Le traitement de l’erreur grammaticale
Cadre conceptuel
Dans ce chapitre, nous traitons des concepts et des théories sur lesquels nous nous sommes appuyée pour mener cette recherche. D’abord, nous définissons les concepts de grammaire et d’orthographe grammaticale. Ensuite, nous exposons les principales difficultés liées à l’apprentissage de cette orthographe et proposons une définition de la compétence en orthographe grammaticale. Puis, nous présentons des principes didactico-pédagogiques préconisés par des spécialistes, dont des didacticiens du français et des spécialistes en psychologie cognitive pour favoriser l’apprentissage de l’orthographe grammaticale. Nous terminons ce chapitre en définissant l’exercice. Les principes didactico-pédagogiques favorisant l’apprentissage de l’orthographe ainsi que la théorie sur l’exercice ont servi à l’élaboration d’une grille permettant d’analyser des exercices de grammaire, laquelle sera présentée dans le chapitre suivant (chapitre 3).
La grammaire
Le terme grammaire est un mot des plus polysémiques. De prime abord, selon Combettes et Lagarde (1982) et Riegel, Pellat et Rioul (1994), sept significations peuvent lui être attribuées. Premièrement, pour la majorité des gens, le mot grammaire renvoie à un livre qui regroupe les règles d’orthographe et de syntaxe. Deuxièmement, c’est une propriété de toute langue ; chaque langue possède une grammaire qui la distingue des autres langues. Troisièmement, le terme grammaire regroupe l’ensemble des règles régissant la langue (le système de la langue). Quatrièmement, il s’agit d’une matière d’enseignement (l’enseignement de la grammaire), mais aussi d’une activité scolaire (faire de la grammaire), ce qui constitue la cinquième signification. Sixièmement, le terme grammaire peut renvoyer à la grammaire intériorisée (ou implicite) qui correspond à l’ensemble des règles intériorisées par l’enfant au contact d’autres utilisateurs de la langue et qui lui permet de produire des phrases grammaticalement correctes sans même avoir étudié explicitement la grammaire. Enfin, septièmement, pour les scripteurs dont l’apprentissage de la langue est avancé11, il s’agit d’un outil scientifique d’analyse constituant une branche de la linguistique et permettant de décrire la langue et de la comprendre pour en faire un usage optimal12. Bien que ces sept définitions couvrent l’ensemble des significations du terme grammaire, elles ne sont pas suffisantes pour en exprimer toutes les nuances possibles. En effet, ces définitions ne permettent pas de distinguer les différents types de grammaire développés par les linguistes pour présenter la langue sous de nouveaux angles, permettant ainsi de mieux l’appréhender. Parmi les différents types de grammaire présentés par ces théories linguistiques, on peut notamment retrouver les grammaires descriptive, structurale, générative.
Dans le cadre de ce mémoire de maitrise, nous choisissons une acception du terme grammaire appliquée à la réalité de la classe de français du primaire et du secondaire. À la suite de Chartrand (1996, 2012 b), nous la définissons comme l’étude de l’ensemble des éléments normés et régulés de la langue. Ici, la norme correspond aux conventions sociales qui influencent la langue. On peut notamment penser à la primauté de la variété standard de la langue, ou encore, à la règle d’accord du participe passé qui, comme le mentionne Chartrand, « […] n’a de règle que le nom, car c’est en fait une norme arbitraire imposée par l’institution politique depuis le XVIe siècle. » (Chartrand, 2012 b, p. 49) Selon Riegel, Pellat, et Rioul (1994), les éléments normés et régulés de la langue peuvent être définis en fonction de cinq grands domaines de la description grammaticale : la composante phonologique (les 36 phonèmes [sons] de la langue française), la composante morphologique (les différentes formes du mot selon les morphèmes lexicaux et grammaticaux qui sont unis pour le former), la composante syntaxique (l’assemblage des unités de la langue [mot, groupe, phrase subordonnée, phrase] en phrases et en groupes selon les principes de construction grammaticale et les relations entre ces unités), la composante sémantique (le sens véhiculé par les formes linguistiques) et la composante pragmatique (l’efficacité en action des formes linguistiques produites). Ces sous-systèmes de la langue sont fortement interreliés. Ils se combinent pour donner naissance aux catégories grammaticales scolaires telles que l’adaptation à la situation de communication (sémantique, syntaxe et pragmatique), la cohérence du texte (sémantique, syntaxe, pragmatique et morphologie), le choix du vocabulaire (sémantique et pragmatique), la ponctuation et la syntaxe (ou construction des phrases) (syntaxe et sémantique), et l’orthographe lexicale (morphologie) et l’orthographe grammaticale (sémantique, morphologie et syntaxe) (MELS, 2015). Cette dernière catégorie — celle liée à l’orthographe grammaticale — est celle qui, comme mentionné dans la problématique, constitue l’un des plus grands défis pour les élèves.
