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Le télescope SIGMA et le principe du masque codée
Le télescope français SIGMA a été conçu et assemblé par le Centre d’Etude Spatiale des Rayonnements (CESR, Toulouse), le Service d’Astrophysique du Commissariat à l’Energie Atomique (Sap/CEA, Saclay) et le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES). Il était l’instrument principal de l’observatoire spatial GRANAT, développé conjointement par l’Union soviétique et la France en collaboration avec le Danemark et la Bulgarie. Opérant dans la gamme d’énergie de 35 keV à 1.3 MeV, ce fut le premier instrument capable de réaliser des images du ciel dans cette gamme en énergie, notamment grâce au concept de masque codé. Le plan de détection était inspiré des caméras γ Anger, avec un scintillateur formé d’un cristal de Iodure de Sodium NaI(Tl) couplé à des photo-multiplicateurs. Un élément plastique disposé en amont protégeait le plan de détection des particules chargées et l’ensemble était entouré par un bouclier actif d’anticoïncidence en Iodure de Cesium CsI(Tl) surmonté d’un blindage passif (Pb,Ta,Sn).
Le principe du masque codé, illustré par la Figure 3.3, consiste à utiliser un système optique formé d’une mosaïque d’éléments transparents (des trous, en négligeant le support mécanique du masque) et opaques (des pavés d’un matériau à numéro atomique élevé comme le Plomb ou le Tungstène) pour engendrer une modulation spatiale des signaux (Dicke, 1968). Il s’agit d’une technique de multiplexage spatial, i.e. un système qui permet d’encoder une information relative à la direction d’incidence des photons arrivant sur le plan de détection. L’image enregistrée par le détecteur (D) correspond à l’image du ciel (C) modulée par le masque codé (M), plus le bruit de fond (B) : D = C ∗ M + B (3.1)
Une méthode de reconstruction est alors nécessaire pour extraire l’image du ciel. Pour y arriver, la répartition des éléments transparents et opaques n’est pas arbitraire mais doit suivre un motif précis, i.e. le système doit vérifier les deux conditions suivantes :
1. La fonction de transfert M est inversible (9G=M ∗G = I). Ceci permet la reconstruction unique (P) de l’image du ciel C : P = D ∗ G = C + B ∗ G. En l’absence de bruit cette reconstruction est exacte. 2. Le rapport signal sur bruit de l’image reconstruite P doit être maximum, ce qui revient à minimiser la variance du bruit reconstruit B∗G.
Calabro & Wolf (1968) ont montré que les masques à résidus quadratiques réalisent ces deux conditions, ouvrant ainsi la voie à l’utilisation de ce genre de dispositifs pour faire de l’imagerie. L’application des masques codés aux télescopes X date depuis la fin des années 70 où notamment Fenimore & Cannon (1978) et Proctor et al. (1979) ont élaboré des motifs adaptés.
Les premiers résultats en X-dur/γ ont ensuite été obtenus par SIGMA lancé en 1989. Grâce à ses capacités d’imageur, SIGMA a permis de découvrir de nouvelles sources ainsi que de faire les premières cartes du ciel >35 keV à haute résolution (12’ d’arc) (voir aussi la partie 3.2 de ce chapitre).
L’utilisation d’un masque codé a néanmoins un désavantage : il réduit la sensibilité de l’instrument de 50%. Ceci peut s’avérer pénalisant étant donné qu’à haute énergie l’émission des sources est déjà beaucoup plus faible que dans le domaine des rayons X. Certains instruments, comme les télescopes BATSE et OSSE à bord du Compton Gamma Ray Observatory (CGRO), ont donc été conçus sans masque pour favoriser la sensibilité de détection.
L’observatoire CGRO
Le Compton Gamma-Ray Observatory (Gehrels et al., 1993), lancé en 1991, fut l’un des quatre grands observatoires spatiaux de la NASA. Les instruments à bord ont permis d’étudier une large gamme du spectre électromagnétique à haute énergie, centré sur les rayons γ.
La partie X-dur/γ-mou était couverte par deux instruments, le Burst and Transient Source Experiment (BATSE) et l’Oriented Scintillation Spectrometer Experiment (OSSE). L’observatoire fut opérationnel jusqu’à sa désorbitation en 2000.
