Le terrain en UPE2A Premier Degré : le contexte, les choix et les ajustements méthodologiques 

Les cinq critères de Brougère (2017)

Pour étudier la malléabilité et les variations des formes ludiques dans l’apprentissage du FLSco en UPE2A, je m’appuie sur les cinq critères cités par Brougère (2017) que j ’associe à des définitions complémentaires. Le premier critère est le jeu qui serait la modalisation d’une activité ordinaire (Goffman, cité par Brougère, 2017) qui acquiert un autre sens. Il invite les joueurs à « l’immersion fictionnelle » (Schaeffer, cité par Bardière, 2012). Ce concept dispose de caractéristiques qui encouragent l’émergence d’interactions conversationnelles : la coexistence entre les mondes réel et fictionnel, l’inversion de la hiérarchie entre la perception de la réalité et de l’imagination ainsi qu’un état d’investissement affectif. Du fait de la dialectique entre distanciation et implication, ce principe apparaît comme un vecteur des apprentissages (Bardière, 2012 : 151).
Le deuxième critère est l’adhésion au jeu qui nécessite l’accord entre l’émetteur et le destinataire instituant un cadre et un contrat pragmatiques entre les deux parties. On retrouve ici le lexique de la situation d’enseignement / apprentissage en classe de langue.
Ce critère n’existe que pour autant que les participants y adhèrent. Autrement dit jouer, c’est croire qu’on joue. En ce sens, Silva (2013 : 5) évoque « la dualité dynamique » de l’attitude ludique. La participation réelle au jeu s uppose donc de décider ou de négocier ; elle implique la dimension subjective du joueur, même de manière illusoire.
Le troisième critère est la présence reconnue de règles et de mécanismes de décision qui déterminent un cadre souple et structuré. Cet environnement sécurisant favorise l’initiative et une participation accrue des élèves (Silva, 2008). Il crée les conditions d’émergence de négociations conversationnelles qui peuvent bouleverser l’asymétrie pédagogique. En contexte exolingue, les conditions so nt réunies pour observer des « séquences potentiellement acquisitionnelles » (SPA) (De Pietro et al., 1988). Enfin, les deux derniers critères détachent le jeu de la réalité. L’incertitude distingue le jeu du rituel et la frivolité en minimise les conséque nces. Au sein du jeu, l’apprenant peut ainsi dédramatiser l’erreur.

L’émergence de l’apprenant

D’une part, grâce à ses qualités, le jeu favorise la place de l’apprenant en tant qu’acteur de ses apprentissages. De l’autre, il lui offre un support pour se détacher de ses représentations et accéder aux savoirs.

