Le système musculaire des mammifères
Les muscles convertissent de l’énergie chimique en énergie mécanique pour mettre en mouvement les fluides biologiques, le sang, les membres ou pour maintenir la posture de l’organisme. Ils participent aussi à des fonctions essentielles (respiration, digestion) et permettent l’adaptation au milieu environnant (locomotion, thermorégulation). Trois types de cellules musculaires (cardiaques, lisses et squelettiques) aux caractéristiques anatomiques, morphologiques et fonctionnelles spécifiques confèrent au système musculaire ses propriétés intrinsèques (conductibilité, contractilité, élasticité, excitabilité et extensibilité). Au cours de ce travail de thèse, j’ai étudié plus particulièrement les muscles squelettiques, impliqués dans la mise en mouvement volontaire de l’organisme. Parmis ceux-ci, mes principaux objets d’analyse ont été les muscles tenseurs du Fascia Lata (TFL) et les muscles paravertébraux. Les muscles squelettiques seront donc détaillés en premier lieu, avant de présenter plus brièvement les principales singularités du muscle cardiaque, moteur de la mise en mouvement du flux sanguin, puis celles des muscles lisses qui assurent les fonctions végétatives.
Les muscles striés squelettiques
Le corps d’un adulte humain est composé de plus de 600 muscles striés squelettiques répartis entre les membres supérieurs et inférieurs (environ 200), la tête et le cou (environ 170), le tronc (environ 200) et les différents organes (environ 50). Ils peuvent être de tailles, de formes et d’insertions variables. Malgré une localisation distincte au sein de l’organisme, ils partagent une même origine embryonnaire, exception faite de ceux de la tête.
La formation des muscles striés squelettiques
La formation des muscles (myogenèse) débute lors de l’embryogenèse et s’entretient durant toute la vie de l’organisme (Parker et al. 2003 ; Sambasivan et Tajbakhsh, 2007 ; Tajbakhsh 2009). Au cours de la gestation, des oscillations locales d’expression de gènes directement ou indirectement associées aux voies de signalisation de Notch et de la famille « Wingless » (Wnt) couplées aux gradients de morphogènes, essentiellement les Wnt, les facteurs de croissance des fibroblastes (fibroblast growth factors, FGF) et l’acide rétinoïque (AR), induisent la condensation du mésoderme paraxial pour former des somites qui se développeront progressivement de la tête à la queue (Figure 1). En effet, la partie caudale du mésoderme paraxial contient de fortes concentrations de FGF et de Wnt qui maintiennent les cellules à un stade indifférencié mésenchymateux (Audela et Pourquie, 2010). Ces voies de signalisation contrôlent les activités périodiques de la voie Notch qui elle-même contrôle en retour les gènes cycliques impliqués dans la somitogenèse (Hoffman et al. 2004).
Le départ de la région caudale des cellules entraîne l’arrêt de l’expression des gènes cycliques et l’augmentation des niveaux d’AR. Ces changements établissent la polarité du somite et donnent naissance au mésoderme ventral (le sclérotome) qui contient des précurseurs du cartilage et des os alors que le mésoderme dorsal (le dermomyotome) qui reste épithélial donne naissance aux muscles squelettiques, à l’exception des muscles de la tête. Les cellules du dermomyotome expriment des facteurs de transcription Paired-homeobox 3 (Pax3) et Pax7 et de faibles niveaux du facteur de transcription en hélice-boucle-hélice myogenic factor 5 (Myf5, voir aussi ci-dessous) (Gouding et al. 1991 ; Kieffer et Hauscha, 2001 ; Jostes et al. 1990). Les somites sont divisés selon l’anatomie et la musculature du corps et en deux parties : épaxiale et hypaxiale. Le dermomyotome épaxial est adjacent au tube neural. Les cellules qui le composent expriment Myf5. Il est à l’origine des muscles dorsaux, alors que les muscles du corps et des membres dérivent du dermomyotome hypaxial. Des progéniteurs issus des dermomyotomes épaxial et hypaxial migrent sous la régulation de Pax3 et de c-met. Ils se positionnent alors sous le dermomyotome pour former le myotome, premier tissu musculaire différencié de l’embryon. Le myotome intégrera par la suite la musculature du tronc. La différenciation musculaire du myotome est très précoce. Les cellules qui le constituent deviennent très rapidement post-mitotiques, puis expriment Myf5, myogenic regulator factor 4 (MRF4) et myogenic differentiation (MyoD) (décrits ci dessous). La spécification et l’organisation des cellules myogéniques dans les somites sont sous régulation épigénique. Les facteurs de signalisation ont des effets aussi bien permissifs que répressifs sur l’expression des gènes dans les parties épaxiale et hypaxiale du myotome. Les progéniteurs myogéniques prolifèrent intensément avant de diminuer en nombre, alors que le nombre de noyaux musculaires est constant et que la synthèse des protéines des fibres musculaires a atteint un pic de synthèse (Buckingham et al. 2003 ; Davis et Fiorrotto, 2009 ; Schult 1996).