Couvrant la bande d’énergie entre 20 keV et 2 MeV, BATSE était composé de 8 modules identiques disposés chacun sur un coin différent du satellite. Chaque module comprenait deux plans de détection : le premier présentait une grande surface favorisant la sensibilité alors que le deuxième assurait une large couverture spectrale avec une bonne résolution en énergie. Tout comme pour SIGMA, les deux plans de détection étaient formés d’un scintillateur en Iodure de Sodium (dopé au Thallium NaI(Tl)) relié à des tubes de photo-multiplication. Même s’il s’agissait d’un instrument sans collimateur dont l’objectif scientifique principal concernait l’étude des sursauts γ (Fishman et al., 1994), BATSE était capable de faire de l’imagerie grâce à la modulation des signaux sur chaque détecteur au fur et à mesure que le satellite orbitait autour de la Terre (Harmon et al., 1992; Zhang et al., 1993). Cette technique a notamment permis de faire des études spectro-temporelles de l’émission haute énergie de certaines binaires X comme par exemple Cygnus X-1 (Ling et al., 1997). Avec une bande en énergie allant de 50 keV à 10 Mev, le télescope OSSE couvrait à peu près le même domaine spectral que le spectromètre SPI sur INTEGRAL (cf. Chapitre 4). Sa conception était pourtant assez différente, étant donné qu’il fut composé de quatre modules de détection identiques pouvant opérer de manière individuelle (Johnson et al., 1993). Chaque détecteur était constitué d’un scintillateur principal en Iodure de Sodium NaI(Tl) relié par l’arrière à un cristal d’Iodure de Césium CsI(Na). Ce deuxième scintillateur permettait de discriminer les évènements arrivant par l’arrière et jouait ainsi le rôle d’un système d’anticoïncidence. L’ensemble était couplé à des photo-multiplicateurs et protégé par un bouclier actif enveloppant le détecteur principal. Comme pour SIGMA, un scintillateur plastique positionné devant le dé- tecteur protégeait ce dernier des particules chargées. Un collimateur en tungstène délimitait le champ de vue de l’instrument à une région rectangulaire de taille 3:8◦ × 11:4◦.
La stratégie d’observation d’OSSE employait les quatre détecteurs deux par deux. L’absence de masque codée signifiait en effet qu’il fallait mesurer alternativement le signal en provenance de la source et le signal en provenance d’une région « vide » du voisinage (i.e. estimer le bruit de fond). Un détecteur prenait ainsi une pose sur la source pendant que l’autre mesurait le bruit de fond en se décalant de 4:5◦ de la position du premier. OSSE fut développé pour permettre des mesures sensibles dans le domaine des X-durs/γ-mous tout en garantissant une bonne résolution spectrale. Parmi les avancées apportées par OSSE figurent notamment des mesures assez précises du spectre à haute énergie de différentes binaires X à trou noir, comme Nova Persei (GRO J0422+32) (Cameron et al., 1992), Cygnus X-1 (Phlips et al., 1996) et GRS 1915+105 (Zdziarski et al., 2001). Les deux autres instruments à bord du CGRO, le Compton Telescope (COMPTEL) et l’Energetic Gamma Ray Experiment Telescope (EGRET), étaient destinés à enregistrer des rayonnements encore plus énergétiques et ne seront pas détaillés ici. Notons cependant que COMPTEL, avec sa bande en énergie de 750 keV à 30 MeV, a apporté des informations uniques sur le spectre γ de Cygnus X-1 (McConnell et al., 2000). Plus de détails sur les résultats observationnels des instruments précédant INTEGRAL seront données plus loin dans le chapitre.
L’observatoire RXTE
Lancé en 1995, la mission RXTE de la NASA est un observatoire de rayons X dédiée à l’étude de la variabilité rapide des sources astrophysiques. Sur la bande de 2 – 250 keV, RXTE dispose d’une résolution temporelle sans précédent, permettant d’étudier l’évolution des sources sur des échelles de temps allant de quelques millisecondes à plusieurs mois. L’observatoire dispose en outre d’une bonne sensibilité et d’une résolution spectrale suffisante pour mesurer les spectres avec précision. Conçu pour une durée de vie nominale de 5 ans, RXTE est toujours opérationnel et continue de fournir des résultats de qualité.
