Le système lexical : théorie et modélisation

L’évaluation est un élément central de l’intervention orthophonique. Le croisement de données anamnestiques et de l’évaluation standardisée permet d’obtenir le profil langagier du patient, puis un projet de soin correspondant aux difficultés identifiées. En aphasiologie, il n’est pas toujours aisé d’évaluer les difficultés lexico-sémantiques des patients, en particulier lorsque les troubles sont fins. Les patients cérébrolésés suite à un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un traumatisme crânien (TC) peuvent avoir ce type de difficultés lexico-sémantiques fines (Pillon & Samson, 2014). Les patients consultent parce qu’ils ont une plainte langagière, notamment une anomie, qui correspond à une « difficulté à retrouver ou à produire la forme appropriée d’un mot au moment précis où l’individu souhaite le prononcer» (Pillon, 2014). Malgré cette plainte langagière, qui peut engendrer des difficultés communicationnelles notables, la passation des épreuves standardisées peut se traduire par des scores dans la norme de l’étalonnage (Sainson & Trauchessec, 2020; Vallat-Azouvi & ChardinLafont, 2012). Le constat établi est que les tests actuellement disponibles pour le diagnostic des troubles lexicaux ne sont pas sensibles aux difficultés fines (Sainson & Trauchessec, 2020). L’élaboration d’une batterie lexico-sémantique des troubles fins du langage permettrait donc d’objectiver ces troubles et de prendre en charge les patients.

En 2020, Claire Sainson et Christelle Bolloré ont élaboré une nouvelle batterie lexicosémantique, appelée la LAZ-50, conçue pour répondre à cette problématique. Les items finaux des six épreuves, portant sur des mots de basse fréquence et sur des expressions idiomatiques, ont été sélectionnés suite à trois mémoires d’étudiantes en orthophonie (Dabouis, 2021; Goux, 2021; Lambert, 2021). Ce mémoire s’inscrit dans la continuité de cette étude et a pour objectif de participer à la validation de la LAZ-50 auprès de sujets cérébrolésés droits (n = 12) et traumatisés crâniens (n = 10), en comparant leurs résultats à ceux de volontaires sains appariés (n = 22).

Le système lexical : théorie et modélisation 

Aspects théoriques : mémoire sémantique versus système lexico sémantique 

La mémoire sémantique a été découverte par Tulving, qui a distingué, au sein de la mémoire à long terme, les concepts de mémoire épisodique et de mémoire sémantique (Tulving, 1972). La mémoire sémantique était alors comparée à un thésaurus mental, contenant l’ensemble des connaissances sur le monde, les objets, les faits et les personnes. La mémoire sémantique est une mémoire hautement organisée, relativement permanente et indépendante du contexte. Elle est basée sur la culture et l’expertise de l’individu et est une mémoire partagée et singulière. Les informations qui y sont stockées sont indépendantes du contexte d’apprentissage. A l’inverse, la mémoire épisodique est une mémoire événementielle bien moins organisée, hautement sujette à l’oubli et dépendante du contexte (Thomas-Antérion & Borg, 2009).

La question de l’organisation de la mémoire sémantique fait débat et n’a cessé d’évoluer au fil des années. Pour la psychologie cognitive, la mémoire sémantique est conçue sous forme de réseaux sémantiques. Un premier modèle a été proposé dans les années 1960 par Quillian et Collins, dans lequel la mémoire sémantique était organisée de manière taxonomique. C’està-dire que les catégories étaient organisées selon un mode hiérarchique (Collins & Quillian, 1969).

Trois types de classes étaient alors décrites : les classes supra-ordonnées ou hyperonymes (exemple : animal), les classes sous-ordonnées ou hyponymes (exemple : canari) et les classes intermédiaires (exemple : oiseau). L’intérêt de ce type de modèle est que chaque nœud hérite des propriétés des nœuds qui lui sont supra-ordonnés. Collins et Loftus (1975) abandonnent la notion de hiérarchie du réseau sémantique. La cooccurrence situationnelle devient le principe d’organisation du réseau sémantique, c’est-àdire que la situation donne sens.

La mémoire sémantique comprend donc toutes les représentations sémantiques et connaissances qu’une personne a sur le monde. Pour aller plus loin dans les modélisations, des auteurs ont inclus la mémoire sémantique dans un système lexico-sémantique, qui a pour objectif de modéliser la manière dont un sujet accède à ses connaissances sémantiques.

