Le TOC du point de vue de la neurobiologie

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Mais une forte hétérogénéité clinique

En raison de la multiplicité des caractéristiques cliniques du TOC, plusieurs classifications ont été proposées pour tenter d’isoler des sous-types cliniques pertinents en se basant principalement sur le thème des obsessions/compulsions ou l’âge d’apparition du trouble.
Figure 2 : Les différents types de symptômes de la check-list de la Y-BOCS (Clair, 2009)
Le TOC se définit par une grande hétérogénéité dans sa symptomatologie, plusieurs thématiques obsessionnelles/compulsives se dégageant des observations cliniques. Ainsi, les cliniciens ont très vite cherché à distinguer des sous-types cliniques afin de progresser dans la compréhension du trouble. Des auto-questionnaires ou des entretiens semi-structurés ont été validés afin de quantifier ou de lister l’ensemble des thématiques des symptômes. L’entretien le plus utilisé aujourd’hui pour identifier les différentes obsessions et compulsions est la check-list de la Y-BOCS (Goodman et al., 1989) qui distingue différentes thématiques obsessionnelles (contamination, agression, sexe, maladie/corps, religion, accumulation, symétrie/ordre, etc…) et leur corolaire sur le versant compulsif (Figure 2). A partir de cet « inventaire », des tentatives de regroupement en sous-type clinique se basant sur des analyses factorielles ont abouti à la distinction de plusieurs dimensions cliniques. Ces dimensions se retrouvent dans la classification de Leckman qui est la plus utilisée aujourd’hui avec la reconnaissance de quatre facteurs : lavage/contamination ; obsessions agressives/vérifications ; accumulation ; symétrie/rangement (Leckman et al., 1997). Celle-ci s’est vue complétée plus tard par Mataix-Cols qui y ajouta la dimension sexuelle/religieuse/rituels mentaux (Mataix-Cols, 2006) (Figure 3). Ces dimensions ont vite démontré leur pertinence clinique, des études ayant révélé qu’elles peuvent être prédictives de la réponse au traitement tant psychothérapeutique1 (Abramowitz et al., 2003) que pharmacologique2 (Starcevic & Brakoulias, 2008). De plus, il a été montré que les patients souffrant de TOC se différencient les uns des autres tant sur le plan neuropsychologique3 (Benzina et al., 2016) qu’au niveau des corrélats neuronaux de leurs symptômes4 (Mataix-Cols et al., 2004 ; Heuvel et al., 2009) selon la nature de leurs obsessions/compulsions. Ceci met donc l’accent sur la nécessité de prendre en compte ces dimensions cliniques dans les recherches menées sur le TOC tant en neuropsychologie qu’en neurobiologie.
Figure 3 : Représentation schématique des 4 dimensions de Leckman (1997) et de la 5e isolée par Mataix-Cols (2006) d’après les principaux symptômes de la Y-BOCS
Un autre facteur d’intérêt dans l’identification de sous-types cliniques pertinents réside dans l’âge de début des troubles. En effet, l’âge d’apparition du TOC est très variable d’un patient à l’autre. Une étude prospective menée sur 40 ans (Skoog & Skoog, 1999) tend à montrer que le TOC apparait le plus souvent au début de l’âge adulte (40 %), avec néanmoins une proportion significative (29 %) d’individus ayant débuté la maladie avant l’âge de 20 ans. Ceci a conduit à distinguer le TOC d’apparition « précoce » du TOC d’apparition « tardive ». La frontière entre TOC précoce ou tardif n’est cependant pas très précise aujourd’hui de par le caractère arbitraire des critères utilisés pour différencier ces deux sous-types donnant des résultats inconsistants à l’interprétation difficile (Anholt et al., 2014). En effet, certaines études considèrent comme précoce 71un TOC apparu avant l’âge de 10 ans (do Rosario-Campos et al., 2001), d’autres 15 (Millet et al., 2004) ou 18 ans (Sobin et al., 2000). Ainsi, plutôt que de se baser sur un seuil arbitraire, Anholt et son équipe (Anholt et al., 2014) ont voulu déterminer cet âge en utilisant une méthode de classification objective (admixture analysis). C’est ainsi qu’ils établirent l’âge seuil de 20 ans confirmant bien la répartition bimodale de l’âge de début des troubles (Figure 4). A partir de ce seuil, ils purent mettre en évidence que les TOC précoces présentent une symptomatologie plus sévère que les TOC tardifs, rejoignant les observations d’une série de méta-analyses sur le sujet (Taylor, 2011a). Cette dernière, en plus de cette différence dans la sévérité du trouble, a montré que le TOC à début précoce est plus susceptible de se rencontrer chez les hommes, avec une plus grande fréquence de tics comorbides et un profil neuropsychologique moins altéré que dans la forme à début tardif. Il semblerait aussi que les formes à début précoce répondent moins bien aux traitements que les formes tardives, bien que l’amplitude de cette différence ne soit pas forcément cliniquement significative (Taylor, 2011a).
Figure 4 : Distribution de l’âge de début du TOC chez 377 patients (Anholt et al., 2014)
Ainsi, cette hétérogénéité clinique, supportée par différentes études tant sur le plan génétique que neurocognitif et épidémiologique, argue en faveur d’une approche dimensionnelle de ce trouble (Mataix-Cols et al., 2005).