Pour permettre un suivi à long terme des sources en rayons X, RXTE est équipé de l’instrument ASM (pour All-Sky Monitor), un téléscope à grand champ de vue qui couvre 80% du ciel toutes les 90 min. Opérationnel sur la bande 1 – 12 keV, ASM est constitué de 3 caméras à compteurs proportionnels totalisant une surface de collection de 90 cm2.
Ensuite, la mission comporte deux instruments à faible champ de vue pour pointer les sources individuellement. Le Proportional Counter Array (PCA), dont la bande spectrale s’étend de 2 – 60 keV, est un assemblage de 5 compteurs proportionnels à Xenon disposant chacun de deux couches d’anticoïncidence. Il totalise une surface de collection de 6500 cm2, ce qui lui permet d’atteindre une sensibilité de 0.1 mCrab. Grâce à sa bonne résolution temporelle couplée à une surface efficace importante, PCA est capable de mesurer le flux des sources fortes sur des échelles de temps de la milliseconde.
L’instrument à haute énergie de RXTE, le High Energy X-ray Timing Experiment (HEXTE), est comme PCA un instrument à collimateur dont le champ de vue est limité à 1◦. Ses deux grappes de détecteurs à scintillation en cristaux NaI/CsI (montage phoswich) sont optimiséespour détecter les rayons X-durs entre 15 – 250 keV, avec une résolution temporelle de 8 ms.
Les détecteurs peuvent se décaler de 1.5◦ ou de 3◦ de la position de la source pour mesurer la contribution du bruit de fond.
Avenir de l’astronomie X-dur/γ
Depuis la fin des années 70, le domaine des rayons X (1 – 10 keV) a connu un essor remarquable grâce à l’emploi de techniques de focalisation du rayonnement (Aschenbach, 1985).
En effet, un assemblage de miroirs à incidence rasante (de type Wolter I) permet de collecter les photons X sur une surface de grande dimension et de les concentrer par réflexion sur un détecteur de petite taille. Cette technique a permis d’améliorer considérablement la sensibilité des instruments X avec un gain de plus d’un facteur 100 entre les missions précédentes et EINSTEIN, le premier observatoire spatial à utiliser ce principe. De plus, grâce à la focalisation, EINSTEIN a été la première mission capable d’imager les structures étendues qui émettent en rayons X, avec une résolution angulaire de l’ordre de quelques arc-secondes.
En revanche, pour des énergies dépassant la dizaine de keV, la focalisation du rayonnement s’avère plus difficile. L’incidence devant être de plus en plus rasante à énergie croissante, la distance focale requise augmente rapidement avec l’énergie des photons incidents. Un instrument capable de focaliser des photons de plus de 50 keV a besoin d’une focale supérieure à 10 m, ce qui représente un défi majeur compte tenu des contraintes spatiales. Aujourd’hui, au bout de plusieurs années de recherche et de développement, les ingénieurs ont trouvé des solutions pour relever ce défi : les futures missions X-durs tels NuStar et Astro-H utiliseront un mât télescopique pour éloigner le système optique du module de détection, tout en assurant la stabilité de l’ensemble. Il semble possible d’atteindre ainsi des énergies de 200 – 300 keV.
Au-delà, malgré l’avancement d’un certain nombre de projets dont notamment la lentille γ porté par une équipe du CESR (von Ballmoos et al., 2005), la communauté devra patienter encore quelques années avant de disposer d’un instrument capable de focaliser les rayons dans le domaine γ, i.e. >500 keV.
Résultats observationnels de l’ère pré-INTEGRAL
Au cours des années 90, les observatoires GRANAT, CGRO et RXTE ont révolutionné notre vision du ciel à haute énergie. Dans le domaine des binaires X, les observations réalisées par les instruments présentés plus haut ont apporté des informations précieuses sur la variabilité spectrale et temporelle des systèmes. L’interprétation de ces informations a permis d’améliorer les modèles d’accrétion et de mieux contraindre les mécanismes physiques responsables des phénomènes observés. Cette section dressera un aperçu des résultats majeurs de cette période, considérée par beaucoup de personnes comme l’age d’or de l’astronomie X-dur/γ-mou.
