L’intégration des technologies informatiques puis numériques au sein de l’école est apparue, aux yeux de l’institution scolaire, depuis longtemps déjà , comme un levier
possible d’évolution du système scolaire. Ces dernières années, l’évolution technologique soutenue et son impact sur le fonctionnement même de nos sociétés semblent avoir érigé l’innovation technologique comme un attribut privilégié du changement, à la fois moteur d’évolution de l’école mais, plus encore, de l’ordre de la nécessité sociale. Vidéo-projecteurs, ordinateurs portables, baladeurs numériques, tablettes et livres électroniques, mais aussi plateformes de e-learning ou encore espaces numériques de travail sont autant de technologies potentiellement mises à disposition des enseignants et de leurs élèves. Ces différents produits attestent d’une volonté forte d’ouverture de l’école au numérique et viennent aujourd’hui modifier le visage des établissements et la géographie de la classe. S’ils sont susceptibles de rencontrer les attentes d’une partie des enseignants les plus soucieux d’expérimentation, ces nouveaux produits demeurent cependant périodiquement questionnés : leur présence dans les classes est-elle la garantie d’un changement dans les pratiques enseignantes, d’un changement productif ? Les attentes institutionnelles portées par l’introduction de ces technologies sont-elles précisément identifiées et explicitées ?
Un nouvel objet dans la classe
La technologie tableau blanc interactif a d’abord été désignée par l’acronyme TBI, puis plus récemment qualifiée de tableau numérique interactif (TNI) ou parfois de tableau pédagogique interactif (TPI), ce flottement sémantique marquant selon nous avant tout la volonté des promoteurs de lui frayer un chemin au sein de l’école et d’entreprendre sa conquête. En première approximation, la technologie tableau blanc interactif peut être décrite comme un dispositif constitué d’un ordinateur relié à un vidéo-projecteur et à un tableau blanc tactile qui sert d’écran de projection et sur lequel il est possible d’annoter à l’aide d’un stylet. Il est ainsi possible de réaliser sur cette surface de projection agrandie un ensemble d’actions habituellement dévolues à l’ordinateur. Un logiciel dédié vient compléter ce dispositif et propose une variété de fonctions : aux côtés de celles héritées de technologies non numériques, telles que les flipcharts, les tableaux blancs, les rétroprojecteurs, les projecteurs de diapositives ou de vidéo, viennent s’ajouter d’autres fonctions, plus spécifiques :
— le glisser-déposer : déplacement des objets présents sur la surface de projection,
— le cacher-révéler : un objet placé sur un autre peut venir le masquer temporairement,
— la surbrillance : une couleur transparente peut être appliquée sur les objets,
— le zoom : seule une zone particulière de la surface de projection est visible,
— l’animation : les objets peuvent être tournés, agrandis, déformés…
— la télé-impression : des éléments textuels peuvent défiler continûment à l’écran,
— la reconnaissance d’écriture et de formes : le texte et les objets graphiques manuscrits sont transformés en objets codés numériquement.
— la mémorisation : enregistrement des objets présents sur la surface de projection,
— les feed-back : lorsqu’un objet est touché, une réponse visuelle ou auditive est produite.
De cette courte description, nous retenons le caractère dual de cette technologie, au carrefour de deux mondes : celui du tableau noir et celui du logiciel. Le premier est classiquement entrevu comme un moyen d’exposition du savoir, le lieu d’une écriture autorisée qui se donne à voir : un instrument de l’ostension. Mais son rôle ne se résume pas à exposer des mathématiques en classe, il est aussi un moyen de faire (et de faire faire) des mathématiques. En permettant l’activité mathématique et en la rendant observable de tous, le tableau s’érige en moyen de communication avec les élèves. Le monde du logiciel, quant à lui, est celui de la visualisation, des représentations manipulables et de l’expérimentation, porteur de techniques didactiques propres. Si la légitimité de ces deux mondes dans l’enseignement des mathématiques et leur complémentarité ne sont plus à démontrer, leur articulation reste problématique. La question est alors de savoir quel rôle est susceptible d’endosser la technologie tableau blanc interactif dans cette articulation et quelle place lui définir.
Positionnement de l’étude
Notre ambition est de nous intéresser à l’utilisation du TBI faite en classe par les professeurs de mathématiques, étude qui s’inscrit dans des travaux plus généraux sur les pratiques enseignantes. Prendre comme point d’entrée dans l’étude cet objet technologique n’est cependant pas sans soulever quelques interrogations, qui tiennent, en premier lieu, aux spécificités de ce nouvel outil. Dans le champ de la didactique des mathématiques, le tableau noir n’a fait que récemment l’objet de recherches . Son intégration dans l’enseignement a constitué cependant, selon certains auteurs (Coulson 2006), une véritable révolution dans les pratiques, fondatrice d’un enseignement donnant accès aux enseignants à un moyen d’écrire publiquement, devant le regard de tous et à l’intention de tous. Les autres supports qui l’ont complété par la suite, que ce soient les transparents jusqu’à récemment du matériel de vidéoprojection, n’ont pas non plus semblé intéresser les didacticiens.