Intérêt d’une approche dimensionnelle a. Du DSM au RDoC

Nous avons vu que le TOC est loin d’être un trouble homogène, suggérant ainsi l’inadaptation de la nosographie psychiatrique actuelle, reposant sur des catégories cliniques mutuellement exclusives. En effet, depuis les travaux d’Emil Kraepelin (Kraepelin, 1899) qui ont posé les bases il y a de cela plus d’un siècle de la nosographie moderne, la psychiatrie s’est fondée sur une approche catégorielle des troubles mentaux. Ce faisant, elle les considère comme des entités uniques et distinctes les unes des autres. Cependant, cette approche a finalement montré ses limites lorsqu’il s’est agi d’explorer l’étiologie de ces troubles (Hyman, 2010). En effet, les catégories diagnostiques référencées dans le DSM, ouvrage de référence dans la classification des troubles mentaux, sont loin de former des entités homogènes et les recherches menées au cours des trente dernières années sur les bases génétiques et neurobiologiques de ces entités cliniques ont en effet la plus grande difficulté à identifier des altérations qui leur sont spécifiques (Anderzhanova et al., 2017). Au contraire, ils tendent à montrer que si des altérations sont retrouvées, elles transcendent les barrières nosographiques inhérentes à l’approche catégorielle des troubles, comme c’est le cas pour la schizophrénie et le trouble bipolaire par exemple, qui ont des bases génétiques communes (Le-Niculescu et al., 2007). Ainsi, cette approche catégorielle des troubles mentaux entrave la recherche sur la physiopathologie mais aussi, par conséquent, le développement de nouveaux traitements (Cuthbert & Insel, 2013).
C’est dans ce contexte qu’une nouvelle approche des troubles mentaux est apparue : l’approche dimensionnelle. Cette dernière reconnaît le chevauchement des symptômes de nombreux troubles mentaux et suggère qu’ils sont le produit de mécanismes communs. Ce concept de dimensions est appuyé par le programme Research Domain Criteria (RDoC) du National Institute of Mental Health américain, selon laquelle la maladie mentale sera mieux comprise comme le résultat d’altérations de la structure et des fonctions cérébrales normales impliquant des domaines spécifiques de la cognition, des émotions et du comportement (Cuthbert, 2014). Plus concrètement, l’architecture conceptuelle du programme RDoC repose sur une matrice (Sanislow et al., 2019) qui croise 7 niveaux d’analyse5 avec 6 domaines fonctionnels6, eux-mêmes décomposés en un petit nombre de construits théoriques non directement observables à un instant donné mais dont on suppose une validité expérimentalement testable (MacCorquodale & Meehl, 1948). Chaque case de la matrice (croisement construit/niveau d’analyse) fait ensuite l’objet d’études documentant les systèmes biologiques impliqués et leur spectre de fonctionnement (Figure 5). De fait, on ne part plus de troubles fondés sur des symptômes pour en chercher la physiopathologie, comme avec le DSM, mais on considère les symptômes comme secondaires à des dysfonctionnements de mécanismes sous-tendant différentes fonctions ; permettant ainsi l’identification de biomarqueurs à même d’améliorer la compréhension des troubles psychiatriques et d’orienter vers de nouvelles voies thérapeutiques.
Figure 5 : La matrice RDoC (Sanislow et al., 2019)
Le projet Bipolar Schizophrenia Network on Intermediate Phenotypes (Clementz et al., 2016) est un parfait exemple de cette démarche (Figure 6). Dans le cadre de ce projet, des patients de plusieurs catégories diagnostiques ont été regroupés au sein d’un unique groupe représentant le spectre de la psychose, sans référence aux diagnostics traditionnels tels la schizophrénie ou le trouble bipolaire. Les chercheurs ont ensuite étudié un éventail de variables à différents niveaux d’analyse et ont utilisé des analyses en composantes principales pour identifier des ensembles d’individus indépendants des catégories diagnostics. Ces phénotypes intermédiaires, qu’ils nomment « biotypes », peuvent ainsi avoir une plus grande validité biologique et une meilleure prévisibilité clinique que les catégories diagnostiques limitées aux symptômes observables.