Les systèmes à trou noir
Nouvelles découvertes et comportement temporel
Parmi les binaires X, les cibles les plus intéressantes pour les instruments X-dur/γ sont les systèmes à trou noir (ou candidat trou noir). Par rapport aux systèmes à étoile à neutrons, ils présentent en moyenne des spectres plus durs et une luminosité plus importante au-delà de 20 keV (White et al., 1988; Barret et al., 1996). Ainsi, plusieurs sources de cette catégorie ont été découvertes par les instruments à bord de GRANAT, CGRO et RXTE, comme par exemple GRS 1915+105 (Castro-Tirado et al., 1992), GRO J0422+32 (Paciesas et al., 1992) et XTE J1550–564 (Smith, 1998).
Grâce à ses capacités de moniteur, BATSE fut le premier instrument qui permit d’étudier l’évolution à long terme de plus d’une douzaine d’entre eux. Cette étude a montré que le comportement temporel au-dessus de 20 keV sépare les binaires X à trou noir en trois sous-classes (Grove, 1999):
– Les sources persistantes : elles sont caractérisées par une émission continue au-dessus de 20 keV dont l’intensité peut cependant varier de plusieurs ordres de grandeur sur diverses échelles de temps. Parmi les sources persistantes figurent p.ex. Cygnus X-1, 1E1750.7– 2942 et GRS 1758–258.
– Les sources épisodiques : aussi appelées SLTs (pour Slow Rise Transients, Harmon et al. 1994), elles sont caractérisées par des épisodes récurrents de forte activité (les sursauts ou outbursts en anglais), séparés par des phases de quiescence. Les sursauts majeurs sont généralement lumineux, assez similaires en intensité et peuvent durer plusieurs années.
Pendant les phases de quiescence, souvent assez longues elles aussi, le flux >20 keV n’est plus détectable. GX 339–4, GRS 1915+105 et GRO J1655–40 sont des représentants de cette catégorie.
– Les novae-X : aussi parfois appelés SXRTs (pour Soft X-Ray Transients) ou FREDS (pour Fast Rise Exponential Decay Sources, Grove et al. 1998), elles sont caractérisées par des sursauts moins fréquents et de durée plus courte. La courbe de lumière typique d’un sursaut d’une nova-X présente une montée relativement rapide (de l’ordre de quelques jours) et une décroissance plus ou moins exponentielle dont la durée typique est de l’ordre d’un mois. De plus, des maxima secondaires sont souvent observées lors de la décroissance graduelle du flux. Les novae-X les plus étudiées sont GS 2023+338 (X-Nova Cyg 1989), GS/GRS 1124–68 (X-Nova Mus 1991) et GRO J0422+32 (X-Nova Per 1992). Comme indiqué au premier chapitre, ces différences peuvent s’expliquer par la nature de l’étoile compagnon et la taille de séparation de la binaire. Ces deux aspects ont une influence importante sur la température (i.e. la stabilité, cf. section 1.3.2) du flot d’accrétion et déterminent ainsi le comportement à long terme de l’émission X/γ (van Paradijs, 1996; King et al., 1996; Dubus et al., 1999).
A la fin des années 90, avec la découverte de plus en plus de sources dont les sursauts avaient des formes et des durées variées, la sous-classification entre sources épisodiques et novae-X a progressivement été abandonnée, si bien qu’aujourd’hui on distingue simplement entre sources transitoires et sources.
Les systèmes à étoiles à neutrons
De manière générale, le spectre des binaires X à étoile à neutrons présente une coupure qui se situe à plus basse énergie (souvent . 30 keV), si bien que la présence d’une composante & 100 keV fût soupçonnée d’être une caractéristique exclusive des systèmes à trou noir. Cette vision a changé lorsque les observations de SIGMA puis de BATSE ont révélé que les bursters X, une sous-classe des binaires X à étoile à neutrons, présentent eux aussi une composante à haute énergie pouvant dépasser les 100 keV (Barret & Vedrenne, 1994; Harmon et al., 1996).