La grammaire rénovée ou dite nouvelle
En ce qui concerne l’enseignement de la grammaire scolaire, on retrouve des courants didactiques de grammaire, soit celui de la grammaire traditionnelle et celui de la grammaire rénovée, laquelle est également nommée grammaire nouvelle (Nadeau & Fisher, 2006 ; MELS, 2006 ; MELS, 2011a; MELS, 2011b), grammaire pédagogique moderne (Boivin et Pinsonneault, 2008), grammaire actuelle (Thibeault, 2017). Dans le cadre de ce mémoire, nous utilisons l’appellation grammaire rénovée pour faire référence à ce courant didactique de grammaire, puisqu’il renvoie au courant de rénovation de la linguistique de la fin des années 1960. Cette grammaire est donc loin d’être « nouvelle ». Les courants didactiques de grammaire (celui dit « traditionnel » ou « classique » et celui de la grammaire rénovée ou dite « nouvelle ») sont élaborés sur la base de plusieurs théories linguistiques. C’est au courant didactique de la grammaire rénovée que nous nous intéressons, puisqu’il correspond aux prescriptions ministérielles actuelles pour l’enseignement du français au Québec.
Les particularités de la grammaire rénovée
Contrairement à la grammaire scolaire traditionnelle, la grammaire rénovée, telle qu’elle est décrite dans les prescriptions ministérielles québécoises, présente la langue comme un système organisé qu’on peut étudier et comprendre grâce à l’utilisation d’outils d’analyse comme les manipulations syntaxiques ou la phrase de base (aussi nommée modèle phrase P ou modèle de base) (Genevay, 1994 ; 1996 ; Chartrand, 1996 ; Campana et Castincaud, 1999 ; Nadeau & Fisher, 2006 ; Boivin, 2009 ; Chartrand, Lord et Lépine, 2016).
L’intégration de ces outils d’analyse dans l’appareil notionnel à enseigner nécessite certains changements dans les démarches d’enseignement de la grammaire. En fait, elle implique de développer la capacité de réflexion métalinguistique des élèves à travers des activités qui permettent de comprendre les structures de la langue et leur fonctionnement. Le but de cette grammaire rénovée ne consiste plus seulement à bien orthographier, mais à comprendre le fonctionnement du système de la langue et à développer des capacités d’analyse et de réflexion.
