Le traitement des archives

Le traitement des archives

L’administration coloniale et les archives des colonies

La mer Méditerranée est trop souvent perçue comme une frontière, un vaste espace, jonction de trois continents qu’elle semble, aux yeux de la société occidentale, opposer. Les regards se détournent et semblent oublier qu’elle est, tout au long de l’histoire, celle du passé et celle qui s’écrit, le trait d’union de civilisations, le berceau de cultures originales dont la richesse en a fait une aire d’échanges et d’enrichissements mutuels. Elle est de ce fait créatrice d’histoires, parfois singulières. Celle de l’Algérie française en est une parmi d’autres. C’est celle d’un évènement militaire, l’ébauche d’une politique qui devint le dessein, au fil des décennies, d’une volonté d’assimilation avortée, fruit de la négation d’un peuple. Ce modèle d’assimilation s’est édifié dès le milieu du XIXe siècle.

La France construit par mimétisme une administration analogue à la sienne dans une colonie dont elle polît le relief culturel. Le rapprochement entre deux cultures, entre deux rives de la Méditerranée est effectif mais l’échange ici n’a pas lieu. À la veille du XXe siècle, la machine est huilée. L’administration française s’est appropriée un espace en s’adaptant aux particularités qu’impose le profil algérien. Dans ses bagages, elle exporte, parmi d’autres, l’administration des archives nécessaire à une administration algérienne non moins paperassière qu’en métropole.

Le statut juridique de l’Algérie fait de celle-ci, au sein de l’Empire colonial français, un élément à part entière, compromis entre le prolongement d’une France outre-méditerranéenne et celui d’une colonie. Ce caractère particulier tend à déterminer un trait singulier à son administration. L’objectif de notre recherche qui est présentée ici est celle de définir, à travers l’étude d’un service, celui des archives départementales d’Alger, son trait de personnalité, son degré métropolitain, son degré colonial. Elle veut explorer, entre 1902 et 1962, l’histoire de cette institution sous l’angle novateur de son fonctionnement et de sa gestion. L’année 1902 se justifie en raison de la mise en place de la loi du 24 décembre, qui voit un redécoupage géographique de la division départementale de la région algérienne. Ainsi des trois grands départements originels naissent les territoires du Sud. Cette nouvelle carte administrative sera figée pendant cinquante-quatre ans ; on y distingue tout particulièrement au Nord de l’Algérie trois nouveaux départements : Oran, Constantine et notre aire d’étude, Alger. C’est donc l’implantation d’une délimitation administrative qui justifie notre premier périmètre mais qui quelque part détermine également le second puisque sous couvert d’un évènement déterminant qu’est la fin de l’Algérie française en 1962, c’est également la fin d’une administration pensée à la française. C’est donc une histoire particulière, en marge des travaux réalisés sur ce service algérois qui s’écrit ici et qui lève de facto le voile sur un pan d’histoire des pratiques archivistiques dans les colonies françaises.

Histoire militaire et administrative de la présence française en Algérie à la veille du XXe siècle L’Algérie est, à la veille de l’expédition d’Alger de 1830, sous gouvernance turque. Cette obédience de la Régence d’Alger à la Sublime Porte depuis le début du XVIe siècle l’a caractérisée, a façonné son territoire, en lui donnant des frontières, une organisation à la fois politique mais également administrative. Cette autorité turque, aussi ancienne qu’étaient ses fondations et son architecture, est balayée d’un coup d’éventail par une nation en pleine construction de son futur empire colonial. Le vieil Empire Ottoman, affaibli qu’il était en Méditerranée occidentale, laissait ainsi place à un nouvel occupant, qui bâtit sur les ruines de son prédécesseur un nouvel édifice fondé sur la volonté d’y élever, à travers une politique militaire et administrative, un ancrage durable. Plusieurs décennies sont alors nécessaires aux Français pour prendre le contrôle total de ce vaste territoire. Cette période du XIXe siècle se caractérise avant tout par des hésitations à la fois militaires et administratives qui permettent de donner un sens à la politique menée par la France au début du XXe siècle dans l’Algérie coloniale et, dès lors, de retracer une histoire de ses origines.