Les facteurs de régulation myogéniques (MRF)
Davis et al. (1987) ont identifié le facteur MyoD à partir d’une banque d’acide désoxyribonucléique (ADN) complémentaire issue de myoblastes. La transduction du gène de ce facteur basique hélice-boucle-hélice (bacic helix-loop-helix, bHLH) transformait des cellules de type fibroblastique en cellules capables de fusionner avec les myotubes (petites structures musculaires plurinucléées). D’autres équipes ont ensuite découvert les autres membres de la famille des facteurs de régulation myogéniques (myogenic regulation factors, MRF) : Myf5, Myogénine et MRF4 aussi appelé Myf6 (Braun et al. 1989 ; Braun et al. 1990 ; Edmondson et Olson 1989 ; Miner et Wold, 1990 ; Rhodes et Konieczny 1989). Les gènes très conservés au cours de l’évolution sont exprimés dans le lignage de différenciation musculaire squelettique (Rudnicki et Jaenisch 1995 ; Weintraub et al. 1991) (Figure 2). Le domaine basique des MRF permet de lier l’ADN tandis que le motif bHLH est nécessaire pour l’hétérodimérisation avec les protéines E. Ces dernières reconnaissent les motifs des promoteurs de plusieurs gènes spécifiques du muscle, les boîtes génomiques E (Massari et Murre 2000). Myf5 est le premier MRF exprimé au cours du développement embryonnaire (Figures 1 et 2). Le mésoderme paraxial en contient des concentrations très importantes. Ensuite, il est de nouveau exprimé avec les autres MRF au cours de la formation du myotome (Buckingham 1992 ; Ott et al. 1991). Des souris déficientes pour Myf5 et MyoD ont été décrites peu de temps après la découverte des MRF (Braun et al. 1992 ; Rudnicki et al. 1992). Les souris déficientes en Myf5 ont un développement embryonnaire retardé jusqu’au stade d’initiation de l’expression de MyoD (Braun et al. 1992), alors que les souris déficientes en MyoD compensent son absence par une augmentation puis une prolongation de l’expression de Myf5 (Rudnicki et al. 1992). Les souris déficientes pour les deux gènes (souris Myf5:MyoD double-nulles) ne forment pas de muscles squelettiques et n’expriment pas Myogénine (Rudnicki 1993). Des approches d’ablation conditionnelle de cellules positives pour Myf5 ou MyoD par induction de toxine diphtérique ont permis de valider l’existence de deux lignages musculaires indépendants, régulés en amont. Myogénine et MRF4 interviendraient dans la différenciation des myoblastes et dans l’induction de gènes spécifiques des myotubes puisque la présence d’un allèle fonctionnel de MRF4 dans les souirs Myf5:MyoD double-nulles ne permet pas de restaurer la myogenèse. De plus, si les souris déficientes en Myogénine présentent des diminutions de marqueurs de différenciation (chaînes lourdes de Myosine et MRF), MyoD reste exprimée à des niveaux normaux (Hasty et al. 1993). Il en résulte une somitogenèse normale mais une formation diffuse des fibres musculaires puisque de nombreux myoblastes restent indifférenciés dans les stades tardifs de la myogenèse.
Les facteurs de transcription Paired-homeobox (Pax)
Tous les vertébrés expriment au moins un des deux facteurs de transcription Pairedhomeobox 3 (Pax3) ou Pax7, sûrement dérivés d’un ancêtre commun (Noll et al. 1993). Le dermomyotome central murin contient plus de cellules positives pour Pax7 que de cellules positives pour Pax3. Ce ratio est inversé dans les lèvres dorsales et ventrales (KassarDuchossoy et al. 2005). Hutcheson et al. (2009) ont conduit des études d’ablation conditionnelle de cellules contenant des allèles de Pax7 ou Pax3 avec de la toxine diphtérique. Ils ont mis en évidence une mortalité embryonnaire en absence du lignage Pax3 associée à l’inhibition de l’émergence de cellules positives pour Pax7. L’ablation du lignage de Pax7 entraîne des défauts dans les stades tardifs embryonnaires : présence de petits muscles et quelques fibres musculaires dans les membres à la naissance (Seale et al. 2000 ; Hutcheton et al. 2009). Le lignage Pax3 semble donc créer une matrice pour initier les premières fibres dans les muscles, utilisée par le lignage Pax7 pour générer les fibres secondaires et établir une réserve de cellules souches (Maqbool et Jagla 2007) (Figure 2). Le rôle de Pax3 dans la formation des muscles des membres est donc primordial. Pax3 active la transcription du gène c-met qui, en association avec son ligand, le facteur de croissance des hépatocytes (HGF) permet la délamination des progéniteurs cellulaires à partir du dermomyotome hypaxial, puis leur migration vers les membres en bourgeon. Une fois dans les membres, les progéniteurs prolifèrent sous la régulation du facteur de transcription Msx1, puis activent leur programme de différenciation myogénique.