Par définition, les bursters X sont caractérisés par une courbe de lumière en rayons X qui montre des sursauts du flux d’intensité et de période relativement régulières. On interprète ce phénomène par l’explosion thermonucléaire d’une couche de matière non-dégénérée située à la surface de l’étoile à neutrons. En effet, contrairement aux systèmes à trou noir, le gaz accrété ne peut pas « disparaître » derrière l’horizon mais s’accumule à la surface de l’étoile à neutrons.
Lorsqu’un certain seuil de température et de pression est dépassé, les réactions de fusion deviennent instables et s’emballent, ce qui déclenche le sursaut. La détection de sursauts de ce type constitue donc un moyen fiable pour déterminer la nature de l’objet compact dans une binaire X.
L’émission du sursaut est bien décrite par un modèle d’émission thermique 3 et ne s’étend guère au-delà de 30 keV. De plus, la durée d’un sursaut est très petite devant la période ; la composante à haute énergie, observée de manière persistante, est donc indépendante des sursauts.
En revanche, elle peut être attribuée au flot d’accrétion. En effet, l’émission persistante des bursters X qui ont été détectés à haute énergie montre des caractéristiques qui ressemblent fortement à celles des états durs des trous noirs : l’émission au-delà de 30 keV, phénoménologiquement décrite par une loi de puissance à coupure exponentielle, peut être attribuée à un processus de Comptonisation thermique. Les bursters X soulèvent donc les mêmes questions que les états des trous noirs, notamment celles des propriétés du flot d’accrétion interne (géométrie, structure etc…)
La similitude des phénomènes observés pour des sources de nature différente indique que l’émission de photons à haute énergie est un aspect universel de l’accrétion sur un objet compact. Même si beaucoup de progrès ont été faits au cours de la dernière décennie, nos connaissances sur la physique qui gouverne les régions où ces photons sont produits restent lacunaires.
Lancement et organisation de la mission
La mission INTEGRAL a été sélectionnée en juin 1993 par le Comité du Programme scientifique de l’ESA. De par son coût de développement et de construction, il s’agit d’une mission de taille moyenne qui s’intègre au programme Horizon 2000 de l’ESA. Le véhicule spatiale utilisé est identique à celui de la mission XMM-Newton et fût lancé le 17 octobre 2002 à bord d’une fusée de type Proton-DM2 depuis le cosmodrome de Baikonour au Kazakhstan. La phase d’étalonnage a duré deux mois et demi et le programme scientifique a commencé en janvier 2003.
Aujourd’hui, au bout de presque huit ans de service, INTEGRAL est toujours opérationnel et continue à fournir des relevés du ciel à haute énergie.
D’un point de vue scientifique, la mission repose sur l’opération simultanée du télescope (Imager on Board of the INTEGRAL Satellite, Ubertini et al. 2003), chargé de fournir des images à haute résolution angulaire et du spectromètre SPI (SPectrometer for INTEGRAL, Vedrenne et al. 2003), optimisé pour les mesures à haute résolution spectrale. Pour étoffer les capacités de l’observatoire, INTEGRAL comprend deux instruments additionnels, à savoir JEMX (Joint European Monitor, Lund et al. 2003) dont les deux détecteurs X permettent un suivi des sources dans la bande 3 – 35 keV et OMC (Optical Monitor Camera, Mas-Hesse et al. 2003), une caméra dédiée au relevé dans le visible (550 – 850 nm). La Figure 4.1 donne une représentation schématique du satellite en précisant l’emplacement des quatre instruments.
Plusieurs unités de contrôle et d’exploitation ont été mises en place pour gérer au mieux le bon fonctionnement et l’exploitation scientifique de la mission. D’abord il y a l’ISOC (pour INTEGRAL Science Operations Centre), organisme rattaché à l’ESAC 1 à Villanueva de la Cañada (près de Madrid en Espagne), qui est responsable de la définition des opérations scientifiques de la mission. L’ISOC décide en particulier de la configuration des instruments, de la mise en œuvre des programmes d’observation et du planning scientifique à long terme de la mission.