La place du Je grâce au jeu

Le jeu engendre une aire intermédiaire comprise comme un espace pour exister en tant que Soi. En effet, il favorise le développement de l’individualité car le sujet évolue intellectuellement tout en étant contenu dans un dispositif solide et stable. Spontané et universel, le jeu se présente comme un contenant. Il devient un « espace potentiel » (Winnicott, cité par Bailly, 2001 : 44) car il permet à l’enfant de posséder le « non moi » grâce à un arrangement de ses représentations du monde. Il accueille l’expérience propre à l’enfant, celle qui lui permet d’avoir conscience de son rapport à la vie et qui s’accompagne de la possibilité de s’amuser. C’est également un « phénomène transitionnel » (Winnicott, cité par Bailly, 2001 : 43) car il agit dans la continuité des expériences d’omnipotence de l’enfant où la réalité n’intervient plus comme une contrainte. L’enfant la modèle en fonction de ses besoins et se donne les moyens d’exister en tant que Soi parfois jusqu’à créer une illusion de toute puissance. De plus, il intègre et renforce la personnalité du sujet grâce au double mouvement d’acceptation de ses frustrations et d’assouvissement de ses pulsions. L’individu se développe dans la confrontation de sa subjectivité aux données objectivement perçues de son environnement. Autrement dit, l’expérience ludique évolue dans l’interstice situé entre la fermeté et la souplesse. Elle s’accommode tout à la fois à la rigidité et à la liberté. Grâce à cette dernière, le jeu s’inscrit dans les tendances naturelles de l’enfant tout en répondant à ses besoins profonds.
Au-delà de l’usage scolaire, le jeu revêt les qualités d’un contenu puisqu’il accepte la diversité des façons de parler et il laisse libre cours aux associations langagières (Klein, cité par Bailly 2001 : 41). Selon l’approche thérapeutique, il facilite la médiation car il offre la possibilité de mettre en scène les tensions psychiques de l’enfant et d’accéder à ses représentations.
Elève à l’école, l’enfant se saisit du jeu pour assouvir le désir de : parler, mettre en scène ses pensées, examiner le monde, l’expérimenter… Le jeu se présente comme un territoire dans lequel l’enfant s’approprie le monde, le découvre et le manipu le au gré de son action, elle-même modelée par son individualité, intégrale et propre. C’est pourquoi Hawken (2019) s’interroge sur la pertinence du rapprochement des unités lexicales : « terrain de jeu » et « terre du Je ».
Pour conclure de manière synthétique ce paragraphe, le jeu conserve les caractéristiques de :
« l’espace-temps intermédiaire où le sujet articule le désir et la règle, où il investit son imaginaire dans un cadre prédéfini, où il apprend à occuper une place – qui n’est pas toute la place -, où il expérimente sans risques une action possible dans et sur le monde » (Meirieu, 2006 : 2).
Ce besoin d’un entre-deux où l’enfant-apprenant rencontre puis manipule les savoirs rejoint la notion de médiatisation dans la littérature pédagogique.

La médiatisation des savoirs par le jeu

Le CNRTL définit la médiatisation comme « le fait de servir d’intermédiaire (la médiation), de moyen à quelque chose pour le faire connaître ou apparaître ». Dans Anthologie des textes clés en pédagogie, Alexandre (2015) évoque le jeu dans le chapitre dédié à la médiation. Celle-ci débute par un travail de remaniement des identifications et des représentations car les sujets sont conduits à « se dégager des captations imaginaires et des manèges narcissiques ». La médiation reconnai t la place de l’inconscient individuel et elle a pour enjeu l’accès à la pensée symbolique collective. Grâce à ce parcours de soi vers l’autre, chacun peut se situer dans le monde (Imbert, cité par Alexandre, 2015 : 103). Ce cheminement s’accompagne de tâtonnements et de la remise en cause des postures qui ne sont possibles que dans des espaces rassurants à l’abri du jugement, de l’évaluation, de la moquerie ou encore de l’enfermement. Au sein de la classe, la médiation du savoir approfondit les interactions entre celui qui apprend et celui qui cherche à l’aider. En effet, elle introduit la liberté de changer de rôle et de prendre des risques dans un espace où, sans pression de l’évaluation, le jeu des attentes réciproques est désamorcé.

Prendre de la distance : le jeu comme cadre de l’expérience

A travers les théories des sciences humaines, j’examine le jeu en tant que notion interprétative du monde social. Puis, les mécanismes de l’immersion fictionnelle complètent l’analyse et la compréhension du fonctionnement de la forme ludique.

