Le traitement des médias dans les manuels scolaires

Les manuels scolaires sont des outils à la disposition des élèves mais aussi des professeurs. Et si on peut avoir cette impression que le manuel est plus utile à l’élève, il est tout autant voire plus pour le professeur qui dispose alors d’un guide, d’une source d’information à la constitution de son cours et de ses activités. Pour toutes les classes, pour tous les niveaux, pour toutes les séries dans le cas du lycée, on peut trouver un manuel différent, et des manuels conçus et construits par plusieurs éditeurs. Or malgré cela, il n’y a qu’un seul programme par niveau de classe et/ou de série pour le lycée. Les professeurs des différentes disciplines doivent s’y tenir, et en se basant sur les manuels pour constituer leurs cours, ces derniers doivent également s’y plier. Au milieu de cette diversité de manuels et logiquement dans un contexte concurrentiel entre eux, ces manuels parviennent à proposer des constructions différentes aux équipes enseignantes des établissements. Néanmoins, compte-tenu des obligations qui incombent à ces enseignants, on peut se demander si ces manuels respectent les prescriptions du programme afin de correspondre au mieux aux attentes des professeurs. Cela semble être dans l’intérêt des manuels que de respecter ces prescriptions dans cette logique concurrentielle entre les éditeurs. Or, on ne peut exclure, dans le cas des programmes d’histoire comme c’est le cas dans ce mémoire ici, des écarts par rapport aux exigences du programme dans la démarche et les questionnements qui sont posés dans les manuels scolaires. L’objectif affirmé du programme de fin de cycle dans la classe de terminale est bien de former les élèves à un regard critique, de leur apporter des moyens d’approfondir leur réflexion historique ainsi que les démarches spécifiques à la discipline historique.

État de l’art

Dans le cadre du Master 2 MEEF Histoire-Géographie, je mènerai un travail de recherche sur le traitement de l’histoire des médias dans les manuels scolaires du secondaire. L’histoire des médias est mise en avant à partir de cette année 2019 par une question au programme du CAPES, une thématique intitulée « Culture, médias et pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale (1945-1991) ». Dans la perspective de la réalisation de manuels de préparation au concours de l’enseignement, les questionnements historiographiques ont été brassés, renouvelés et remis à jour, permettant de faire également un point sur l’écriture de l’histoire des médias. Je compte mener cette étude dans une démarche similaire à celle de l’une des épreuves orales du concours, à savoir l’épreuve d’analyse de situation professionnelle (ASP) pour confronter l’historiographie, les prescriptions officielles du programme avec les propositions faites par les manuels scolaires pour  les professeurs et les élèves. L’histoire des médias n’est abordée que dans le Thème 2 du programme de Terminale L-ES, dans l’une des mises en œuvre «Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’Affaire Dreyfus », c’est pourquoi ce travail de recherche portera également sur une réflexion sur les sources et documents utilisées par les éditeurs de manuels pour le traitement de ce chapitre.

Historiographie

Ayant un sujet traitant de l’histoire des médias, c’est la thématique centrale qui sera abordée dans la mesure où ce travail de recherche permettra la confrontation de l’historiographie des médias avec la manière dont elle est retranscrite dans les programmes scolaires puis dans les manuels de la classe de Terminale. L’histoire enseignée se nourrit des travaux historiques des historiens, et suit plus ou moins l’évolution de ses champs de recherches et méthodes d’analyse vis-à-vis du point de vue historiographique. Toutefois, il est à noter que les historiens des périodes les plus contemporaines notent que leur discipline n’est pas nouvelle et que les historiens s’intéressent aux événements et phénomènes qui leur sont les plus proches depuis l’Antiquité. Patrick Garcia et Laurence de Cock signalent d’ailleurs que les programmes scolaires, dès le Second Empire, font travailler les élèves des dernières classes sur des programmes allant « jusqu’à nos jours ». Dans le cadre de la législation française, les archives ne peuvent être accessibles immédiatement; le délai d’accès de ces archives est réduit à deux reprises, en 1979 puis en 2008 pour arriver à une durée de trente ans. Dans le laps de temps se situant entre « le lendemain » des faits étudiés et l’ouverture des archives publiques, les historiens se tournent vers d’autres sources contemporaines aux événements et immédiatement accessibles : les médias.

