La biominéralisation est le processus par lequel un organisme vivant va induire la formation d’un minéral. Plus de 60 types de minéraux sont répertoriés, et ces derniers peuvent aussi bien se déposer de façon intracellulaire (comme par exemple de l’or, ou des oxydes et oxo-hydroxides de fer), que de façon extracellulaire (comme de la silice, du carbonate de calcium, du phosphate de calcium etc.). Les fonctions de ces minéraux sont d’une grande diversité. Ainsi, les minéraux intracellulaires assurent des fonctions telle la perception de la gravité, l’élimination d’espèces toxiques, ou encore l’orientation selon le champ magnétique terrestre. De leur côté, les minéraux extracellulaires se trouvent généralement sous la forme d’un endo- ou d’un exosquelette, assurant principalement des fonctions mécaniques (i.e. protéger et/ou supporter le corps de l’individu).
Ces fonctions mécaniques sont induites par la synergie entre la phase minérale et la phase organique (i.e. polypeptides, polysaccharides, et polypeptides–saccharides). L’association intime de l’une avec l’autre conduit à un matériau composite complexe issu de millions d’années d’évolution. Outre le fait que ces matériaux composites biologiques soient une source d’inspiration intense pour les chimistes des matériaux, comprendre leurs processus de formation reste un axe majeur de recherche fondamentale. Ainsi, bien que de nombreux éclairages sur ces processus de formation aient été apportés au cours de ces 4 dernières décennies, de nombreuses questions persistent et notamment celles qui concernent la minéralisation des tissus durs chez les vertébrés.
Au cours de cette thèse, nous nous sommes particulièrement intéressés à la minéralisation du tissu osseux. Le tissu osseux résulte de l’organisation tridimensionnelle et hiérarchique de ses deux briques élémentaires : (i) des nanocristaux de phosphate de calcium, sous forme d’apatite ; et (ii) une protéine fibreuse formée de chaînes polypeptidiques, le collagène. Le tout est complété par un grand nombre de biomolécules, dont environ 200 protéines dites protéines non collagéniques (PNCs), des cellules osseuses ainsi que de l’eau. Alors que cette organisation hiérarchique fait l’objet d’une description précise, aucun consensus n’émerge pour décrire les processus conduisant à l’organisation 3D du minéral où les cristaux d’apatite sont co-alignés à longue distance selon leur axe cristallographique c.
Le tissu osseux : le collagène, l’apatite, la minéralisation
Le Tissu Osseux
Généralités, Composition
Le tissu osseux est un tissu conjonctif qui, avec le cartilage, constitue l’endosquelette des vertébrés [1], [2]. D’un point de vue mécanique, il supporte le poids du corps permettant ainsi son déplacement en conjonction avec les muscles et les articulations, et fournit également une protection aux organes internes. D’un point de vue métabolique, il sert comme réservoir ionique prenant ainsi part à l’homéostasie du fluide extracellulaire. Il est également connu pour son rôle hématopoïétique [3] (i.e. la sécrétion et le renouvellement des cellules sanguines) puisqu’il renferme la moelle osseuse. Enfin, d’un point de vue de la science des matériaux, le tissu osseux est un matériau hybride minéral-organique (ce qui le classe ainsi dans la catégorie des tissus durs) qui possède une organisation très sophistiquée. La constance requise pour assurer les propriétés mécaniques du tissu osseux paraît en contradiction avec son besoin de versatilité afin d’assurer ses fonctions métaboliques; ce qui traduit la grande complexité de ce tissu.
Les protéines GLA sont connues pour leur forte affinité à l’égard du calcium des cristaux d’apatite via leurs résidus glutamate gamma-carboxylé [12]. De manière plus inattendue, il a été décelé récemment qu’une protéine GLA comme l’ostéocalcine, exclusivement sécrété par les ostéoblastes au sein de l’os, a également une fonction endocrinienne régulant des fonctions physiologiques qui n’ont rien à voir avec le tissu osseux ; comme stimuler la sécrétion d’insuline [13] ou encore favoriser la production de testostérone [14]. De leur côté, les SIBLINGs, appelées également protéines acides car riches en résidus acides aspartique et acides glutamique, jouent notamment un rôle dans l’adhésion des cellules à la matrice extracellulaire (MEC, voir ci-dessous), ainsi que comme support de nucléation pour le minéral [8]. Un protéoglycane comme la décorine est connu pour sa capacité à se lier au collagène, régulant ainsi potentiellement l’agencement tridimensionnel des fibrilles. Parmi ces PNCs produites de façon endogène, on trouve également un grand nombre de ce que l’on appelle des facteurs de croissance. Parmi eux, par exemple, les BMPs (pour Bone Morphogenetic Proteins) ou les TGF-beta (pour Transforming Growth Factors), lesquels ont des actions spécifiques sur l’ostéogénèse. L’ostéogénèse correspond à la l’élaboration du tissu osseux, depuis l’activation des cellules progénitrices jusqu’à l’étape finale de minéralisation. Enfin, on trouve également plusieurs enzymes, comme la phosphatase alcaline et la lysyl oxydase par exemple, lesquelles ont des rôles importants dans la fabrication des composants de la matrice extracellulaire.
