbone à partir de 2020 et réduction de 50% des émissions nettes d’ici 2050 par rapport à 2005. La part occupée par les biocarburants pour atteindre ces objectifs est importante et se situe dans l’ordre de grandeur des bénéfices représentés par une amélioration des procédures de vol plus « intelligentes » .
Les efforts de l’industrie aéronautique
Depuis le premier vol test au biojetfuel en 2008, l’industrie aéronautique, dont Airbus et EADS, a promu et initié des programmes de développement de solutions alternatives au kérosène. A ce jour, 1500 vols commerciaux contenant du biokérosène ont été réalisés par 19 compagnies aériennes [2]. Une initiative marquante est « l´European Advanced Biofuels Flight Path » : en 2011, les services de la Commission européenne, en collaboration étroite avec Airbus, les principales compagnies aériennes européennes (Lufthansa, Air France/KLM et British Airways) et d’importants producteurs de biocarburants européens (Choren Industries, Neste Oil, Biomass Technology Group et UOP), ont lancé une nouvelle initiative industrielle dans le but d’accélérer la commercialisation des biocarburants pour l’aviation en Europe. Il s’agit d’une feuille de route à échéances précises permettant d’atteindre une production annuelle durable de deux millions de tonnes de biocarburants pour l’aviation à l’horizon 2020 [7].
Les contraintes des carburants des transports aériens
Afin de garantir la sécurité des vols aériens, le jet fuel d’origine fossile, appelé Jet A ou Jet A1, répond à des spécifications très strictes qui certifient la stabilité du carburant quelles que soient les conditions extrêmes (pression, température) dans lesquelles l’avion évolue .
Ainsi, le développement d’un carburant issu de ressources alternatives au pétrole conventionnellement utilisé doit intégrer l’ensemble de ces spécifications. Son utilisation doit être compatible avec les moteurs actuels sans nécessiter un renouvellement de la flotte ni aucune modification des systèmes: c’est le principe du «drop-in fuel» [3]. Dans le cas d’une utilisation d’un nouveau carburant en mélange avec le Jet A1 ou le Jet A, c’est le mélange qui doit remplir les spécifications.
L’IATA insiste cependant sur le fait que le principal obstacle aux biocarburants pour l’aéronautique n’est pas technique mais économique et politique. Il est important de préciser qu’aucun biocarburant n’est actuellement commercialement viable. Pour être rentable, il est essentiel que le biocarburant soit produit et distribué en quantités suffisantes. Augmenter le volume et la disponibilité ferait diminuer les coûts. Une législation et une fiscalisation favorables encourageraient donc le développement de biojetfuels [2].
L’enjeu des lipides microbiens
La voie de production de lipides microbiens pour des usages biokérosène constitue une alternative prometteuse à la voie végétale conventionnelle avec de remarquables avantages. Si l’on envisage la synthèse de lipides par voie microbiologique (levures, bactéries ou microalgues), l’éventail des sources de carbones utilisables comme matières premières est élargi à tout substrat organique provenant de la fixation du carbone renouvelable (la biomasse) et tout substrat carboné minéral (CO2, méthane) issu de différentes filières industrielles chimiques ou biotechnologiques. Ainsi, la filière microbienne permet la valorisation de ressources agricoles renouvelables ou d’effluents et coproduits industriels. En particulier, les effluents carbonés agroindustriels (amidonneries, sucreries), les ressources ligno-cellulosiques, issues des résidus industriels, agricoles et forestiers, et le glycérol industriel, sous-produit majoritaire du biodiesel, paraissent être des substrats renouvelables d’intérêt.
D’autre part, l’utilisation de microbes oléagineux pour la production d’huiles par fermentation permet d’envisager le développement de procédés de production robustes, aux performances reproductibles, indépendantes des contraintes climatiques, géographiques et géopolitiques. La grande diversité de micro-organismes et les spécificités de chacun offrent l’opportunité de production d’une gamme de profils lipidiques ajustables en fonction des contraintes d’usage.
Ainsi, le développement de molécules produites à partir de matières premières durables et alternatives aux ressources fossiles à usages carburants fait partie des moyens à mettre en œuvre pour que l’industrie du transport aérien atteigne ses ambjectifs environnementaux ambitieux tout en garantissant le développement du secteur, à savoir :
– l’alignement de l’industrie aéronautique avec la «European Union Renewable Energy Directive» qui prévoit l’incorporation de 10% d’énergie renouvelable en 2020 dans le secteur des transports.
– l’accroissement de l’efficacité énergétique de 1.5% d’ici 2020,
– la croissance neutre en carbone à partir de 2020,
– la réduction de 50% des émissions nettes de CO2 d’ici 2050 par rapport à 2005.
Parmi les différentes solutions envisageables, les huiles hydrotraitées, aujourd’hui certifiées par l’ASTM comme pouvant être utilisées à 50% en mélange avec le kérozène, se présentent comme une perspective intéressante. Alors que la technologie de l’hydrtotraitement est connue et maîtrisée, le verrou concerne la production d’huiles en quantités suffisante pour alimenter la filière. L’utilisation de micro-organismes olégineux, c’est-à-dire la production d’huiles microbienne par fermentation permettrait de s’affranchir des contraintes climatiques, de graantir une production stable et durable, sans entrer compétition avec les usages alimentaires. Alors qu’il existe des bactéries, champignons ou micro-algues lipogènes, la mise en place de cultures de levures, extensivement utilisées dans l’industrie, pourrait permettre le développement d’une technologie à court ou moyen terme.