Si l’étude des faits les plus récents par les historiens n’est pas une nouveauté, son institutionnalisation l’est en revanche. En 1978-79, le laboratoire de l’histoire du temps présent du CNRS est créé, un laboratoire de recherche directement hérité du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale (CHGM) sous la direction d’Henri Michel dont la mission était de réunir le plus de ressources documentaires possible sur ce conflit. Cette histoire est aussi parfois baptisée « histoire sous surveillance » par une particularité de cette histoire, celle d’être étudiée par des historiens, mais dont les témoins des événements, des faits étudiés, sont toujours vivants, ainsi que les processus de toutes natures sont toujours en cours. En 1991, on tente de poser comme définition de cette histoire ; l’histoire du temps présent «couvre une séquence historique marquée par deux balises mobiles. En amont, cette séquence remonte jusqu’aux limites d’une vie humaine, soit un champ marqué d’abord et avant tout par la présence de ‘témoins’ vivants, trace la plus visible d’une histoire encore en devenir. En aval, cette séquence est délimitée par la frontière, souvent délicate à situer, entre le moment présent – ‘l’actualité’- et l’instant passé » . Dans cette dynamique de faire de l’histoire avec les faits et événements les plus proches de ceux qui l’écrivent et la conception des sources médiatiques, la presse est une des sources privilégiées par les historiens pour avoir la connaissance des faits les plus récents. Avec l’institutionnalisation de l’histoire du temps présent, ce sont les sources médiatiques qui sont mises à contribution pour analyse par les historiens, leur permettant également de «contourner », si on peut le formuler ainsi, les délais d’accessibilité des archives et ce dès les années 1980-1990.

L’histoire des médias est donc un des supports de l’histoire du temps présent, mais cette discipline lui préexiste dans des modalités toutes particulières. Les historiens placent l’origine de la presse en 1631 avec la première impression de La Gazette, l’imprimé de Théophraste Renaudot et dans leurs travaux remonte l’étude de ce média de manière continue jusqu’à la Troisième République, un moment d’acquisition des libertés nécessaires à l’exercice de la profession de journaliste ou de ce qui deviendra cette profession ; c’est aussi une période durant laquelle la presse tend vers son apogée et un âge d’or. Les premières utilisations de la presse par les historiens se font par le biais de l’histoire politique et où la presse prend la fonction de source, et ce à partir des années 1960. Dans la lignée de ces travaux au fort trait politique, les historiens réutilisent la presse pour tenter de mesurer l’opinion publique par ce biais. La question de l’influence de la presse sur l’opinion publique était relativement centrale. Grâce à l’influence de l’histoire du temps présent dans les années 1980, les historiens des médias et du politique s’autorisent l’élargissement du corpus de leurs sources en y intégrant les médias audiovisuels : radio et télévision ; néanmoins, les questionnements restent sensiblement identiques que ceux des historiens étudiant la presse uniquement. Or, lors des années 1980-1990, un double renversement de l’analyse des sources médiatiques se fait et les historiens ne s’intéressent plus uniquement au reflet de l’opinion publique que peut apporter les médias, mais également à leur structuration donnant naissance à l’histoire institutionnelle des médias . Le second infléchissement vient d’un changement d’appréhension des médias ; les médias ne sont plus seulement des sources secondaires mais deviennent de véritables objets d’études :

« En considérant la presse non plus comme une source mais comme un objet d’étude, en l’étudiant pour ce qu’elle est devenue dans les sociétés contemporaines, une industrie culturelle, en cherchant à évaluer son degré d’autonomie dans l’espace public, en l’utilisant, aussi, non plus comme instrument de mesure de l’opinion mais comme outil d’analyse des représentations collectives et des imaginaires sociaux, les historiens, dans les années 1990, ont ouvert un nouveau chantier […]. L’histoire des moyens d’information s’est ainsi enrichie d’un volet social […], d’un volet économique […], et d’un volet culturel » .