La notion de phénotype intermédiaire

En 1967, dans le but d’étudier le substrat biologique des troubles psychiatriques, Gottesman et Shield ont introduit en psychiatrie le terme « endophénotype », du grec « endos », signifiant « intérieur » (Gottesman & Shields, 1967). La définition originale d’un endophénotype exigeait de répondre à plusieurs critères, notamment avoir une héritabilité suffisante, montrer une expression accrue chez les apparentés non affectés par le trouble d’intérêt, s’agréger avec un trouble au sein d’une même famille, être stable dans le temps7 et avoir de bonnes propriétés psychométriques (Gottesman & Gould, 2003).
Cependant, le caractère strict de la définition d’un endophénotype est un frein à son application concrète dans la recherche sur la physiopathologie des troubles psychiatriques (Meyer-Lindenberg & Weinberger, 2006). C’est ainsi que des débats plus récents ont suggéré l’utilisation du terme alternatif de « phénotype intermédiaire » (Donaldson & Hen, 2015). Un phénotype intermédiaire lié à un trouble mental se situe sur un chemin allant de la prédisposition génétique à la psychopathologie. Ce chemin va de phénomènes relativement simples au niveau cellulaire, à la complexité des comportements et syndromes psychiatriques, en passant par la complexité intermédiaire des circuits cérébraux (Rasetti & Weinberger, 2011). Les phénotypes intermédiaires ne sont pas limités par les critères stricts utilisés pour définir les endophénotypes (Figure 7) et n’ont donc pas besoin, par exemple, d’être indépendants de l’état clinique ou de démontrer une association plus forte avec le trouble en question qu’avec d’autres affections psychiatriques (Leuchter et al., 2014). Ils existent à la fois chez l’humain et chez les modèles animaux, multipliant ainsi les perspectives d’avancées majeures dans la compréhension des troubles psychiatriques et leur traitement.
Figure 7 : Phénotype intermédiaire et endophénotype (Goldman & Ducci, 2007)

Abord psychologique du TOC

Les premières tentatives de modélisation du TOC et des relations existantes entre les différents symptômes datent du début du XXème siècle avec notamment les travaux de Janet (1903). Cette première conception du trouble suppose que l’obsession est primaire et génératrice d’anxiété. Cette primauté de l’obsession se retrouve de même dans les modèles cognitifs ou comportementaux plus récents. La compulsion ne serait ainsi qu’une réponse comportementale ayant pour but de réduire cette détresse (Rachman, 2002). A partir de ce postulat, différentes propositions théoriques ont été faites pour expliquer l’étiologie du TOC et la répétition du comportement.

