Les perles sont des petits objets comportant un trou d’enfilage. Elles sont conçues pour être enfilées. Extraites de divers matériaux organiques, minéraux et artificiels, elles se présentent sous différentes formes et revêtent des myriades de couleurs. Elles sont assimilées aux perles des huîtres perlières. D’où leur sacralité relative à l’eau, à la femme, à la fécondité et à la lune, l’astre du devenir.
Les Malgaches, comme la plupart des habitants du globe, possèdent une culture relative aux perles. Il faut savoir qu’à Madagascar, contrairement aux autres pays, les perles ont chacune leur nom et sont associées aux douze destins astrologiques. Chez, les Sihanaka, ethnie vivant autour de la dépression lacustre d’Alaotra, dans la province de Toamasina, l’assemblage des perles offre un caractère de système suivant un code connu par tous les devins de la région. Ce qui fait que ces assemblages forment un langage codé pour ceux qui s’y intéressent. Cependant, leur système de signe repose sur le symbolisme. Ainsi, les perles ne peuvent être étudiéesqu’en assemblage où elles sont considérées comme des signes en relation, les unes aux autres et dans leur système symbolique.
LE THEME ET LE TERRAIN
L’étude des perles sacrées dans la tradition sihanaka a été abordée lors de notre mémoire de maîtrise en Philosophie . Elle est la source d’une thématique plus poussée quant à l’usage des perles. Il s’agit de décrypter les structures et les sens du langage des perles pour les interpréter à l’intérieur de la tradition ancestrale. Ce langage est « lu » selon l’ordre des perles lors de l’enfilage. Cela implique une recherche focalisée sur les types et les modes de combinaisons des perles. Elle met en exergue les significations de chaque perle dans le domaine afférant à son propre système symbolique.
Les perles sont confectionnées à partir de diverses matières minérales, organiques et plastiques. Elles revêtent de formes différentes et de couleurs variées. De nos jours, par manque de matières premières, la plupart des perles trouvées sur les marchés sont en plastique. Elles comportent un trou d’enfilage. Contrairement aux perles occidentales lesquelles sont classées selon leurs motifs et leurs origines, celles que les Malgaches utilisent, ils les attribuent des noms significatifs qui rappellent les objectifs souhaités. La plupart de ces noms se formulent sous une forme d’incantation, de prière et de vœu. Ils expriment, selon Jean Chevalier :
« La sublimation des instincts, la spiritualisation de la matière, la transfiguration des éléments et l’immortalité. » .
La population sihanaka
Certes, le thème de ce travail est la perle mais, puisqu’il est entrepris dans le cadre de l’anthropologie qui valorise l’étude de l’homme dans sa totalité, nous sommes obligée de consacrer un chapitre pour décrire les Sihanaka qui constituent la population de recherche. Ce chapitre est seulement le fruit d’une observation directe. C’est seulement après que nous analyserons, à travers les assemblages de perles, la « pensée sihanaka ».
Situation géographique
Les Sihanaka se répartissent aux alentours de la dépression lacustre de l’Alaotra comprise entre le 17e et le 18e degré de latitude Sud, le 48e et le 49e degré de longitude Est . Traditionnellement, le territoire est limité au Nord par la colline d’Ampatakamaroreny, au Sud par celle d’Anjiro, à l’Ouest par celle de Vohibato et à l’Est par celle de Manañamontana. Cette limitation géographique est toujours mentionnée pendant l’invocation sacrée ou joro, pour délimiter les différentes puissances cosmiques . Cependant, cette démarcation ne coïncide pas avec les limites administratives actuelles de la région Alaotra-Mangoro.
La région sihanaka est célèbre par ses rizières qui s’étendent à perte de vue et ses montagnes latéritiques rongées par l’érosion. Les villages situés autour du lac tels que Ambatondrazaka, Amparafaravola, Amboavory et Imerimandroso sont reliés par la route nationale 3 A, une route qui fait le tour du lac. Elle est bitumée dans la partie Ouest, d’Ambatondrazaka jusqu’à Vohitraivo, un village transit avant Andilamena qui est très célèbre pour ses gisements de rubis. Cependant, les villages de la partie orientale sont reliés par une route de terre battue presque impraticable pendant la saison des pluies.
