Le trafic polarisé dans les cellules épithéliales
Organisation des cellules épithéliales
Les épithéliums constituent une barrière entre le milieu extérieur et les différents tissus de l’organisme et jouent un rôle fondamental dans les échanges entre des milieux qu’ils séparent. Pour assurer ces fonctions de barrière et de transport, les cellules épithéliales ont développé une organisation polarisée, en particulier au niveau de leur membrane plasmique qui présente un pôle apical dirigé vers l’extérieur et un pôle basolatéral qui repose sur une lame basale (Mostov, 1995) (Figure 1).
Ces deux pôles sont délimités par des jonctions serrées ou zonula occludens qui maintiennent la séparation entre les deux domaines membranaires et forment aussi une barrière contre le flux paracellulaire. Les jonctions d’adhérence (zonulae adherens et desmosomes) permettent la cohésion entre cellules voisines. Les fonctions des cellules épithéliales varient selon l’épithélium. L’épithélium de l’intestin possède au niveau des microvillosités apicales des enzymes et des transporteurs qui assurent la dégradation et l’absorption d’acides aminés, d’acides gras et de diglycérides, des sucres et la réabsorption de l’eau. L’épithélium pulmonaire en contact avec l’air sécrète du mucus afin d’éviter l’assèchement et de piéger les particules et pathogènes inhalés. Les cellules épithéliales du rein assurent le transport transépithélial d’eau et de sels et la réabsorption de protéines et de petites molécules. Il existe pour les cellules épithéliales un rapport direct entre la composition de la membrane plasmique et ses fonctions. Le domaine apical et le domaine basolatéral possèdent une composition en protéines et en lipides spécifique. Cette différence de composition résulte d’un transport et d’un recyclage spécialisé des protéines et des lipides membranaires (Figure 1). Les mécanismes du trafic vésiculaire vers les deux pôles de la membrane plasmique et la dynamique de la membrane elle-même ont été largement étudiés. Une attention particulière a été portée à l’identification des signaux qui déterminent le ciblage des protéines vers l’un ou l’autre pôle de la membrane plasmique. En revanche, les mécanismes du tri des lipides membranaires sont beaucoup moins bien connus.
Les cellules MDCK : un modèle cellulaire pour l’étude du trafic polarisé
Notre connaissance du trafic des protéines et des lipides dans les cellules épithéliales doit beaucoup à l’utilisation de modèles cellulaires épithéliaux qui ont permis, avec des outils comme les virus, la transfection d’ADNc et maintenant l’extinction de gène, de découvrir les multiples routes de la voie d’exocytose ainsi que les différents mécanismes responsables du mode d’adressage à la membrane. Les cellules MDCK ont été les premières lignées de cellules polarisées en culture. Etablies en 1958 (Madin et Darby, 1958), à partir de cellules rénales de chien, c’est dans les années 70 que Misfeldt (Misfeldt et al., 1976) et Cereijido (Cereijido et al., 1978) ont démontré que ces cellules pouvaient se polariser sur support poreux, ce qui représentait le premier modèle d’épithélium in vitro. La polarisation des cellules MDCK fut alors étudiée. De plus, la découverte par Rodriguez-Boulan (Boulan et Sabatini, 1978) que des virus enveloppés bourgeonnent de façon polarisée, a permis d’utiliser les virus comme outils pour étudier le trafic polarisé dans les cellules épithéliales. Ces auteurs ont ainsi montré que l’hémagglutinine (HA) du virus de la grippe, qui bourgeonne au pôle apical et la protéine VSVG du virus de la stomatite vésiculeuse, qui bourgeonne au pôle basolatéral suivent la même voie biosynthétique jusqu’au réseau trans-golgien (TGN) à partir duquel elles se séparent pour atteindre leurs localisations respectives dans la membrane. Il est à noter qu’il existe deux types de cellules MDCK qui possèdent un profil glycolipidique différent. Des travaux ont montré que seules les cellules MDCK de type II possédaient l’antigène glycolipidique de Forssman, un niveau plus élevé en glycolipides sulfatés ainsi qu’un cil porté par la membrane apicale (Nichols et al., 1986). Les cellules de type I sont quant à elles enrichies en fucolipides. De plus, ces deux types cellulaires possèdent des caractéristiques fonctionnelles et morphologiques différentes ; les cellules MDCK de type I sont capables de développer une résistance transépithéliale très élevée, pouvant atteindre 4000 Ω.cm2 , et présentent toutes les caractéristiques morphologiques de l’épithélium du tube collecteur rénal (Richardson et al., 1981). Les cellules de type II développent une résistance plus faible de 100 Ω.cm2 et présentent des caractéristiques morphologiques des cellules de l’épithélium du tube distal rénal. Ces dernières sont les plus fréquemment utilisées. Depuis, d’autres lignées cellulaires polarisées ont été établies qui ont pour origine divers épithéliums, en particulier rénal (LLC-PK1), intestinal (Caco-2) ou hépatocytaire (Wif-B, HepG2). Néanmoins, les cellules MDCK restent la lignée épithéliale de référence pour tous les travaux portant sur le trafic polarisé.
