Le théâtre à l’origine d’une culture de l’espace

SE RÉINSCRIRE DANS L’HISTOIRE

« le théâtre est l’un des endroits où l’on vient, consciemment ou non, se réinscrire dans l’histoire »

Marie-Madeleine Mervant-Roux, L’Assise du théâtre, pour une étude du spectateur, p.11.
Puisqu’il s’inscrit dans un héritage architectural théâtral, puisqu’il a été construit à un instant donné, le bâtiment théâtral cristallise tout à la fois un positionnement vis à vis des questions soulevées sur ce qu’il devrait être ainsi que la situation qui l’a vu s’élever, contexte urbain, historique, social et sociétal. Il peut même être, pour les politiques entre autres, un outil privilégié de pouvoir1. L’événement théâtral qui y prend place se nourrit de cette réalité dans laquelle il peut s’inscrire, avec laquelle il peut jouer, laissant derrière lui au moment du départ un peu de ce qui s’est déroulé là, une strate supplémentaire pour ceux qui s’empareront ensuite de ce « temps coagulé »2. Dans ce lieu d’une mémoire s’ajoute ainsi à l’histoire le souvenir de l’éphémère, la mémoire du lieu-même. Et puisqu’il en dessine l’inscription urbaine et les volumes, puisqu’il lui choisit un langage et des ambiances, puisque son geste s’inscrit par rapport à l’histoire, l’architecte participe à cette aventure là, à l’apparition et à l’évocation de cette mémoire si nécessaire à l’édifice théâtral. Nés après la grande période de remise en questions des édifices théâtraux du XXe siècle, Onyx, le TU et le LU constituent des bâtiments très intéressants à observer et comparer, de leur commande à ce qu’ils sont et représentent, en passant par ce qu’ils ont été et représenté.

DÉSIR ET NAISSANCE DE TROIS LIEUX

« La constellation nantaise » : de l’intérêt de la culture pour la cité

A l’orée des années 80, Nantes pourtant grande ville ne possède pas de scène nationale. Passée à côté de la décentralisation culturelle une vingtaine d’années auparavant, elle a laissé Rennes se construire son Théâtre National de Bretagne et Angers accueillir le Centre dramatique National des Pays de la Loire. Déjà tiraillée entre deux régions, Nantes est surtout tiraillée entre droite et gauche. En effet, le théâtre et les salles qui l’accueillent sont des projets porteurs pour la sphère politique qui a su et sait toujours s’en saisir pour servir ses intérêts. Les théâtres, événements dans la ville, participent pleinement au rayonnement de cette dernière. Ainsi en 1982, peu avant la fin du mandat d’Alain Chénard, maire socialiste, le Conseil Général alors de droite crée l’Espace 44 qui deviendra le Grand T que l’on connaît aujourd’hui. Cette action vient faire de l’ombre au projet de Maison de la Culture de Nantes dont la direction est attribuée à Jean Blaise. Michel Chauty, ancien maire de Saint-Herblain et représentant du RPR, est élu maire de Nantes en 1983, reprenant la ville à la gauche. Peut-on y voir un lien ? En tous les cas, Chauty s’empresse de couper les subventions de la Maison de la Culture de Nantes et de réduire les économies du Théâtre de la Chamaille, l’une des deux troupes majeures de ces années 80. Dès lors et pour la vingtaine d’années qui suivront, une « guerre des cultures »2 se met en place et les salles de spectacles qui s’essaiment dans la ville et ses environs vont être tout autant politiques que culturelles. Cette rivalité va doter Nantes d’un solide maillage de lieux scéniques3, aux formes, aux ambitions et aux publics variés, à travers lesquels leurs auteurs auront tout le loisir de s’exprimer et de se positionner face aux commande des municipalités.

