Le train des régions

Le 15 octobre 2003, un article du Monde titrait : « La régionalisation a enrayé le déclin du transport ferroviaire ». Le constat est significatif lorsque que l’on sait dans quelle situation se trouvait le transport ferroviaire régional jusque dans les années 1990 : matériel roulant hors d’âge, faibles fréquences, manque de cohérence des horaires, mauvaise information de l’usager, etc. Récemment, on pouvait même lire dans un journal britannique un article intitulé : « The age of the train returns to French provinces » (The Guardian, 23 août 2008). La France serait donc entrée dans un « nouvel âge ferroviaire », non pas, comme l’on pouvait s’y attendre, grâce à la technologie de pointe du TGV, mais grâce au renouveau des dessertes de proximité. Ce renouveau a été rendu possible par le processus de régionalisation. Alors que le transport ferroviaire régional est longtemps resté du ressort de la SNCF, son organisation a été transférée aux Régions en plusieurs étapes. Mais si la régionalisation des transports collectifs a fait l’objet de quelques articles dans la presse, elle est restée pour l’essentiel une réforme « silencieuse ».

À partir du milieu des années 1960 s’ouvrit une phase de déclin du trafic ferroviaire régional due notamment aux progrès de la motorisation. Dans les années 1970, plusieurs tentatives eurent lieu pour inciter les Régions à s’impliquer dans la gestion (du déclin) des omnibus , sans véritable succès. Après la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) de 1982, les conseils régionaux étaient consultés sur les fermetures et les ouvertures de lignes, ainsi que sur la consistance générale du service. Ils pouvaient demander des modifications de dessertes ou des acquisitions de matériels, à condition d’en supporter les conséquences financières. Le concept TER (transport express régional) fut lancé par la SNCF en 1987 et remplaça le terme connoté négativement d’ « omnibus ». Cependant, au début des années 1990, le transport ferroviaire régional et, plus généralement, la SNCF traversa une importante crise financière. Une commission sénatoriale dirigée par Hubert Haenel, également premier vice-président de la Région Alsace, proposa alors de relancer le processus de régionalisation et de faire des Régions de véritables autorités organisatrices (AO). Cette proposition fut reprise et une expérimentation fut lancée à partir de 1997 dans plusieurs régions volontaires . Devant le bilan positif de l’expérimentation, la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) de 2000 étendit le dispositif à l’ensemble des régions de métropole, hors Île-de-France et Corse. Depuis 2002, les conseils régionaux sont ainsi responsables des dessertes, de la tarification, de la qualité de service et de l’information des usagers pour les liaisons ferroviaires d’intérêt régional et les liaisons routières effectuées en substitution . La loi réaffirme en même temps le monopole de la SNCF pour ce type de dessertes.

Le processus de régionalisation a ainsi permis de redynamiser un transport régional de voyageurs en déclin quasi-continu depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. L’offre a été augmentée, le matériel roulant a été renouvelé, des tarifications ont été proposées aux étudiants, aux travailleurs et aux personnes en difficulté sociale, l’information à l’usager a été améliorée. Les transports collectifs constituent un poste budgétaire majeur pour les Régions (le premier ou le deuxième, généralement). Le budget cumulé des conseils régionaux lié à la régionalisation des transports collectifs (qui ne recouvre pas l’ensemble de leurs actions conduites dans le domaine des transports) est de l’ordre de 3,3 milliards d’euros (hors gares et infrastructures ferroviaires) . Le TER représente plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires à la SNCF. L’enjeu n’est donc pas marginal en termes financiers. Il n’est pas marginal, non plus, en termes de régulation sociale. Le TER transporte en effet chaque jour 700 000 personnes .