Ensuite il y a le MOC (pour Mission Operation Center situé à l’ESOC 2 à Darmstadt en Allemagne) qui réceptionne les données brutes par l’intermédiaire de deux stations de contrôle situées en Belgique et aux Etats-Unis. Le MOC transfère les données à l’ISDC (pour INTEGRAL Science Data Center, Courvoisier et al. 2003), organisme chargé de gérer la préparation et la distribution des données scientifiques, et aux instituts PI des différents instruments. Les données brutes de SPI arrivent donc directement au Centre d’Etude Spatiale des Rayonnements (CESR) où elles subissent une étape de preprocessing dès l’arrivée.
Description de l’orbite et de la stratégie d’observation
Le satellite INTEGRAL a été lancé sur une orbite de transfert très excentrique, avec une altitude au périgée de seulement 650 km pour une altitude à l’apogée de 152000 km. Au cours de la 3e, 4e et 5e révolution, l’orbite a successivement été circularisée en augmentant l’altitude du périgée jusqu’à atteindre son altitude nominale de 9000 km. Une petite correction ramenant l’apogée à 153000 km permit enfin d’atteindre l’orbite finale qui est parfaitement synchrone avec une période de 72 h. Grâce à l’excentricité de l’orbite (a = 0:82), INTEGRAL passe ainsi plus de 80 % du temps au-dessus d’une altitude de 60000 km, ce qui présente plusieurs avantages. En effet, le satellite minimise ainsi la durée des passages dans les ceintures de radiation de la Terre en évitant totalement la ceinture des protons. Cette dernière condition garantit un environnement stable pour les opérations scientifiques. Aussi, une altitude importante favorise la communication avec les stations de contrôle, sachant que la couverture télémétrique est totale au-dessus d’une altitude de 40000 km. Au cours des années, l’orbite d’INTEGRAL s’est légè- rement modifiée en raison des perturbations naturelles dues au Soleil, à la Terre et à la Lune ; cette évolution est toutefois favorable par rapport aux contraintes évoquées plus haut.
La mission INTEGRAL est en service depuis plus de 7 ans maintenant. Les deux ressources vitales du satellite, à savoir les ergols pour les manœuvres orbitales et la puissance électrique délivrée par les panneaux solaires, permettent de maintenir la mission opérationnelle jusqu’au moins en 2015. La stratégie d’observation d’INTEGRAL est dictée par les besoins des instruments à masque codé IBIS et SPI. Le spectromètre SPI, qui sera présenté en détail à la section suivante, nécessite une technique d’observation particulière afin de maintenir une bonne sensibilité. En effet, le plan de détection de SPI est composé de (seulement) 19 détecteurs individuels dont chacun enregistre les évènements (dépôts d’énergie dans le détecteur) de manière indépendante. Sur une pose donnée, il est alors difficile de séparer la contribution des sources de celle du bruit de fond, car le système d’équations est sous-déterminé. Pour s’affranchir de ce problème (i.e. pour avoir au moins autant d’équations que d’inconnues, cf. sections 3.1.2 et 4.3.4), il est nécessaire d’augmenter le nombre de poses en décalant légèrement le centre du champ de vue. La technique d’observation d’INTEGRAL, appelée dithering (Jensen et al., 2003), consiste donc à appliquer un motif de pointages régulièrement espacés entre-eux autour de la cible principale. Chaque pointage, appelé aussi Science Window (SCW), a un temps de pose fixe d’une durée typique de 2000 sec et les déplacements entre deux pointages successifs durent typiquement 360 sec. Pour INTEGRAL, deux motifs différents sont prévus (cf. Figure 4.2) :
– un motif carré 5 × 5, centré sur la position de la cible d’observation (i.e. 1 pointage sur l’axe de la cible et 24 pointages décalés entre eux de 2◦ formant deux carrés imbriqués). Ce mode est optimal pour observer des champs de vue qui contiennent plus d’une source ponctuelle.
– un motif hexagonal centré lui aussi sur la position de la cible (i.e. 1 pointage sur l’axe de la cible et 6 pointages disposés sous forme d’un hexagone régulier autour). Ce mode sera utilisé préférentiellement pour l’observation d’une source ponctuelle forte lorsqu’aucune contribution secondaire n’est attendue. Néanmoins, ce genre de situation est assez rare et SPI fournit en général de meilleurs résultats avec le motif 5×5.
