La gale sarcoptique est une maladie parasitaire autrefois confinée aux pays peu développés ou apparaissant dans les pays développés lors de grands bouleversements sociaux (guerre, exode, famine). Elle est paradoxalement redevenue une maladie courante de l’homme civilisé. Il nous a paru intéressant, devant la recrudescence ces dernières années de cette parasitose, qui fut autrefois un fléau quotidien, de revenir sur les traitements de la gale depuis plus de deux mille ans. Si la connaissance correcte de la maladie remonte au Moyen-Âge et la description précise du parasite au XVIIème siècle, il faudra attendre 1834 pour que le sarcopte soit « redécouvert » en France et la fin du XIXème siècle pour que l’origine parasitaire de la gale soit acceptée unanimement.
Le traitement de la gale prit un tournant majeur après la découverte de sa cause, le sarcopte, comme le résume en 1865, Claude Bernard: « la gale est une maladie dont la cause réelle est aujourd’hui bien déterminée et la découverte de sa cause est une conquête de la science moderne. Avant d’en arriver là, on connaissait son évolution et sa contagiosité mais on imaginait comme cause un vice herpétique ou l’altération des humeurs. En un mot, on créait une entité morbide, à laquelle on rattachait tous les phénomènes observés. Quant au traitement de la gale, il était et devait être absolument empirique, puisqu’il s’adressait à une cause imaginaire et inconnue. On avait été conduit tout naturellement à employer diverses pommades comme moyen topique. On soutenait qu’elles agissaient plus ou moins efficacement les unes que les autres, mais sans pouvoir s’en rendre compte. Chacun, médecin ou non, préconisait sa pommade comme la meilleure. Je me souviens d’avoir connu, dans les campagnes que j’habitais étant enfant, des paysans qui avaient le secret de composer des pommades soi-disant merveilleuses contre la gale. On pouvait alors faire de la statistique sur la guérison de la gale, soutenir que tel traitement ou tel médicament topique guérissait un nombre de malades, sur cent, plus considérable que tel autre. Enfin on raisonnait dans ce temps-là sur la gale comme nous raisonnons encore maintenant sur les maladies dont nous ne connaissons pas expérimentalement la cause. Mais quand la cause vraie de la gale a été découverte, on a reconnu qu’elle résidait dans un acarus, qu’il élisait domicile sous l’épiderme humain, y creusait ses terriers, y vivait, y pullulait et causait par sa présence l’irritation de la couche épidermique de la peau, et tous les symptômes extérieurs de la gale. On a étudié les mœurs de cet acarus, ses habitudes, sa manière de vivre et on a expérimenté des agents capables de lui donner la mort. Après ces études, tout s’est expliqué clairement, et on est devenu maître de la maladie en se rendant maître de sa cause. Depuis ce temps, il n’y a plus d’hypothèse à faire sur la cause occulte de la gale, il n’y a plus de statistique à dresser sur la valeur comparative de ses traitements empiriques.
Le traitement de la gale en Chine (Hoeppli & Hung-Chiang, 1942 ; Dujardin, 1947 ; Wong & Huard, 1958 ; Wong & Ming, 1970)
La gale fût probablement décrite pour la première fois dans un texte médical chinois dénommé « kiai » ou « sien » dans la partie Su-Wen du Huangdi Nei Jing, écrit au XXVIIIème siècle avant Jésus-Christ : « Quand on gratte, l’épiderme s’enlève et il en sort du sang et de l’eau qui, en se cristallisant, produisent des croûtes sèches. Ces croûtes contiennent des animalcules. Il est même possible de les pêcher avec une épingle… » .
Puis la gale fût étudiée à l’époque des dynasties des TANG (618-905 ap. J.C.) et des MING (1368-1643 ap. J.C.). La gale était due :
– soit au déséquilibre du Ying et du Yang,
– soit au déséquilibre de l’humidité,
– soit au mauvais vent, qui, à la faveur d’un décollement dermo-épidermique, vient se loger dans la deuxième peau,
– soit à un régime inadapté, à la constipation ou à la diarrhée.
Les médecins chinois distinguaient deux types de gale :
– Kiai qui provient de la chaleur et de l’humidité de la rate.
– Sien causée par les vents empoisonnés qui pénètrent dans les poumons.
Les Chinois ne considéraient pas le sarcopte comme la cause de la maladie, donc ils confondaient la gale avec de nombreuses maladies cutanées. Ils connaissaient la gale par ses manifestations pathologiques, par son caractère contagieux et par la présence d’un « insecte » qu’ils savaient retirer de la peau. Ces observations les amenèrent à dispenser de nombreux traitements à double effet thérapeutique :
– La correction du trouble interne, cause de la maladie, qu’ils attribuaient aux vents chauds accumulés dans les poumons et à une mauvaise circulation du sang, du cœur.
– La destruction du parasite.