1988 : équiper la périphérie pour gagner le centre-ville

Alors jeune secrétaire de la section PS de Saint-Herblain, Jean-Marc Ayrault est élu maire de la commune en 1977 face à Michel Chauty. Puis, en 1989, il sera élu à Nantes, succédant à ce dernier et reprenant la ville à la droite. C’est juste avant ce changement de municipalité qu’Onyx verra le jour, se posant comme un projet phare de la commune de Saint-Herblain, ouvrant ses portes au public un an à peine avant les élections.
Onyx prend place dans le projet d’Atlantis dont le rêve commercial et tertiaire avait été ébauché par Chauty dans les années 70. Centre géographique d’une commune éclatée entre différents quartiers suite à une explosion démographique, il est encore présenté aujourd’hui comme le coeur battant de Saint-Herblain qui tend à rapprocher ses habitants autour de « trois bonnes occasions de se croiser : faire des courses, travailler et se cultiver »1. Destiné à une échelle communale plus que métropolitaine, Onyx conservera au fil des années cette ambition, accueillant un public venant certes également de Nantes – surtout depuis l’arrivée du tramway en 2005 – mais dans une ambiance d’amateurs de théâtre plus que d’habitués.
Loin de l’utopie fantasmée d’un lieu où se rencontre dans une joyeuse naïveté culture et consumérisme, le public d’Onyx est aujourd’hui bien différencié de celui du centre commercial.
L’architecture proposée a d’ailleurs été la première des critiques lancée face à l’opération qu’est Atlantis. Myrto Vitart, pour Jean Nouvel & Associés, remporte le concours organisé en 1986. Ce n’est pourtant pas son projet qui répond le mieux à la programmation et aux nécessités techniques.
Mais son parti pris architectural extrêmement fort la fera gagner – à conditions de retouches notamment techniques sur le bâtiment. Privilégiant le geste et l’iconographie à la fonctionnalité et l’usage, Jean-Marc Ayrault choisit alors un symbole pour sa commune… et au-delà de cela, une formidable publicité pour sa carrière, Onyx restant une des opérations phares de son mandat à Saint-Herblain. Le coût final de l’opération de 24 millions de francs2 fera grincer quelques dents mais Onyx participera à ce pourquoi il avait été – entre les lignes – esquissé : le rayonnement de Saint-Herblain et la propulsion de Jean-Marc Ayrault sur la scène politique nantaise.

1994 : culture et éducation

Contrairement à Onyx et au LU, le TU ne cristallise pas d’ambition politique particulière.
Il illustre cependant un intérêt pour la culture, l’éducation et leur liaison. Il est, en tous les cas et malgré la petite échelle de son opération, construit durant le mandat de Jean-Marc Ayrault, recevant pour sa réalisation une partie de ses financements de la ville de Nantes. Il vient surtout pallier un manque de la ville. En effet, aucune formation théâtrale professionnelle publique n’y est alors proposée et l’on souhaite d’autre part développer l’université en lui offrant un autre visage, celui d’ « un vrai campus où l’étudiant ne vienne pas seulement suivre des cours mais s’abreuver aussi de culture »3. La diversité de l’enseignement est, pour la richesse d’une grande ville, tout aussi importante que sa vie culturelle.
Commandé par l’Université de Nantes et le Ministère de l’Éducation Nationale, né d’un premier projet initié par le Crous en 1986, l’édifice s’implante en plein coeur de l’université, au niveau de la jonction encore laissée libre entre restaurant et bâtiments universitaires. Son architecte, Igor Hilibert, est surtout connu pour son travail de scénographe qui a certainement été un atout lors de l’appel à candidatures sur références de 1991. Le TU se destine en effet bien plus à des usages quotidiens qu’à une symbolique forte. Sans oublier qu’Hilibert participa entre autres à la réalisation du Grand T, une douzaine d’années auparavant, en tant que scénographe. Un point de plus pour lui qui obtient le projet en tant qu’« architecte-scénographe » aux côtés de Dupras-Gilbert-Guinaudeau désigné comme « architecte d’opération ».
Les travaux commencent en 1992 puis le TU ouvre ses portes en 1994. Il est à l’image de ce que voulait voir émerger ses commanditaires : un bâtiment humble, simple mais profondément convivial. Le TU se développera au fil des années avec une programmation théâtrale critique et actuelle, acquérant un public régulier et conquis. Ce n’est pas le cas de la plupart des autres théâtres universitaires de France qui resteront davantage cantonnés à leur rôle et leur échelle, étant presque exclusivement investis par des troupes et des spectateurs estudiantins. L’origine universitaire du TU tend d’ailleurs à véhiculer les clichés sur ce qui se déroule en son sein et il tente depuis plusieurs années de la rendre plus discrète en s’appuyant davantage sur l’acronyme de son nom que sur son appellation complète.
Le TU prend de l’ampleur en 2001 en étant labellisé scène conventionnée. Il est ensuite chargé en 2008 de développer le Studio Théâtre culturellement. De nombreuses collaborations se nouent de plus avec d’autres salles de Nantes, participant au dynamisme de la vie de l’institution qui se fait peu à peu sa place. Entre événements pour promouvoir l’art estudiantin2 et une programmation de spectacles professionnels, le TU surfe encore aujourd’hui entre échelle universitaire et échelle nantaise.