Les années 1990 sont donc l’avènement d’une nouvelle histoire des médias dont Jean-Noël Jeanneney se fait pionnier avec une première synthèse de ces nouvelles approches en 1996 au travers de son ouvrage Une histoire des médias. Des origines à nos jours . Jusqu’alors dissociées, l’étude des médias se fait ici conjointement, et Jean-Noël Jeanneney sort du cloisonnement des historiens des médias. En effet, comme le signale Christian Delporte, plusieurs historiens se sont dans un premier temps concentré sur des travaux autour d’un seul média qu’il soit presse écrite, radio ou télévision . Sa contribution est d’autant plus novatrice qu’il met en avant l’histoire des médias au travers de plusieurs points de vue entre l’évolution des mentalités collectives, les mutations techniques des médias ou encore l’activité économique. Datant de 1996, les éléments les plus récents dont dispose Jean-Noël Jeanneney ne permettent que d’apercevoir l’impact d’internet dans l’univers médiatique. Le média internet n’est, pour le moment, pas le média sur lequel les historiens ont le plus travaillé. Si on arrive à une énième réédition de l’ouvrage de Francis Balle , Frédéric Barbier et Catherine Bertho-Lavenir tente de poser les jalons de questionnements historiographiques spécifique au média internet : « quelles sont les spécificités des nouveaux médias, dans quelle mesure ceux-ci s’insèrent-ils dans une histoire qui leur préexiste nécessairement mais qu’ils contribuent à dépasser, que supposent-ils, directement ou indirectement, au niveau des pratiques et selon quels rythmes ? » . L’histoire du média internet n’est donc pas encore écrite par les historiens même si on peut signaler une tentative dirigée par Tiphaine Zetlaoui en 2015, Histoire(s) de l’Internet , qui pose les premières bases d’une étude de cette envergure : « Enquêter sur les origines de l’Internet n’est pas des exercices les plus aisés. Non seulement cet objet est encore peu étudié par les chercheurs notamment français » tout en qualifiant de travail quasi pionnier celui des historiens pour cette contribution .

Ce qui apparait dans l’évolution de ce champ de recherche relatif au médias, c’est une complexification des thématiques abordées par les historiens, un champ d’étude plus vaste forçant les liens entre les médias pour identifier la construction et le fonctionnement de la culture médiatique de certains pays ou sociétés ; un système de représentation basé sur l’écrit, les images et le son .

Programmes et manuels scolaires

Laurence de Cock, dans la lignée de son « maître à penser » Suzanne Citron, dénonce l’enseignement de l’histoire comme une « corrélation directe entre l’apprentissage d’une histoire de France digne de fierté et la formation d’un attachement viscéral, indéfectible et souvent jaloux à la nation » . Largement politisé, on serait tenté de montrer par l’enseignement de l’histoire en France que le déroulement chronologique ne fut que glorieux, victorieux et facteur de progrès pour la Nation avec un « N » majuscule, une nation française « toujours déjà là » et dont les événements la mènent inexorablement vers le moment que les élèves étudient. Le postulat de Laurence de Cock dans sa dernière publication  est que le roman national imprègne les programmes depuis l’école rendue obligatoire, gratuite et laïque des Lois Ferry (1881, 1882 et 1886). Les enjeux autour de l’enseignement de l’histoire se font entre autre par des pressions extérieures au domaine de l’enseignement. C’est justement ici le cœur de la démarche, c’est en partant du constat de programmes scolaires et des débats qui en découlent, mettre en avant la pratique des enseignants d’histoire face à leurs élèves en examinant les productions ainsi qu’une analyse didactique. Si le travail de Laurence de Cock met en avant un siècle et demi d’histoire de l’enseignement et des programmes scolaires, ceux qui nous concerneront apparaissent à partir des années 2000, à l’occasion des derniers programmes du lycée parus en 2010, et toujours en vigueur. On peut souligner le travail portant sur les manuels scolaires , premiers à souffrir de la critique, mais d’une critique qui doit cependant être constructive. Alors que l’auteure alerte sur des analyses menées par certaines personnalités qui, sur la même base, en arrivent à des conclusions totalement différentes et divergentes, Laurence de Cock met l’accent sur le fait que le manuel scolaire ne peut être appréhender comme un livre classique : « L’enquête ne mentionne aucune précaution méthodologique pourtant incontournable lorsqu’on se lance dans ce type de recherche tant le manuel scolaire est devenu un hybride qu’il n’est plus possible d’envisager comme un simple livre » . Consécutivement à cela, il devient presque nécessaire de retracer l’évolution des manuels scolaires et comprendre ce qu’ils étaient et ne sont plus pour pouvoir cerner la manière dont ils sont construits.