En plus des manipulations syntaxiques et du modèle phrase P, la grammaire rénovée fournit d’autres outils d’analyse, tels que des critères rigoureux de classement des catégories de mots et la notion de groupes de mots, qui permettent davantage de comprendre la structure hiérarchique des phrases à analyser et le principe de récursivité de certains groupes de mots dans la phrase. Revenons sur les critères de classement rigoureux pour identifier les différentes classes de mots, car il s’agit d’un changement important par rapport à la grammaire traditionnelle. L’utilisation de critères rigoureux pour classer les mots est essentielle, car pour réussir à bien orthographier les mots appartenant à des classes variables, il faut d’abord être en mesure d’identifier ces mots en contexte — et c’est souvent cette identification qui pose problème aux élèves (Nadeau, 1996). Pour chaque classe de mots, on demande maintenant de connaitre et de comprendre leurs caractéristiques sémantiques, morphologiques et syntaxiques. Comme le mentionne Chartrand, Lord et Lépine (2016), « ces critères doivent être utilisés conjointement. S’ils n’ont pas tous la même efficacité, pris ensemble, ils sont assez performants pour identifier les noms, les verbes, les adjectifs, les prépositions et les conjonctions » (Chartrand, Lord et Lépine, 2016, p. 31). De plus, les manipulations syntaxiques, telles que l’effacement, le remplacement, le déplacement, l’ajout, vont permettre aux élèves de tester les propriétés des différents mots de la langue et de confirmer la classe de ces mots analysés en contexte. Par exemple, pour identifier un déterminant, les élèves peuvent vérifier s’il peut être remplacé par un autre déterminant. Ils peuvent aussi vérifier leur hypothèse en essayant de le déplacer ou de l’effacer, ce qui sera impossible si le mot identifié est bien un déterminant. En plus de servir d’outils de validation, les manipulations syntaxiques « […] ouvrent la porte sur de véritables discussions grammaticales, alimentant d’autant plus une réflexion approfondie sur la langue grâce à la confrontation des points de vue entre pairs. » (Nadeau & Fisher, 2006, p. 95) Leur utilisation favoriserait donc le développement de la réflexion métalinguistique (Boivin, 2008) essentielle dans l’apprentissage de la grammaire (Lord et Élalouf, 2016) et le développement de la compétence orthographique (nous y reviendrons).
L’étude des groupes de mots, quant à elle, permet de comprendre les différents niveaux d’organisation de la phrase (Nadeau & Fisher, 2006), ce qui contribue à la réussite des accords grammaticaux. En effet, prenons la phrase suivante : Les chansons de cet artiste racontent de belles histoires. Si les élèves arrivent à repérer le groupe nominal de premier niveau ayant la fonction sujet et à comprendre que son noyau est le nom chansons (féminin, pluriel) : les chansons de cet artiste, ils pourront accorder le verbe correctement avec le nom noyau de ce groupe. Au contraire, s’ils n’arrivent pas à identifier le groupe nominal de premier niveau, ils pourraient être tentés d’accorder le verbe racontent avec le nom le plus près : artiste qui fait partie d’un groupe nominal de niveau inférieur dans la représentation schématique des constituants de la P. Ensuite, le modèle de phrase de base favorise aussi le développement de la conscience métalinguistique en donnant aux élèves un modèle sur lequel ils peuvent se baser pour analyser la quasi-totalité des phrases13.
L’introduction de nouveaux outils d’analyse amène donc une nouvelle finalité à l’enseignement de la grammaire : développer la capacité des élèves à réfléchir sur le fonctionnement de la langue. L’intégration de ces outils d’analyse (et la finalité qui en découle) implique également des changements du point de vue des démarches à mener en classe. Il faut maintenant dépasser la démarche dite traditionnelle ou classique qui consistait à donner une leçon de grammaire, à faire des exercices et des dictées traditionnelles, et à évaluer les connaissances des élèves. Ces démarches sont toujours possibles, mais il importe d’inclure des moments de recherche, d’observation, de manipulations, d’émission d’hypothèses, de classement… bref, des dispositifs qui amènent les élèves à s’investir dans des activités métalinguistiques (nous y reviendrons dans la section traitant des principes didactico-pédagogiques).