2000 : une si belle revanche

Construit pour le tournant du siècle, le LU est tout un emblème pour la municipalité socialiste. Né d’un squat artistique souhaitant se pérenniser4, le projet est destiné à accueillir le Centre de Recherches et de Développement Culturel anciennement Maison de la Culture de Nantes – celle-là même qui avait été mise à mal par la droite – toujours mené par un Jean Blaise devenu avec l’arrivée à la mairie de Jean-Marc Ayrault « l’un des hommes-clé de la vie culturelle nantaise ». L’objectif est également d’offrir à Nantes une scène nationale qui lui fait encore défaut… qui permettra en outre de réduire quelque peu le rayonnement du Grand T.
Le projet prend part à une urbanisation plus généralisée d’une ancienne friche industrielle, celle des usines LU. Une grande partie du site a déjà été détruite, remplacée par le Centre des Congrès et des opérations de logements et bureaux. Seule subsiste 1/8 des anciens bâtiments, faisant face à la gare et au centre-ville. L’étude de programmation a lieu en 1996 puis le concours est lancé en 1997.
C’est là qu’entre en scène Patrick Bouchain. Proche entre autres de Jean Blaise, il demande à ce dernier de ré-écrire le programme, dont il juge la proposition officielle « infernale »1. Avec ce nouveau programme, Bouchain peut désormais s’approcher des véritables aspirations de l’édifice et de la commande et s’inspire du squat artistique jusque là installé. Son projet vient s’opposer à certaines prérogatives, exposant son point de vue sur l’urbanisation en cours dans ce coin de Nantes. L’édifice qui devait s’ouvrir vers le Centre des Congrès lui tourne désormais le dos ainsi qu’à l’immense avenu Carnot, lui préférant les bords du Canal Saint Félix et le château des Ducs. Arrivé à l’oral du concours, il ne présente ni plans ni coupes, à peines quelques croquis, dressant dans sa présentation le portrait d’un lieu laboratoire dont l’expérimentation et l’appropriation par les nantais commenceraient dès la première brique, dès le début d’un chantier où tout ne serait pas segmenté mais où tout se mêlerait, le savoir-faire des ouvriers, celui de l’architecte et le regard des futurs utilisateurs. De quoi faire rêver le jury2 qui le placera tout de même hors concours. Cependant, Bouchain n’en reste pas là. Son carnet d’adresses sous le bras, il réagit immédiatement, obtenant de Jean-Marc Ayrault un rendez-vous dont il use pour le rassurer quant à la faisabilité de son projet. La perspective d’un chantier en une seule phase au lieu de deux, moins cher que prévu et la persuasion dont sait faire preuve Bouchain ont gain de cause. Déclaré hors concours mais finalement vainqueur, l’architecte rafle la mise. Les travaux débutent en 1998.
Arrivé dans un « contexte favorable »3 à sa manière d’appréhender le travail de l’architecte, Bouchain mène donc vers le nouveau millénaire un projet figure de proue pour lui mais aussi pour Jean-Marc Ayrault et Jean Blaise qui dotent ainsi la ville d’un édifice théâtral tout à la fois officiel et original. L’échelle visée est bien nationale et même plus4 mais la programmation saura garder quelques saveurs locales au fil des années.