Le monde social selon la phénoménologie de Husserl et de Schütz

Dans la première partie du XXème siècle, Husserl (cité par Ricoeur, 1957) fonde le mouvement de la phénoménologie dont l’objectif est « l’observation et la description de ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience […] et qui peut devenir l’objet d’un savoir » (CNRTL, 2021). Il développe la théorie de « l’intentionnalité », propriété de tout acte de penser avec conscience, de sortir de Soi pour se tourner vers un objet. Ainsi, la conscience intentionnelle devient l’origine et la condition de toute chose. Dans cette optique, Schütz (cité par Zaccai-Reyners, 2005 : §47) expose la condition de l’étranger, en prise avec la difficulté de comprendre ce qui est dépourvu d’« évidence » pour lui. Par effet de miroir, il est aussi celui dont la société ne sait pas interpréter le comportement. Il incarne la « préconnaissance qui ordonne le monde social et lui donne sens dans la vie quotidienne ». Il révèle la multiplicité des mondes sociaux aux organisations spécifiques.
Leur appréhension immédiate demande la maîtrise d’habitudes, de règles et des principes qui les animent. En effet, ces mondes sociaux reposent sur une « perspective » : un ensemble cohérent de séquences et de relations typiques.
Ainsi, connaitre les règles du cadre permet d’accéder à la compréhension de ce monde ordonné. C’est alors que la conscience intentionnelle de l’acteur permet d’engager une « action » associée à un projet (Schütz, cité par Melançon, 2008 : 2). L’auteur distingue deux déclencheurs des actions : les « motifs parce que » liés à une explication et ceux « en-vue-de » exprimant une finalité. Selon ce point de vue, l’agir professoral s’appuie sur les savoirs et les représentations de l’enseignant qui s’élaborent tout au long de son passé. Puis il se développe dans le présent car il entre en confrontation avec les variations occasionnées par la complexité de la classe. De même, l’apprenant arrive en classe avec un répertoire de savoirs linguistiques et culturels antérieurs qui s’accompagnent de représentations. Il agit en fonction de celui-ci et en réponse au projet collectif et individuel auquel il est convié.
Composée d’interactions subjectives, l a réalité sociale prend alors sens en tant que : « relation dans laquelle les sujets interagissent, prêtent à Autrui la capacité d’être significativement orienté vers eux, de comprendre le sens de leur action, et produisent des motifs subjectifs, des « motifs en vue-de » sur leur action et sur celle d’Autrui » (Blin, 2007 : 3 ).
La vie de classe se saisit avec cette complexité dont le sens doit être explicité. En effet, l’enseignant et l’apprenant se rencontrent avec des univers de représentations et de savoirs distincts. Décrypter le mode d’action de l’Autre s’avère nécessaire. D’une part, « projeté », il révèle le vécu imaginaire. D’autre part, il unit « l’expérience préalable » passée au processus d’élaboration du projet partagé et à « l’acte imaginé » futur. En conséquence, l’action émerge de la sélection subjective de types modelés par le temps (Melançon, 2008 : 4). Autrement dit, la réserve d’expériences apparaît comme la matrice cognitive et normative qui contraint et informe l’action. De façon complémentaire, les structures de pertinence sélectionnent les expériences en vue de générer des actions satisfaisantes (Trom, 1999). Elles s’accompagnent d’un approfondissement des connaissances tout en entretenant la motivation de l’apprenant.
Par la prédominance des interactions coordonnées, par l’ajustement des actions aux acquis subjectifs temporaires et par la négociation du sens de l’action que l’intentionnalité du sujet permet, la phénoménologie propose des axes de réflexion pour penser le jeu et son impact sur l’engagement des apprenants. Elle participe également à la compréhension des actions enseignantes.
En opposition à la subjectivité omniprésente de l’acteur chez les penseurs de la phénoménologie, le sociologue Goffman recherche des structures de référence singulières qui concourent à comprendre les événements sociaux ainsi que l eur vulnérabilité.