Trêve de cas particuliers, place maintenant aux tissus osseux des mammifères, lesquels sont dits vivants car vascularisés et riches en cellules osseuses. Cela se traduit dans un premier temps par une perpétuelle évolution du tissu afin de s’accommoder à la croissance de l’individu. Ensuite, une fois que l’individu a atteint sa taille adulte, le tissu osseux subit un renouvellement constant afin de : colmater de potentielles lésions (propriétés d’autoréparation de micro-fractures) ; d’assurer la libération de certains ions (Ca2+, HPO4 2-…) en fonction des besoins du métabolisme ; ou bien même de contrer le phénomène de maturation des cristaux d’apatite (lequel sera discuté ultérieurement). Ce phénomène est appelé remodelage osseux, et il s’effectue par le biais de réactions de résorption, puis de formation (ostéogénèse) incessantes sous l’action des cellules osseuses spécifiques : les ostéoclastes (cellules résorptrices) et les ostéoblastes (cellules formatrices). Pour un lieu donné au sein du tissu, il se produit tout d’abord la phase de résorption, puis ensuite, celle de formation, le tout suivi par une phase de quiescence, et ainsi de suite. Il est estimé que pour un être humain de jeune âge (c’est à dire moins de 30 ans), la totalité de son squelette est résorbé et reformé tous les 5 à 6 ans [2]. Ce mécanisme est ininterrompu, et il ne s’effectue pas à la même vitesse au sein des différents tissus osseux d’un individu (ni même d’ailleurs au sein d’un unique tissu donné). Il conduit ainsi à une disparité en terme de composition, et ceci notamment car l’os néoformé se minéralise progressivement. De plus, au sein du squelette humain par exemple, on dénombre 206 os constants avec des formes et des tailles variables (cf. Figure 1). Ces pièces osseuses se classent selon trois catégories en fonction de leurs morphologies : les os longs (fémur, tibia…), les os courts (os du carpe) et les os plats (sternum, os du crâne…). On trouve également une douzaine d’os dits sésamoïdes (paletta, fabella…). Ces derniers sont des cas particuliers puisqu’ils proviennent de la minéralisation initiale d’un tendon. Certains de ces os sésamoïdes ne sont pas répertoriés parmi les 206 pièces osseuses du squelette, car ils ne sont pas constants d’un individu à l’autre et sont appelés os surnuméraires (telle la fabella par exemple).
A la vue des différentes caractéristiques détaillées ci-dessus, il est difficile de définir le tissu osseux à l’aide d’une composition chimique ou bien même d’une morphologie unique. Cependant, il y a une caractéristique commune au sein des différents tissus osseux, c’est la façon avec laquelle ils sont organisés à différentes échelles.
Le Collagène
Généralités
On retrouve le collagène, une protéine, chez toutes les espèces animales dans l’embranchement des métazoaires [16]. Le collagène n’est pas seulement une protéine ubiquitaire, c’est également la protéine la plus abondante du règne animal. En effet, elle compose à peu près 30% du protéome (ensemble de toutes les protéines composant un organisme) d’un être humain par exemple. C’est principalement cette dernière qui apporte l’intégrité structurale, ainsi que la stabilité mécanique et l’élasticité aux tissus conjonctifs via son organisation supramoléculaire au sein de la matrice extracellulaire. De plus, sur la base de leurs structures supramoléculaires, il y a deux grandes catégories de collagène, à savoir les collagènes fibreux et non-fibreux. Tout type de collagène fibreux et non-fibreux confondus, il y a au jour d’aujourd’hui exactement 29 différents types de collagènes qui ont été identifiés, nommés I, II, III, IV et ainsi de suite jusqu’à XXIX. Ces différents types possèdent des séquences d’acides aminés propres, donc des structures moléculaires et supramoléculaires propres, afin de répondre aux contraintes mécaniques spécifiques demandées par le tissu dans lequel ils sont incorporés. Certains tissus sont parfois composés de l’association de plusieurs types de collagènes, comme la cornée et la peau qui sont composés des collagènes de type I et V par exemple [24], [25]. Parmi eux, le collagène dit de type I, qui appartient à la catégorie des collagène fibreux, rentre dans la composition de nombreux tissus : peau, cornée, tendon, cartilage, dentine et os, entre autres. Ainsi dans l’os, 90% de la masse totale en protéines est celle du collagène de type I, et le reste correspond aux protéines non-collagéniques.