Traitements
Les Chinois employaient le soufre, l’arsenic et le mercure qui furent utilisés également au Japon, en Egypte, en Grèce et à Rome, pour traiter la gale et d’autres affections cutanées. Le livre « Evolution de la matière médicale chinoise » (Wong & Huard, Evolution de la matiere medicale chinoise, 1958) nous donne de belles recettes pour le traitement externe de la gale : WANG cita le remède classique contre la gale (kiai sien) : la décoction de Stemona tuberosa, Lour. (Pai pou) : plante herbacée volubile ayant une action anthelminthique dont l’efficacité fût vérifiée par WANG (Wang, 1938) et CHOA. On employait également l’Arisaema Thunbergii, Bl. (T’ien nan sing) et la racine de Rosa multiflora, Th. (Tsiang wei ken). SOUEN Sseu-mo (601-682) disait dans ses Ts’ien kin fang (Mille recettes de Grand Prix) que cette racine était un remède divin (chen yo). Elle était aussi utilisée contre les furoncles, les anthrax et les ulcères.
LI CHE TCHEN (1518-1593), grand pharmacologue chinois, cita d’autres remèdes utilisés par les anciens pour combattre la gale :
– Hibiscus sinensis, L. (Mou kin) : les pustules de la gale étaient provoquées par un insecte (l’acare) et on employait l’écorce de Mou kin (de préférence celle de la racine) avec de l’eau savonneuse pour s’en frotter constamment. Mieux encore, on utilisait le jus sous forme de massages avec du realgar ou Hiong houang.
– Racine de Lang-tang qui provenait certainement de la jusquiame (Hyoscyamus niger).
– La famille des orchidées (Pai-ki).
– L’huile de chaulmoogra (Hydnocarpus anthelmintica Pierre) ou Ta-fong-Tseu : Mélanger 1 once de cette huile avec 3 onces de Sophora flavescens Ait (K’ou chen). Il recommandait d’en faire une pâte avec un peu de vin. On obtenait ainsi des grosses pilules. La dose préconisée contre « les atteintes des vents », telle que la gale était de 50 pilules prises avec du vin chaud avant chaque repas.
Les remèdes préconisés se retrouvaient dans les anciennes pharmacopées : le mercure (chouei yin), le wou pei tseu et la cantharide (Pan mao). Etaient préconisés : le tch’ouan wou (Aconitum autumnale, Lindl.), Hiang pai tche (Angelica anomala, Pall.), le scorpion (Tsiuan hie) et le tégument de nymphe de cigale (Chan t’ouo ou Pellis cicadae). A ces 4 ingrédients, le jus naturel de la racine de Yang t’i (Rumex crispus, L.) était ajouté et on obtenait ainsi une masse pilulaire grosse comme le fruit du Wou t’ong (Sterculia platanifolia), l’arbre chinois par excellence, et sur lequel le phœnix daignait se poser. La dose thérapeutique représentait 20 pilules à prendre avec une tasse de vin chaud. Après avoir pénétré dans la salle de bain et retiré ses vêtements il fallait prendre une tasse de jus de Yang t’i (Rumex crispus) avec lequel se lotionner. Ce lavage permettait de sécher la sueur et de faire disparaître la gale.
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Table des matières
INTRODUCTION
I- Le traitement de la gale en Chine
II- Le traitement de la gale dans l’Antiquité
II-1 Les Egyptiens
II-2 Les Hébreux
II-3 Les Grecs
II-4 Les Romains
II-5 Les Arabes
III-Le traitement de la gale du Moyen Âge au XVIIIème siècle
III-1 Moyen Âge (VIème au XVème siècle)
III-2 Renaissance (XVIème siècle)
III-3 Epoque classique (XVIIème siècle)
III-4 Epoque des lumières (XVIIIème siècle)
IV-Le traitement de la gale au XIXème siècle
IV-1 Thérapeutique par les plantes
IV-1-A Les plantes en nature
IV-1-A-1 Dentelaire Plumbago europeae L. (Plombaginacées)
IV-1-A-2 Herbe aux gueux Clematis vitalba L. (RENONCULACEES)
IV-1-A-3 Staphisaigre Delphinium (RENONCULACEES)
IV-1-A-4 Tabac Nicotiana tabacum L. (Solanacées)