Le spectromètre SPI
Comme mentionné plus haut, le spectromètre SPI (Vedrenne et al., 2003) est l’un des deux principaux instruments de l’observatoire INTEGRAL. Sélectionné pour fournir une résolution spectrale sans précédent dans le domaine des X-durs/γ-mous, l’instrument fait preuve d’une sensibilité à haute énergie ainsi que d’une réponse instrumentale stable dans le temps (Jourdain & Roques, 2009). SPI a été conçu et réalisé grâce à une collaboration internationale de différents instituts, sous la responsabilité du CESR et la maîtrise d’œuvre de l’agence spatiale française (CNES). La Figure 4.3 (gauche) montre une vue détaillée de l’instrument et de ses différents éléments constitutifs, dont les principaux seront décrits dans les paragraphes suivants.
La caméra γ
La caméra γ (cf. figure 4.4), développée sous la responsabilité de G. Vedrenne puis J.P.
Roques au CESR à Toulouse, représente le cœur du spectromètre. Elle est formée d’un assemblage hexagonal de 19 détecteurs à semi-conducteur de type n, en Germanium ultra-pur, forman une surface géométrique de détection de 508 cm2. Chaque détecteur individuel, épais d’à peu près 7 cm, est lui aussi de forme hexagonale afin de minimiser le volume occupé par l’assemblage. Pour tirer profit au maximum des qualités spectroscopiques des cristaux de Germanium, il est nécessaire de refroidir les détecteurs. Un système cryogénique actif est intégré à l’instrument afin de garder la température du plan de détection constamment autour de 80 degrés K.
Ceci permet notamment d’atteindre la résolution spectrale nominale, qui est de 2.5 keV à 1.3 MeV, soit ∆E =E = 2 × 10–3. La caméra γ de SPI fournit ainsi des mesures spectrales plus de fois plus précises que les instruments précédents (OSSE, SIGMA, cf. Chapitre 3) de cette gamme en énergie.
Le principe de fonctionnement d’un détecteur à semi-conducteur est basé sur la collection des porteurs de charge libérés lors de l’interaction du photon incident avec la matière. En effet, quel que soit le type d’interaction (effet photoélectrique, effet Compton ou effet de paire, cf section 3.1.1), l’absorption du photon se traduit par la création d’un grand nombre de paires électron-trou dans le semi-conducteur. Le détecteur étant sous haute tension, les porteurs de charge sont rapidement acheminés vers les électrodes et donnent lieu à un signal électrique.
Après amplification et mise en forme du signal par un système électronique analogique, l’amplitude de l’impulsion permet de déterminer l’énergie de l’évènement. Comme cette énergie est proportionnelle aux nombres de porteurs de charges collectés, la résolution spectrale du dépend de l’énergie minimale nécessaire à créer une paire électron-trou dans le semiconducteur. Cet aspect justifie le choix du Germanium pour la caméra γ de SPI : le seuil de création électron-trou est d’environ 3 eV, ce qui signifie qu’un photon de 100 keV, s’il est totalement absorbé, va libérer 3×104 porteurs de charge de chaque type. En refroidissant le détecteur en dessous de 100 K, le bruit de fond thermique est fortement réduit et la précision de la mesure de l’énergie d’un photon incident est théoriquement ultra-fine. Néanmoins, la résolution spectrale dépend aussi des fluctuations du courant de fuite qui traverse le détecteur, effet qui limite les performances à basse énergie (Paul et al., 2001).
La caméra γ de SPI est exposée à un fort flux de particules énergétiques qui dégradent les performances des détecteurs. Leur impact génère des sites de piégeage des porteurs de charges ce qui modifie localement la structure des niveaux d’énergie du semi-conducteur. En consé- quence, la réponse impulsionnelle des détecteurs est déformée au fil du temps et la précision des mesures s’en trouve réduite. Pour arriver à garder un niveau de performance plus ou moins constant à long terme, une stratégie de recuit (annealing en anglais) des détecteurs a été mise place (Leleux et al., 2003) : en portant le Germanium à 105◦C pendant un certain temps, l’agitation thermique accrue permet de réordonner le cristal qui retrouve ainsi ses qualités nominales. Une telle procédure est effectuée deux fois par an et dure entre trois et dix jours, en fonction du niveau de dégradation du plan de détection.