ÉCHOS DU PASSÉ

Tout bâtiment théâtral se compose de couches temporelles puisées tant dans l’histoire du théâtre que dans celle avec un grand H. Ainsi les débats qui ont animé le XXe siècle quant à comment devait être une salle de spectacles résonnent dans chaque construction qui les a suivi. Sacralisation ou désacralisation, abri ou édifice, chaque architecte se positionne et se nourrit de cette longue remise en question qui commença dès la fin des années 40, pour venir répondre à la commande qui leur est faite.
Des tendances s’esquissent, souvent toutes en nuances entre les extrêmes cités précédemment. Au-delà de cela, se retrouve dans ces couches une cristallisation de la situation historique qui a vu naître le bâtiment, une marque de l’époque dans laquelle voire face à laquelle il s’est inscrit1. Tout cela participe à la mémoire du lieu.

Onyx : critique d’un consumérisme grandissant

Cube noir sur tapis d’asphalte, Onyx se pose à son ouverture tout à la fois en très forte opposition et en continuité avec son environnement. Émergeant du sol en cassant la trame du parking, objet sculptural d’une simplicité contrastant avec le bâtiment high-tech de Rogers et celui du Auchan placés de part et d’autre, il se joue du contexte pour imposer sa marque et sa présence.
Entre lac et parking, entre ville et campagne, il illustre ce moment précis par l’opposition très plastique d’un volume plein et défini sur une surface plane presque infinie, sans ligne d’horizon. Un lieu dans un non-lieu aurait-on envie d’écrire.
Onyx garde ainsi la mémoire de cette utopie qu’est Atlantis qui se rêvait coeur battant d’une commune disséminée en quartiers alors même qu’une surface commerciale de cette envergure est par essence impersonnelle. L’architecte tire ici les traits d’une caricature2. La globalisation et le développement du consumérisme à outrance sont soulignés par le geste architectural qui l’a tracé. C’est aussi les débuts de la « France moche » – que décrira un Télérama peu aimable3 – qui s’exposent à travers le cube noir qui n’évoque pas par hasard ces boîtes à chaussures en pavés droits qui fleurissent déjà dans les périphéries urbaines.
De plus, Onyx critique cette volonté d’allier lieu culturel et lieux commerciaux. C’est nier l’essence même de l’événement théâtral que de penser que l’on peut s’y confronter comme on entre dans le dixième magasin de son après-midi shopping. Il semble sacraliser l’édifice tout en désacralisant son caractère théâtral, qui ne se découvre que de l’intérieur. Ou plutôt, il attend la nuit pour révéler le théâtre qu’il abrite. Ainsi, contrairement aux édifices qui l’entourent, il  n’exprime rien de l’extérieur en pleine lumière naturelle mais se révèle la nuit tombée par la lumière perçant à travers ses grilles. Vitart transperce la boîte à chaussures quand les enseignes s’éteignent. Quelques clins d’oeil sont faits à la tradition théâtrale, rares et discrets, notamment ce choix de la couleur rouge comme seule couleur d’Onyx que l’on retrouve d’ailleurs dans le tracé des places de parking qui l’entourent.
D’autre part, Myrto Vitart réalise le bâtiment pour l’agence Jean Nouvel & Associés, elle s’inscrit donc ici dans la continuité de son courant architectural : du caillebotis, du noir et du métal à profusion. L’architecture est contextuelle d’un point de vue urbain, comme le revendique Jean Nouvel, et minimaliste, s’inscrivant dans un des courants architecturaux qui suivit la modernité et par ce biais dans l’histoire de l’architecture.
Mais là où le geste architectural va trop loin dans la caricature, c’est qu’il ne s’adresse à ceux qu’il doit accueillir que le temps de la critique. On peut certes y voir une réussite du geste, si précis et contextuel qu’Onyx est aussi abstrait que l’environnement dans lequel il s’invite. Mais pour les usagers, pour les spectateurs, pour ceux qui viennent ici participer à l’événement théâtral, aucune inscription ou réinscription n’est possible. Ce n’est pas un hasard si la plupart des photographies illustrant le projet dans les revues et les ouvrages sont laissés vides de toute vie humaine. Après tout le jury du concours l’avait statué dès 1986 : le projet oubliait déjà ses usagers à la phase esquisse, comment l’imaginer tout à coup métamorphosé… Cristallisant donc une part de l’histoire du XXe siècle, Onyx s’abstrait dans le même temps. Peut-être dans 100 ans saura-ton le dater tant l’architecture aura changé. Pour l’heure, seuls de petits indices laissés ça et là tels une vieille pancarte  »défense de fumer » sauront éventuellement aiguiller le public de 2018 sur les temporalités qu’a traversé Onyx.

