Parmi les pays d’Asie du Sud-Est, le royaume du Cambodge est probablement celui dont l’histoire est la plus tumultueuse et ambivalente. Un passé ponctué de périodes tantôt glorieuses tantôt troublées où s’alternèrent la reconnaissance et l’oubli, la splendeur et la décadence, l’édification et la destruction. Si le pays est trop souvent associé aux temples d’Angkor et à l’ancienne civilisation khmère qui connut son apogée lors de la première moitié du deuxième millénaire de l’ère chrétienne, il ne faut pas omettre pour autant son histoire contemporaine, dont ce génocide perpétré au cours de la décennie 1970 par les Khmers rouges . Selon le programme d’étude sur le génocide cambodgien de l’université Yale, plus de 1,7 millions de personnes y laissèrent la vie. Trente cinq années après la fin de ce terrible régime, le pays reste encore en convalescence notamment sur le plan économique. Considéré comme l’Etat le plus développé de la région avant la prise de Phnom Penh en 1975, le pays khmer est aujourd’hui classé parmi les plus défavorisés de la planète. Sur le plan identitaire, l’héritage culturel tant matériel qu’intangible n’est pas sorti indemne de cette période trouble, car nombreux sont les temples anciens, mais surtout les pagodes, les bonzes, les artistes et les intellectuels cambodgiens à avoir été les cibles privilégiées de l’idéologie khmère rouge. Or en l’absence de référence culturelle et historique et après un traumatisme collectif de grande ampleur , il est très difficile pour tout groupement humain de se reconstruire une identité. Ce fut le cas par exemple pour les peuples autochtones des Amériques, qui lors des différentes conquêtes Européennes, furent contraints d’abandonner des pans entiers d’un héritage culturel transmis par les générations précédentes . Aujourd’hui les descendants de ces civilisations déchues tendent à se réapproprier des éléments culturels autochtones que l’on pensait disparus, favorisant ainsi une reconquête identitaire. Dans bien des cas, c’est le monument, vestige du passé, qui devient alors le symbole de cette renaissance culturelle. Cela semble être le cas pour le peuple khmer.
Au Cambodge, depuis une vingtaine d’année, il est frappant de constater une renaissance de l’identité khmère qui fut pourtant bien mise à mal par les Khmers rouges. Ce renouveau identitaire semble en partie trouver son origine via la réappropriation par la population d’origine khmère du symbole « Angkor ». Si les Khmers rouges éliminèrent systématiquement les éléments de la culture khmère ayant attrait aux domaines intellectuels, religieux et artistiques, ils épargnèrent pour des raisons idéologiques les vestiges Angkoriens. En l’absence d’autre repère identitaire d’importance, les temples d’Angkor ont ainsi joué un rôle essentiel dans l’entreprise de reconstruction culturelle du pays, notamment en tant que symboles d’une civilisation khmère rayonnante entre le XIe siècle et le XIIIe siècle.
Ce symbole Angkor, si important aujourd’hui pour les Khmers de toutes classes sociales confondues, correspond matériellement aux vestiges des anciennes capitales khmères , qui jadis constituaient le cœur politique et religieux d’un vaste empire qui s’étendait alors jusqu’aux confins de la Birmanie actuelle. Ils se localisent aujourd’hui dans la province de Siem Reap au nord-ouest de l’actuel territoire cambodgien (cf. carte 1). Lorsqu’au milieu du XIVe siècle, la pression des Siamois devint insupportable, les rois khmers se désengagèrent progressivement de la région d’Angkor qui se vida de ses habitants (Jacques, 2005). La cité abandonnée, le couvert forestier proliféra (cf. vue satellite 1) et les habitations ainsi que les édifices royaux qui étaient en matériaux périssables disparurent rapidement . Seuls les temples en pierre subsisteront jusqu’à nos jours. Quant aux populations qui décidèrent de ne pas quitter la région, elles s’établirent ainsi que leurs déscendants dans des villages dont celui de Siem Reap qui deviendra par la suite le chef-lieu de la province du même nom.
Aujourd’hui, devenu un site archéologique de renommée mondiale, les célèbres temples via le secteur du tourisme ont grandement contribué à redynamiser l’économie d’un pays qui a désormais retrouvé sa place sur les cartes touristiques de l’Asie. D’après les données statistiques rendues publiques par le ministère du tourisme cambodgien, plus de 2,8 millions de touristes de nationalités diverses se sont rendus en pays khmer en 2011 (Tourism statistics report, 2011). Mais si l’on analyse ces chiffres en détail, on s’aperçoit que l’essentiel de ces visiteurs ne connaissent du Cambodge que la seule province de Siem Reap à laquelle le site d’Angkor est rattaché. Une province qui, à la suite de l’inscription du site archéologique sur la liste du patrimoine mondial du l’humanité en 1992, a connu un développement touristique dans un premier temps modéré , puis exponentiel dès les prémices des années 2000, lorsque le pays retrouva une stabilité propice au retour des visiteurs et à l’arrivée des investisseurs . Il se profila alors un tourisme à vocation culturelle que l’on peut qualifier de masse tant les visiteurs sont de plus en plus nombreux . Toujours d’après les données statistiques du ministère du tourisme cambodgien, plus de 1,6 millions de touristes de nationalités diverses se sont rendus dans la province de Siem Reap en 2011 (Tourism statistics report, 2011). Or cette foule se conglomérant sur des espaces parfois limités, n’a pas été sans conséquence sur le développement du parc archéologique. Pour mieux réguler la circulation des personnes et des engins motorisés, les autorités ont donc été contraintes de métamorphoser certaines parties du site d’Angkor via divers aménagements. Ainsi, furent réalisés par exemple des parvis à l’entrée de certains temples avec des parcours fléchés, des centres d’interprétations et des parcs de stationnement.
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Table des matières
Introduction générale
Premier chapitre :
Présentation de l’héritage culturel khmer de la province de Siem Reap
Deuxième chapitre :
La province de Siem Reap : destination phare du tourisme culturel mondial
Troisième chapitre :
Le tourisme à Siem Reap : un secteur qui stimule la croissance mais provoquant de forts bouleversements dans la société traditionnelle
Quatrième chapitre :
Tourisme, pauvreté et exclusion
Cinquième chapitre :
Le tourisme durable : valoriser le patrimoine local tout en luttant contre la pauvreté
Conclusion générale
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