Dans ce contexte, ces travaux de recherche s’inscrivent dans une collaboration initiée en 2005 entre Airbus et l’Equipe de Fermentation Avancée et Génie Microbien (ex Equipe de Génie Microbiologique: Analyse Systémique et Innovation de Procédés) du Laboratoire d’Ingénierie des Systèmes Microbiens et Procédés visant à étudier les possibilités de production de lipides à partir de levures oléagineuses pour une application biokérosène. Depuis 1992, au sein de ce laboratoire, il a été notamment mis en évidence les fortes potentialités d’accumulation de lipides de la souche Rhodotorula glutinis (Granger, 1992 ; Cescut, 2009). Les travaux présentés dans ce document ont pour objectifs l’étude de l’impact de la diversification des substrats carbonés (xylose et glycérol en simples ou co-substrats avec le glucose) sur le comportement métabolique et dynamique de la souche d’intérêt Rhodotorula glutinis (Rhodosporidium toruloides), en condition de croissance et d’accumulation lipidique.
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Table des matières
INTRODUCTION
Partie 1 : Introduction et contexte de l’étude
1. Le transport aérien, les émissions de dioxyde de carbone, la consommation de carburant : bilan actuel et perspectives
2. Les enjeux du développement de carburant alternatif pour l’aviation
3. Les efforts de l’industrie aéronautique
4. Les contraintes des carburants des transports aériens
5. Les solutions alternatives aux carburants fossiles
6. L’enjeu des lipides microbiens
Conclusion
Partie 2 : Etat de l’art
1. Les micro-organismes oléagineux
1.1. Définition et caractéristiques
1.2. Principaux micro-organismes oléagineux
1.3. Rhodotorula glutinis, une levure oléagineuse d’intérêt
1.3.1. Classification
1.3.2. Morphologie
1.3.3. Diversité du potentiel de la souche et utilisation industrielle
1.4. Nature des lipides microbiens accumulés par Rhodotorula glutinis
1.4.1. Les triacylglycérols
1.4.2. Les caroténoïdes
2. Métabolisme d’accumulation de substances carbonées de réserves de la levure oléagineuse Rhodotorula glutinis
2.1. L’accumulation de lipides
2.1.1. Biochimie et stœchiométrie de la synthèse des acides gras et des triglycérides
2.1.1.1. Synthèse d’acétyl Co-A
2.1.1.2. Synthèse du malonyl-CoA via l’acétyl-CoA carboxylase
2.1.1.3. Synthèse et élongation des chaînes d’acides gras
2.1.1.4. La désaturation
2.1.1.5. Synthèse des triacylglycérols
2.1.2. Le mécanisme de l’accumulation lipidique
2.1.2.1. L’induction du métabolisme d’accumulation
2.1.2.2. Facteurs influençant l’accumulation lipidique
2.1.3. Le stockage des substances lipidiques
2.1.3.1. Nature et composition des gouttelettes lipidiques
2.1.3.2. Mécanisme de formation des gouttelettes lipidiques
2.2. L’accumulation de polysaccharides
2.3. Voie de synthèse des caroténoïdes
3. Catabolisme des substances carbonées de la levure oléagineuse Rhodotorula glutinis
3.1. Le métabolisme central
3.1.1. La glycolyse
3.1.2. Le pyruvate, carrefour métabolique
3.1.3. Le cycle de Krebs
3.1.4. La chaîne respiratoire et la phosphorylation oxydative
3.2. Le catabolisme du xylose
3.2.1. Transport du xylose
3.2.2. Premières étapes du métabolisme du xylose
3.2.3. La voie des pentoses phosphate
3.3. Le catabolisme du glycérol
3.3.1. L’entrée du glycérol dans la cellule
3.3.2. Les voies métaboliques de consommation du glycérol
3.4. Le catabolisme des acides gras : la beta-oxydation
3.4.1. Activation des acides gras
3.4.2. Dégradation des acides gras
4. Demande anabolique de la souche Rhodotorula glutinis
4.1. Composition macro-moléculaire
4.2. Pouvoir réducteur, accumulation de lipides et substrats carbonés
5. Performances de croissance et d’accumulation lipidique de la souche Rhodotorula glutinis à partir de diverses sources carbonées
5.1. Potentialités de croissance
5.1.1. A partir du glucose comme source carbonée
5.1.2. A partir du xylose en simple ou co-substrat avec le glucose
5.1.3. A partir du glycérol en simple ou co-substrat avec le glucose
5.2. Bioprocédés et potentialités d’accumulation lipidique
5.2.1. Performances d’accumulation à partir du glucose comme source carbonée
5.2.2. A partir du xylose comme source carbonée
5.2.3. A partir du glycérol comme source carbonée
6. Conclusions
Partie 3 : Matériel et méthodes
1. Souche et milieux de culture
1.1. Souche étudiée
1.2. Milieux de culture
1.2.1. Milieu de conservation
1.2.2. Milieu de réveil de la souche
1.2.3. Milieu salin initial
1.2.4. Sels d’alimentations
1.2.5. Solution concentrée de substrats, vitamines et régulation de pH
2. Le fermenteur et le logiciel de commande et d’acquisition
2.1. Le réacteur instrumenté
2.1.1. Le fermenteur
2.1.2. L’instrumentation
2.1.3. Les actionneurs
2.1.4. Les alimentations
2.1.5. Les gaz
2.2. Acquisitions en ligne et logiciel de commande
2.2.1. Description
2.2.2. Calculs des consignes d’alimentation
2.2.2.1. Calculs des consignes d’alimentations en conditions de croissance
2.2.2.2. Calculs des consignes d’alimentations spécifiques aux conditions d’accumulation lipidique
3. Mise en œuvre des expérimentations
3.1. Mise en œuvre des fermentations
3.1.1. Préparation de l’expérimentation
3.1.2. Phases de précultures
3.1.3. Cultures : mise en œuvre et stratégie de conduite
4. Méthodes analytiques
CONCLUSION