L’orthographe grammaticale
Si l’un des objectifs de la grammaire rénovée consiste à développer la capacité des élèves à réfléchir et à comprendre le fonctionnement de la langue, on s’attend des élèves, au terme de la scolarité obligatoire, qu’ils aient une très bonne compréhension des régularités du système des accords de l’orthographe — comme c’était le cas dans le courant didactique de grammaire traditionnelle. Puisque l’apprentissage de l’orthographe grammaticale prendrait une dizaine d’années (Brissaud, 2007), il serait donc réaliste de penser qu’un élève terminant sa 5e secondaire au Québec puisse accorder adéquatement les mots appartenant à des classes variables en contexte d’écriture. Toutefois, comme nous l’avons fait ressortir dans la problématique de ce mémoire, une bonne part d’élèves en 5e secondaire n’arrive pas à atteindre les objectifs fixés à ce propos, et ce, malgré le nombre d’heures passées à travailler sur ces contenus au primaire et au secondaire. C’est la raison pour laquelle nous nous intéressons particulièrement à cette composante de la grammaire (à son enseignement et à son apprentissage) dans ce mémoire. Afin de bien comprendre en quoi le développement de la compétence en orthographe grammaticale est complexe, il convient de définir brièvement ce qu’est l’orthographe et d’exposer les principales difficultés liées à son apprentissage.
L’orthographe française est un plurisystème à deux dimensions : phonographique et idéographique. Dans la composition des mots, en français, les lettres sont utilisées pour noter les sons, mais elles le sont aussi parfois pour noter une idée, par exemple, l’idée du pluriel noté par un – s dans le mot fleurs. Le fonctionnement de ces deux dimensions est régi par trois principes : le principe phonogrammique (les graphèmes servent à noter les phonèmes), le principe morphogrammique (les graphèmes servent à noter des informations grammaticales et parfois lexicales [information sur la forme fléchie d’un mot, par exemple, grand pour grande]) et le principe logogrammique (le choix des graphèmes pour noter les phonèmes donne naissance à des mots différents, par exemple, soie et soit) (Angoujard, 2007 ; Catach, Duprez, & Legris, 1980). Lorsqu’on parle d’orthographe grammaticale, on fait principalement appel au principe morphogrammique, car l’orthographe grammaticale est la graphie correcte selon les règles grammaticales d’accord. Ainsi, les mots sont marqués par la présence ou l’absence de graphèmes grammaticaux. Bien que cela puisse sembler simple au premier abord, le choix de mettre ou non une marque ainsi que le choix de cette marque font naitre plusieurs difficultés relatives à l’apprentissage de l’orthographe grammaticale.
Les difficultés liées à l’apprentissage de l’orthographe grammaticale
L’orthographe française figure parmi les systèmes orthographiques les plus complexes à apprendre (Legros et Moreau, 2012). Il n’est donc pas étonnant de constater qu’elle constitue l’une des plus grandes sources de difficulté des élèves francophones québécois (Bibeau et coll., 1987 ; Bureau, 1985 ; Chartrand & Lord, 2010a ; Larose, 2001 ; MELS, 2009 ; MELS, 2015), tout comme c’est le cas ailleurs dans la francophonie (Manesse et Cogis, 2007 ; Rocher, 2008). Cette complexité du système orthographique du français s’explique notamment par les principes phonogrammique, morphogrammique et logogrammique sur lesquels repose le système. Ces principes doivent faire l’objet d’un enseignement rigoureux et explicite à l’école primaire et secondaire. Les principes morphogrammique et logogrammique ne sont pas « naturels » pour les jeunes élèves qui voient l’écrit comme une simple transcription de l’oral. Comme l’observent Ducard et coll., « [l]a connaissance d’un mot oral fournit un point de départ à l’écriture, par les références sémantiques et sonores qu’elle propose, mais elle ne résout en rien les problèmes de mise en forme graphique. » (Ducard et coll., 1995, p. 114). C’est pourquoi il est important de bien faire distinguer l’oral de l’écrit lors de l’apprentissage de l’orthographe (lexicale et grammaticale). En partant de l’oral, il faut faire observer les différences entre la forme orale et écrite des mots pour que les élèves comprennent pourquoi ils ne peuvent pas toujours se référer à l’oral. Les élèves doivent réaliser que « […] la plupart du temps, les marques du pluriel des noms ou des verbes n’ont pas de correspondants phonologiques » (Fayol, 2008, p. 155), et que même si elles en ont un, les marques du pluriel peuvent aussi se transcrire de plusieurs façons. Ils doivent donc constater que le recours à l’oral n’est pas toujours suffisant.