La sociologie empirique de l’action et de son interprétation

Dans son ouvrage intitulé Les cadres de l’expérience, Goffman (cité par Dartevelle, 1993) adopte une démarche pragmatique pour dessiner une sociologie des convictions ou des conditions dans lesquelles se produit une impression de réalité d’un événement ou d’un engagement dans une action. Ainsi, chaque situation se caractérise par sa structure organisationnelle au sein de laquelle existent les événements. Le « cadre » désigne ces éléments de base ; il dispose d’une double dimension. Celle cognitive leur attribue un sens et celle opératoire détermine le degré d’engagement, reflet du rapport à autrui et à soi et des qualités requises dans l’action. A l’école, le cadre accueille des « actions pilotées », soumises à des normes et à l’évaluation sociale en fonction de valeurs. Si l’ activité scolaire s’inscrit dans un cadre primaire, l’introduction du jeu en son sein entraîne une transformation du cadre de type « modalisation ». En effet, déjà dotés d’un sens, elle « se transforme en une autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants considèrent comme sensiblement différente. » (Goffman, cité par Dartevelle, 1993 : 123). Le jeu scolaire s’apparente à une activité modalisée composée d’une strate profonde (sens et organisation première : jouer pour jouer) et d’une strate externe dédiée au statut (jouer pour apprendre). Ce schéma de l’expérience demande à l’individu « une aptitude à la vigilance, c’est-à-dire à combiner confiance et doute » (Goffman, cité par Dartevelle, 1993 : 124). Son engagement dans l’activité s’accompagne d’une compétence plus générale à maintenir des canaux de distanciation. Nous retrouvons cette double dialectique d’implication et de réflexivité comme condition du jeu et de l’apprentissage.
Le jeu est un contenant de par son statut de cadre et un contenu en tant qu’espace des interactions. Il s’agit maintenant de comprendre les dynamiques qui s’y déroulent et qui sont propices à son utilisation en contexte éducatif en décrivant les caractéristiques de la théorie fictionnelle de Schaeffer.

Questionner le jeu comme cadre de l’apprentissage langagier

Après avoir présenté les relations entre jouer et éduquer, je m’intéresse au cœur du sujet : l ’enseignement-apprentissage de la langue. Je développe les points de vue de l’enseignant et de l’apprenant. Puis, je questionne l’engagement à travers les activités ludiques, soit à partir de schémas interprétatifs comme celui « MEDIAL » de Caïra (2018), soit à travers la description de comportements comme « l’euphorie » (Goffman, 1961, cité par Barbier, 2018).