TU : une architecture de théâtre en toute modestie

Les volumes du TU s’élèvent dans la continuité de ceux de l’université. S’installant le long d’un mail paisible qui découle de l’arrêt de tramway pour mener au campus, entre cours d’eau et butte, il se décompose en plusieurs volumes fonctionnalistes – là aussi courant architectural mais datant du début du XXe siècle – qui donnent à lire même de loin l’usage du lieu. Le bâtiment s’appuie sur une importante déclivité pour jouer avec ses niveaux. L’architecture est discrète et humble, le parti pris n’est pas surprenant puisque le lieu est bâti par un homme de théâtre, scénographe avant d’être architecte.
L’architecture n’en est pas pour autant faible puisqu’elle crée une ambiance et fait échos à toute une période de l’histoire architecturale notamment, celle dans laquelle s’inscrivent le reste des bâtiments qui l’entourent dont le restaurant universitaire en pyramide renversée fortement éloquente. Organisé autour d’un foyer dont la transparence dessinée par Hilibert donne sur le mail et invite à être découvert, il est tout à la fois abri estudiantin et édifice sur le campus. Le porche d’entrée, cette légère avancée vers l’extérieur, sacralise l’événement théâtral, la venue du spectateur au théâtre. Puis l’intérieur désacralise l’endroit par sa simplicité et sa convivialité.
Le TU reprend les codes du théâtre : le bois craquant, le noir qui permet la concentration, le fonctionnalisme des volumes qui a longtemps différencier les bâtiments théâtraux des autres édifices urbains, l’organisation à l’italienne avec ses quelques balcons presque toujours vides. Il rend cependant ces codes accessibles en n’écrasant pas ses visiteurs sous les références un peu usées des lourdes tentures de velours et des dorures.
D’autre part, la mémoire de l’éphémère qui s’immisce dans les strates qui composent l’édifice théâtral2 est très présente au TU. La jauge plus intimiste et la simplicité plus grande d’un lieu sans prétention jouent certainement un rôle dans cette appropriation plus aisée. Ici, les événements s’affichent, se dessinent parfois sur la façade, prennent possession de l’espace. Contrairement à Onyx où rien ne semble demeurer après avoir été joué et au LU dont le passé est poli par une municipalité qui l’utilise comme image d’Épinal, on prend ici pleinement part à l’événement théâtral, on y laisse ses marques, on ne craint pas d’abîmer le lieu de sa présence.