Premier modèle étiologique

Janet est un des premiers à avoir proposé un modèle étiologique du TOC grâce notamment à ses nombreuses observations cliniques (Haustgen, 2004). A partir de celles-ci, Janet identifie les deux principaux symptômes de ce que nous appelons aujourd’hui obsessions et compulsions : « idées obsédantes » et « agitations forcées ». Selon lui, les idées obsédantes résulteraient d’une baisse de tension de l’état psychologique, qu’il nomme « état psychasthénique », et qui entrainerait une perte de contrôle de la pensée consciente. Cette perte de contrôle permettrait la libération du contenu de structures mentales inférieures (subconscientes) et donc l’émergence de ces idées. Ces pensées intrusives et les conduites compulsives en découlant seraient par la suite maintenues par un sentiment d’incomplétude et d’imperfection. Dans le cas des compulsions, le sujet se sent contraint d’effectuer un geste pour diminuer une détresse8, ce qui n’est que transitoirement efficace. En effet, une fois l’action réalisée, un sentiment de doute émerge aussitôt, imposant la répétition de l’action pour l’apaiser.
Cette première modélisation avait l’avantage à l’époque d’expliquer l’origine des pensées obsédantes mais aussi le mécanisme sous-tendant le maintien du comportement compulsif. Cependant, elle sera progressivement supplantée par les modèles cognitivo-comportementaux émergeant des progrès faits dans l’étude expérimentale du comportement.

Modèle comportemental

Au début des années 20, émergent les premières conceptualisations du conditionnement avec les travaux de Pavlov. La notion de conditionnement est basée sur le renforcement des liens entre un stimulus et une réponse (qui ne sont pas associés à priori) à force de répétitions (Pavlov, 1927). Sur la base de la « Loi de l’effet » de Thorndike issue de ses travaux sur la théorie de l’apprentissage (Thorndike, 1898), Skinner distingue par la suite le conditionnement pavlovien (ou classique) du conditionnement opérant (Skinner, 1938). Ce dernier intègre les concepts de punition9 et de renforcement10. Punition et renforcement peuvent être positifs (ajout d’un stimulus) ou négatifs (retrait d’un stimulus). Ainsi, la conséquence positive ou négative d’une réponse comportementale conditionnera respectivement la reproduction ou l’extinction de celle-ci.
Figure 8 : Modèle comportemental du TOC (Pauls et al., 2014)
Le modèle comportemental (Figure 8) émane donc de ces théories de l’apprentissage et suppose que les manifestations compulsives sont acquises par un phénomène de conditionnement comme le propose Mowrer dans sa théorie de l’évitement (Mowrer, 1960). Cette dernière postule que les rituels sont expliqués par un mécanisme d’apprentissage en deux temps dans lequel le sujet associe fortuitement par conditionnement classique un stimulus neutre (par exemple la saleté, le désordre) à un stimulus inconditionnel aversif anxiogène (la pensée obsédante). Le stimulus neutre devient alors conditionnel et ravive l’association avec le stimulus aversif anxiogène. Le sujet met alors en place des rituels pour éviter le stimulus conditionnel et diminuer l’anxiété créée par le rappel du stimulus aversif. Ce faisant, l’individu renforce négativement ses rituels par conditionnement opérant. Les obsessions récurrentes et pathologiques, source d’une détresse psychique, seraient quant à elles causées par un trouble de l’habituation comme le propose Beech dans sa théorie de l’activation et de l’habituation (Beech, 1974). Celle-ci postule que l’obsession pathologique constitue un stimulus interne qui n’a pas réussi à entraîner une réponse d’habituation11 émotionnelle.
Cependant, bien que ce modèle explique le maintien des compulsions par un phénomène de conditionnement opérant (le soulagement immédiat de l’anxiété que procure la réalisation des rituels conduit à leur renforcement), il n’apparait pas suffisamment pertinent pour expliquer la complexité des manifestations pathologiques en particulier des obsessions et des rituels mentaux ou ruminations. C’est ainsi que s’est développé le modèle cognitif censé combler ces lacunes.

