Présentation générale de l’œuvre et de sa structure
Le prologue, une présentation des protagonistes et de l’intrigue
Le Train d’Erlingen s’ouvre sur un prologue qui met en place l’intrigue et présente de façon précise les deux protagonistes : Elisabeth Potier et Ute Von Ebert. C’est « Elisabeth Potier, professeure d’histoire-géographie à la retraite, habitant la Seine-Saint-Denis, victime collatérale de l’attentat islamiste du 13 novembre 2015 à Paris » qui est introduite en premier. Le narrateur nous apprend qu’elle plonge dans le coma et qu’elle émerge de celui-ci « avec une autre personnalité et c’est sous cette identité qu’elle décédera un mois plus tard ». Ce n’est qu’à travers les lettres laissées « à sa fille Léa, et à nous incidemment » que l’on pourra accéder à son témoignage, mais pas seulement : Il faut passer par l’incroyable histoire qu’Ute Von Ebert, cheffe actuelle de la puissante dynastie Von Ebert, habitant Erlingen en Allemagne, dont l’empire financier et industriel, né en Amérique au XIXe siècle, s’ancre aujourd’hui dans les cinq continents, a laissée par écrit à sa fille Hannah, alors que le monde s’écroulait autour d’elle et que la survie des habitants d’Erlingen dépendait d’un train fantôme. Entre les deux femmes existe un lieu par-delà le réel.
La dernière partie du prologue donne des informations sur la lecture à mener pour le lecteur et sur les enjeux de l’œuvre :
Les deux histoires additionnées sont une quête de vérité à travers les continents et les époques, vérité que certains, que nous dénonçons au passage, affirment posséder en exclusivité et entendent imposer au monde entier. La construction du roman s’éloigne notablement des cadres habituels de la narration romanesque et peut dérouter, mais ainsi est le chemin de la vérité, bien fait pour nous perdre. Dans cette vie, rien ne nous est donné gratuitement. La lecture, si elle s’accompagne d’une véritable méditation, est un acte initiatique.
Le prologue a donc une fonction annonciatrice, il prévient le lecteur de l’incongruité du livre qu’il s’apprête à lire. Si les personnages principaux sont présentés, on ne sait encore rien du narrateur. En entrant dans la première partie du « roman », le narrateur laisse voix à Ute Von Ebert, qui vient de nous être présentée. L’intrigue est nouée : le mystère de la métamorphose d’Elisabeth Potier, la recherche d’une « vérité » dans un roman qui ne serait pas vraiment un roman donne déjà des indices quant à l’œuvre que l’on a entre les mains : il ne s’agit pas seulement de donner à lire des histoires mais de tenter de déchiffrer, à travers celles-ci, un chemin menant à une vérité historique, « à travers les continents et les époques ». C’est ici aussi que se noue le pacte avec le lecteur, un pacte que nous analyserons plus amplement à la fin de ce chapitre, celui-ci engageant une lecture particulière du Train d’Erlingen, notamment par ses enchevêtrements entre fictionnel et factuel.
Il est néanmoins important d’éclairer les rouages de l’intrigue avant d’expliciter la structure particulière de ce roman, une particularité revendiquée dès le prologue . En effet, si ce dernier nous présente bien deux protagonistes : Ute et Elisabeth, Ute est en réalité un personnage de fiction inventé par Elisabeth.
La première partie s’attache, sans nous le dire, au récit d’Ute qui vit supposément à Erlingen en Allemagne. Ce n’est que dans la deuxième partie du roman que l’on apprend qu’Ute est un personnage fictif, imaginé par Elisabeth, et qui devait faire l’objet d’un roman. Ces éléments nous sont donnés au fur et à mesure dans la deuxième partie par une narratrice qui n’est pas Elisabeth, mais sa fille : Léa. C’est elle qui nous donne ces informations tout en retraçant l’histoire de sa mère, Elisabeth, qui a été attaquée par des islamistes, et qui est maintenant décédée. À cause de cette attaque, Elisabeth a subi un fort traumatisme crânien et, à son réveil, elle a commencé à se métamorphoser en son personnage de fiction. On comprend alors que toute la première partie, narrée par Ute, est en réalité l’œuvre d’Elisabeth. Le roman que l’on a entre les mains aurait donc été reconstitué par sa fille, Léa, peu après sa mort. Si l’intrigue s’explicite facilement, la construction du roman, comme nous allons le voir, rend la lecture plus complexe : c’est à nous, lecteur, d’assembler les pièces de l’intrigue.
