L’envie d’enseigner à l’école primaire est arrivée par le biais du théâtre. Ayant eu précédemment l’opportunité de pratiquer l’exercice théâtral dans une école d’improvisation puis sur les planches mais aussi d’en étudier la théorie et l’analyse scénique, le métier d’enseignant est apparu à moi comme un condensé de toutes les qualités de l’exercice théâtral. La classe peut être considérée comme un espace théâtral : l’enseignant est en représentation devant son public d’élèves et il a la tâche de transmettre des savoirs grâce à une mise en scène organisée. En effet, pour qu’il y ait apprentissage, chaque enfant entre en classe dans son rôle d’élève, le professeur dans son rôle d’enseignant et des codes sont mis en place pour que la classe fonctionne bien. (P. Meirieu, 2002) Mais la plupart de ces codes étant implicites, certains élèves ne saisissent pas le rôle qu’ils jouent à l’école ou se saisissent d’un rôle par mimétisme sans en comprendre l’utilité.
La classe de CE2 dans laquelle j’enseigne, se trouve dans le 10eme arrondissement et est composée de 23 élèves entre 7ans ½ et 9ans passés. Elle est très hétérogène à plusieurs niveaux:
– Social
Une bonne partie de la classe est composée d’élèves issus d’un contexte familial sécurisant et très attentif. Les autres élèves ont des situations sociales et familiales plus déséquilibrées avec plusieurs cas compliqués : une élève a été confrontée à la mort de son père il y a un an et n’a aucun suivi psychologique ce qui provoque chez elle une instabilité émotionnelle très forte (succion du pouce, énervements pulsionnels…). Un élève est arrivé en France du Bangladesh en 2015 et s’est absenté plus d’un mois depuis la rentrée. Un élève sénégalais vit à Paris chez son oncle et sa tante depuis le décès de ses parents.
– Comportemental
Le comportement de quatre élèves (dont un suivi par un AVS 9h par semaine) reste instable malgré les mises en œuvre de cadrages dont les contrats de comportement individualisés. Deux de ces élèves sont extraites de la classe par la maitresse G une fois par semaine chacune. Trois autres élèves (dont une suivie par un AVS 9h par semaine) sont très fréquemment en dehors des activités par désintéressement et lisent sur leurs genoux ou fabriquent des objets avec leur matériel. Deux élèves très anxieux sont suivis par des pédopsychiatres depuis peu et pour un des deux, cela n’a pour le moment pas été bénéfique. Cet élève résigné pleure souvent pendant la classe et les temps de récréation en disant qu’il ne se sent pas bien mais qu’il ne sait pas pourquoi et est incapable de faire des choix.
– Des apprentissages
Un groupe de six élèves est largement au dessus du niveau moyen de la classe et termine ses activités très rapidement. Un des deux élèves reconnus par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) est arrivé en septembre sans savoir lire (à peine du décodage) ni écrire. Trois élèves ne comprennent quasiment aucune des taches demandées et répondent au hasard, deux d’entre elles travaillent ensemble deux fois par semaine avec la maîtresse E. Quatre élèves sont suivis par des orthophonistes mais trois autres élèves au moins dyslexiques ne sont pas suivis.
La transmission du savoir et des acquisitions langagières
Quelle place pour le théâtre à l’école
En France
En France, l’enseignement du théâtre en tant qu’outil pédagogique à l’école primaire a été développé par les jésuites. Le théâtre permettait de cultiver l’adoration de dieu en gérant les rapports entre l’intériorité et l’extériorité. Mais si les bienfaits du théâtre ont été utilisés par des groupes d’enseignements privés, il doit encore faire ses preuves dans l’enseignement public. L’école républicaine de Jules Ferry s’est développée autour d’une croyance dans l’enseignement transmissif. Le théâtre étant lié au jeu, au plaisir, et à l’action des enfants, il n’a pas trouvé sa place à l’école des hussards noirs. Mais comme le remarque Philippe Meirieu en 2001, paradoxalement, plus l’école se veut transmissive, plus l’école se théâtralise. En effet, les codes de la représentation théâtrale sont utilisés dans la classe comme moyen de transmettre efficacement les savoirs. Mais ces codes ne sont utilisés que pour veiller au bon déroulement de l’organisation de la classe. L’école est souvent considérée comme un lieu d’instruction et non de distraction. En partant de ce postulat, on ne peut instruire en s’amusant car jouer entraînerait la facilité et ne permettrait pas de diffuser le goût de l’effort. De plus, lorsque des activités ludiques sont mises en place, elles sont très rapidement transformées en exercices didactiques scolaires. Comme le souligne Louis Le Grand (cité par Leif et Brunelle en 1976 dans le jeu pour le jeu) : « Il est vrai que l’école maternelle et l’enseignement des inadaptés constituent des exceptions remarquables à cette règle. Dans ces domaines, le jeu est reconnu, exploré, exploité. Mais le fait même de le cantonner dans ces secteurs marginaux montre bien le chemin à parcourir pour lui donner dans l’éducation française, la place éminente qu’il mérite ». La place que le théâtre mérite dans l’école française a été mise en valeur par les pédagogies nouvelles. La démocratisation de l’enseignement public a permis de développer les pratiques théâtrales avec pour objectif de faire accéder l’ensemble des enfants à l’expression humaine.
