Le théâtre et la théâtralité
Le théâtre, synthèse de différents arts
Le théâtre est une synthèse de différents arts. « Il est de l’essence, en son origine, d’être à la fois parole et chant, poésie et action, couleur et danse, […] », écrit Jacques Copeau qui met le rôle du décorateur « au même rang que celui du poète, […] toute action dramatique devant accepter comme donnée première les plans et les volumes et par conséquent le système de représentation suivant lequel elle se déploie » . Gaston Baty, de son côté, compare le théâtre à la lyre dont les sept cordes sont peinture, sculpture, danse, prose, vers, chant et symphonie et, dit-il, « pour se développer, le thème emprunte des notes à chacune (des cordes) .
Roland Barthes , partant d’un point de vue sémiotique, appelle le théâtre « une espèce de machine cybernétique » qui envoie à l’adresse du public des messages particuliers, simultanés mais de rythme différent ; le spectateur reçoit « en même temps six ou sept informations (venues du décor, du costume, de l’éclairage, de la place des acteurs, de leurs gestes, de leur mimique, de leur parole), mais certaines de ces informations tiennent (c’est le cas du décor), pendant que d’autres tournent (la parole, les gestes) ».
Cette vision ne doit pourtant pas nous empêcher de croire que la partie essentielle de cette synthèse et le centre du théâtre, c’est le texte. Gaston Baty a très justement décrit la position du texte dans la synthèse théâtrale : « Il (le texte) est au drame ce que le noyau est au fruit, le centre solide autour duquel viennent s’ordonner les autres éléments. […] Le texte,
lorsque se sont évanouis les prestiges de la représentation, attend dans une bibliothèque de les ressusciter quelque jour. »
Bien que le texte soit fait pour être joué sur scène, il peut bel et bien exister indépendamment des autres composants du théâtre. Ainsi les auteurs des textes dramatiques sont-ils également poètes et leurs œuvres ressortent de la littérature. Avec un très bref aperçu historique du théâtre en France , nous verrons à quel point l’histoire du théâtre est mélangée à l’histoire de la littérature, et que la primauté du texte ne peut qu’être confirmée.
Le théâtre français, du texte à la scène
Le début du théâtre français remonte au XIIe siècle, mais son vrai envol date du XVIIe siècle : les acteurs se spécialisent alors dans la comédie ou la tragédie ; le public se police et le théâtre se joue dans des salles destinée à son seul usage. Très rapidement, le classicisme accueille les trois plus grands dramaturges français de l’histoire. Instaurée par Corneille, et accomplie par Racine, la tragédie classique, héritière de la tragédie antique, modernise la poétique aristotélicienne et atteint son sommet tant par rapport au style qu’aux thèmes développés. De son côté, Molière, unique en son genre, apporte à la comédie liberté intellectuelle et naturalisme, et fait du rire un moyen de connaissance, de libération et de combat. A la fois dramaturge et comédien, il sait créer des œuvres dont l’efficacité prend le pas sur le reste, mais pour lui l’efficacité scénique n’est pourtant pas une fin en soi : en dénonçant les vices de l’homme, il donne à la comédie une fonction sociale et en fait un miroir critique du monde. Durant des siècles, et aujourd’hui plus que jamais, les œuvres de Molière n’ont cessé de susciter intérêt et passions, tant en France qu’à l’étranger. Les traductions en de nombreuses langues, ainsi que les mises en scène, sont multiples. Dans la dernière partie de notre thèse, nous ferons une étude approfondie de la traduction chinoise d’un de ses chefs d’œuvre – Le Tartuffe.