Biosynthèse et trafic des lipides de la membrane plasmique
Les membranes cellulaires possèdent de très nombreuses espèces de lipides, et ceux-ci ne sont pas distribués de façon homogène dans tous les organites. La membrane du réticulum endoplasmique (RE) est essentiellement constituée de glycérophospholipides insaturés, ce qui la rend très flexible et facilite l’incorporation des protéines néosynthétisées. La membrane plasmique est constituée de glycérophospholipides auxquels s’ajoutent des sphingolipides et du cholestérol en quantités variables selon les types cellulaires. Les membranes des compartiments golgiens ont une composition intermédiaire entre le RE et la membrane plasmique (Holthuis et al., 2001). Les membranes des endosomes possèdent une composition lipidique proche de celle de la membrane plasmique, particulièrement celles des endosomes de recyclage dans les cellules MDCK qui sont enrichies en cholestérol et sphingomyéline (Kobayashi et al., 2002). La distribution des lipides membranaires résulte à la fois de leur biosynthèse, de leur trafic vésiculaire et non vésiculaire mais aussi de leurs possibilités de diffuser latéralement dans la membrane ou de « flip flopper » d’un feuillet membranaire à l’autre.
Les principaux constituants lipidiques de la membrane plasmique
Les glycérophospholipides
Les glycérophospholipides sont les principaux constituants des bicouches membranaires. Ils comportent trois éléments : un squelette à trois carbones, le glycérol, deux longues chaînes d’acides gras estérifiés au niveau du carbone C1 et C2 et de l’acide phosphorique estérifié au niveau du carbone C3 (figure 2). Le plus abondant est la phosphatidylcholine (PC) qui porte une tête choline. Les autres classes majeures sont dans l’ordre d’importance la phosphatidyléthanolamine (PE), la phosphatidylsérine (PS), le phosphatidylinositol (PI), l’acide phosphatidique (PA) et le phosphatidylglycérol (PG). Les cellules peuvent synthétiser plus de 100 glycérophospholipides qui diffèrent par leurs acides gras. Les acides gras en position C1 (sn-1) du squelette glycérol sont majoritairement saturés, alors qu’ils sont insaturés en position C2 (sn-2).
Les sphingolipides
Les sphingolipides sont répartis en plusieurs classes (Fahy et al., 2005) dont les plus présentes dans les cellules eucaryotes de mamnifères sont les céramides, les phosphosphingolipides, les glycosphingolipides (GSL) neutres (lactosylcéramide, glucosylcéramide) et acides (gangliosides). Les sphingolipides sont constitués d’une base azotée, la sphingosine. Les carbones C1 et C3 de la sphingosine portent des groupements polaires, le carbone C2 porte l’acide gras via une liaison amide. Deux composantes variables différencient les sphingolipides : l’acide gras et le type de tête polaire qui estérifie la fonction hydroxyle du C1.