Dans les programmes en France
Selon Michel Foucault (1961), c’est à l’âge classique que les programmes ont envahi les institutions. Dans l’école, cela aboutit à un ensemble de micro-pouvoirs qui supervisent les activités scolaires et laissent peu de place aux agissements des élèves. Depuis les années 80, les programmes évoluent en prêtant une importance grandissante à l’épanouissement des élèves en tant qu’individus. Le théâtre est ainsi mentionné plusieurs fois dans les programmes publiés dans le bulletin officiel du 26 novembre 2015. Au cycle 2, le théâtre apparaît comme support de travail pour la mémorisation en langage oral : « La mémorisation de textes (poèmes notamment, extraits de pièces de théâtre qui seront joués) constitue un appui pour l’expression personnelle en fournissant aux élèves des formes linguistiques qu’ils pourront réutiliser ». Il est également recommandé que le théâtre soit abordé en lecture et compréhension de l’écrit par la fréquentation d’œuvres complètes. En éducation morale et civique, le théâtre apparaît aussi comme un outil pédagogique efficace pour apprendre à coopérer, identifier et partager des émotions et des sentiments, mais également pour se situer et s’exprimer en respectant les codes de la communication orale, les règles de l’échange et le statut de l’interlocuteur. Au cycle 3, le théâtre occupe une place encore plus prégnante en particulier pour la maitrise du langage oral mais aussi en histoire des arts. Il est nécessaire que le travail oral, notamment par le biais du théâtre, occupe une place plus importante dès l’école primaire. En effet, ce travail permet à long terme de préparer les élèves à avoir une aisance à l’oral qui est de plus en plus prisée dans le monde du travail et qui sera exigée pour l’épreuve du baccalauréat avec le « grand oral ».
La place du théâtre dans les pays francophones : exemple du Québec
Le rapport aux arts est différent au Québec. Dès 1971 avec le rapport Rioux, les arts sont considérés comme des matières de base, tout aussi importantes que le français et les mathématiques. Gisèle Barret a contribué à cet essor de l’expression dramatique dans les années 1980. Pratiquer une pédagogie du jeu est pour elle « une pédagogie où le sujet est pour une fois, son propre sujet d’études ». En 1981, le théâtre devient une matière obligatoire et distincte des autres pour « permettre à l’enfant de faire l’apprentissage du langage dramatique comme moyen d’expression et de communication à l’intérieur d’une activité ludique et collective qui engage son être dans sa globalité ». Au Québec, le théâtre fait donc partie des disciplines artistiques proposées aux élèves de 5 à 17 ans. Parmi ces disciplines artistiques, une est enseignée en continue tandis qu’une deuxième obligatoire peut varier d’année en année.
Le langage théâtral
L’importance du langage dans le théâtre
Jean-Claude Lallias rappelle en 2005 qu’il faut « lutter quotidiennement contre la confusion entre théâtre et spectaculaire où les élèves sont encore souvent entretenus ». Le théâtre est un moyen d’explorer le langage et d’y prendre plaisir. Pour cela, il faut travailler la mise en voix et la mise en espace des textes. Déjà en 2001, J-C. Lallias insistait sur la dimension orale du théâtre en se questionnant sur les manières de faire accéder à l’enfant la dimension esthétique de la langue qui crée la théâtralité. La spécificité du théâtre en tant que genre littéraire prend forme dans sa dimension de communication. Le théâtre est un échange verbal de messages non vrais entre plusieurs personnages mais qui sont adressés à un public réel. Toute parole prononcée au théâtre peut être saisie comme un acte de langage. Le message a plusieurs niveaux d’énonciation : l’auteur énonce le message verbal et les indications scéniques, les personnages font croire qu’ils énoncent des paroles vers un autre personnage alors qu’ils s’adressent en réalité au public, les praticiens de la scène (metteur en scène…) énoncent des images scéniques. Toute parole participe donc à un univers de la signification. Pour faire comprendre cette ambivalence aux élèves, il faut les faire travailler sur plusieurs éléments. Dominique Mégrier (2004) dans son ouvrage pratiquer le théâtre à l’école rappelle les points essentiels à travailler. Tout d’abord, préparer le corps pour qu’il puisse être vu par le public : dynamisation corporelle, voix, respiration… Il faut également faire comprendre aux élèves qu’ils doivent occuper l’espace. Pour leur faire comprendre la nécessité d’être vus, il faut les placer en posture de « spect-acteur » pour reprendre la formule d’Auguste Boal. En effet, voir est une compétence qui s’apprend.
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Table des matières
Introduction
Le théâtre, un outil pour améliorer la maitrise du langage oral et la coopération
1.La transmission du savoir et des acquisitions langagières
A. Quelle place pour le théâtre à l’école
– En France
– Dans les programmes en France
– Dans les pays francophones : exemple du Quebec
B. Le langage théâtral
– L’importance du langage dans le théâtre
– S’approprier le langage
C. Le théâtre, un outil pédagogique multifonctions
2.Le théâtre comme moyen d’améliorer la communication et la coopération : relation et organisation pédagogique
A. Créer une culture de référence commune
– Socle commun
– Capital culturel
B. Découvrir son identité au sein d’un groupe
– Se connaître
– Pour coopérer
C. Modifier les relations de travail et redistribuer le pouvoir
– Favoriser l’investissement de chacun
– Responsabiliser les élèves, importance pour le groupe
Le projet théâtral dans la classe de CE2A
1.Présentation du projet
2. L’amélioration de la coopération entre les élèves
– La prise en compte de l’autre
– La responsabilisation et l’autonomie
3. L’amélioration dans l’acquisition du langage oral
– Pendant la séquence
– Au-delà de la séquence
Conclusion
Bibliographie
Résumés
Annexes