IV-1-A-5 Cévadille ou Sébadille Schoenocaulon officinalis
IV-1-A-6 Scabieuse Scabiosa succisa (Dipsacées)
IV-1-A-7 Renoncules :Bouton d’or Ranunculus acris L., Renoncule des jardins R.asiaticus L
IV-1-A-8 Phytolaque Phytolacca decandra L. (Phytolacées)
IV-1-A-9 Herbe de la rue : Rue fétide Ruta graveolens L. (Rutacées)
IV-1-A-10 Sabine Juniperus sabina L. (Conifères-Cupressinées)
IV-1-A-11 Sarriette Saturcia hortensis L. (Labiées-Saturéiées)
IV-1-A-12 Sauge Salvia officinalis L.(Labiées-Salviées)
IV-1-A-13 Varaire blanc Veratrum album L. (Melanthacées-Vératrées)
IV-1-A-14 Scrophulaire Scophularia aquatica L. (Personées-Scrofulariées)
IV-1-A-15 Pongamie Pongamia glabra L. (Légumineuses-Papilionacées-Dalbergiées)
IV-1-A-16 Tragia Tragia cannabina L. (Euphorbiacées-Jatrophées)
IV-1-A-17 Trichilia Trichilia trifoliata L. (Méliacées-Trichiliées)
IV-1-A-18 Passerage Lepidium latifolium L. (Crucifères-Lépidinées)
IV-1-A-19 Patience Rumex patientia L. (Polygonées)
IV-1-A-20 Pulsatille Pulsatilla vulgaris Mill. (Renonculacées-Anémonées)
IV-1-A-21 Thym Thymus vulgaris L. (Labiées-Saturéiées)
IV-1-A-22 Xanthie Xanthium strumarium L. (Ambrosiacées)
IV-1-A-23 Chélidoine Chelidonium majus L. (Papaveracées)
IV-1-A-24 Douce-amère Solanum dulcamara L. (Solanacées)
IV-1-A-25 Fumeterre Fumaria officinalis L. (Papaveracées)
IV-1-A-26 Menthe Mentha arvensis L. (Lamiacées)
IV-1-A-27 Aconit napel Aconitum napellus L. (Renonculacées)
IV-1-A-28 Aunée Inula helenium L. (Astéracées)
IV-1-A-29 Azedarach ou lilas de Perse Melia azedarach L. (Méliacées)
IV-1-A-30 Cresson Nasturtium officinale L. (Brassicacées)
IV-1-A-31 Eupatoire Eupatorium cannabinum L. (Astéracées)
IV-1-A-32 Euphorbe Euphorbia lathyris L (Euphorbiacées)
IV-1-A-33 Fève de saint ignace
IV-1-A-34 Chèvre-feuille Lonicera caprifolium L. (Caprifoliacées)
IV-1-A-35 Ellébore blanc Veratrum album L. (Colchicacées)
IV-1-A-36 Aune Aunus nigra baccifera
IV-1-B Les essences végétales
IV-1-B-1 Huile térebenthinée
IV-1-B-2 Huile de Cade
IV-1-B-3- Le styrax liquide
IV-1-B-4 Le Baume du Pérou
IV-1-B-5 Les Essences de Labiées
IV-1-B-6 Les Pyréthrines
IV-1-C Le camphre
IV-2 Thérapeutique par les minéraux
IV-2-A L’arsenic
IV-2-B Le mercure
IV-2-C Le soufre
IV-2-C -1 Le soufre en nature
IV-2-C-1-1 Présentation des différentes formes de ce soufre
IV-2-C-1-2 La Fumigation
IV-2-C-1-3 La Frotte
IV-2-C-1-3-1 Technique Générale de la Frotte
IV-2-C-1-3-2 Différentes pommades utilisées pour la technique de la frotte
IV-2-C-2 Les Composés du Soufre
IV-2-C-2-1- Les composés non oxygénés
IV-2-C-2-1-1- Les POLYSULFURES
IV-2-C-2-1-1-1- Méthode d’EHLERS
IV-2-C-2-1-1-2 Méthode de MILIAN
IV-2-C-2-1-2 Les SULFURES
IV-2-C-2-2 Les composés oxygénés
IV-2-C-2-2-1 L’acide sulfurique
IV-2-C-2-2-2 L’anhydride sulfureux
IV-2-C-2-2-3 L’hyposulfite de soude
IV-3 Thérapeutique par les substances organiques : Les hydrocarbures
IV-3-A Le pétrole
IV-3-B Les dérivés des goudrons de houille
IV-3-B-1 Le Benzène
IV-3-B-2 Le β naphtol
IV-3-B-3 La Créoline
IV-3-B-4-Les Huiles de débenzolage
IV-3-B-5 Le Benzoate de Benzyle
V les traitements abandonnés du XXème siècle
V-1 Le D.D.T.= Clofenotane : BENZOCHLORYL®lotion à 6% (1946-1995)
V-2 Le Lindane ( Hexachlorocyclohexane = H.C.H.) au XXème siècle
V-3 Le Thiabendazole : MINTEZOL® (1977-2001)
V-4 Le Flubendazole : FLUVERMAL®(1980-aujourd’hui)
V-5 Traitements des cas particuliers de gale
V-5-A La gale surinfectée impétiginisée
V-5-B La gale eczematisée
V-5-C La gale du nourrisson et de l’enfant
V-5-D La gale Norvégienne
V-6 La Désinfection de l’environnement
VI Les traitements actuels de la gale
CONCLUSION