Nos recherches ont été effectuées au village appelé Amboavory, situé dans la partie Nord-Ouest du lac et dans ses environs immédiats. La route bitumée passe par ce village. Il a été choisi de par ses riches traditions. Cela est sans doute dû au fait que ce village fut jadis une petite unité politique, une petite chefferie .
Contexte historique
Historiquement, le groupe ethnique sihanaka descend de quatre grandes immigrations :
– Les premières vagues d’immigrations proto-malgaches. Il s’agit des Vazimba qui ont constitué une race autochtone. Ce qui fait que les Sihanaka, les Merina, les Betsileo et les Bezanozano ont une origine commune . Pourtant, aucune preuve ne peut appuyer cette affirmation.
– Un groupe venant de la côte orientale, entre Maroantsetra et Toamasina qui s’est déplacé vers l’intérieur pour se disperser en petits royaumes.
– Un groupe antesaka de Vangaindrano dirigé par Raibenifananina, datant avant 1575. Jean POIRIER et Jacques DEZ affirment que ce groupe avait été repoussé par ses voisins turbulents qui le contraignirent à s’expatrier à Mahakary, un village sur la rive Ouest du lac.
– Les Merina au XIXe entraîné par la conquête du roi Radama I (1810-1828).
Toutes ces vagues d’immigrations font que les Sihanaka sont issus de croisements prolongés entre les différents immigrants qui s’étaient installés autour du lac Alaotra. D’ailleurs, l’étymologie du nom de l’ethnie, sihanaka, illustre bien ce propos : sia veut dire errer et hanaka signifiant marécage . En ce qui concerne le village d’Amboavory, il fut bâti sur une colline, par un mpañazary nommé Rangotsy sous l’ordre de Radama I. Une pierre mémoriale d’environ 30 cm, appelée Arivolahy-Tsy-Maty-Indray-Andro (Mille-Hommes-Ne-Meurent-Pas-En-Un-Jour) témoigne cet événement. Celle-ci fut posée au plus haut lieu du village et supposée posséder une vertu de protection du village et des ses habitants. Actuellement entouré de haies vives, cet endroit devient un haut lieu de culte traditionnel. L’histoire du village fut écrite par le Pasteur Wagner RANDRIAMANDANONA dans son manuscrit inédit intitulé Rakitry ny ela .
Contextes économiques et culturels
Dans cette région, on distingue deux types de cultures. On note, en premier lieu, l’agriculture familiale vivrière de subsistance dans les vallées et sur les collines. Ensuite, la riziculture de rente dans les périmètres irrigués qui couvrent, au total, 700.000 ha. Mais, les Sihanaka vivent surtout de la riziculture. La production rizicole est la base de leur économie. Actuellement, ils cultivent une variété de riz telle que le Makalioka 34, le Sebota, le Tsemaka qui peuvent fournir un rendement de 10t/ha. Cependant, la culture reste traditionnelle. On note, une absence ou un faible utilisation d’intrants à part la poudrette de parc. De plus, la culture attelée et manuelle persiste malgré le programme du PSDR sur la petite mécanisation par la distribution des motoculteurs japonais, Kubota qui font, actuellement, partie du paysage de la région. Il faut cependant, mentionner qu’une industrie est actuellement établie à Vohidiala pour profiter de la SADC (South African Developpement Community). Au fait, la Fanampy Rice Mill compte exporter du riz pour nourrir toute la communauté de l’Afrique australe .
Entre temps, l’élevage bovin complète cette base économique rizicole d’autant plus que les zébus constituent non seulement, des moyens nécessaires pour les travaux mais aussi, il reste le seul l’animal sacrificiel par excellence.