Du siècle des Lumières à l’ère industrielle, le mouvement des idées commande l’évolution des mœurs ainsi que le développement de nouvelles formes littéraires. La création dramatique, du temps de Voltaire, Diderot et de Marivaux, devient plus satirique, moralisatrice, et on y trouve plus de naturel dans les situations, le langage, les rapports sociaux et interpersonnels. Puis après la révolution, le mélodrame, une forme de drame populaire, obtient l’unanimité des classes sociales jusqu’à ce que les auteurs romantiques, non sans être influencés par le mélodrame, inventent un langage nouveau. Le drame romantique, renonçant aux règles et prônant la liberté, n’a pas connu de son époque de grand succès à la Comédie française, mais gagne du terrain auprès d’un public bourgeois et populaire. A la seconde moitié du XIXe siècle, le théâtre bourgeois domine le terrain, marqué peu à peu par le réalisme et la psychologie, et tend à devenir un article de consommation dans un monde de commerce et d’industrie.
Jusqu’alors, le théâtre occidental est caractérisé par le règne du texte, ce qui explique la séparation entre deux fonctions : la dramaturgie, fonction noble, créative, et la mise en scène, considérée comme fonction auxiliaire, sinon ancillaire. C’est vers la fin du XIXe siècle que se crée la véritable place du metteur en scène. Antoine met en œuvre une conception de la mise en scène fidèle à la vision naturaliste approfondie et intériorisée, ouvrant ainsi la voie à la rénovation du théâtre.
Le théâtre connaît dès lors une période de maturation esthétique, avec l’apparition de nombreux metteurs en scène qui cherchent de nouveaux moyens d’expression théâtrale. Copeau, le Cartel , et ensuite Artaud apportent des réflexions différentes, aussi nombreuses et influentes que celles de certains théoriciens étrangers. Brecht, théoricien, dramaturge et metteur en scène allemand, remet en cause dans ses écrits la tradition dramatique occidentale depuis Aristote, le théâtre qui provoque l’identification du spectateur aux personnages agissants incarnés par les comédiens. D’après lui, l’identification intégrale paralyse les facultés critiques du spectateur. Les conflits auxquels le public assiste, débouchent toujours sur un dénouement harmonieux, et le public ne peut qu’adhérer, dès le début, à la vérité que ce théâtre proclame. En revanche, le théâtre épique , qui s’appuie sur l’effet de distanciation en transformant « la chose qu’on veut faire comprendre, sur laquelle on veut attirer l’attention, de chose banale, connue, immédiatement donnée, en une chose particulière, insolite, inattendue » , mobilise le sens critique des spectateurs, les incite à réfléchir et à découvrir une vérité plus complexe. Les idées de Brecht ont, en quelque sorte, encouragé des innovations de formes théâtrales, et renforcé la responsabilité du metteur en scène. La mise en scène devient progressivement l’élément clef du théâtre, et certains hommes de théâtre réclament même la primauté de la mise en scène sur le texte . Les auteurs ne jouent plus le même rôle qu’auparavant dans l’entreprise théâtrale.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Le Projet
2. L’État de la question
3. La démarche
4. Quelques précisions sur la méthode
PREMIERE PARTIE CONNAITRE LE THEATRE : EN FRANCE ET EN CHINE
Chapitre 1 : Le théâtre et la théâtralité
Chapitre 2 : Le langage dramatique : ses caractéristiques
Chapitre 3 : La tradition et l’évolution du théâtre en Chine
DEUXIEME PARTIE TRADUIRE LE THEATRE – LES THEORIES DE LA TRADUCTION ET NOTRE REFLEXION
Chapitre 1 : Nos fondements – la Théorie interprétative de la traduction et les pensées chinoises
Chapitre 2 : Les théories de la traduction et la traduction littéraire
Chapitre 3 : Réflexion théorique sur la traduction des œuvres dramatiques
TROISIEME PARTIE ÉTUDE DE DEUX PIECES DU THEATRE FRANÇAIS TRADUITES EN CHINOIS
Chapitre 1 : Molière incontournable
Chapitre 2 : Genet insolite
CONCLUSION
ANNEXE 1 : INVENTAIRE DES PIECES DU THEATRE FRANÇAIS TRADUITES ET REPRESENTEES EN CHINE
ANNEXE 2 : REPONSE DE SHEN LIN, TRADUCTEUR DU BALCON, A NOS QUESTIONS
BIBLIOGRAPHIE