LU : « une résonance du passé »1 éminemment nantaise

Toute l’intelligence d’user de la réhabilitation pour venir créer un édifice théâtral s’exprime à travers le projet du LU. S’inscrivant dans un contexte déjà chargé d’histoire, le théâtre qui s’y déroule y est forcément déjà nourri, enrichi. Le LU évite ainsi de devoir patienter pour se charger d’histoire, problème auquel Onyx et le TU doivent se confronter. Né sous de telles augures, il fallait juste avoir l’audace de ne rien toucher ou presque, et c’est ce que fit Bouchain.
Simple remise aux normes de la partie existante, l’architecte y fait tout un travail de mémoire et de cristallisation d’une grande part de l’histoire de la ville, son histoire industrielle, marquant également à jamais dans l’identité nantaise la présence du petit beurre aux coins arrondis.
Le théâtre sert ici autant l’histoire que l’histoire sert le théâtre puisque le premier permet au second d’être conservé tandis que le second offre un contexte riche et illustré au premier. Les espaces sont délimités par quelques rares nouvelles parois bâties en parpaings, soulignant une volonté d’intervention légère même dans les matériaux employés. L’ancienne faïence est nettoyée et accueille la programmation tandis que des meubles mobiles indiquent librairie, billetterie et bar. Sur les murs, les poteaux ou le sol, les marques de l’ancien temps sont données à voir et chargent le lieu, ‘‘ invitant à en faire de nouvelles ’’ 2 – ou presque. Édifice industriel devenu abri artistique, le LU évoque également un tout autre bâtiment et à travers lui un tournant dans l’histoire théâtrale : la Cartoucherie, salle de spectacles marquante du XXe siècle qui représenta ce moment charnière des années 60 où metteurs en scène et comédiens délaissaient les salles traditionnelles pour investir garages et entrepôts. Les sheds de la Cour ont d’ailleurs été précautionneusement conservés par Bouchain qui a préféré y poser une surtoiture plutôt qu’engager une grande part de ses frais dans leur réhabilitation. Mais la salle de spectacles ne s’inscrit pas, comme à la Cartoucherie, sous ces sheds. Pas assez haute de plafond pour y installer des gradins en nombre suffisant et respectant une bonne visibilité, présentant une acoustique certainement difficile à régler en cet espace qui ne fut pas imaginer pour accueillir du théâtre, l’architecte lui a préféré la construction d’un nouveau volume parallélépipédique qui s’inscrit en fond de Cour.
Au delà de ce rapprochement, le LU reste donc en grande majorité riche d’un passé qui n’est pas celui du théâtre. Il n’est pas sacralisé en tant qu’édifice théâtral que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur. Il n’y a pas d’entrée marquée, pas de volumes exprimés depuis la rue. Juste une usine conservée en plein coeur de ville, situation assez rare pour bel et bien mériter son appellation de lieu unique. La tour se démarque, il est vrai, mais elle constitue davantage un symbole pour la ville que pour la scène nationale qu’est le LU. A l’intérieur, ce rôle de salle de spectacles se dilue également parmi les autres usages, notamment celui du bar. Cette dilution voulue par le commanditaire a pour objectif de transformer l’ancien squat en institution, sans le sacraliser.
La salle demeure cachée, en fond de Cour. Seul volume entièrement neuf du projet, Bouchain y convoque une toute autre histoire de Nantes : celle des colonies et du commerce triangulaire. Tapissant les murs de 500 bogolans, l’architecte replace la salle de spectacles face à une histoire qu’elle préférerait oublier.
Patrimoine industriel, échos d’un passé colonialiste, le LU s’ouvre aussi vers l’Histoire de France et l’importance de son fleuve en faisant face au château des Ducs et au canal Saint Félix. C’est tout le passé de la ville que Bouchain convoque en un seul lieu, d’une richesse prégnante et saisissante. On se sent entre ces murs intimement connecté au passé de Nantes tout en étant pleinement ancré dans le présent.

THÉÂTRES  »DANS L’AIR DU TEMPS »

Le théâtre miroir du monde ? Cette image est certes bien séduisante mais elle s’esquisse trop vite pour être tout à fait juste. Le théâtre et notamment l’édifice qui l’accueille ne se contentent pas de renvoyer un reflet à la société, ils mènent une action beaucoup plus profonde et représentative : il « concrétise et active les contradictions d’une société »1. Ainsi, l’édifice théâtral déjà présent depuis quelques décennies est certes resté là par son caractère bâti mais il n’est pas, ne saurait être, une simple extraction du passé. Il évolue avec son public, son contexte, la société qu’il accueille et qui l’accueille.