Modélisation du système lexico-sémantique et des représentations sémantiques 

En neuropsychologie, les auteurs tentent d’expliquer de quelle manière les connaissances conceptuelles s’organisent dans notre mémoire, en se basant sur deux conceptions qui s’opposent. La mémoire sémantique est parfois considérée comme un système unique (amodal) et parfois comme un système multiple (plurimodal). Parmi les modèles amodaux, qui postulent une représentation au sein d’un même système de tous les types de propriétés liées aux différents domaines de connaissances ou catégories d’objets, il existe le modèle OUCH d’Hillis et Caramazza. Le modèle d’Hillis et Caramazza (1990) est une représentation très schématique du système lexical et plus particulièrement de la production et de la reconnaissance des mots isolés. Il comporte différentes entrées (auditive, visuelle et écrite) et sorties (orale et écrite). Au centre du modèle se trouve le système sémantique, qui est responsable du stockage et du traitement de la représentation sémantique du lexique. Les lexiques d’entrée sont impliqués dans la reconnaissance (phonologique et orthographique). Tandis que les lexiques de sortie sont engagés dans la production (phonologique et orthographique). Le système de description structural est impliqué dans la reconnaissance visuelle des objets. Des mécanismes de conversion, mettent en correspondance et transforment les informations de natures différentes : la conversion acoustico phonologique, la conversion grapho-phonémique et la conversion phonographémique. Les mémoires tampon, ou buffer, phonologique et graphémique permettent quant à eux le maintien à court terme des informations en vue de l’activation des opérations finales de production orale ou écrite.

Les modèles plurimodaux, quant à eux, estiment que la modalité d’entrée est déterminante pour le traitement du stimulus. Ces modèles ont été créés grâce aux études lésionnelles et à l’observation de nouvelles formes de dissociations chez les patients. Parmi ces modèles, le modèle de Warrington (1975) postule qu’il existerait plusieurs sous-systèmes de la mémoire sémantique qui seraient divisés en sous-parties. Le système sémantique verbal se chargerait du traitement des informations auditives et visuelles verbales, alors que le sous-système sémantique visuel non-verbal servirait à traiter les informations visuelles nonverbales.

Que les modèles soient amodaux ou plurimodaux, selon la fréquence du mot, la production ne sera pas toujours aussi aisée. Morton (1979) décrit la notion de logogène, qui correspond à l’ensemble des informations associées à une représentation lexicale, comme sa structure phonétique, ses caractéristiques syntaxiques et sémantiques. Les logogènes seraient activés lorsque la somme des activations provenant de différentes sources d’information dépasserait un seuil spécifique à chacune d’elle. Un seuil d’activation existerait donc pour chaque mot et dépendrait de la fréquence des mots. Plus un mot présente une fréquence d’occurrence élevée dans la langue, plus son seuil d’activation est bas. Le niveau d’activation d’un logogène décroitra lentement au fil des sélections, ce qui explique la réduction du temps de traitement pour un mot déjà vu et traité. Un indiçage (amorçage sémantique ou phonologique, par exemple) serait facilitateur pour retrouver un mot, car il permettrait d’abaisser le seuil d’activation du mot cible (Sainson & Trauchessec, 2020).

En plus de dépendre de l’intégrité du système sémantique, la production de mot repose également sur l’accès à ce système préservé. La modalité d’entrée de l’information dans le système déterminerait l’accès à un système sémantique particulier : verbal pour les mots, visuel pour les images… (Fouchey, 2009). D’autres éléments interviendraient également dans la production du mot, comme le contrôle exécutif sémantique. Celui-ci permet la manipulation sémantique au sein du système sémantique. Il est responsable de l’activation des bonnes représentations sémantiques ainsi que de l’inhibition des voisins sémantiques. Les processus exécutifs permettraient alors, lors de la production de mot, de sélectionner uniquement les informations sémantiques pertinentes en fonction de ce qui est demandé, en activant les représentations sémantiques adéquates et en inhibant les voisins sémantiques (Sainson & Trauchessec, 2020).

Ces modèles lexico-sémantiques représentent donc la manière dont un sujet accède à ses connaissances sémantiques, dans le but de produire un mot.