Dans le milieu scolaire, il ne sera pas question des principes mentionnés ci-dessus, lesquels renvoient à la théorie linguistique. Il sera plutôt enseigné que la graphie d’un mot peut être correcte en fonction de deux critères qui englobent les principes phonogrammique, morphogrammique et logogrammique : le critère lexical et le critère grammatical. Le premier renvoie à ce que l’on nomme orthographe lexicale, correspondant à la forme du mot tel qu’on peut la retrouver dans le dictionnaire. Le second renvoie à l’orthographe grammaticale, c’est-à-dire à la modification de la forme de base du mot en fonction des règles grammaticales et des normes langagières. L’orthographe lexicale et l’orthographe grammaticale ne sont cependant pas logées à la même enseigne. La première repose notamment sur la mémoire en relation avec le vocabulaire et les connaissances sur le monde. La seconde implique la réflexion et une capacité de mise à distance par rapport à son propre langage à l’aide d’outils pour l’analyse grammaticale (Cogis, Brissaud, Fisher et Nadeau, 2016).
La haute capacité d’abstraction requise pour accorder correctement les mots expliquerait pourquoi l’orthographe grammaticale constitue une source de difficulté importante des élèves en français écrit. De fait, la complexité du système orthographique du français exige des élèves qu’ils fassent une analyse grammaticale constante de ce qu’ils écrivent afin de bien réussir les accords, qui sont la plupart du temps inaudibles (Brissaud & Bessonnat, 2001 ; Manesse & Cogis, 2007). Puisque l’utilisation des marques morphographiques est régulée par l’environnement (la phrase, le texte) dans lequel le mot se trouve, les élèves doivent constamment s’interroger sur leurs choix. Pour être en mesure d’analyser leurs choix, les élèves doivent d’abord posséder un important inventaire de connaissances grammaticales. Il faut qu’ils connaissent les principales règles d’accord et qu’ils soient être en mesure de reconnaitre à quelle classe le mot à accorder appartient. Pour cela, ils doivent connaitre les caractéristiques propres à chaque classe (sémantique, morphologique et syntaxique). Une fois sa catégorie grammaticale identifiée, les élèves doivent connaitre les marques graphiques propres à la classe de mots auquel le mot appartient (Manesse & Cogis, 2007). Autrement dit, ils doivent savoir si le mot en question varie en genre, en nombre, en personne. Par exemple, dans un texte, les élèves doivent être capables de repérer le mot dans le groupe verbal ou nominal, d’identifier sa classe, de voir les relations syntaxiques qui unissent ce mot à d’autres unités (mots, groupes, phrases subordonnées et phrases) et finalement de choisir la graphie correcte. S’ils considèrent qu’ils doivent ajouter une marque grammaticale de nombre, par exemple, ils devront déterminer si ce mot se met au pluriel par adjonction (ajout d’un – s ou d’un
–x) ou par amalgame (modification de la forme du mot), et la forme qu’il doit prendre. Dans ce deuxième cas, le lexème et le morphème sont plus difficiles à identifier, particulièrement avec les verbes. Par exemple, dans sont, on distingue mal le lexème et le morphème, c’est-à-dire la base lexicale (ou racine) et la marque grammaticale (Ducard et coll., 1995), ce qui veut dire que les élèves ne pourront pas simplement extraire la racine du mot et lui apposer un morphogramme du pluriel. Ils devront utiliser des ouvrages de référence et se servir de leur mémoire pour emmagasiner les différentes formes des mots qu’ils utilisent le plus souvent.