Jouer et éduquer

La vocation éducative naturelle du jeu se met en place pendant la période romantique du XIXème siècle. Aujourd’hui, il s’avère nécessaire de déconstruire cette « évidence » qui affirme que le jeu engendre une situation éducative. Comment une pratique qui n’a pas d’objectifs éducatifs peut avoir des effets éducatifs ? Pour sa démonstration, Brougère (2010, 2017) reprend le sens de la « forme de socialisation » de Simmel (1991) dédiée à l’organisation sociale. Si elle cadre l’activité et lui attribue une signification, elle est également un objet de transformation et de modification. La connaître permet au sujet d’agir de manière adaptée.
D’un côté, le jeu renvoie à une situation informelle d’apprentissage, c’est-à-dire « une situation qui n’est pas l’objet d’un investissement éducatif matérialisé par des dispositifs » (Brougère, 2017 : §11). Il n’existe ni structure pour faire-apprendre, ni investissement didactique ou pédagogique, ni enseignement. L’apprentissage demeure diffus, inclus dans la forme ludique. De l’autre, la forme scolaire appartient aux formes éducatives ; elle se distingue par son institutionnalisation à l’Ecole. La forme éducative s’ajoute ou se substitue à l’activité, ce qui conduit le sujet à transformer le cadre de l’expérience par l’apprentissage. Cette mise en forme peut avoir des aspects communs avec le jeu car elle inscrit la tâche dans un contexte signifiant. Néanmoins, la forme ludique à l’école est une forme de second degré car elle dépend de l’interprétation des acteurs et de leur manière de la greffer aux activités de premier degré de référence. Elle est alors qualifiée de particulière et de fragile.
Les deux formes éducatives et ludiques se rencontrent donc dans la complexité.
Trois types d’association conservent la légitimité du jeu bien qu’ils nécessitent « d’agir au- delà du jeu tel qu’il existe » (Brougère, 2017 : §23). Premièrement, on apprend « par » le jeu perçu une valeur et un vecteur d’apprentissage. Son contenu et sa mise en œuvre sont identiques Cependant, il fait l’objet d’une formalisation indirecte à tr avers la mise en place d’un bilan pour connaître ce qui a été appris. Deuxièmement, on apprend « dans » le jeu proposé comme un contexte d’apprentissage. A la marge, la modification porte sur son contenu. Enfin, troisièmement, on apprend « autour » du jeu, utilisé comme une simple condition favorable. Il s’adapte aux besoins pédagogiques.
Quel que soit le degré de métissage, la mise en forme ludique d’une activité renvoie au potentiel éducatif de ses cinq critères (Brougère, 2010). Tout d’abord, « l a règle » fixe les limites d’un territoire propice au partage de significations en son sein ainsi qu’à la négociation et au compromis sur ses marges. Puis, prise pendant le jeu, « la décision » permet à l’apprenant de vivre une expérience de maî trise de l’action ; elle influence sa capacité à s’engager. De plus, immergé dans une fiction, il s’éloigne de la forme éducative insérée dans le réel en apprivoisant « le second degré » du jeu. De ce fait, la distanciation rend possible la manipulation symbolique des savoirs et développe la posture réflexive de l’apprenant. Enfin, « la frivolité » éloigne la pression des situations ordinaires pour offrir un espace d’expérimentation (Bruner, 1982) et pour « apprivoiser l’incertitude ».
Afin de penser conjointement la forme ludique et celle éducative, il est nécessaire de dépasser leurs contradictions apparentes (Blond-Rzewuski, 2018). Ainsi la cohabitation de l’illusion et de la réalité est un vecteur d’étonnement qui bâtit le « laboratoire de l’imaginaire » (Ricœur, cité par Blond-Rzewuski, 2018). Le jeu se pare de créativité. Par ailleurs, le hasard et la rigueur alimentent l’oscillation entre pôles du continuum des conflits cognitifs. De même, l’alternance entre l’obéissance et la transgression des règles questionne « la liberté dans et par une légalité » (Duflo, cité par Blond-Rzewuski, 2018).
Réunir la futilité et la sagesse fournit les conditions de progression de la pensée. Autrement dit, l’existence même du cadre conditionne la possibilité de cheminer à son gré dans les apprentissages. Enfin, née des interactions ludiques, la coopération s’élabore au côté de la compétition envisagée par rapport à soi-même pour acquérir le FLS.
Pour conclure, associant l’expérience pensée avec autonomie, le jeu favorise le développement affectif, relationnel et cognitif des élèves. Il cohabite avec l’éducation si l’attitude ludique permet de dépasser les contradictions du jeu. Maintenant, il s’agit de penser le jeu dans l’apprentissage des langues.

Jouer et apprendre une langue

Pour l’apprenant, jouer se combine avec apprendre car il participe à une activité sociale qui lui permet d’interagir pour communiquer en classe. De plus, il bénéficie de la médiatisation des apprentissages car jouer demande tout à la fois de la distance et de la proximité avec le savoir exposé. Pour l’enseignant, le choix de jouer pour apprendre s’accompagne d’un agir professoral dont l’objectif est d’orchestrer les conditions de l’attitude ludique. Par ailleurs, il doit être conscient du conflit des formes ludique s et éducatives afin d’effectuer des choix pertinents d’environnement et de contenu didactique.