La régionalisation des transports collectifs dans quelques pays européens

La régionalisation ferroviaire est un processus commun à beaucoup de pays, au point que certains auteurs en parlent comme d’un « phénomène mondial » (Batisse, 2001). Les formules retenues par les États européens sont variées. Cette diversité renvoie à des histoires particulières, à l’organisation des transports ferroviaires, à l’architecture politicoadministrative et aux stratégies des opérateurs et des États. En Allemagne, il existait avant 1994 deux organismes nationaux : la Deutsche Bundesbahn (DB), la compagnie de l’ex-Allemagne de l’Ouest, et la Deutsche Reichsbahn (DR), la compagnie de l’ex-Allemagne de l’Est, chacune opérant sur son territoire. Avec la réunification, une réforme de fond a été initiée (Guihéry, Perez, 1998). Ces deux organismes ont été regroupés dans la Deutsche Bahn Aktiengesellschaft (DB AG), société anonyme à capitaux entièrement publics. En 1997, les services régionaux de voyageurs, définis comme les trajets de moins de 50 km et/ou de moins d’une heure, ont été régionalisés. Ce sont désormais les Länder qui fixent le niveau de service et concluent un contrat avec un opérateur qui peut ne pas être DB Regio (la filiale de la DB en charge du transport régional). Au début de la régionalisation, les Länder ont été prudents. Mais de plus en plus de services sont confiés à des opérateurs privés ou à des consortiums regroupant la DB et des compagnies privées. La régionalisation a entraîné la création de deux organismes. Le premier, EBA (Eisenbahnbundesamt), est chargé d’assurer le respect des règles de la concurrence et d’accès au réseau et de vérifier la conformité aux règles de sécurité. Le second, BEV (Bundeseisenbahnvermögen), est chargé de la gestion du personnel DB à statut et de prendre en charge la dette historique de la DB. L’organisme responsable des infrastructures est une filiale directe de l’opérateur historique : DB Netz. Au Royaume-Uni, la régionalisation a eu lieu dans une perspective de libéralisation. L’infrastructure et l’exploitation ont été séparées et confiées toutes deux à des entités privées. Les services ont été attribués à 25 compagnies, les Train Operating Companies (TOCs), sous forme de concessions de sept à quinze ans. Des organismes de régulation ont été mis en place. Le matériel roulant est loué par trois compagnies privées (ayant repris les matériels de la British Railways). Suite à d’importants problèmes de gestion de l’infrastructure et de sécurité, un débat a été engagé. Il a conduit à la « renationalisation » de fait de Railtrack, le gestionnaire privé de l’infrastructure, qui s’appelle désormais Network rail. La régulation du secteur (y compris la détermination des sommes allouées à l’infrastructure par périodes de cinq ans) est du ressort de l’Office for Rail Regulation (Harman, L’Hostis, Menerault, 2007). En Italie, les Ferrovie dello Stato (FS) sont transformées en 1992 en société anonyme à capital public. Si l’État reste propriétaire du groupe FS, la holding contrôle plusieurs filiales dont une pour des activités de transport de voyageurs et de marchandises, Trenitalia, et une pour la gestion de l’infrastructure, RFI (Rete ferroviaria italiana). En plus des FS, des entreprises régionales offrent des services. Ces entreprises exploitent majoritairement le trafic de banlieue autour des grandes villes. À travers une réforme qui a concerné à la fois le transport public urbain et le transport ferroviaire régional et local, des compétences ont été transférées du niveau national au niveau régional et local et des procédures d’appels d’offre ont été introduites pour le choix du fournisseur. Toutefois, la libéralisation n’a produit, dans un premier temps, que des effets limités (Burlando, Guihéry, 2002).

En tant qu’instrument de régulation sociale, les transports collectifs régionaux doivent être placés dans une perspective plus globale : celle d’un monde en mouvement. L’importance de la mobilité spatiale constitue un trait caractéristique des sociétés modernes. Les déplacements en tout genre se sont considérablement développés au cours des dernières décennies. Le monde serait ainsi devenu « liquide » (Bauman, 2000). Une élite cinétique sillonne quotidiennement la planète en avion, même si le processus de globalisation favorise beaucoup plus les mouvements de capitaux que la mobilité des personnes (Scott, 1996). Cette élite est celle des hommes d’affaires voyageant en première classe, celle, également, des universitaires mis en scène dans le Small World de David Lodge . De manière générale, la vie quotidienne est marquée de manière croissante par la mobilité physique. Les dynamiques spatiales sont de plus en plus structurées par la connexité et de moins en moins par la contiguïté. Cette évolution a des répercussions sociales fondamentales. La mobilité est devenue un puissant vecteur d’individuation et d’autonomisation (Giddens, 1990) et l’un des principaux indicateurs du prestige social (Bauman, 1999). John Urry (2005) va jusqu’à proposer une sociologie des mobilités. Selon lui, le social serait désormais plus à rechercher dans les mobilités (physiques, mais également sociales, imaginaires, intellectuelles, etc.) que dans les sociétés.