TU : la résonance des appropriations

Contrairement à Onyx dont l’apparence vieillit peu, le TU de six ans son cadet commence à prendre quelques rides. La façade aux coulures noires sur crépis un peu usé illustrent 24 années de bons et loyaux services. Il s’inscrit toujours dans une université qui commence à muter et son parti pris fonctionnaliste ramène à un temps plus reculé que celui de l’architecture minimaliste faisant naître une certaine nostalgie. L’université toute entière semble être une parenthèse au nord de Nantes face à l’architecture éclectique et contemporaine d’un quartier de la création qui se développe au sud, sur son île. Plus qu’une nostalgie, le TU a surtout acquis une résonance des appropriations. Là où le LU s’est appuyé sur un bâtiment existant pour goûter la richesse d’une histoire déjà dense, le TU s’est de son côté chargé de sa propre mémoire, de sa propre histoire, née de l’accumulation d’appropriations dont les signes se font sentir, ayant pu être un jour bien visibles et demeurant donc aujourd’hui. Il a ainsi adopté la posture d’un « théâtre traditionnel », se reposant pleinement sur son rôle premier, sa fonction même de salle de spectacles.
Mais le TU ne s’oublie pas dans cette nostalgie, dans cette épaisseur de souvenirs. Il représente toujours aujourd’hui une opportunité de frictions et d’échanges, d’expression et de création. Le lieu promeut ainsi un contact dans une société souvent décrite comme déconnectée ou plutôt connectée mais seulement virtuellement. Peut-on y voir une forme de résistance ? En tous les cas, le TU a du, pour continuer à l’attirer et à l’accueillir ce contact, se rendre actuel et ce grâce notamment à un renouvellement de sa scénographie intérieure. Se découvre ici tout l’intérêt d’une architecture fonctionnaliste : à chaque saison, le hall du TU peut changer de décor, suivant sa programmation, sans être écrasé par l’édifice qui l’abrite. S’ajoute à cela une signalétique bien pensée qui dynamise le lieu et rend contemporain un décor qui pourrait paraître bien plus vieillot. Le TU s’est ainsi fait à son époque, au rythme des générations d’étudiants qui l’animent quotidiennement, et s’est peu à peu construit une seconde jeunesse.

Onyx : une plastique mise à mal mais une caricature toujours aussi vive

Trente ans ont aujourd’hui passé et le contexte d’Onyx a bien changé. Depuis le tapis d’asphalte et les deux pavés droits qui l’entouraient, de la surface plane si saisissante – il faut le reconnaître – esthétiquement, le cube noir a vu arriver de nouveaux voisins, à son grand désarroi. A commencer par des espaces verts qui ponctuent le parking auxquels s’était pourtant fermement opposée Myrto Vitart en 1986. Ajouter à cela le détail des places tracées au blanc plutôt qu’au rouge originel et l’on perd ici un bien beau préambule à l’édifice.
Mais plus marquant encore par leur nombre et leurs tailles, ce qui a surtout changé dans le paysage d’Onyx, ce sont ses voisins commerciaux. Si le géant IKEA a cherché à lui rester agréable en 2005 en lui amenant le tramway, permettant de desservir l’édifice directement sur son entrée sud avec un chemin qui longe le lac, le centre Atlantis impose beaucoup plus sa présence que ne le faisait le supermarché des années 90. Pire encore, Onyx qui ne se révélait que la nuit voit son éclat pâlir face aux affiches éclairées, aux devantures lumineuses d’un Pathé qui s’est implanté juste en face et de divers restaurants lui servant d’arrière-plan au nord. Le parti pris architectural d’une caricature en opposition même dans la temporalité de son utilisation, le geste fort de Myrto Vitart – ce geste qui l’avait fait gagné – est ici recouvert, gribouillé, enveloppé dans une image d’ensemble. Objet parmi les objets, Onyx s’essouffle un peu.
Mais l’édifice ne perd pas toute sa force. L’architecte avait anticipé cet étalage de couleurs et de lumières, ce développement à venir – cela n’était pas très difficile puisque clairement énoncé dans le projet d’ensemble. En effet, en confrontation avec ses nouveaux voisins, Onyx développe une autre image, une autre force de son architecture. Alors que tout autour chacun cherche à se vendre par sa devanture, l’édifice théâtral ne renvoie aucune information. Au milieu de tout cet éclat de blanc et de couleurs vives – IKEA est peut-être ici son meilleur allié – le noir de ses grilles se trouve une autre signification, une autre existence. Le cube ne se lit plus en continuité avec le parking mais en opposition radicale avec son voisinage flamboyant. Moins plastique, Onyx n’en reste pas moins étrange. Il continue aujourd’hui encore à questionner le consumérisme qui l’entoure et ne cesse d’enfler.
Son intérieur homogène et oppressant, quant à lui, amorce une autre critique de ce début de XXIe siècle, qui prenait déjà racines en 1988. Cette critique c’est celle-là même de la boîte noire, représentation d’un siècle obsédé par la conservation de ses données, de ses images, de sa mémoire. Onyx s’abstrait de ce qui l’entoure pour le pire – nous l’avons déjà évoqué – mais aussi pour le meilleur pourrait-on écrire puisqu’il livre ainsi une caricature ô combien actuelle d’une société dont les seules véritables ouvertures sur l’extérieur sont ces écrans ancrés dans le mur longitudinal du hall. Onyx donne l’impression interne de n’être nappés que de néant : un vaste parking et quelques boîtes à chaussures qui ne présentent aucun refuge, qui ne sont d’aucun secours. D’extérieur ou d’intérieur, Onyx est un vaste espace noir et grisé duquel ne vient s’extraire que des scènes colorées, déconnectées de tout contexte. Une jolie boîte à images ?