Jouer : une pratique sociale pour interagir et communiquer

Pendant l’enfance, le jeu représente des structures répétitives et innovantes par lequel l’enfant accède au langage (Bruner, 1982). Engageante, cette pratique favorise la prise de parole ; le jeu devient un terrain d’expérimentation du langage. Il s’agit de parler pour agir : gagner, réguler, créer pour s’adapter aux contingences. De plus, tout n’y est pas réglé à l’avance : interviennent hasard, stratégie, imaginaire et émotions (Vanthier, 2009).
Enseignante, Augé et al. (1993), décrivent le jeu comme un espace de créativité, de souplesse, de plaisir… Ces qualités s’articulent avec les « quatre régions métaphoriques » du jeu (Silva, 2008) : « le matériel ludique », ce avec quoi on joue ; « la structure ludique », ce à quoi on joue ; « le contexte ludique », tout ce qui entoure le jeu et le détermine et enfin, « l’attitude ludique ».
Pour Augé et al. (1993 : 4), pratiqué en groupe, le jeu transforme ses participants en « êtres jamais muets et jamais immobiles ». Associant l’engagement du corps et de la voix, il permet l’apprentissage de l’écoute et de la langue tout en ménageant l’expression des sentiments. Le joueur est un sujet agissant : il est dans l’action en tant qu’agent et il pense cette action en tant qu’acteur (Silva, 2013 : 7). Cette posture soutient l’apprentissage qui demande un engagement conscient et soutenu du sujet (Bange, 1992). Un double mouvement s’instaure : ce dernier communique pour apprendre et apprend en communicant grâce à la confrontation des hypothèses en situation et des encouragements de l’enseignant. Cette double dialectique conduit à des emplois linguistiques plus justes et plus efficaces pour une meilleure intercompréhension. Elle enrichit les apprentissages si elle induit un élargissement et une automatisation de l’interlangue. L’apprentissage nécessite une double dimension individuelle et sociale qui existe dans le jeu.

Jouer : médiatiser les apprentissages avec distance et proximité

Développée en didactique des langues dans le cadre de la perspective actionnelle, la notion de tâche revêt différentes dimensions pédagogiques. A travers l’activité pédagogique, l’apprenant acquiert une langue en la parlant. Le fond prédomine sur la forme et le résultat de l’activité devient un objet à évaluer. Si la tâche seule n’assure pas l’apprentissage, elle en déclenche le processus en dé finissant un objectif explicite (Narcy Combes et Walski, 2004, cité par Hoppe 2018 : 119) qui se veut ancré dans la réalité. Pour les apprenants, la tâche devient le moyen d’interagir avec l’environnement langagier. Elle nécessite de travailler l’objet, la langue elle-même et place l’apprenant face à ses responsabilités. De plus, elle s’accompagne souvent d’une collaboration entre pairs et demande la prise en compte de l’agir social, de l’intelligence collective et de la créativité.
Cette coaction crée les conditions d’émergence de conceptions divergentes et donc la nécessité de négocier. En effet, l’interaction didactique peut produire des désaccords que les apprenants tentent de résoudre par la coopération et qui les contraignent à la prise de position. Ils peuvent donner lieu à des « négociations conversationnelles » (KerbratOrecchioni, 2005, cité par Muller, 2009 : 4). Celles-ci ont notamment pour objets la forme de la langue, l’organisation de l’interaction, le contenu de l’échange ou encore l’identité des interactants. Elles peuvent échouer, mener à une solution négociée avec ajustements (Traverso, 2004, cité par Muller, 2009 : 4) ou fédérer le groupe autour d’une position. Ces négociations jouent un rôle dans l’apprentissage car elles permettent à l’apprenant d’être focalisé simultanément sur le fond et sur la forme (Moore et Simon, 2002). Elles permettent des opérations de mises en relation « fonction-forme » ou facilitent les segmentations des données en unités linguistiques accessibles pour l’apprenant. Ainsi, elles aident l’apprenant à analyser les données linguistiques et ainsi facilitent l’acquisition des nouveaux items lexicaux. Elles offrent aussi les conditions de l’autocorrection. Dans ce cadre, l’apprenant oriente les échanges en fonction de ses besoins, parfois différents de ceux fixés dans la tâche. Il s’attribue alors un rôle de concepteur associé. Néanmoins, l’émergence de négociations dépend du rôle choisi par l’enseignant et de son acceptation des incursions dans son territoire. Cuq et Gruca (2017) évoquent l’importance de l’effacement progressif du guidage de l’enseignant qui encourage l’apprentissage.
Quoi qu’il en soit, il revient à l’enseignant de concevoir le scénario pédagogique adapté aux besoins des apprenants grâce à des activités sur la forme et le sens de la langue.
La tâche se comprend alors comme un réseau de micro-tâches aux objectifs spécifiques (linguistiques : lexique / grammaire / phonétique, pragmatiques, interactionnels…). Il guide ensuite les ajustements nécessaires à leur réalisation. Ainsi la tâche est un pivot conceptuel pour négocier le passage du paradigme d’enseignement à celui d’apprentissage (Tardif, 1998) et donc, pour penser la médiatisation (Mangenot, 2003 ; Guichon, 2006).
Suite aux démonstrations menées précédemment, je considère que les critères de la tâche peuvent s’appliquer au jeu, également média des apprentissages.
Pourtant, l’apprentissage d’une langue s’inscrit dans l’informel car ses objectifs dépassent l’accumulation de savoirs et son déroulement s’effectue également hors de tout cadre. Autrement dit, tout peut en être l’objet et le degré de sa mise en forme éducative demeure très variable. Il existe une grande diversité de situations qui associent le jeu et l’éducation langagière : des progrès informels grâce au jeu aux apprentissages formels à caractère ludique. Au-delà de ces deux axes, les outils pédagogiques s’intègrent à une logique didactique (Brougère, 2017).