Les TBI constituent aujourd’hui une réalité de la salle de classe et tendent à se multiplier comme équipement scolaire. Arrivés en 2003 en France, ils ont connu un déploiement soutenu et constant. Le taux d’équipement des établissements a ainsi été multiplié par 10 en l’espace de quatre ans : de 5000 TBI dénombrés en 2007, ce sont 50000 TBI qui en 2010, équipaient les salles de classe . Même si le taux d’équipement en France reste encore largement en deçà de celui constaté dans de nombreux autres pays , le succès grandissant de cette technologie, substantiellement différente de celles que la recherche didactique a jusqu’ici étudiées, plaide en faveur d’une étude spécifique. L’arrivée de ce nouvel artefact dans les classes, s’érigeant en potentiel remplaçant du tableau noir, est susceptible de modifier une certaine forme d’équilibre établi. Elle pointe dès lors la nécessité pour la recherche de s’intéresser aux genèses instrumentales et aux genèses d’usage associées. Cette nécessité est d’autant plus grande que les recherches menées sur cette technologie dans des pays comme l’Angleterre, où un équipement systématique a été effectué depuis plusieurs années déjà et des recherches engagées sur les usages, soulignent que ces derniers peuvent s’avérer problématiques.
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Table des matières
Introduction
1 Questionnement initial
1.1 Préambule
1.2 Un nouvel objet dans la classe
1.3 Positionnement de l’étude
1.4 Problématique de l’étude
1.5 Transition
2 Cadrage théorique et méthodologie générale.
2.1 L’approche instrumentale
2.1.1 Présentation
2.1.2 Transition
2.2 L’approche instrumentale en didactique des mathématiques
2.2.1 Les débuts de l’approche
2.2.2 La gestion des genèses instrumentales des élèves
2.2.3 Les genèses instrumentales du professeur
2.2.4 Développements récents
2.2.5 Bilan
2.3 Cadrage théorique de l’étude
2.3.1 Délimitation et utilisation de l’approche instrumentale
2.3.2 La théorie de l’action conjointe en didactique
2.3.3 Délimitation et utilisation du cadre de la théorie de l’action
conjointe didactique
2.3.4 Articulation des deux approches
2.4 Méthodologie générale et plan de l’étude
2.4.1 Conséquences du choix du cadrage sur la méthodologie générale
2.4.2 Plan de l’étude
3 Revue de la littérature
3.1 Préambule
3.1.1 Contexte international
3.1.2 Transition
3.2 Contexte de déploiement des TBI au Royaume-Uni
3.3 Etude de la littérature anglo-saxonne
3.3.1 Potentialités de la technologie TBI et considérations techniques
3.3.2 Vers un changement nécessaire des pratiques
3.3.3 Nature de l’interactivité
3.3.4 Impact des TBI
3.3.5 Formation professionnelle des enseignants
3.3.6 Récapitulatif
3.4 Contexte de déploiement des TBI en France
3.5 Etude de la littérature française
3.5.1 Etude d’un rapport sur le TBI à l’école
3.5.2 Etude critique du rapport Fourgous
3.5.3 Première réserves de la didactique des mathématiques
3.6 Regards croisés
3.7 Bilan et perspectives
4 Le TBI : entre potentialités et soutien
4.1 Préambule
4.1.1 Une inscription dans un processus de conception et d’usage
4.2 L’objet TBI
4.2.1 Les éléments matériels du dispositif
4.2.2 L’élément logiciel du dispositif
4.2.3 Les périphériques complémentaires
4.2.4 Premier bilan
4.3 Les évolutions technologiques du dispositif TBI
4.3.1 Les outils « natifs » du logiciel
4.3.2 D’autres évolutions du dispositif
4.3.3 Le mode mathématique du logiciel
4.3.4 Second bilan
4.4 Besoins instrumentaux et interactivité
4.4.1 L’environnement de conception du logiciel
4.4.2 Troisième bilan
4.5 Synthèse de l’étude du dispositif technique
4.6 Regards institutionnels sur le TBI
4.6.1 Modalités d’intégration des technologies dans les programmes
4.6.2 Position institutionnelle : première approche
4.6.3 Positionnement institutionnel : seconde approche
4.6.4 Discussion
4.7 Les ressources
4.7.1 Etude quantitative des bases institutionnelles
4.7.2 La base Educ’Base en détail
4.8 Bilan
5 Etude des questionnaires
Conclusion
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