Certains accords seront maitrisés avant d’autres, et selon le contexte dans lequel sont placés les mots, ce sera plus ou moins difficile pour les élèves de faire les accords nécessaires. En plus du contexte, Cogis (2005) relève plusieurs facteurs qui vont influencer la complexité de la tâche orthographique, dont l’audibilité des marques d’accord, la longueur de la chaine d’accord, la position relative des unités, la présence de rupteurs et leurs caractéristiques, la présence de mots déclencheurs d’accord (Cogis, 2005, 2016).
L’audibilité des marques d’accord va influencer la complexité du travail d’accord. Le travail d’accord sera plus facile s’il est possible d’entendre la présence du morphogramme et il sera plus ardu si ce n’est pas le cas. Par exemple, si les élèves veulent accorder l’adjectif oraux dans la phrase Des exposés oraux occupent une grande partie du cours, ils n’auront pas de difficulté à le faire, car on entend très bien la différence, tandis que s’ils veulent accorder le verbe occupent, ils auront plus de difficulté s’ils se basent sur l’oral, car la différence n’y est pas audible entre le pluriel et le singulier.
La longueur de la chaine d’accord va également influencer la complexité des accords à réaliser. Dans une longue chaine comme le petit garçon aux grands pieds chaussés de pantoufles bordeaux, les accords seront plus difficiles à réaliser que dans une courte chaine comme le petit garçon.
La position des unités va aussi avoir une influence sur la complexité : si le sujet n’est pas placé en début de phrase, l’accord sera plus complexe. Ainsi, dans la phrase Rares sont ceux qui sont venus me voir, les accords sont plus difficiles à réussir que dans la phrase Ceux qui sont venus me voir sont rares.
La présence de « rupteurs » va aussi influencer la complexité du travail d’accord, car, s’ils sont voisins, les mots sont relativement faciles à accorder, mais s’il y a présence de mots « écrans » qui séparent le sujet du prédicat, par exemple, le pronom les dans la phrase Je les range dans la bibliothèque, cela vient complexifier la tâche des élèves. En effet, un élève pourrait avoir tendance à accorder le verbe avec le pronom qui le précède, soit les (qui reprend un nom pluriel), car il est un déclencheur d’accord pour lui14. Par déclencheur d’accord, nous entendons des pronoms et des déterminants, dont le nombre et la personne (seulement pour les pronoms) vont influencer la réflexion des élèves menant à l’accord. La présence de déclencheur d’accord va parfois complexifier le travail menant à l’accord tel que nous venons de le voir, mais, souvent, elle va plutôt le simplifier. Par exemple, lorsqu’une phrase commence par des, les élèves savent que le mot suivant devra être au pluriel, que son morphogramme grammatical se traduise ou non par l’ajout ou la modification d’un phonème dans sa prononciation.
Tous ces facteurs nous permettent de comprendre que « […] les erreurs commises ne dépendent pas seulement des savoirs dont on dispose ; elles sont également déterminées par le niveau d’exigence des tâches » (Ducard, Honvault, & Jaffré, 1995, p. 101). Il y a donc un immense travail d’apprentissage de la part des élèves qui doit être fait pour qu’ils puissent réussir les accords dans la plupart des situations.