Les facteurs de transcription associés aux « Sine Oculis » homeobox
Les protéines « Sine oculis-related » homeobox 1 (Six1) et Six4 ont été récemment considérées comme les premiers maillons de la cascade de régulation génétique du lignage des progéniteurs myogéniques du dermomyotome (Figure 2). Ces facteurs de transcription contiennent deux domaines conservés : un homéodomaine de type « Six » qui se lie à l’ADN et un domaine « Six amino-terminal » qui interagit avec des coactivateurs ou des corépresseurs de la transcription (Kawaki et al. 2000 ; Tessmar et al. 2002 ; Zhu et al. 2002). Les protéines Six se lient aux 2 homologues Eyes absent 1 (Eya1) et Eya2, des cofacteurs pour activer l’expression des gènes cibles tels que Pax3, MyoD, Myogénine et MRF4, qu’elles transloquent au noyau (Grifone et al. 2005). Une surexpression de Six1 et Eya2 dans des explants de somites entraîne une augmentation de Pax3 alors que des souris déficientes en Six1 et Six4 (Six1:Six4 double-nulles) ou en Eya1 et Eya2 (Eya1:Eya2 double-nulles) n’expriment plus Pax3 dans le dermomyotome hypaxial ; elles ne forment plus de membres et de muscles hypaxiaux du tronc (Grifone et al. 2007 ; Heanue et al. 2002). Un élément amplificateur actif hypaxial de Myf5 contient des sites de liaison pour les facteurs Six et Pax3. Ces deux facteurs auraient donc des fonctions parallèles (Giordani et al. 2007). Dans les souris Six1:Six4 double-nulles, seuls les muscles dérivés du dermomyotome épaxial sont retrouvés dans les muscles axiaux. L’expression de Myf5 dans cette région est donc indépendante de celle de Pax3. De simples mutants pour les facteurs Six ou Eya présentent des défauts mineurs, aggravés par des mutations multiples dans ces familles. Il y aurait donc une redondance de fonction (Grifone et al. 2005 ; Grifone et al. 2007). La formation des myofibres se déroule en deux temps (Buckingham et Bajard 2003 ; Buckingham et al. 2006). Une première vague de myoblastes embryonnaires prolifèrent puis fusionnent pour donner les fibres primaires. Toutefois, l’activation de la voie du transforming growth factor (TGF) dans une partie des myoblastes, bloque leur programme de différenciation, ce qui permet leur maintien en quiescence. Par la suite, d’autres signaux vont stimuler une seconde vague de prolifération de myoblastes. Une fois différenciés, ils formeront les fibres secondaires. Ces dernières présentent les caractéristiques de fibres rapides alors que les fibres primaires sont considérées comment des fibres lentes (nous reverrons leurs différences dans la partie 112). L’ensemble de ces facteurs de transcription, additionné aux morphogènes et aux facteurs de croissance, permet de créer des organes d’une complexité structurale aussi bien au niveau du tissu musculaire (macroscopique) que cellulaire (microscopique).
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Table des matières
Introduction
1. Le système musculaire des mammifères
11. Les muscles striés squelettiques
111. La formation des muscles striés squelettiques
112. L’anatomie et le fonctionnement des muscles striés squelettiques
113. La régénération des muscles striés squelettiques
114. Le vieillissement des muscles striés squelettique
115. Les dystrophies musculaires
116. Les modèles animaux de la DMD
117. Les traitements de la DMD
12. Les muscles cardiaques
121. La description macro- et microscopique des muscles striés cardiaques
122. Le couplage excitation/contraction des muscles cardiaques
13. Les muscles lisses
2. La thérapie cellulaire
21. Les cellules progénitricesmyogéniques
211. Les cellules souches musculaires (cellules satellites)
212. Les autres progéniteurs musculaires
22. Les essais et limites de la thérapie cellulaire de la DMD
221. L’utilisation de myoblastes pour des essais thérapeutiques
222. L’utilisation de cellules CD133 pour des essais thérapeutiques
223. Les pistes pour améliorer la thérapie cellulaire
23. Les marqueurs de cellules myogéniques
231. Les marqueurs nucléaires
232. Les marqueurs transmembranaires
3. La superfamille des Aldéhydes déhydrogénases (ALDH)
31. L’ utilisation de l’activité ALDH pour identifier des progéniteurs
311. La structure et le mécanisme d’action des ALDH
312. L’utilisation de l’activité ALDH pour isoler des cellules progéniteurs
313. La mise au point d’un substrat
32. La nomenclature
321. La famille des ALDH1
322. La famille des ALDH2
323. La famille des ALDH3
324. La famille des ALDH4
325. La famille des ALDH5
326. La famille des ALDH6
327. La famille des ALDH7
328. La famille des ALDH8
329. La famille des ALDH9
3221. La famille des ALDH16
3222. La famille des ALDH18
33. Les fonctions des ALDH
331. Les fonctions catalytiques particulières
332. Les principales fonctions non-catalytiques
34. Lescellules ALDHBr dans les différents tissus
341. Les cellules ALDH dans les tissus hématopoïétiques
342. Les cellules ALDH dans le cancer
343. Les cellules ALDH dans les autres tissus
334. Les cellules ALDH dans les muscles squelettiques
Conclusion