Modèle cognitif

Le modèle cognitif du TOC (Figure 9) est basé sur une hypothèse générale de normalité de l’existence des pensées intrusives et d’une perturbation des interprétations des pensées obsédantes chez les sujets souffrant de TOC (Cottraux, 1998). L’obsession ou pensée intrusive, définie comme une pensée d’origine interne qui interrompt l’activité cognitive ou motrice en cours, qui apparaît difficile à contrôler et est ressentie comme génératrice d’anxiété et d’inconfort (Rachman, 1981), se trouve être normale dans sa nature (Bouvard & Cottraux, 1997). La différence fondamentale entre obsession normale et pathologique résiderait dans l’interprétation qui est faite de ces pensées. Ainsi, selon les modèles de Salkovskis et Rachman (Salkovskis, 1985 ; Rachman, 1998 ; Salkovskis et al., 2000), doivent être distinguées les pensées intrusives (ou obsessions), les pensées automatiques négatives (constituant une interprétation et une appréciation négative de la pensée intrusive et étant reliées à des schémas cognitifs et des croyances particulières) et les pensées et/ou comportements neutralisants (les compulsions comportementales ou mentales). L’idée centrale repose sur le postulat que la pensée obsessionnelle constitue un stimulus interne dont l’interprétation négative conduit à une réponse émotionnelle d’angoisse et d’anxiété, secondairement soulagée par la réalisation des compulsions. Ces dernières, non seulement, réduisent l’intensité de la réponse émotionnelle, mais préviennent également la réalisation du contenu de l’interprétation négative. La pensée intrusive devient donc un stimulus interne source de perturbation émotionnelle uniquement dans le cas d’une interaction entre cette pensée intrusive et des schémas cognitifs spécifiques.
Le modèle cognitif postule donc que le trouble réside plus dans la distorsion du système d’interprétation et dans la tentative de contrôle consécutive de la pensée intrusive plutôt que dans son contenu. La compulsion a ainsi pour but de réduire l’anxiété découlant de cette pensée intrusive. Cependant, comme nous le verrons ultérieurement, le TOC se caractérise par la formation exagérée de comportements habituels ne reposant plus sur l’atteinte d’un but, et ce dans un contexte indépendant de la nature de leurs obsessions, que les comportements initiaux soient des comportements d’approche d’une récompense ou d’évitement d’une conséquence négative (Gillan & Sahakian, 2015). De surcroît, il a été montré que la maintenance de ces comportements rendus habituels se faisait alors que les sujets avaient connaissance de la dissociation entre leurs actions et la conséquence de ceux-ci, et qu’ils avaient tendance à rationnaliser de manière post hoc ces comportements (Gillan & Sahakian, 2015). Ces observations tendent ainsi à invalider le modèle cognitivo-comportemental12 en montrant que la compulsion est au cœur du TOC ; obsessions et anxiété n’étant que des phénomènes secondaires.