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Table des matières
Introduction Générale
Chapitre I / Le tissu osseux : le collagène, l’apatite, la minéralisation
I-1-1) Généralités, Composition
I-1-2) Organisation multi-échelle
I-2 / Le Collagène
I-2-1) Généralités
I-2-2) Composition
I-2-3) Structure
I-2-4) Formation
I-2-5) Organisation du collagène de type I
I-3 / Le minéral : l’apatite biologique
I-3-1) Généralités
I-3-2) Structure cristalline
I-3-3) Substitutions ioniques
I-3-4) Composition chimique
I-4 / Biominéralisation osseuse
I-4-1) Morphologie des cristaux du minéral osseux
I-4-2) Déposition au sein de la MEC & Organisation 3D du minéral osseux
I-4-2-a) Nucléation homogène au sein des vésicules matricielles
I-4-2-b) Localisation & Organisation 3D
I-4-2-c) Nucléation hétérogène au sein des fibrilles de collagène
I-4-3) Rôles des protéines non-collagéniques
I-4-4) Mécanismes de nucléation/croissance du minéral osseux
I-4-4-a) Nucléation
I-4-4-b) Croissance
I-4-5) Surface des cristaux d’apatite carbonatée
I-4-6) Phénomène de maturation du minéral osseux
I-5 / L’eau
I-6 / Problématiques & Plan du manuscrit
I-6-1) Problématiques
I-6-2) Plan du manuscrit
Références bibliographiques
Chapitre II / Le caractère hydrophile du minéral osseux
Introduction
II-1 / Etat de l’art : Spectroscopie RMN à l’état solide
II-1-1) Caractérisation d’apatites de synthèse et biologique par RMN simple impulsion des noyaux 1H & 31P
II-1-1-a) L’hydroxyapatite
II-1-1-b) Le minéral osseux
II-1-2) RMN CP MAS 1D du noyau 31P
II-1-3) Proposition de l’existence d’un domaine non-apatitique RMN 2D 1H-31P
II-2 / Etude de l’os frais : caractère hydrophile du minéral osseux
II-2-1) Os frais
II-2-1-a) RMN simple impulsion des noyaux 1H & 31P
II-2-1-b) Spectre 2D HetCor 1H-31P
II-2-1-c) Dynamique de transfert de polarisation croisée 1H-31P
II-2-1-d) Echange chimique H2O/D2O
II-2-2) Quantification du domaine non apatitique
II-2-3) Conclusion
II-3 / Continuité entre le domaine apatitique et le domaine non-apatitique
II-3-1) Os sec
II-3-2) Mélange physique HA + ACP
II-3-3) Conclusion
II-4 / Propriétés d’hydrophilie de plusieurs phosphates de calcium de référence
II-4-1) Les apatites biomimétiques
II-4-1-a) Caractérisation standard par DRX, MET et ATG
II-4-1-b) Caractérisation par RMN
– RMN simple impulsion 1H & 31P
– RMN 2D 1H-31P
II-4-1-c) Echange d’aimantation 1H-1H par diffusion de spin
II-4-1-d) Quantification du domaine non apatitique
– CHA
– CHA-SBF
II-4-1-e) MET-HR
– Os déprotéiné
– Apatites biomimétiques
II-4-2) Apatite stœchiométrique
II-4-3) Brushite et monétite
II-4-4 / Conclusion & Discussion
Références bibliographiques
Chapitre III / Etude du domaine non-apatitique de surface
Introduction
III-1 / Comparaison avec un phosphate de calcium amorphe
III-1-1) Comparaison par RMN 31P
III-1-2) Comparaison par RMN 1H
III-1-3) Caractère hydrophile de l’ACP
III-1-4) Conclusion & Discussion
III-2/ Etude de la composition chimique du domaine non-apatitique
III-2-1) Etude des ions HPO4 2-
III-2-2) Etude des ions CO3 2-
III-2-2-a) Spectroscopie infrarouge
III-2-2-b) RMN 2D 1H-13C
III-2-3) Etude des ions Ca2+
III-3 / Conclusion
Références bibliographiques
Conclusion