Jouer : orchestrer les conditions de l’attitude ludique

En classe de langue, l’enseignant doit placer l’apprenant dans une « attitude ludique » (Henriot, 1989 cité par Schmoll, 2016 : 2) car des quatre régions métaphoriques du jeu, c’est la seule qui présente les avantages recherchés pour l’apprentissage. Le matériel, le contexte et la structure ne servent qu’à alimenter l’attitude. Pour cela, d’une part, l’enseignant propose un matériel varié, robuste, séduisant et si possible polyvalent .
D’autre part, il diversifie les règles qui y sont associées. Il veille à la création d’une atmosphère propice à l’épanouissement des dimensions individuelle et collective de la langue. Il s’intéresse aux valeurs, aux goûts et aux attentes des apprenants, soucieux de ménager leur état psychique et affectif. Alors, définie comme la conviction intime du joueur par rapport à ses actes, l’attitude ludique distingue le jeu de l’exercice. Elle se compose d’implication et de distance, de participation et d’esprit critique. Disposition humaine liée à la disjonction entre le Je et le Moi, l’attitude ludique oblige à exister et à être en représentation. Le joueur est dans l’émotion tout en la contrôlant (laisser émerger, possibilité d’en sortir…). L’élève devient agent de ce qu’il fait tout autant qu’observateur de lui -même en train d’agir (Schmoll, 2013). De plus, cette « région métaphorique » (Silva, 2008) entraîne la distinction entre « joueurs, jouants et joués ». Selon Brougère, les « joueurs jouants » participent activement à leur activité, avec volonté et maîtrise. Engagés, ils s’illustrent comme acteurs d’une pédagogie prônant l’implication et la réflexivité.
Cette approche du contexte englobe les conditions matérielles, les rapports hiérarchiques et affectifs entre les joueurs ainsi que le possible conflit entre la forme ludique et celle scolaire, thème de la section suivante.