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Table des matières
Introduction
I. Contexte
1 Les binaires X
1.1 Les deux complices
1.1.1 Un peu d’histoire
1.1.2 Les objets compacts
1.1.3 Les étoiles compagnon
1.2 L’accrétion : principes de base
1.2.1 Une source d’énergie colossale
1.2.2 La limite d’Eddington
1.2.3 Le problème du moment cinétique
1.3 Le disque d’accrétion
1.3.1 Le disque α
1.3.2 Stabilité du disque d’accrétion
1.3.3 La variabilité rapide
1.4 Les éjections de matière
2 Emission haute énergie des binaires X
2.1 La distribution spectrale du rayonnement
2.1.1 La composante en loi de puissance
2.1.2 Les états spectraux
2.2 Les modèles standard
2.2.1 La couronne du disque d’accrétion
2.2.2 Flot d’accrétion optiquement mince
2.2.3 Les transitions spectrales
2.2.4 Modèles alternatifs pour l’état dur
3 Observations en X-dur/γ
3.1 Vers les observatoires actuels
3.1.1 Détecter et localiser les photons
3.1.2 Le télescope SIGMA et le principe du masque codée
3.1.3 L’observatoire CGRO
3.1.4 L’observatoire RXTE
3.1.5 Avenir de l’astronomie X-dur/γ
3.2 Résultats observationnels de l’ère pré-INTEGRAL
3.2.1 Les systèmes à trou noir
3.2.2 Les systèmes à étoiles à neutrons
4 La mission INTEGRAL
4.1 Présentation générale
4.1.1 Objectifs scientifiques
4.1.2 Lancement et organisation de la mission
4.1.3 Description de l’orbite et de la stratégie d’observation
4.2 Le spectromètre SPI
4.2.1 La caméra γ
4.2.2 Les autres sous-systèmes
4.3 Traitement des données SPI
4.3.1 Format et préparation des données
4.3.2 Réponse instrumentale
4.3.3 Le bruit de fond
4.3.4 Déconvolution
4.3.5 Le traitement semi-automatique
II. Résultats
5 L’émission haute énergie de GRS 1915+105
5.1 Caractéristiques de la source
5.2 Motivation
5.3 Observations et réduction de données
5.4 Résultats
5.4.1 Courbes de lumière
5.4.2 Analyse spectrale
5.4.3 Observations 295 et 423
5.4.4 Observations 246 et 368
5.4.5 Comparaisons croisées et spectres composites
5.5 Discussion des résultats
6 L’état dur lumineux de GX 339–4
6.1 Introduction
6.1.1 Caractéristiques de la source
6.1.2 Motivation
6.2 Observations
6.2.1 Instruments et réduction de données
6.2.2 Courbe de lumière X-dur et groupes de données
6.3 Emission à haute énergie
6.3.1 Spectres
6.3.2 Imagerie et robustesse des résultats
6.3.3 Evolution temporelle
6.3.4 Et les autres instruments ?
6.4 Analyse spectrale à bande large
6.4.1 Modèle général
6.4.2 Chauffage thermique
6.4.3 Chauffage non-thermique avec Comptonisation externe
6.4.4 Chauffage non-thermique avec Comptonisation interne
6.5 Discussion des résultats
6.5.1 Le modèle purement thermique
6.5.2 Le scénario non-magnétique
6.5.3 Le scénario magnétique
7 L’émission haute énergie de GS 1826–24
7.1 Caractéristiques de la source
7.2 Observations et traitement des données
7.3 Résultats
7.3.1 Courbes de lumière
7.3.2 Episode du mois de mars 2004
7.3.3 Comparaison avec C10
7.3.4 Analyse du spectre moyen
7.4 Discussion
8 Synthèse et discussion
8.1 Bref rappel sur les états spectraux
8.2 Résumé des résultats
8.3 Synthèse
8.3.1 Comparaison
8.3.2 Origines physiques de l’émission
8.3.3 Vers l’unification des processus d’émission haute énergie dans les systèmes accrétants
8.3.4 Influence des paramètres physiques
8.3.5 Les états spectraux revisités
Conclusion et perspectives
Bibliographie
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