Structure générale
Pour mieux appréhender les enjeux du Train d’Erlingen, il est important de rendre la structure générale claire et synthétique. La construction de l’œuvre semble bien être celle d’un roman : il y a un prologue, deux grandes parties – « La réalité de la métamorphose » et « La métamorphose de la réalité » – et un épilogue. La première contient douze « chapitres », et la seconde onze. C’est une œuvre apparemment bien équilibrée et structurée. Cependant, chaque partie n’a pas la même narratrice. Dans la première, Ute est la narratrice ; dans la seconde, il s’agit de Léa. C’est donc une œuvre polyphonique, à deux voix. De plus, la structure interne se démarque du schéma canonique « de la narration romanesque » comme nous prévenait le prologue. Dans chaque partie, ce qui doit faire office de « chapitre » dans lequel s’inscrit un récit raconté par la narratrice se révèle être des lettres (de la mère à sa fille ou de la fille à sa mère), des notes de roman ou de lecture, des chapitres additifs, ou encore une « note de lecture d’un livre qui n’est pas encore écrit ». L’histoire semble ainsi éclatée. Tout ceci vient former une œuvre composite : croisement des genres littéraires, des voix narratives, des personnages.
Afin de rendre ces mouvements plus clairs nous avons repris les chapitres sous forme de tableau. Ce dernier met en lumière la structure « en miroir », ou presque, du roman. Les couleurs permettent de mettre en évidence les divers types de « chapitres ». Nous avons ainsi utilisé le rouge pour les lettres adressées à Hannah ou à Elisabeth, le bleu pour les notes de roman, le vert pour les notes de lecture. Le violet montre les chapitres autres, qui ne sont ni des lettres d’Ute ou de Léa, ni des notes de lecture ou de roman. Enfin, nous avons gardé la couleur noire pour les grandes parties (prologue, première et deuxième partie, et épilogue), de même que pour les chapitres constitutifs de cet épilogue. Nous avons signalé avec des guillemets les noms des chapitres tels qu’ils apparaissent dans le roman, et nous avons nommé ceux qui ne comportaient pas de titre spécifique (comme les lettres).
S’il n’y a que deux narratrices, on voit néanmoins à quel point la structure s’éloigne de la forme canonique du roman. En effet, il ne s’agit pas seulement d’un récit romanesque, ce sont aussi des lettres, ce qui apparente l’œuvre au roman épistolaire . Parmi toutes ces lettres, Le Train d’Erlingen est aussi ponctué de morceaux de narration fictionnelle écrite par la narratrice elle-même, et de réflexions sur des œuvres littéraires, comme nous le verrons plus tard, ce qui se rapporte plutôt au commentaire littéraire, voire, presque, à l’essai . C’est donc plus le « brouillon » d’un roman qu’un véritable roman. En effet, les notes de lecture et de roman constituent une forme de pré-réflexion sur l’œuvre que souhaitait en faire Elisabeth ; de même que pour Léa et ses notes qui devaient devenir un roman.
L’éclatement apparent de l’œuvre ne rend donc pas la lecture facile. C’est de façon rétroactive que nous apprenons qu’Ute est en réalité un personnage inventé par Elisabeth Potier, ce qui nous fait aussi comprendre que les échos entre les deux histoires sont voulus. Il s’agit d’aller chercher dans la fiction une part de vérité quant à la terrible réalité : un ennemi apparemment invisible qui amène la peur, la destruction, et la mort. C’est un roman qui, avec son apparente déconstruction, invite les lecteurs à reconstruire le récit de ces vies ; à tenter, comme dans un puzzle, d’assembler les morceaux des histoires de ces diverses narratrices qui ne content finalement qu’une seule histoire : celle de leur temps. Il s’agit, comme le met en évidence l’épigraphe du Train d’Erlingen, d’effectuer « une chronique sur les temps qui courent».