Modèle cybernétique

Inspiré des travaux de Janet qui théorisait le maintien des obsessions et des comportements compulsifs comme secondaire à un sentiment d’incomplétude et d’imperfection (Janet, 1903), Pitman propose un modèle cybernétique du TOC centré sur la reconnaissance de l’erreur et l’anxiété secondaire à celle-ci (Pitman, 1987). Il suppose l’existence d’un système de contrôle interne de l’action capable d’évaluer le signal perçu par rapport à une référence interne. En cas de différence entre le signal perçu et la référence, traduisant la détection d’une erreur, un signal d’erreur est émis qui impose au sujet d’adapter son comportement afin de faire disparaitre cette différence. Pitman propose que le TOC résulte d’un dysfonctionnement de ce système de détection d’erreur qui serait suractivé et ne pourrait être satisfait malgré les multiples adaptations comportementales de l’individu. Cette suractivation du système entraine donc la répétition des comportements des patients dans le but de réduire les signaux d’erreurs perçus. Cependant chacune de ces répétitions générera paradoxalement un nouveau signal d’erreur de par cette suractivation. Cet échec dans la réduction du signal serait ainsi la source des compulsions répétées. De plus, ces signaux d’erreur induisent des idées récurrentes de doute, source d’angoisse pour le patient.
Ce dysfonctionnement dans la détection de l’erreur pourrait provenir de trois sources selon Pitman (Clair, 2009) :
– un conflit intrapsychique entre deux systèmes de contrôle de l’action qui auraient des signaux de référence distincts (pour un même signal perçu) ;
– une dysfonction du comparateur interne qui envoie un signal d’erreur quel que soit le stimulus perçu ;
– une capacité diminuée à détourner leur attention des stimuli susceptibles de générer un signal d’erreur.
L’articulation de ces trois déficits pourrait être à l’origine du TOC. Mais Pitman ne s’arrête pas là et, contrairement aux modèles précédents, essaie de relier son hypothèse aux données neurobiologiques de son époque. Il s’intéresse en effet au système limbique, qu’il imagine impliqué dans la genèse du signal d’erreur, et au striatum qui est impliqué dans l’assemblage et l’exécution de programmes moteurs. Aujourd’hui, de multiples études en neurosciences vont dans le sens d’un dysfonctionnement du monitorage de l’erreur dans le TOC13 (Endrass & Ullsperger, 2014), rendant ce modèle potentiellement valide malgré le flou autour de ses corrélats neuronaux lors de sa formulation par Pitman.
Bien que séduisant et trouvant une certaine légitimité sur le plan neurobiologique, ce modèle ne questionne pas l’origine des pensées obsessionnelles. De plus, bien que permettant de rendre compte des comportements pathologiques de vérification et des formes « compulsives » du TOC, il ne semble pas applicable aux autres manifestations de celui-ci, au premier rang desquelles les formes purement obsessionnelles.

TOC et fonctions cognitives

Des dysfonctions cognitives communes aux différents sous-types cliniques

De nombreuses études se sont penchées sur les éventuels déficits cognitifs que présenteraient les patients souffrant de TOC. Bien que des inconsistances ont pu être retrouvées d’une étude à l’autre, ils s’avèrent que certaines fonctions cognitives semblent bel et bien altérées dans le cadre du TOC (Benzina et al., 2016) ; touchant des domaines allant de la mémoire à la prise de décision en passant par l’inhibition ou bien encore la flexibilité cognitive. Cette dernière dimension, qui est mon sujet d’étude, sera à ce titre abordée indépendamment au chapitre A.III.2. (page 56).