De par cette civilisation culturale, la sédentarité constitue une des vertus capitales. Les errants y sont mal vus et traités de tous les défauts. Pour pouvoir garder le patrimoine rizicole, l’endogamie a été longtemps la condition de la réalisation des unions matrimoniales. Dans cette région, comme partout à Madagascar, les grandes fêtes rituelles ne se pratiquent qu’après la saison de récoltes.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DU SUJET ET DU TERRAIN
I.1 LE THEME ET LE TERRAIN
I.1.1 La population sihanaka
I.1.1.1 Situation géographique
I.1.1.2 Contexte historique
I.1.1.3 Contextes économiques et culturels
I.1.2 Le thème
I.1.2.1 Motivations du choix du sujet
I.1.2.2 Objectif
I.1.2.3 Problématiques (dimensions et spécification)
I.2 MATERIELS ET METHODES
I.2.1. Les outils de recherche
I.2.2 Méthode d’enquête : exploration et description
I.2.2.1 Fiche d’enquête
I.2.2.2 Echantillonnage et inventaire simple des perles courantes
I.2.2.3 Choix des informateurs
I.2.2.4 Entretiens et enregistrements des faits
I.2.2.5 Les prises de photos
I.2.3 Approche d’analyse : structuralisme
I.2.3.1 Description de la méthode
I.2.3.2 Les éléments
I.2.3.3 Le système
I.2.3.4 Le structure
I.3 PROBLEMES D’ENQUETE
I.3.1 Endoethnologie et ethnocentrisme
I.3.2 Période de la recherche
I.3.3 Rétention d’informations et méfiance des villageois
I.3.4 Traduction et documentation
I.4 RESULTATS
DEUXIEME PARTIE : PLAN DETAILLE DE LA THESE
II.1. LES ELEMENTS DE LA TRADITION
II.1.1 Le devin
II.1.2 La population adepte de la tradition
II.1.3. Les assemblages de perles
II.2. LE SYSTEME D’ASSEMBLAGE
II.2.1 Les unités constitutives
II.2.1.1 Le voñy : Verbe-Objet
II.2.1.2 Les perles sanctificatrices : Sujet
II.2.1.3 Les perles astrologiques : 1er complément de l’objet
II.2.1.4 Les perles des souhaits : 2e complément de l’objet
II.2.1.5 Les perles amplificatrices : 3e complément de l’objet
II.2.2 Les caractères spécifiques du système
II.2.2.1 L’irréversibilité
II.2.2.2 La règle de parité
II.2.3 Les règles transformationnelles
II.2.3.1 La permutation
II.2.3.2 L’addition
II.2.3.3 La soustraction
II.3. LA SIGNIFICATION DE LA TRADITION
II.3.1. La tradition de la perle : une forme de magie
II.3.1.1 Perles et magie sympathique
II.3.1.2 Les lois de la magie
II.3.1.3 L’interprétation de l’invocation sacrée « joro »
II.3.2. Tradition de la perle et enjeux économiques
II.3.2.1. Les problèmes fonciers
II.3.2.2. Le partage des biens
II.3.2.3. La primauté de la vie matérielle
II.3.2.4. Les problèmes causés par l’endogamie
TROISIEME PARTIE : BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE
III.1 CORPUS
III.2 SUR LES PERLES
III.2.1 Ouvrages
III.2.2 Articles
III.3. SUR LA REGION ALAOTRA
III.3.1 Ouvrages
III.3.2 Articles
III.4. SUR LES CROYANCES TRADITIONNELLES MALGACHES
III.4.1. Ouvrages
III.4.2. Articles
III.5 ANTHROPOLOGIE GENERALE
III.5.1. Ouvrages
III.6 OUVRAGES GENERAUX
III.7 MANUELS
III.8 LIENS INTERNET
III.8.1 Perles
III.8.2 Méthodologie
III.8.3 Sujets généraux
CONCLUSION
ANNEXES