Pour rendre compte de ce dispersement à l’intérieur de chacun des deux grands mouvements du roman, nous les résumerons dans notre deuxième partie. Ainsi, nous pourrons commencer à aborder les enchevêtrements entre fictionnel et factuel.
Résumé détaillé des deux parties du roman
Le résumé détaillé vise à une compréhension générale du Train d’Erlingen. Il s’agit avant tout de bien connaître le récit et de mettre en évidence ses diverses articulations. On effectuera aussi, en partie, une analyse narratologique qui nous permettra d’interpréter les entremêlements de la fiction avec la réalité, mais aussi ceux de la fiction avec la fiction.
« La réalité de la métamorphose » ou l’histoire d’Ute Von Ebert
C’est tout d’abord à travers les lettres qu’Ute Von Ebert adresse à sa fille Hannah que l’on découvre le personnage, la situation d’Erlingen, une ville prétendument située en Allemagne.
Ute évoque la terrible situation de la ville menacée par un ennemi encore inconnu et dans l’attente d’un train qui doit venir sauver les « treize mille habitants » d’Erlingen : « Il y a aussi que ce suspense est insupportable. Chaque jour on nous dit que le train va arriver et chaque jour on nous dit que finalement il ne viendra pas ». L’atmosphère pesante se fait sentir à travers le récit de l’épistolière, elle y décrit aussi la dégradation sociale, économique, qui ne fait que progresser depuis que l’ennemi, qui reste toujours innommé et inconnu, est entré dans les esprits en laissant planer la menace d’une guerre qui lui permettrait de s’emparer de la cité : « Le résultat est que nul ne sait à qui, à quoi on a affaire, à ce stade on dit ennemi, le mot englobe toutes les hypothèses».
C’est aussi dans ce premier chapitre, à travers les nouvelles qu’elle donne à sa fille, qui vit à Londres et qui a vingt-sept ans, que l’on en apprend un peu plus sur Ute : elle est la directrice de l’entreprise « des mondialement célèbres biscuits Ebert “Der König des Keks ” ». De même, les personnages secondaires, amis d’Ute, sont introduits : Magda, la gouvernante, et Helmut, le bricoleur. C’est ici aussi que l’on nous fait savoir que la poste est hors service ; les lettres d’Ute sont donc condamnées à ne trouver aucun destinataire, du moins, tant que la ville n’a pas retrouvé de liaison avec le reste du monde.
À la fin de sa première lettre, Ute charge sa fille d’une mission :
PS : En plus des lettres, tu trouveras dans notre cachette […] un roman, il demande à être travaillé, si tu veux bien, les chapitres sont éparpillés dans les lettres ou sous forme de notes, groupe-les à ta manière, trouve de bons liens […]. Je lui ai donné pour titre Le Train d’Erlingen et pour sous-titre Lettres à Hannah. […] Tu verras, c’est intéressant, en quelques pages, je raconte ce pauvre monde qui se meurt la bouche ouverte en croyant énoncer des vérités premières qui ne sont que dernières et bonnes à jeter à l’égout.
À ce stade de l’intrigue, on peut donc penser que ce que nous avons entre les mains a été reconstitué par Hannah elle-même.
Les chapitres suivants alternent entre quelques lettres d’Ute, ainsi que ses notes de roman, mais aussi une note de lecture et un chapitre additif. Les notes de roman créent un prolongement avec les lettres de l’écrivaine. Ces notes se confondent avec la « réalité » d’Ute à Erlingen.