Jouer : être conscient du conflit des formes

Depuis la période romantique au XIXème siècle, le jeu apparaît comme l’activité naturelle de l’enfant. Opposé aux pratiques sérieuses de l’école, il s’y introduit par formalisation et perd ses qualités spécifiques. Au service d’une autre pratique, il est instrumentalisé pour colorer les activités scolaires. Dans les années 1930, l’approche psychopédagogique de l’Education Nouvelle renforce cette omnipotence du ludique dont le fondement réside dans les besoins de l’enfant. Posé comme une nécessité quasi-vitale, le jeu se confronte aux autres besoins dont celui de mise en ordre du monde qui l’entoure.
Celle-ci se traduit par la construction de multiples cadres (espace, temps, activités…). Par conséquent, les fonctions du jeu se réduisent à l’attractivité et à la séduction des enfants (Besse, Panthin et Roucous, 2019). Selon une approche utilitariste, « la ruse éducative » devient la norme, même en dehors de l’institution scolaire (Brougère, cité par Besse et al. 2019). Simple moyen d’animation de la forme éducative, le jeu voit ses qualités affaiblies. Dans cette perspective, il perd sa force de distanciation favorable à l’apprentissage linguistique ainsi que les modalités de négociations interactionnelles propices à la communication plus informelle.
Apparu au début du XXIème siècle, le terme « gamification » se définit comme l’élargissement du paradigme ludique à des domaines dont il est censé être exclu. Son processus s’attache aux matériels et aux structures afin d’induire des comportements et des états psychologiques ludiques tout en prenant soin d’écarter la compétence réflexive. La métaphore ludique s’avère alors simplificatrice (Silva, 2013). Sur le plan individuel, il devient nécessaire de distinguer une reconnaissance objective par observation externe d’un sentiment personnel éprouvé en participant à un jeu (Brougère, cité par Silva, 2013). En effet, si l’enseignant se satisfait de « gamifier l’éducation » pour gagner en attractivité, il instrumentalise le jeu au détriment des objectifs de la séquence. Il catégorise l’activité et la dénomme « jeu » mais les apprenants n’en partagent pas l’appréciation ludique. C’est le sujet qui construit le sens du jeu et non l’activité qui lui attribue un.
Par ailleurs, Brougère (2017) constate l’impossible rencontre entre les formes éducatives et les formes ludiques. Tout d’abord, il n’y a pas de lien naturel et obligé entre le jeu et l’apprentissage. Le jeu relève de la sphère du divertissement, son usage éducatif, du détournement. Au regard des apprentissages, son potentiel spécifique est profondément aléatoire. De plus, dans la majorité des cas, la forme éducative domine le jeu car leurs caractéristiques réciproques sont peu compatibles. Dans un souci de conciliation, l’enseignant peut « hybrider » un jeu en fonction des objectifs pédagogiques. Il peut également « ludiciser » les exercices, c’est-à-dire introduire une problématique ludique dans une activité habituellement éducative. Au-delà, il transforme un exercice par ajout d’une dimension ludique, il procède alors par « gamification ». Il arrive parfois que le terme « jeu » évoque un exercice scolaire sans transformation. L’élève participe alors à ce que Goffman (cité par Dartevelle, 1993) appelle une « réitération technique », encore dénommé un exercice. De plus, il répond à des consignes non modifiables. Le jeu n’existe pas pour l’élève. Enfin, Brougère (2017) rappelle que seule l’éducation informelle s’accorde aux critères de la forme ludique sans modifications.

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Table des matières
Remerciements 
Sommaire 
Introduction
Partie 1 – Comprendre l’engagement dans les apprentissages linguistiques grâce au jeu
CHAPITRE 1. DEFINIR LE JEU
CHAPITRE 2. PRENDRE DE LA DISTANCE : LE JEU COMME CADRE DE L’EXPERIENCE
CHAPITRE 3. QUESTIONNER LE JEU COMME CADRE DE L’APPRENTISSAGE LANGAGIER
Partie 2 – Le terrain en UPE2A Premier Degré : le contexte, les choix et les ajustements
méthodologiques 
CHAPITRE 4. LE CADRE INSTITUTIONNEL
CHAPITRE 5. LE CHEMINEMENT POUR ACCEDER AU TERRAIN DE RECHERCHE
CHAPITRE 6. L’ADAPTATION DE LA METHODOLOGIE AUX CONTRAINTES DU TERRAIN
Partie 3 – Interagir pour apprendre en jouant 
CHAPITRE 7. LE DESIR DE JOUER
CHAPITRE 8. L’INCITATION A JOUER
CHAPITRE 9. LES INTERACTIONS DIDACTIQUES ET LUDIQUES
Conclusion 
Bibliographie 
Sitographie 
Glossaire 
Sigles et abréviations utilisés 
Table des annexes – volume complémentaire 
Table des matières

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