LU : vers un nouveau millénaire

D’un siècle à l’autre, le Lieu Unique se veut symbole de transition. Ainsi, au-delà de l’important passé historique qu’il convoque par la première affectation du bâtiment où il s’implante, il cherche à raconter l’histoire de sa restructuration, la démarche très actuelle qui l’a transformé et mené d’usine à lieu de spectacles et de fête1. Que son inauguration ait lieu le 1er janvier 2000 et que sa façade arrière prenne le nom de Grenier du Siècle n’ont rien d’anodin. Les spectacles au sein du chantier avant le fatidique passage à l’an 2000 ont participé de cette image, montrant déjà l’importance du processus plutôt que seulement celle du rendu final.
A l’aube du XXIe siècle s’est donc ouvert un édifice à l’image de ce dernier. Le lieu est profondément contemporain par l’approche même qu’il revendique. On promeut ici tout autant que sa représentation – si ce n’est plus encore – la phase préparatoire, la maturation du projet.
Le LU souhaite tout à la fois être un lieu de production et un lieu de représentation. Un édifice ouvert à tous, où les spectateurs peuvent observer le spectacle qui se monte à travers les façades vitrées du mur de parpaings de la  »rue » comme l’appelle Bouchain.
Depuis, le mur de parpaings est redevenu plein et les issues pour accéder à la salle restent bel et bien réservées à ceux qui créent ici quelque chose que l’on viendra découvrir ensuite. Entre essais, échecs et réussites, le LU se forge son histoire. Ses espaces mutent quelque peu, le bar change de place, le mobilier d’esthétique, mais la volonté reste la même et guide l’édifice qui n’a, après tout, que 18 ans quand Onyx et le TU tournent davantage autour de 25-30 ans.
Enfin, le LU est aussi actuel car critique de la société dans laquelle il évolue. En réinvestissant une usine, c’est « le drame de la désindustrialisation de l’Occident »3 qui est sousenten du, évoqué, mis en lumière. A l’instar du XXIe siècle, le LU semble donc accepter son passé. Il vient le sublimer même, l’habiter à nouveau pour le faire revivre. Cette réhabilitation s’inscrit aussi dans la critique d’une « société de gâchis »4 que Bouchain pousse jusque dans la salle, à travers les barils découpés et les planches de bois récupérées et assemblées pour former les passerelles techniques. Cette critique ne s’arrête pas qu’au simple constat d’une profusion de déchets et d’une insouciance dangereuse quant aux risques environnementaux qu’engendrent de tels écarts. Ces barils découpés, c’est aussi au néo-colonialisme qu’ils renvoient, à ce rejet passé sous silence mais bien réel de déchets occidentaux sur les côtes africaines. Quant aux bogolans, ils évoquent tout autant l’histoire passée que celle qui se déroule aujourd’hui puisqu’ils mettent en avant un savoir-faire souvent délaissé au profit d’une main d’oeuvre peu chère sur les chantiers.

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Table des matières

Avant-propos
« Le théâtre à l’origine d’une culture de l’espace »
Premières impressions
Un vide inspirant
Au-delà des portes
Se réinscrire dans l’histoire
Désir et naissance de trois lieux
Échos du passé 3 théâtres dans l’air du temps
LE LIEU D’UN ÉCHANGE
Mesures et démesure
Public et spectateur
Scène et salle
UN LIEU DE RÊVES
machine à illusions
Susciter le suspens
L’imaginaire du lieu
Une écriture inachevée
L’envers du décor
Remerciements
Sources
Annexes

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