Elles mélangent narration romanesque et commentaires de son écrivaine qui donne par petits bouts ce qui devrait constituer son roman. Ce dernier ferait état de la dégradation et de la métamorphose progressive d’une ville coupée du monde, et dénoncerait ces gouverneurs prêts à abandonner la population aux mains d’un ennemi réputé dangereux, violent, meurtrier, comme ils le déclarent eux-mêmes : « lorsque ces gens prennent une cité, ils la décapitent aussitôt pour sidérer la population… et la tête c’est nous ». On reste donc dans une narration qui suit la trame de l’histoire qu’Ute raconte dans ses lettres : la réalité d’Ute se confond avec la fiction de ses notes de roman. En ce sens, comme le souligne le chercheur Giuseppe Lovito, qui s’intéresse aux liens entre fiction et réalité établis par Umberto Eco, « la fiction narrative peut être considérée comme un instrument interprétatif nous permettant d’approfondir la connaissance du monde qui nous entoure ». C’est ce que fait ici notre personnage de fiction, Ute : elle transpose les enjeux de la réalité à laquelle elle fait face dans un début de roman.
Un chapitre, qui diverge de la ligne principale de l’histoire, du récit premier, vient s’intercaler : on découvre alors un peu plus l’histoire des Ebert à travers le récit qu’en fait Ute dans une deuxième note de roman intitulée : « La vie secrète des Ebert ». Ce détour par la généalogie de la famille nous en apprend un peu plus sur la protagoniste et sa place importante dans la société. Cette analepse permet d’expliquer clairement, par les grandes étapes, comment la famille Ebert a fondé et fait durer son empire et sa richesse, et comment Ute elle-même a investi sa fortune à Erlingen, ce qui a apparemment profité à la petite ville. Mais l’histoire passée rejoint aussi l’histoire présente : comme ses ancêtres qui ont envahi l’Amérique lorsqu’ils s’y sont établis, un autre envahisseur, lui aussi semble-t-il poussé par une foi totale pour un Dieu, vient s’emparer d’Erlingen et la transformer.
Le chapitre suivant, qui constitue la première note de lecture, est une sorte de digression sur les religions autour d’une réflexion sur un traité, celui des Trois imposteurs : Moïse, Jésus-Christ, Mahomet. Nourrie de nombreuses lectures et pensées sur cet ennemi, Ute apparaît comme une écrivaine mais aussi comme une lectrice et philosophe qui a de larges connaissances et dont l’esprit critique est très vif. L’intertextualité ne fait que s’élargir tout au long de cette partie.
Ute évoque les espoirs qui secouent le peuple d’Erlingen lorsque le maire lui annonce que le train va venir le sauver. Selon elle, le train ne viendra jamais ; ce serait une manigance des dirigeants pour empêcher une révolte du peuple afin de s’enfuir et de l’abandonner. Pour Ute, c’est décidé : il faut se révolter, s’organiser, résister. Dans une dernière lettre, elle fait part à sa fille de ses plans. Mais le récit glisse dans un chapitre étrange, intitulé « On ne sait pas tout de sa vie ». Ute raconte un rêve qui, lui semble-t-il, a été déclenché par le mal de hanche qu’elle ressent depuis un moment. Ce songe la perturbe, la narratrice paraît croire qu’elle est dans une fiction . Dans ce rêve elle aperçoit une autre vie et ne sait plus qui elle est. Est-ce que son rêve ne serait pas vraiment la réalité ? Et si sa vie à Erlingen n’était, finalement, qu’une sorte d’illusion ?
Après une note de lecture, une lettre à sa fille Hannah et une note de roman dans lesquelles elle évoque la révolte en cours à Erlingen, « La réalité de la métamorphose » s’efface pour laisser place à « La métamorphose de la réalité ».
« La métamorphose de la réalité » ou l’histoire d’Elisabeth Potier
La deuxième partie du roman, sorte de miroir de la première partie, a une structure similaire s’articulant autour de lettres de Léa à sa mère, de notes de roman et de lecture. Il s’agit ici aussi de détailler les éléments constitutifs de l’histoire afin de montrer les enjeux qui se nouent entre les deux parties, notamment au regard des liens et des insertions du factuel dans la fiction.