Modélisation du système lexico-phonologique

Levelt, Roelofs et Meyer (1999) postulent que la production de mots suit un processus par étapes, allant de la préparation conceptuelle à l’articulation du mot. Ces étapes sont respectivement le concept lexical, les lemmes, les morphèmes, les mots phonologiques et les partitions gestuelles phonétiques (qui sont utilisées dans l’articulation). La production intentionnelle d’un mot implique toujours l’activation de son concept lexical. Même si un unique concept lexical simple est produit, ce qui est souvent le cas en dénomination d’objet, plusieurs concepts lexicaux seront toujours activés parce qu’il existe différentes manières de nommer un même objet (exemple : en dénomination, un même objet peut être appelé «animal », « cheval », « jument » …). Il n’y a pas de connexion simple entre ce que l’on perçoit et les concepts lexicaux. Cette transition est toujours médiatisée par les considérations pragmatiques et contextuelles.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE THÉORIQUE
1. LE SYSTÈME LEXICAL
1.1. Le système lexical : théorie et modélisation
1.1.1. Aspects théoriques : mémoire sémantique versus système lexico-sémantique
1.1.2. Modélisation du système lexico-sémantique et des représentations sémantiques
1.1.3. Modélisation du système lexico-phonologique
1.1.4. Variables linguistiques dans l’accès au lexique
1.2 Le système lexical : la particularité des expressions idiomatiques
1.2.1. Définition des idiomes
1.2.2. Production et traitement des idiomes
1.2.3. Variables intervenant dans l’accès aux idiomes
1.2.4. Caractéristiques psycholinguistiques du traitement des idiomes
2. LES TROUBLES LEXICO-SÉMANTIQUES FINS
2.1. Description des atteintes au regard du système lexical
2.1.1. Description des atteintes lexico-sémantiques et lexico-phonologiques
2.1.2. Les troubles « fins »
2.2. Troubles lexicaux fins et TNC
2.2.1. TNC léger non évolutif : cérébrolésion droite
2.2.2. TNC léger non évolutif : traumatisme crânien
3. ÉVALUATION DES TROUBLES LEXICO-SÉMANTIQUES
3.1. Les outils existants
3.1.1. Mots
3.1.2. Idiomes
3.2. La notion de plainte
3.3. Difficultés d’évaluation des troubles discrets du langage
PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES
PARTIE MÉTHODOLOGIQUE
1. POPULATION
1.1. Population d’étude
1.2. Critères d’inclusion et d’exclusion
1.3. Description de la population
2. MATÉRIEL
2.1. Flyer de recrutement
2.2. Feuille de consentement
2.3. Questionnaire d’inclusion/exclusion
2.4. MoCA
2.5. Questionnaire de plainte d’anomie
2.6. Batterie d’évaluation des troubles lexicaux (BETL)
2.7. TDQ-30
2.8. LAZ50
2.8.1. Généralités
2.8.2. Partie portant sur les mots
2.8.3. Partie portant sur les idiomes
3. PROCÉDURE EXPÉRIMENTALE
3.1. Considérations éthiques et réglementation
3.2. Lieux et dates de passation
3.3. Durée de passation
3.4. Protocole de passation
3.4.1. Patients
3.4.2. Volontaires sains
4. ANALYSE DES DONNÉES
4.1. Variables
4.2. Hypothèses opérationnelles
4.3. Tests statistiques
PARTIE RÉSULTATS
1. VALIDITÉ CONVERGENTE DE LA LAZ-50 : COMPARAISON DES SCORES DES SUJETS VOLONTAIRES SAINS ET DES PATIENTS AU TDQ-30 ET À LA LAZ-50
2. VALIDITÉ DISCRIMINANTE DE LA LAZ-50 : COMPARAISONS DES SUJETS VOLONTAIRES SAINS ET DES PATIENTS DANS LES ÉPREUVES PORTANT SUR LES MOTS
2.1. Sujets cérébrolésés droits
2.1.1. Temps
2.1.2. Score
2.2. Sujets traumatisés crâniens
2.2.1. Temps
2.2.2. Score
3. VALIDITÉ DISCRIMINANTE DE LA LAZ-50 : COMPARAISON DES SUJETS VOLONTAIRES SAINS ET DES PATIENTS DANS LES ÉPREUVES PORTANT SUR LES IDIOMES
3.1. Sujets cérébrolésés droits
3.1.1. Temps
3.1.2. Score
3.2. Sujets traumatisés crâniens
3.2.1. Temps
3.2.2. Score
4. COHÉRENCE INTERNE DE LA LAZ-50
PARTIE DISCUSSION
1. CADRE THÉORIQUE ET OBJECTIFS DE L’ÉTUDE
2. ANALYSE DES RÉSULTATS
2.1. Hypothèse 1 : validité convergente de la LAZ-50
2.2. Hypothèse 2 : validité discriminante des épreuves portant sur les mots
2.3. Hypothèse 3 : validité discriminante des épreuves portant sur les idiomes
2.4. Hypothèse 4 : Cohérence interne de la LAZ-50
3. INTÉRÊTS ET LIMITES DE L’ÉTUDE
3.1. Limites
3.2. Intérêts
4. PERSPECTIVES
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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