(Ré)investir un terrain délaissé par la science politique 

Le choix de nous intéresser aux politiques régionales de transports collectifs est issu du croisement de deux facteurs. Le premier est à rapporter à notre parcours de recherche. Après un mémoire de fin d’études sur la politique rhônalpine de mobilité des étudiants , nous avons poursuivi avec un mémoire de DEA sur la politique languedocienne de transports collectifs . L’engagement d’une réflexion sur les politiques publiques au niveau régional appelait un élargissement empirique et un approfondissement théorique. Un second facteur est alors intervenu. Nous avons réalisé à quel point les transports constituaient un enjeu majeur de l’action publique régionale et avons constaté que, paradoxalement, les travaux de science politique sur le sujet étaient inexistants. Or, si les politiques locales constituent un laboratoire des dynamiques de l’action publique (Le Galès, 2000), que dire de l’intervention des Régions en matière de transports collectifs ? Le transfert de compétence a lieu, ici, dans un domaine qui constitue l’exemple même du secteur avec son savoir, ses élites, ses frontières bien marquées. À ce titre, la régionalisation pose d’une manière particulièrement intéressante la question des recompositions de l’action publique.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1. (RE)INVESTIR UN TERRAIN DELAISSE PAR LA SCIENCE POLITIQUE
2. LES USAGES REGIONAUX DE LA COMPETENCE « TRANSPORTS COLLECTIFS » : PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES DE RECHERCHE
3. LA CONSTRUCTION DE LA GRILLE D’ANALYSE
4. LE RECUEIL DES DONNEES
5. ORGANISATION DE LA THESE
PREMIÈRE PARTIE LES TEMPORALITÉS DU PROCESSUS
CHAPITRE 1 – LA LONGUE FABRIQUE D’UNE REFORME « CONSENSUELLE »
1. LA REFORME INCERTAINE : DE LA « REGIONALISATION » MALGRE LES REGIONS A LA REGIONALISATION AVEC LES REGIONS
2. LA RELANCE DU PROCESSUS, OBJET D’UN CONSENSUS ELARGI
CHAPITRE 2 – DES POLITIQUES REGIONALES MARQUEES PAR DES PHENOMENES D’INERTIE
1. PRECOCITE ET BENEFICES DURABLES
2. UN PASSE PRESENT : L’ACTION PUBLIQUE REGIONALE SOUS CONTRAINTE MATERIELLE
DEUXIÈME PARTIE LES RÉGIONS FACE AUX ACTEURS SECTORIELS
CHAPITRE 3 – POLITIQUES REGIONALES ET POLITIQUES SECTORIELLES
1. LE TER FACE A LA HIERARCHIE DES NORMES SECTORIELLES
2. DES POLITIQUES REGIONALES SECTORISEES
CHAPITRE 4 – L’EXPERTISE COMME COMPETENCE SECTORIELLE
1. ÉLITES SECTORIELLES ET SAVOIRS SPECIALISES : DU MONOPOLE A LA CONTESTATION
2. LA CONSTITUTION DE CAPACITES D’EXPERTISE, UN ENJEU MAJEUR POUR LES REGIONS
3. EXPERTISE SECTORIELLE ET ACTEURS DES POLITIQUES REGIONALES : UN ETAT DES FORCES EN PRESENCE
CHAPITRE 5 – DES SYSTEMES D’ACTEURS REGIONAUX AU FONCTIONNEMENT DIFFERENCIE
1. PANORAMA DES SYSTEMES D’ACTEURS REGIONAUX
2. LES CONVENTIONS REGION-SNCF A L’EXAMEN
3. ACTION PUBLIQUE ET GOUVERNANCE REGIONALES
TROISIÈME PARTIE L’ACTION RÉGIONALE À L’ÉPREUVE DES TERRITOIRES
CHAPITRE 6 – ACTION REGIONALE, POLITIQUE ET TERRITOIRES
1. L’IMPORTANCE RELATIVE DE LA COULEUR POLITIQUE
2. LE POIDS DU LEADERSHIP POLITIQUE TERRITORIAL
3. LA DEFENSE D’INTERETS TERRITORIALISES
CHAPITRE 7 – L’ACTION PUBLIQUE TRANSTERRITORIALE
1. LES TRANSPORTS COLLECTIFS A L’EPREUVE DES RAPPORTS ENTRE ECHELONS REGIONAUX ET INFRAREGIONAUX
2. LES DEPLACEMENTS EXTRAREGIONAUX, UN ENJEU INEGALEMENT CONSTRUIT
CONCLUSION GENERALE

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