Le personnage de Léa, qui est apparu dans le rêve étrange d’Ute, écrit une lettre à sa mère défunte : « Bonjour maman chérie qui est au ciel, c’est Léa ». Les deux histoires, celle d’Ute et de cette jeune femme, semblent alors se rejoindre : Léa récapitule tous les événements qu’Ute a traversés. On peut alors penser qu’il s’agit de sa mère ; sauf qu’Ute n’a mentionné qu’une fille, Hannah. De même, Léa dit qu’elle est née à Paris, en Seine-Saint-Denis. Aux personnages de Magda et Helmut se superposent ceux de Maria et Giuseppe, en charge de raconter à Léa tous les mystères que sa mère a laissés : « Qui sont Ute Von Ebert et son monde, sa fille Hannah, ses aides de camp Magda et Helmut, où est Erlingen, qui est cet étrange envahisseur qui n’est qu’ombre et rumeur dans le crépuscule ? ». Ce dont on est certain, c’est que Léa a bien reçu les lettres demandant de rédiger le roman, un roman à deux voix : celle de sa mère et la sienne. Ici, l’épistolière répond à sa mère, mais cette réponse ne l’atteindra jamais puisque celle -ci est décédée. Néanmoins, Léa tente de mettre en forme ce qui lui a été demandé : un roman.
C’est dans ces lettres qui résument les vies des deux femmes que l’on apprend que la mère de Léa est Elisabeth Potier, une professeure d’histoire-géographie à la retraite qui s’est exilée en Allemagne. Tout comme Léa qui est partie vivre à Londres pour trouver un emploi, Elisabeth Potier devient la professeure privée d’une jeune fille à Bremen en Allemagne. Il s’agit de Cornelia (surnommée Nele), onze ans, dont les parents sont riches : c’est la famille Von Hornerberger. Dans sa première note de roman, Léa raconte qu’Elisabeth s’intéressait au passé généalogique de la petite Cornelia « afin d’alimenter ses travaux pratiques ». C’est à la Maison allemande des émigrés, un musée, qu’elle découvre Ernst Ebert, (que l’on a déjà rencontré dans le récit d’Ute dans la première partie du roman). On apprend ici qu’Ute était en réalité la sœur d’Ernst Ebert. Les échos entre la première et la deuxième partie sont de plus en plus présents et évidents dans le récit de Léa, et ce ne sont pas que des échos : la deuxième partie du Train d’Erlingen vient mettre au jour la première partie et les rouages de l’écriture. Léa tente de comprendre ce qui a mené sa mère à écrire un roman sur la famille des Von Ebert. Mais on ne saisit cela qu’en rassemblant nous-mêmes les pièces du puzzle qui nous sont laissées par la narratrice.
En racontant ce qui a poussé sa mère à écrire, elle tente aussi de comprendre l’origine de sa métamorphose en son personnage de roman, Ute. Elle analyse ainsi le récit que nous avons lu dans dans la première partie du Train d’Erlingen. C’est donc une double enquête : Elisabeth enquêtant sur la famille des Von Hornerberger et des Von Ebert, et Léa effectuant elle-même une enquête sur ce qui a poussé sa mère à écrire. C’est un roman miroir : à la première partie « fictionnelle » vient répondre un récit « réel », qui semble ancré dans la réalité du lecteur par son contexte.
Si l’histoire des Von Hornerberger, et incidemment, celle des Von Ebert est au commencement du récit qu’a tenté d’en faire Elisabeth Potier ; Léa, dans sa deuxième note de roman, relate un événement fatal : celui de « l’année 2015 et son point d’orgue le 13 novembre ». Après les attentats islamistes du Bataclan, Paris se réunit dans une marche contre la mort, la violence et l’islamisme. Maria, Giuseppe et Elisabeth confectionnent des pancartes et participent à cette journée. C’est sur le retour, alors qu’ils rentrent en métro, qu’ils se font attaquer par quatre hommes. Leur haine se déchaîne lorsqu’ils voient inscrit sur l’une de leurs affiches : « “Halte au terrorisme, l’islamisme ne passera pas !” ». En voulant se dégager de l’un d’entre eux, Elisabeth chute sur les rails et tombe dans le coma. Lorsqu’elle en sort, sa conscience alterne entre Elisabeth et le personnage de sa fiction, Ute. On a véritablement affaire à « la métamorphose de la réalité ». Elisabeth parle alors de l’envahisseur aux portes de la ville, un envahisseur que Léa, comme nous en tant que lecteur, tentons de cerner : de qui ou de quoi ressort cette entité ? Après une ellipse narrative nous faisant faire un bon d’un mois dans la narration, Elisabeth semble être redevenue telle qu’elle était. Mais rapidement, ses amis, Maria et Giuseppe découvrent qu’elle passe ses nuits à écrire : en effet, comme on pouvait le supposer, c’est elle qui a rédigé l’histoire d’Ute.