Dans la Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Chartrand, Aubin, Blain, & Simard (2011) proposent un regroupement des notions et règles qui permettent de mettre l’accent sur les régularités de la langue et ainsi de simplifier l’apprentissage de ces règles d’accord. D’abord, une notion importante est celle de classes de mots invariables et de classes de mots variables, car si les élèves savent qu’un mot est invariable, ils ne chercheront pas à l’accorder. Ensuite, les notions de donneur (classe variable qui donne ses traits grammaticaux) et de receveur (classe variable qui reçoit les traits grammaticaux d’un donneur) vont permettre aux élèves de mieux comprendre les relations syntaxiques qui unissent les mots, ce qui va leur permettre d’appliquer les règles d’accord correctement. Les auteurs présentent trois règles générales d’accord qui couvrent une très grande majorité des accords que les élèves seront amenés à réaliser au cours de leur parcours scolaire : les accords dans le groupe du nom, les accords régis par le sujet et les accords régis par le complément direct du verbe. Bien qu’une telle présentation de ces notions et de ces règles puisse grandement simplifier l’apprentissage de l’orthographe grammaticale, l’acquisition de celles-ci demeure complexe. Rappelons que développer sa compétence en orthographe grammaticale prendrait plusieurs années selon des spécialistes (Brissaud, 2007 ; Cogis, 2005). Nous terminons cette section en présentant une définition de cette compétence si complexe à développer.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Problématique
1.1. Des résultats inquiétants en orthographe grammaticale
1.1.1. L’enquête de Conrad Bureau (1975)
1.1.2. Les résultats aux premières épreuves de fin de cycle de 1986 : l’avis au ministre de l’Éducation intitulé La qualité du français à l’école : une responsabilité partagée (1987
1.1.3. L’enquête de Bibeau et coll. sur les perceptions et les attentes par rapport à l’enseignement du français au Québec (1987)
1.1.4. L’enquête du groupe DIEPE (1995)
1.1.5. Le rapport Larose (2001)
1.1.6. L’enquête ÉLEF (2008)
1.1.7. Le Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire (2008) et son premier rapport d’évaluation (2010)
1.1.8. Le deuxième rapport d’évaluation du Plan d’action pour l’amélioration du français à l’enseignement primaire et secondaire (2012)
1.1.9. Le projet ERES (2014)
1.2. Les résultats provinciaux à l’épreuve unique de 5e secondaire depuis 2009
1.3. Les causes pouvant expliquer le problème
1.3.1. La surcharge cognitive liée à la production écrite
1.3.2. Le manque de distanciation par rapport au texte dû à la succession rapide des étapes de la production écrite
1.3.3. Le traitement de l’erreur grammaticale
1.3.4. L’ignorance du rapport à la langue des élèves et de l’enseignant
1.3.5. Le manque d’occasion d’écrire pour s’améliorer
1.3.7. La pertinence des exercices proposés : une voie à explorer
1.4. Notre projet de recherche
Chapitre 2 : Cadre conceptuel
2.1. La grammaire
2.1.1. La grammaire rénovée ou dite nouvelle
2.1.2. Les particularités de la grammaire rénovée
2.2. L’orthographe grammaticale
2.2.1. Les difficultés liées à l’apprentissage de l’orthographe grammaticale
2.2.2. La compétence en orthographe grammaticale
2.3. Enseigner selon des principes didactiques et pédagogiques pour faire apprendre l’orthographe grammaticale
2.3.1. Premier principe : Tenir compte des conceptions des élèves
2.3.2. Deuxième principe : Utiliser une métalangue constante et cohérente
2.3.3. Troisième principe : Offrir des activités qui engagent intellectuellement les élèves
2.3.4. Quatrième principe : Proposer des activités et des exercices de grammaire qui se rapprochent de la situation de production écrite : la question du transfert
2.4. Les exercices de grammaire
2.4.1. Les rôles des exercices dans l’apprentissage
2.4.2. La composition générale des exercices
2.4.3. Les différents types d’exercices
Chapitre 3 : Méthodologie
3.1. Type de recherche et objectifs retenus
3.2. Étapes de notre démarche
3.2.1. La constitution du corpus
3.2.2. L’élaboration d’une grille d’analyse et l’analyse des données
Chapitre 4 : Analyse et interprétation
4.1 Présentation du cahier du primaire : Les trésors de la grammaire, 2e année du troisième cycle du primaire
4.2. Présentation du cahier du primaire : Matière première, 1re année du premier cycle du secondaire
4.3. Traitement des classes de mots variables dans les cahiers du primaire et du secondaire
4.3.1. Traitement des classes de mots variables dans le cahier du primaire
4.3.2. Bilan du traitement des classes de mots variables dans le cahier du primaire et réponse à nos questions de recherche
4.3.3. Traitement des classes de mots variables dans le cahier du secondaire
4.3.4. Bilan du traitement des classes de mots variables dans le cahier du secondaire et réponse à nos questions de recherche
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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