Mémoire

La plupart des patients atteints d’un TOC déclarent être souvent incertain quant au bon accomplissement d’une action. C’est apparemment en raison de cette incertitude qu’ils se livrent fréquemment à des rituels répétés telle la vérification compulsive de leur cuisinière à gaz. Sur la base de ces observations cliniques, des études ont été menées afin d’examiner d’éventuels déficits mnésiques chez ces patients.
Il est important de noter que la mémoire n’est pas un phénomène unitaire, mais qu’elle implique plutôt un certain nombre de processus indépendants14 (Squire & Dede, 2015). La plupart des études ont porté sur la mémoire épisodique, celle qui semble la plus pertinente dans le cadre du TOC. La mémoire épisodique fait référence à la mémoire d’événements personnels passés. Néanmoins, de nombreux sous-types différents de mémoire épisodique ont été décrits, incluant la mémoire des formes verbales et non verbales de l’information.
De récentes recherches menées au cours de la dernière décennie ont produit des résultats incohérents quant à la question de savoir si les patients atteints de TOC présentent ou non de moins bonnes performances que les sujets sains dans des tâches de mémoire verbale. Par exemple, dans le California Verbal Learning Test (CVLT) et ses dérivés, les patients atteints de TOC présentent un déficit (Segalàs et al., 2008 ; Tükel et al., 2012). Le même résultat est obtenu en utilisant les sous-tests « Mémoire logique I et II » du Wechsler Memory Scale-Revised (LM-WMS-R) (Exner et al., 2009 ; Li et al., 2012). En ce qui concerne le Rey Auditory Verbal Learning Test (RAVLT, Tableau 1), qui a servi de base au développement du CVLT, les résultats sont plus mitigés, certaines études ayant constaté un déficit (Kashyap et al., 2013 ; Spalletta et al., 2014), d’autres non (Rao et al., 2008 ; Lennertz et al., 2012). Enfin, il y a certaines tâches pour lesquelles les patients performent aussi bien que les sujets sains, comme le test de l’empan numérique (Morein-Zamir et al., 2010a ; Demeter et al., 2013), le test de rappel sélectif (Boldrini et al., 2005) et l’item 223 de la batterie neuropsychologique de Luria-Nebraska (Kim et al., 2003b).
Tableau 1 : La Rey Auditory Verbal Learning Test (Paran et al., 2009)
Alors, comment expliquer ces écarts entre les résultats ? Indépendamment des facteurs méthodologiques qui jouent certainement un rôle (petits échantillons, hétérogénéité des critères d’exclusion, etc.), l’explication pourrait venir des tâches utilisées elles-mêmes. En effet, si le CVLT, le LM-WMS-R et le RAVLT sont largement validés pour l’évaluation de la mémoire verbale épisodique, les autres ne le sont pas ; en particulier le test de l’empan numérique, une tâche qui fait aussi appel aux capacités attentionnelles du sujet. Une autre explication pourrait être trouvée dans l’implication des stratégies organisationnelles utilisées (la stratégie utilisée pour coder l’information). En effet, comme le suggèrent de nombreux auteurs, lorsqu’une déficience est constatée, elle peut être due à des échecs dans le déploiement de telles stratégies requises par la tâche (Chamberlain et al., 2005). Cette idée est soutenue par Deckersbach et al. (2005) qui a démontré que les déficits en mémoire verbale retrouvés dans le TOC sont associés à des difficultés à initier spontanément des stratégies d’organisation verbale dans la phase d’encodage. Cependant, cette capacité est préservée lorsque les patients reçoivent l’instruction de mettre en œuvre de telles stratégies. De plus, ces patients sont plus lents à analyser les caractéristiques sémantiques d’un mot comparés aux sujets sains ; ce en l’absence de déficit. Cette lenteur pourrait donc aussi être responsable des déficits d’encodage (Olley ET AL., 2007).
Figure 10 : La Figure complexe de Rey-Osterrieth (Osterrieth, 1944)