Léa nous dit que sa mère est décédée d’une crise cardiaque. Elle se demande qui elle était lorsqu’elle est morte : Elisabeth ou Ute ? C’est donc là la fin du récit sur la vie d’Elisabeth Potier, transformée en Ute Von Ebert à la suite d’un terrible traumatisme. Mais l’héritage qu’elle a laissé à sa fille et la demande qu’elle lui a faite (créer un roman), semble avoir été accomplie puisque nous avons ce « roman » entre nos mains. L’histoire n’est cependant pas terminée. Après sa mort, Maria et Giuseppe annoncent dans une lettre à Léa qu’ils quittent la cité, celle-ci étant bientôt totalement à la merci des islamistes et de leur violence. Ils vont donc retourner en Italie, mais non sans délivrer un important message à Léa : sa mère s’est souvenue de qui l’avait attaqué ; un ancien élève de son lycée, « Laziz Boufliki ». Elle n’avait pas souhaité le dénoncer à la police ; Léa, elle, ne sait si elle doit le signaler. Elle décide donc d’enquêter, et de tout savoir sur ce qui est arrivé à sa mère, c’est-à-dire tout ce qui a pu l’amener à ce dédoublement de personnalité.
Grâce à ce résumé, on a pu développer les principaux axes de l’intrigue, introduire les personnages, mais surtout esquisser la façon dont faits et fiction se rencontrent et s’entremêlent tout au long du roman, et ceci grâce à la façon dont Boualem Sansal l’a rédigé, créant une structure en miroir entre une première partie que l’on pourrait qualifier d’imaginaire et une seconde que l’on pourrait supposer provenir du monde « réel ». Ces éléments factuels, disséminés tout au long de l’œuvre, nous questionnent : sommes-nous vraiment dans une fiction ? Est-ce que certains de ces personnages ont existé ? Qu’est-ce qui relève de l’imaginaire, qu’est-ce qui relève du factuel ? Finalement, comment pouvons-nous définir la fiction ?
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Table des matières
Introduction
Partie I : Présentation du Train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu et définition de ses enjeux entre factuel et fictionnel
Chapitre I : structure générale et résumé du Train d’Erlingen
Présentation générale de l’œuvre et de sa structure
Résumé détaillé des deux parties du roman
Chapitre II : le fait VS la fiction ?
I. Conceptualisation : factuel et fictionnel, question de frontières
II. La fiction, une « feintise ludique partagée »
III. Le pacte avec le lecteur : étude du prologue du Train d’Erlingen
Partie II : Allusions historiques et référentielles, une tentative de dialogue
Chapitre I : allusions historiques et références factuelles
Le terrorisme islamiste
Le nazisme et les régimes totalitaires
III. L’immigration d’hier à aujourd’hui
Chapitre II : le roman comme tentative de rétablissement d’un dialogue
La dualité symbolique du train et son importance historique
La tentative de reconstruction d’un dialogue entre les deux narratrices
Partie III : Le Train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu, une œuvre métalittéraire
Chapitre I : entrecroisement des genres littéraires dans Le Train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu
Entre fantastique et dystopique
La libre pensée dans Le Train d’Erlingen : journal intime, essai, roman à thèse ou engagé
Chapitre II : l’intertextualité dans le roman, création d’un discours métalittéraire
Des allusions à déchiffrer : le jeu de l’auteur avec son lecteur
De l’écriture palimpseste aux commentaires littéraires
Chapitre III : la mise en abyme, clé de voûte du roman
La mise en abyme : la dynamique de la métamorphose
La mise en abyme : la dynamique de l’enquête et la posture du lecteur
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
Tables des illustrations
Annexes
Table des annexes
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