La tête polaire des sphingolipides permet de distinguer les phosphosphingolipides et les glycosphingolipides. Dans les cellules, le phosphosphingolipide le plus représenté est la sphingomyéline (SM) qui porte une tête polaire phosphorylcholine comme la PC. Les glycosphingolipides sont classés selon la nature des sucres de leur tête polaire. Les glycosphingolipides neutres contiennent des sucres non chargés comme le galactosylcéramide (GalCer), le glucosylcéramide (GlcCer) et le lactosylcéramide (LacCer). Les glycosphingolipides acides contiennent des groupements ionisés tel que le sulfate dans les sulfatides, ou bien des sucres chargés comme l’acide sialique (acide N-acétyl neuraminique) dans les gangliosides. Dans les membranes biologiques, la plupart des lipides qui contiennent des glucides sont des sphingolipides. Les sphingolipides sont impliqués dans plusieurs processus biologiques. Tout d’abord considérés comme des protecteurs de la membrane apicale des cellules épithéliales de par leur propriétés mécaniques et chimiques, ils sont maintenant clairement impliqués dans la cascade de signalisation de l’apoptose (Hannun et Obeid, 2002), mais également dans le transport des protéines (Simons et van Meer, 1988) et la transduction du signal (Brown et London, 2000).
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Table des matières
INTRODUCTION
1- Le trafic polarisé dans les cellules épithéliales
1-1 Organisation des cellules épithéliales
1-2 Les cellules MDCK : un modèle cellulaire pour l’étude du trafic polarisé
1-3 Biosynthèse et trafic des lipides de la membrane plasmique
1-3-1 Les principaux constituants lipidiques de la membrane plasmique
1-3-2 Composition lipidique des membranes apicales et basolatérales
1-3-3 Biosynthèse des lipides de la membrane plasmique
1-3-4 Transport des lipides : transport vésiculaire et non-vésiculaire
1-3-5 Mouvement des lipides dans les membranes
1-4 Biosynthèse et transport polarisé des protéines
1-4-1 Le trafic des protéines vers la membrane plasmique
1-4-2- Trafic des protéines dans les cellules épithéliales
1-4-3 Transport polarisé des protéines : la route basolatérale
1-4-3-1 Signaux d’adressage basolatéral
1-4-3-2 Mécanismes moléculaires du tri basolatéral
1-4-4 Transport polarisé des protéines : la route apicale
1-4-4-1 Signaux de tri apical
1-4-4-2 Mécanismes moléculaires du tri apical
2. Les rafts, hybrides nés de la biologie cellulaire et de la biophysique.
2-1 Bases biophysiques de l’existence des rafts
2-1-1 Formation de phases dans les mélanges lipidiques
2-1-2 Rôle du cholestérol dans la formation de domaines
2-1-3 Visualisation des rafts in vitro dans les membranes modèles (SUV, LUV et GUV)
2-1-4 Corrélation entre membranes modèles et membranes biologiques
2-2 Arguments en faveur de l’existence des rafts dans les membranes biologiques
2-2-1 Les outils déstabilisant les rafts
2-2-2 Visualisation des rafts dans les cellules
2-2-3 Développement de méthodes adaptées à l’étude des rafts dans les cellules vivantes
2-3 Méthodes d’isolement des rafts
2-3-1 Les détergents
2-3-2 Les étapes de solubilisation
2-3-3 Les membranes résistantes aux détergents (DRMs)
2-3-3-1 Composition lipidique des DRMs
2-3-3-2 Composition en protéines des DRMs
2-3-3-3 Isolement des rafts sans détergents
2-3-3-4 Correspondance entre DRMs et RAFTS
2-4 Propriétés des rafts biologiques
2-4-1 Localisation et taille des rafts dans les cellules
2-4-2 Organisation des rafts : rôle du cytosquelette
2-5 Rôle des rafts
2-5-1 Rôle des rafts dans la formation des vésicules apicales
2-5-2 Autres fonctions cellulaires associées aux rafts
3. Les nucléotides pyrophosphatases/phosphodiestérases NPP1 et NPP3
3-1 La famille des nucléotides pyrophosphatases/phosphodiestérases
3-2 Structure de NPP1 et NPP3
3-3 Fonctions de NPP1 et NPP3
3-4 NPP3 et NPP1, des protéines modèles pour étudier l’adressage polarisé
4. Objectifs des travaux
RESULTATS
DISCUSSION
CONCLUSIONS
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