Une phase de prise de possession…

L’expédition d’Alger en 1830 ne s’inscrit dans aucun plan de colonisation planifié par la France. Si elle a, à cette époque, des vues d’implantations dans le Pacifique, liées étroitement au développement du commerce maritime, le Maghreb ne représente en rien un objectif de l’empire colonial français1. Mais de la combinaison d’un évènement mineur, l’« affaire du coup de l’éventail » à celui majeur, d’un pouvoir politique français en pleine déliquescence entraîne la chute de la Régence d’Alger. Le premier s’inscrit dans un cadre diplomatique, celui d’un différent financier entre la France du roi Charles X et le dey d’Alger Hussein. Cette crise connaît une première escalade lorsque ce dernier, le 27 avril 1827, donne un coup d’éventail au consul de France Pierre Deval2. L’incident diplomatique provoque une recrudescence des accrochages entre les deux parties culminant le 14 juin 1830 avec le débarquement de troupes française dans la baie de Sidi-Ferruch. Mais ce débarquement entraînant par la même occasion la chute du dey le 5 juillet et la prise de possession d’Alger s’explique en grande partie par un évènement d’une ampleur plus importante: celui de la crise monarchique que connaît alors la France. Dans une société partagée entre les partisans de la restauration d’une monarchie de droit divin que le régime de Charles X soutient et, de l’autre, ceux favorables à un pouvoir plus libéral, la France connaît une agitation politique majeure3.

La campagne d’Alger constitue dès lors un parfait prétexte pour une monarchie à bout de souffle qui, à travers cette conquête, espère avant tout redorer son image et restaurer son autorité. C’est donc la conjugaison de ces deux facteurs qui ont conduit l’Algérie à devenir, au fil des décennies, un territoire français. Avec la prise d’Alger, l’autorité turque s’effondre. Cette faiblesse du pouvoir turc s’explique d’une part, par son aspect centralisé et, de l’autre, par l’affaiblissement de ce dernier sur l’ensemble du territoire algérien et ce, bien avant le débarquement du contingent français4. L’une des premières problématiques qui est posée au nouveau régime de la monarchie de Juillet en place en France depuis l’avènement de Louis-Philippe est la question de l’occupation de l’Algérie. Jusqu’en 1834, la conception alors majoritaire chez les militaires et les hommes politiques de l’époque est celle d’une occupation mineure, concentrée essentiellement sur le rivage méditerranéen. Elle se matérialise par les enclaves d’Oran, Alger, Bougie et Bône5 alors qualifiées de « possessions françaises dans le nord de l’Afrique »6. Cette politique des « points d’appui », théorisée par François Guizot en 1842, répond au besoin de la France d’accroître son empire colonial sans pour autant entrer en conflit ouvert avec l’Angleterre.

C’est donc, quelque part, le premier acte fondateur d’une Algérie française dont le dénouement final en est sa conquête totale. Néanmoins, si la force militaire turque est rapidement mise en déroute et vaincue, la France se retrouve, entre 1830 et 1880, opposée à une résistance continuelle d’un peuple algérien en quête de souveraineté. Celle-ci se manifeste dans un premier temps autour de la personne d’Abd el-Kader en 1832. Cette première lutte est motivée d’une part, par une appartenance religieuse différente – en l’occurrence l’islam, matérialisé par le djihad dont Abd el-Kader prend la tête au titre de « commandeur des croyants » – et, d’autre part, par l’affirmation d’un sentiment national7. Cette première guerre se caractérise par deux phases distinctes ; une première, entre 1832 et 1839, faite de pauses régulières dans les affrontements qui opposent militaires français et résistance algérienne. Cette période se caractérise avant tout par une volonté des Français de se contenter des territoires acquis, ainsi que d’une politique d’occupation restreinte et d’une cohabitation pacifique avec le nouvel État naissant d’Abd el-Kader reconnu par le traité de Tafna en 1837 et qui occupe alors les deux-tiers du nord de l’Algérie8. Seuls le Constantinois et la ville de Constantine, situés à l’intérieur des terres, deviennent français après la chute du bey Hâjj Ahmed en 1837, héritier autoproclamé du dey Hussein, autre personnage notable de cette Algérie du milieu du XIXe siècle9. Le territoire français de 1830 est donc légèrement étendu à l’Est par la prise de Constantine, formant ainsi un territoire homogène avec les villes de Bougie et Bône.

…et une phase d’appropriation

La conquête de l’Algérie s’est accompagnée, au fil du temps, d’une politique française ayant pour objectif de s’approprier et de modeler un territoire en y appliquant une vision coloniale qui écarte l’indigène comme individu potentiellement participatif à l’élaboration d’une société alors en pleine construction. Les prémices de ce caractère particulier tendent à se manifester dans les années 1840, période durant laquelle la France décide de s’implanter durablement dans le Maghreb. L’histoire de l’administration française algérienne au XIXe siècle est celle de nombreuses expériences faites d’hésitations continuelles sur la politique à mener et sur le statut à donner à cet espace que l’on tend à appréhender, par trop souvent, comme une colonie parmi d’autres23. Ces vicissitudes s’expliquent par plusieurs aspects au premier desquels il faut citer la conquête en elle-même d’une partie du territoire et de l’incertitude quant à son devenir. À cela s’ajoute également les insurrections algériennes, régulières, les révolutions, qui marquent profondément la France en 1848 et 1870 et les changements de régime qu’elles impliquent, enfin l’opinion publique, en particulier celle des colons24. Deux régimes cohabitent en Algérie : l’un militaire qui a dès 1830 une primauté certaine sur le second, civil, dont l’avènement à partir de 1870, relègue le premier au second plan.

Embryonnaire durant les quatre premières années d’occupation, cette implantation administrative débute véritablement en 1834 suite à la mise en place d’une ordonnance permettant l’organisation des possessions françaises en Afrique du Nord25. C’est donc l’annexion pure et simple du territoire acquis, pensé comme une colonie et qui se caractérise par l’institution d’un gouverneur général aux pouvoirs élargis. Il est à la fois commandant en chef des armées mais également l’administrateur de l’Algérie qu’il doit organiser via la totalité des services qui sont placés sous son autorité26. Bâtir sur une administration existante et faire du neuf, telle est au début la démarche de la France entre 1834 et 1848. Ainsi le régime militaire maintient l’ossature de l’administration turque. Dans l’Oranie, elle s’inscrit dans la continuité ; les tribus ayant eu les faveurs des Ottomans ont celles des Français. L’administration militaire leur accorde des privilèges mais garde un contrôle en nommant leurs chefs. Vers Constantine, ce sont les grandes familles qui sont valorisées. Là encore des privilèges leur sont accordés.

En ce qui concerne l’ancien État d’Abd el-Kader, qui avait lui-même mis en place une administration particulière, sa construction administrative est également maintenue. Les militaires maintiennent la hiérarchie existante en la modifiant quelque peu. Mais à ces deux types d’administrations, différentes, est superposé ce qui est appelé les bureaux arabes qui sont, en quelque sorte, une hyper structure administrative créée par le général Bugeaud. Ces derniers sont chargés de donner une unité administrative à ces deux ensembles administratifs tout en contrôlant les chefs indigènes placés par les Français. Ils sont organisés en trois strates allant de la division au cercle en passant par la subdivision. Pour exemple, la hiérarchie administrative d’un territoire ayant été sous l’autorité de l’émir se présente de la façon suivante. Au sommet de cette pyramide se trouvent les khalifa, bachaga et agha. Juste en dessous, ce sont les aghas puis, enfin, les cheiks qui dirigent les tribus importantes.

Cette organisation trouve sa correspondance au sein des bureaux arabes ; ainsi les premiers sont gérés par les divisions et nommés par le roi. Les seconds sont également nommés par le roi mais reçoivent leurs ordres des subdivisions. Enfin les cheiks relèvent du cercle27. Qu’ils appartiennent à une administration héritée d’Abd el-Kader ou des Ottomans, qu’ils aient des statuts différents, l’ensemble des responsabilités indigènes sont toutes peu à peu vidées de leur pouvoir avec une autonomie très limitée : simples pions manipulés dans un jeu d’échec conçu par une administration huilée, maîtrisant parfaitement son sujet. L’organisation originelle devient donc factice, une sorte de trompe l’oeil nécessaire permettant de mieux contrôler la population locale par le biais des bureaux arabes dont le personnel, mixte et réduit, est le rouage essentiel pour faire le lien entre colonisés et colonisateurs.

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Table des matières

SOMMAIRE
L’ADMINISTRATION COLONIALE ET LES ARCHIVES DES COLONIES
1.Histoire militaire et administrative de la présence française en Algérie à la veille du XXe siècle
1.1. Une phase de prise de possession…
1.2. …et une phase d’appropriation
2.L’administration française en Algérie : un décalque métropolitain et des particularismes
2.1. L’organisation territoriale
2.2. Une construction administrative : les principaux organes administratifs et leurs pouvoirs
3.L’organisation des archives en France : un état des lieux au début du XXe siècle
3.1. La tutelle des archives : une évolution et des degrés différents
3.2. L’administration des archives : organisation territoriale et compétences
3.3. L’organisation des archives dans les colonies
BIBLIOGRAPHIE
ÉTAT DES SOURCES
LES ARCHIVES DEPARTEMENTALES D’ALGER : UN MODELE METROPOLITAIN D’UN SERVICE D’ARCHIVES DEPARTEMENTAL?
1.Sphère de rayonnement et sphère de compétences : la construction d’un service d’archives algérois
1.1. S’approprier un espace : l’administration des archives et sa construction au sein du département d’Alger
1.2. La relation entre les archives départementales d’Alger et les services producteurs : compétents auprès de qui et comment ?
2.L’ossature interne des archives départementales d’Alger
2.1. Le budget
2.2. Formations, nominations, statuts : un personnel des archives en constante évolution
2.3. Une problématique récurrente : le dépôt
3.Le traitement des archives : le devenir d’un document d’archives algérois
3.1. Le classement
3.2. La communication
CONCLUSION
ANNEXES
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES MATIERES

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