Apparentés à des livres de littératures jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les années 1950 à 1970 sont une période ou la démarche historienne, au travers des documents, fait son apparition dans les manuels. Tels qu’on les connaît aujourd’hui, leurs articulations didactiques et pédagogiques remontent aux années 1980 ; une proposition affirmée par Marie-Christine Baquès . Dans son article consacré aux manuels de lycée et leur évolution depuis les années 1960, elle pointe les mutations, plus ou moins rapides et par conséquent plus ou moins acceptées par les institutions. Le manuel scolaire reste un outil, un outil d’apprentissage qui évolue au milieu d’un périmètre réduit qui s’articule autour de la recherche scientifique, des prescriptions officielles, des représentations et pratiques des enseignant tout en coïncidant avec les logiques du marché de l’édition du manuel scolaire dans une logique consumériste pointée par la plupart des chercheurs qui s’intéressent à l’analyse des manuels scolaires de quelle que discipline que ce soit. Ces mêmes manuels poursuivent leur évolution qui deviennent de plus en plus « hybrides » comme le signale Alain Choppain dans une grille d’analyse des manuels scolaires . La logique et les impératifs commerciaux s’imposent et le manuel devient un objet de consommation pour le milieux scolaires, étroit mais très disputé entre six éditeurs pour le secondaire . L’apport de Laurence de Cock réside dans le fait qu’en s’appuyant sur les débats voire polémiques suscitées par les programmes et les manuels scolaires, les confronte aux réalités écrites et prescrites par le bulletin officiel et les réalisations des éditeurs de manuels scolaires, montre une relative étroite marge de manœuvre pour les éditeurs, mais aussi une certaine continuité dans le contenu de l’enseignement dans le temps. L’évolution que on note particulièrement est la manière d’enseigner, résultant de la formation des enseignants très certainement et suivie par les manuels scolaires qui laissent plus de place à la mise en activité des élèves plutôt qu’au cours magistral du professeur qui fait descendre les savoirs vers les élèves.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1. État de l’art
1.1.Historiographie
1.2.Programmes et manuels scolaires
2. Méthode d’analyse
2.1.Corpus documentaire
2.1.1. Belin
2.1.2. Hachette
2.1.3. Hatier
2.1.4. Magnard
2.1.5. Nathan
2.1.6. En résumé
2.2.Le programme de Terminale L-ES
2.2.1. « Médias et opinion publique », un chapitre d’histoire
2.2.2. Les orientations pédagogiques du chapitre
2.3.Une démarche inspirée de l’oral d’analyse de situation professionnelle (ASP)
3. Analyse
3.1.Introduire le cours « Médias et opinion publique »
3.1.1. Une amorce du chapitre comparable entre les manuels
3.1.2. Une définition du sujet diverse selon les manuels
3.2.L’affaire Dreyfus
3.2.1. Tour d’horizon du corpus sur l’affaire Dreyfus
3.2.2. Le questionnement pour susciter la confrontation entre les médias et l’opinion publique
3.3.Le 6 février 1934
3.3.1. Les manuels placent la presse au centre de l’affaire
3.3.2. Questionnements divers en fonction des manuels
3.4.La Seconde Guerre mondiale et la défaite de 1940
3.4.1. Faire de l’histoire des médias, mais avec quel média ?
3.4.2. Les élèves doivent s’interroger sur une relation implicite
3.5.La crise de mai 1958 autour des « événements d’Algérie »
3.5.1. « La crise du 13 mai 1958 et […] la guerre d’Algérie » (Eduscol)
3.5.2. La radio, média dominant mais pas dans les manuels
3.5.3. Questionner le 13 mai 1958 et la guerre d’Algérie
3.6.La crise de la fin des années 1960 ou plutôt mai-68
3.6.1. Mai-68 ou le contrôle des médias pendant « les années gaulliennes » ?
3.6.2. Les manuels, narrateurs de mai-68
3.6.3. La question du contrôle des médias par le pouvoir au centre de la crise
3.7.D’autres crises traitées par les manuels
3.7.1. Le Rainbow Warrior, une affaire prouvant le rôle nécessaire de la presse
3.7.2. Le 21 avril 2002, l’éclatement de la « crise ‘rampante’ du politique et de la critique des médias » ?
3.8.Ce qu’apportent les parties de cours au traitement des médias et de l’opinion publique
3.8.1. Le traitement de la question généralement chronologique
3.8.2. Illustrer les propos du cours
Conclusion
Bibliographie
Annexes

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *