L’identification du haut potentiel
L’identification de ces enfants présentant un haut potentiel est un aspect primordial de toute étude sérieuse les caractérisant. Selon Koren5 (1994), il semble « peu réaliste d’envisager de présenter un bilan exhaustif de [cette] problématique ». Pour lui, cette notion d’identification présente plusieurs facettes, d’abord la diversité des définitions de la précocité retenues par les auteurs, puis la multiplicité des critères utilisés, mais également les techniques d’évaluation employées. En France, les auteurs du rapport Delaubier (2002) indiquent que l’échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants (W.I.S.C : Wechsler Intelligence Scale for Children ; Wechsler, 1996), dans sa version 3– depuis 2014, nous en sommes à la version 5 – est le test plus utilisé tant par les psychologues scolaires que par les établissements accueillant des enfants intellectuellement précoces. Ce test, bien sûr, n’a pas la prétention de définir l’intelligence, d’ailleurs si pour Binet, « l’intelligence était ce que mesurait [son] test », pour David Wechsler elle « est la capacité globale et complexe de l’individu d’agir dans un but déterminé, de penser de manière rationnelle et d’avoir des rapports utiles avec son milieu. (Wechsler, 1956, p.3) » C’est avec cette pensée qu’il met au point, dès 1949, une batterie de différentes épreuves qui permettent d’évaluer un ensemble d’aptitudes intellectuelles impliquées dans les processus d’apprentissage. La construction très pragmatique de ce test permet d’obtenir plusieurs niveaux d’informations quant aux potentialités de l’enfant, il rend notamment compte de son niveau de performance pour chacune des grandes fonctions cognitives. Le WISC V, version utilisée depuis 2016, comprend à présent 5 indices principaux :
• L’Indice de Compréhension verbale (ICV, déjà présent avec le WISC IV)
• L’indice visuo-spatial
• L’indice de raisonnement fluide
• L’indice de mémoire de travail (IMT déjà présent avec le WISC IV)
• L’indice de vitesse de traitement (IVT déjà présent avec le WISC IV)
Les résultats du WISC ne sont cependant pas exprimés sous la forme d’un Quotient Intellectuel (rapport entre l’âge mental et l’âge réel) tel que le proposait le psychologue allemand William Stern en 1912, mais plutôt en situant sa performance par rapport à celles d’enfants appartenant à la même tranche d’âge. Cet étalonnage, révisé régulièrement selon les indications fournies par l’INSEE, est construit de telle manière que le Q.I. moyen soit égal à 100 et que l’écart-type des notes soit de 15. Même si dans certaines recherches, on constate une grande tolérance quant au seuil au-delà duquel le Q.I. d’un individu dénote une intelligence supérieure, on note que la plupart des psychologues cliniciens s’accordent autour du seuil de 130 concernant l’échelle globale (soit deux écarts-types audessus de la moyenne de leur groupe de référence). Nous pouvons donc en conclure, que selon le modèle statistique sur lequel repose l’étalonnage (courbe de Laplace-Gauss) les enfants dont le QI dépasse les 130 représentent 2,3 % de la population générale.
Les besoins des EHP
Comme le rappelle le rapport Delaubier, il pourrait être tentant d’établir un portrait type de ces élèves, or il est important de se souvenir de « la très grande diversité de ces élèves ». Cependant, en se basant sur les travaux de Jacques Bert et de Jean-Charles Terrassier, il précise que l’examen de la situation de ces élèves révèle quatre besoins :
1. un besoin de reconnaissance : Un repérage précoce de ces élèves est indispensable pour éviter qu’ils soient conduits vers des situations d’échec.
2. un besoin de prévention, de remédiation et, parfois de soin : Les éventuelles difficultés pouvant être rencontrées par ces élèves doivent être traitées et peuvent nécessiter des interventions spécialisées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’école.
3. un besoin de motivation : L’école doit apporter non seulement des connaissances mais également une aide et des stimulations afin que ces élèves puissent aller « plus loin dans les voies auxquelles ils aspirent et, également, pour s’engager sur des itinéraires qu’ils ne devinent pas. »
4. un besoin d’équilibre : Il faut également les aider à « compenser leur tendance à surinvestir les domaines intellectuels » mais aussi « à aller vers les autres, à apprendre à travailleur avec eux … ».
Ces besoins de motivation et d’équilibre, en ce qu’ils participent directement de la faible estime de soi totale et scolaire souvent ressentie par ces enfants (H. Bénony et al., 2007) sont deux facettes que nous souhaitons étudier afin de voir comment, en classe, il serait possible d’en tenir compte pour parvenir à mieux intégrer ces élèves à besoins spécifiques.
L’écrit des élèves à haut potentiel
Même si, le plus souvent, les enfants précoces ont découvert seuls les joies de la lecture, force est de constater que la même prouesse est rarement reproduite pour l’écriture. Cette dernière, en effet, même si elle nécessite un intellect puissant, a également besoin d’habiletés graphomotrices qui sont fréquemment absentes chez les EHP. Aussi, pour nombre d’entre eux, « cette ambition d’écrire se heurte à l’impuissance motrice. » Cette dysgraphie peut engendrer une certaine mésestime de soi, à tel point que Jean-Charles Terrassier préconise d’ajouter une épreuve graphique avant de penser à un éventuel passage anticipé au Cours Préparatoire. Des auteurs avancent l’idée que ces « difficultés de type dysgraphie ou dysorthographie parfois évoquées chez les enfants à haut potentiel […] relèvent d’une difficulté à assumer les contraintes et frustrations inhérentes à l’application de codes communs et de conventions collectives qu’exigent les activités de lecture, écriture, orthographe… » Ces élèves peuvent également rencontrer des difficultés d’organisation de l’espace graphique et des difficultés de rédaction. Selon les observations cliniques de psychologues de l’éducation nationale, ces enfants auraient un premier jet fulgurant qu’ils auraient beaucoup de difficultés à améliorer par la suite. La relecture et la réécriture seraient, pour eux, problématiques.
Historique de la scolarisation des élèves à haut potentiel
La question de la prise en compte des particularités de ces élèves à besoins éducatifs spécifiques que sont les élèves à haut potentiel remonte à la Grèce antique. Dans La République, Platon, dans une métaphore métallurgique précise que s’il « naît un enfant dont l’âme contienne de l’or ou de l’argent, le dieu veut qu’on l’honore. » Au Moyen-Âge, les puer senex, ces enfants vieillards, étaient repérés et envoyés dans des monastères où ils recevaient une éducation de qualité, mais orientée vers la spiritualité et l’oraison. Il s’agissait de mettre ce don de Dieu, qu’est l’intelligence, à Son service et non à celui de l’homme ou de l’État. Au XVe siècle, les sultans ottomans Mehmed le conquérant (1432-1481) et l’un de ses successeurs, Soliman le magnifique (1494 – 1566) créent des écoles spéciales réservées pour ces enfants remarquables afin que leur soient confiées par la suite de hautes responsabilités. À la même époque, en France, Michel de Montaigne, dans le De l’institution des enfants, propose une pédagogie innovante, destinée aux enfants ayant le goût de l’étude, qui puise ses sources chez Platon et que nous retrouverons dans l’Émile de Rousseau et, plus tard, dans les conceptions éducatives qui naîtront au XXe siècle où l’épanouissement individuel et la personnalisation des parcours l’emportent sur une vision collective et unifiée de l’éducation. Ce n’est qu’au début du XXe siècle, et ce afin de résoudre les problèmes de pédagogie liés à l’instauration de la scolarité obligatoire, posés notamment par les élèves en difficulté, que le ministère de l’instruction publique demandera au pédagogue et psychologue Alfred Binet (1857 – 1911) ainsi qu’au psychiatre Théodore Simon (1873 – 1961) de mettre au point la première échelle métrique de l’intelligence censée pouvoir identifier les enfants ayant un retard mental. Toutefois, Binet attirait déjà l’attention du ministère sur ces élèves qui obtenaient d’excellents résultats à leurs tests : « Voici encore l’écolier qui ne profite pas de l’enseignement pour une raison qui est vraiment paradoxale : il est trop intelligent (…). Ils ne travaillent que par caprice ; ils n’apprennent leurs leçons qu’au dernier moment ; ils sont volontiers insubordonnés ; ils font des devoirs qui n’ont pas été donnés pour se singulariser (…) ». Pourtant, en France, ces questionnements resteront lettre morte jusqu’au début des années 70 puisqu’à cette époque, des membres de l’association MENSA25 organisés autour d’un jeune psychologue – Jean Charles Terrassier – décident de créer une structure équivalente spécifiquement dédiée aux enfants : l’Association Nationale Pour les Enfants Surdoués (ANPES). Leur but était de faire connaître davantage les caractéristiques de ces enfants que l’on appelait encore « surdoués ». Ils souhaitaient également que l’Éducation nationale prenne en compte leurs spécificités et mette en place des dispositifs différenciateurs afin de leur permettre d’exprimer plus aisément leur potentiel. Cet « effort pionnier de publicisation de la cause des surdoués », comme l’appelle Wifried Lignier26, a finalement réussi, après quelques années éprouvantes durant lesquelles se sont multipliées les réunions, conférences ou émissions radiophoniques, à lui conférer une première légitimité. Cela ne se fit pas sans heurt. Le terme « enfant surdoué » voulant traduire l’anglais « gifted children » provoqua de nombreux procès d’intention. Le journal Libération allant même jusqu’à parler d’un « élitisme dictatorial » et Le Monde d’une indécence à aider ceux qui ont déjà plus sans s’occuper d’abord de ceux qui n’ont pas ces avantages. En 1981, Jean Charles Terrassier publia un ouvrage27 – Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante – dans lequel il conceptualisa le syndrome de dyssynchronie28 qui serait renforcé – voire causé – par une école trop égalitariste. Il devenait ainsi plus facile de revenir dans le débat public en insistant sur la « responsabilité politique ». Cette dyssynchronie « trop embarrassante » permet à leur association – qui entre-temps est devenu l’ANPEIP (association nationale pour les enfants intellectuellement précoces) – de se détacher du discours élitiste et explique comment aider ces élèves-ci peut même relever du social. La définition de François Bloch-Lainé (1967), concernant le handicap, qui insiste sur les problèmes d’insertion peut dès lors correspondre à ces élèves à haut potentiel en échec scolaire. À la suite de ce repositionnement, l’Etat permettra la création de quelques expérimentations, mais ce n’est réellement qu’en 1998, que le ministre de l’Éducation nationale – Claude Allègre – déclara : « Dans le système français, vous savez qu’on élimine très rapidement les enfants surdoués… Je ne veux pas éliminer les enfants surdoués. Je pense qu’il faut aider tout le monde, c’est ça l’égalité des chances. » Jack Lang lui succéda et mit en place, une commission, présidée par l’Inspecteur d’académie Jean-Pierre Delaubier, dont l’objectif était de rassembler les informations disponibles sur ce sujet des enfants intellectuellement précoces et de proposer des aménagements possibles pour leur scolarité. En mars 2002, le rapport Delaubier consacre l’existence de ces élèves et émet neuf propositions pour leur prise en charge efficace. À partir de cette date, le Ministère de l’Éducation nationale multipliera les textes enjoignant aux enseignants de prendre davantage en considération leurs spécificités. Nous notons, par exemple, dans la circulaire de rentrée de 2002, la première référence aux EIP dans le paragraphe consacré à la prise en charge des élèves à besoins spécifiques. Il est préconisé aux professeurs d’« envisager diverses modalités permettant d’adapter leurs parcours scolaires à leurs rythmes d’apprentissage. »
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Table des matières
Introduction
Première partie Contexte de la recherche et apports théoriques
Les enfants à haut potentiel
Définitions et nomenclature
L’identification du haut potentiel
Un problème d’échantillonnage
Caractéristiques des enfants à haut potentiel
Un cerveau différent : laminaire ou complexe
Les besoins des EHP
L’enfant à haut potentiel : un élève à besoins éducatifs particuliers
La scolarité des élèves à haut potentiel
Historique de la scolarisation des élèves à haut potentiel
Le paradoxe des enfants doués : la sous-réalisation
Modes de scolarisation des enfants à haut potentiel
La pédagogie du contrat : vers une individualisation
Haut potentiel et créativité
Les outils numériques : une aide à la remédiation
L’écrit intermédiaire : un objet didactique
De quoi parle-t-on ?
Un outil métacognitif : Écrire pour penser et apprendre
Activités du scripteur
Écrire en collaboration
Indicateurs de l’activité réflexive dans les écrits intermédiaires
Problématique et hypothèses de recherche
Deuxième partie Cadre méthodologique
Présentation du projet de recherche
Origine du projet
Le corpus d’étude
Les élèves de l’étude
Présentation
Profil général des élèves
Construction des corpus d’écrits
Un écrit créatif
Un écrit réflexif
Les écrits intermédiaires
Matériel et procédures
L’Etherpad : un outil d’écriture collaborative
Mode d’emploi
Évolution des écrits et du chat
Méthode d’analyse des textes
Entretiens – Questionnaire
Avec la psychologue de l’éducation nationale
Avec la professeure de français
Avec les élèves
Troisième partie Résultats, analyses et commentaires
Analyse de l’écrit réflexif
Analyse de l’écrit créatif
Comparaison entre ces deux écrits sur le plan des compétences métalinguistiques
Comparaison entre ces deux écrits sur le plan des compétences sociales
Quatrième partie Discussions et limites de l’étude
Limites
Biais de constitution de la population d’étude
Les barrières (humaines ou techniques) à l’utilisation du numérique
Plus-values et limites de l’outil d’écriture collaborative (Etherpad)
Les difficultés inhérentes à l’apprentissage collaboratif en ligne
Quelques réponses
Conclusion
Bibliographie
Annexes.
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