En ce qui concerne la mémoire non verbale, les déficits rapportés sont plus cohérents. Le test de copie de la Figure Complexe de Rey-Osterrieth (RCFT, Figure 10) est la tâche la plus fréquemment utilisée pour évaluer la mémoire non verbale. Elle permet d’évaluer les rappels immédiats et différés, ainsi que les stratégies organisationnelles employées pendant la phase d’encodage. En ce qui concerne les deux phases de rappel, les patients souffrant de TOC présentent des performances altérées par rapport aux sujets sains (Rajender et al., 2011 ; Lennertz et al., 2012 ; Kashyap et al., 2013). Dans la phase d’encodage, la déficience est moins claire, certaines études n’ayant trouvé aucune déficience (Segalàs et al., 2008 ; Rao et al., 2008 ; Spalletta et al., 2014) alors que d’autres si (Rajender et al., 2011 ; Lennertz et al., 2012 ; Kashyap et al., 2013). Si les patients présentent effectivement une déficience au cours de cette phase, le déficit constaté au cours de la phase de rappel ne peut être assurément attribué à un déficit mnésique, mais plutôt à des stratégies organisationnelles déficientes. Il est intéressant de noter que presque toutes les études ayant abordé cette question confortent cette hypothèse (Katrin Kuelz et al., 2006 ; Jang et al., 2010 ; Lennertz et al., 2012). Mataix-Cols et al. (2003) et Penadés et al. (2005) sont allés plus loin en analysant les stratégies organisationnelles comme facteur de confusion dans l’étude de la mémoire non verbale. Leurs résultats ont démontré que l’altération de la mémoire non verbale est bien secondaire à des stratégies d’encodage défectueuses.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
A. Le Trouble Obsessionnel Compulsif
I. Description sémiologique
1. Un tableau clinique caractéristique
2. Mais une forte hétérogénéité clinique
3. Intérêt d’une approche dimensionnelle
a. Du DSM au RDoC
b. La notion de phénotype intermédiaire
II. Abord psychologique du TOC
1. Premier modèle étiologique
2. Modèle comportemental
3. Modèle cognitif
4. Modèle cybernétique
III. TOC et fonctions cognitives
1. Des dysfonctions cognitives communes aux différents sous-types cliniques
a. Mémoire
b. Attention
c. Inhibition
d. Fluence verbale
e. Planification
f. Prise de décision
2. Le déficit de flexibilité cognitive : un phénotype intermédiaire d’intérêt
a. Une propriété émergente des fonctions exécutives
b. Evaluation expérimentale de la flexibilité cognitive
c. Evaluation subjective de la flexibilité cognitive
d. TOC et flexibilité cognitive
e. Flexibilité cognitive et routine
3. Limites des études actuelles
a. Des études non dénuées de biais
b. L’importance de prendre en compte les sous-types cliniques
B. Le TOC du point de vue de la neurobiologie
I. Bases génétiques du TOC
1. Etudes familiales et études de jumeaux
2. Etudes de liaison génétique
3. Etudes de gènes candidats
4. Les études d’association pangénomique
5. Synthèse
II. Systèmes de neurotransmission et TOC
1. L’hypothèse sérotoninergique
2. Au-delà de la sérotonine
a. Implication du système dopaminergique
b. Importance du système glutamatergique
III. TOC et réseaux neuronaux
1. Une atteinte commune : la boucle cortico-striato-thalamo-corticale
a. Altérations fonctionnelles
b. Altérations structurelles
c. Synthèse
2. Des spécificités en fonction du sous-type clinique
3. Le noyau subthalamique : une structure clé ?
a. Considérations anatomiques
b. Considérations fonctionnelles
c. Le NST dans le TOC
IV. Quid du déficit de flexibilité cognitive ?
1. Support cérébral de la flexibilité cognitive
2. Des bases cérébrales communes au TOC
C. Synthèse et objectifs
PARTIE EXPERIMENTALE
A. Méthodologie
I. Traduction des versions originales de la CFS et de la CFI
II. Participants
III. La tâche de reversal learning
IV. Analyses statistiques
B. Résultats
I. Qualité des items
II. Validité interne
III. Validité externe
IV. Validation en population clinique
V. Analyse de réseau
DISCUSSION
A. Questionnaires ou mesures expérimentales ?
I. Des questionnaires valides mais…
II. Une divergence notable avec la mesure comportementale.
B. Remise en cause du lien entre compulsion et flexibilité cognitive
I. Un déficit de flexibilité cognitive indépendant de la clinique
II. Peut-on vraiment parler de déficit de flexibilité cognitive dans le TOC ?
1. Prise de décision et incertitude
2. Implication du traitement de l’information visuelle
III. Au-delà de la flexibilité : nature et spécificité des déficits cognitifs dans le TOC
1. Nature des déficits
2. Des déficits non spécifiques
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES ABREVIATIONS
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES TABLEAUX
ANNEXES : VERSIONS TRADUITES DE LA CFI ET DE LA CFS

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