Le développement des nanomatériaux et leur emploi à l’échelle industrielle sont en plein essor depuis une dizaine d’années. En effet, les propriétés physico-chimiques de ces matériaux permettent leur utilisation pour des applications variées, allant de la fabrication de produits alimentaires ou cosmétiques, au développement d’outils pour l’électronique ou encore les sciences biomédicales. Parmi ces matériaux, les nanoparticules de métaux et d’oxydes métalliques suscitent de plus en plus d’intérêt. Ainsi, les nanoparticules d’argent (Ag), de cuivre (Cu) et d’oxyde de cuivre (CuO) sont fréquemment utilisées pour leur caractère bactéricide, tandis que les propriétés paramagnétiques des nanoparticules d’oxyde de fer (Fe2O3) permettent leur utilisation dans le domaine de l’imagerie médicale. Les particules de dioxyde de titane (TiO2) et d’oxyde de zinc (ZnO) trouvent quant à elles une application dans la fabrication d’écrans solaires, du fait notamment de leurs propriétés d’absorption des rayons UV.
Cependant, l’utilisation croissante de ce type de matériaux soulève aujourd’hui des questions de santé publique. En effet, les interactions des nanoparticules avec les systèmes biologiques, et leur toxicité potentielle, sont à l’heure actuelle mal connues. Le risque sanitaire associé reste de ce fait difficile à évaluer. De plus, l’utilisation industrielle de nanoparticules entraîne également la production de déchets dont la libération dans l’environnement pourrait s’avérer difficile à contrôler, et dont les conséquences sont pour l’instant mal connues.
Des études de plus en plus nombreuses sont ainsi réalisées afin de mieux comprendre et mieux maîtriser les propriétés, le comportement et les risques liés aux nanoparticules. Celles-ci visent notamment à évaluer la toxicité de nanoparticules de nature variée sur différents modèles in vivo ou in vitro. La majorité des études réalisées in vitro se limitent cependant à des données qualitatives, démontrant que la plupart des nanoparticules métalliques induisent une augmentation du taux de mortalité cellulaire, associée principalement à des dommages à l’ADN, et à une production d’espèces réactives de l’oxygène (ROS). Mais les mécanismes moléculaires impliqués dans la toxicité des nanoparticules métalliques restent à élucider.
LE SYSTEME IMMUNITAIRE ET LES MACROPHAGES
La réponse immunitaire
Généralités
Le système immunitaire est constitué d’un réseau complexe de cellules, tissus et organes dont le rôle est d’assurer la protection de l’organisme. Ces différents constituants sont ainsi capables de mettre en place des mécanismes de défense contre tout élément reconnu comme un danger, qui peut être : (a) exogène, faisant donc partie du « non-soi » (généralement un agent pathogène pouvant être infectieux, mais aussi des agents chimiques ou physiques) ; (b) endogène (cellules nécrosées, tumorales, ou encore infectées par un agent pathogène). Si l’élément cible est présent en faible quantité, il peut être éliminé rapidement par le système immunitaire. Dans le cas contraire, des mécanismes plus complexes sont mis en place, faisant intervenir un nombre plus large d’effecteurs. On distingue ainsi deux types d’immunité : l’immunité innée, capable de reconnaître de façon non-spécifique et d’éliminer des signaux de danger, et l’immunité adaptative, basée sur la reconnaissance spécifique et l’élimination ciblée de l’agent pathogène ou du type cellulaire endommagé. Les cellules de l’immunité innée et adaptative sont soumises à des mécanismes de régulation très précis, et leur efficacité dépend de leur capacité à reconnaître les cellules cibles (répertoire « mémoire ») (O’Farrelly, C. and Doherty, D. G., 2007). Les cellules du système immunitaire sont toutes issues de la différenciation des cellules souches hématopoïétiques . Deux lignées peuvent être distinguées : la lignée lymphoïde d’une part, à l’origine des lymphocytes B, T (CD8+ et CD4+), et des cellules natural killer (NK), et d’autre part la lignée myéloïde, qui conduit à la formation des granulocytes (neutrophiles, éosinophiles et basophiles), monocytes, macrophages et cellules dendritiques (DCs). La différenciation des progéniteurs de ces types cellulaires est régulée par l’action de facteurs de croissance et de différenciation, associée à celle de nombreuses interleukines. Une fois différenciées, chaque type cellulaire porte des marqueurs de surface qui lui sont spécifiques.
L’immunité innée
L’immunité innée constitue la première ligne de défense de l’organisme, et peut être définie comme étant l’ensemble des dispositifs de défense actifs en permanence et de façon non spécifique. Elle comprend donc tout d’abord les barrières naturelles : ce sont principalement la peau (kératinocytes notamment), les sécrétions, et les muqueuses des appareils respiratoire, digestif et reproducteur (Liaskou, E., et al., 2012). Dès lors que ces premières barrières ont été traversées, les cellules du système immunitaire inné interviennent. Plusieurs types cellulaires sont alors mis en jeu : neutrophiles, monocytes, macrophages, cellules dendritiques (DCs), mastocytes, et lymphocytes « natural killer » (NK). Ces cellules portent des récepteurs de surface, appelés pattern-recognition receptors (PRRs), dont la diversité leur permet de reconnaître un large panel de motifs associés à des signaux de danger, regroupés sous le nom de pathogenassociated molecular patterns (PAMPs). Les PRRs incluent notamment des récepteurs aux sucres bactériens, et des récepteurs Toll-like (TLRs). Les motifs reconnus peuvent être soit des molécules produites et/ou portées par les agents pathogènes, tels que des lipopolysaccharides, lipoprotéines, glycolipides, acides nucléiques viraux ou bactériens… (Figure 2) ; soit des modifications de surface ou des composés produits par des cellules endommagées, tels que les heat shock protéines (HSP),le fibrinogène, ou encore des composés portés par les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I (CMH I) (Lanier, L.L., 2005 ; Akira, S., 2006).
L’activation des neutrophiles, macrophages, et DCs conduit à l’élimination ciblée des pathogènes reconnus, par le biais de mécanismes de phagocytose et/ou de la libération de composés cytotoxiques selon le type cellulaire (dégranulation) (Underhill, D.M., 2002 ; Akira, S., 2006). Les cellules NK, quant à elles, sont responsables de la destruction de cellules endogènes nécrosées, infectées ou en cours de transformation tumorale, en induisant notamment l’apoptose. Enfin, l’activation des cellules de l’immunité innée s’accompagne d’un ensemble complexe de réactions intra- et intercellulaires appelé « réponse inflammatoire » ou « réaction inflammatoire ».
La réaction inflammatoire
Il s’agit d’une réponse dynamique au cours de laquelle les cellules acquièrent dans un premier temps un rôle pro-inflammatoire, permettant le recrutement et l’activation d’autres effecteurs et donc l’amplification de la réponse. Puis les cellules évoluent progressivement vers une fonction anti-inflammatoire, assurant alors le contrôle et la résolution de la réaction inflammatoire (O’Farrelly, C. and Doherty, D. G., 2007). La réaction inflammatoire est induite par la production de nombreux messagers chimiques résultant de l’activation des cellules immunitaires ayant reconnu un signal de danger. Leurs interactions permettent dans un premier temps d’amplifier la réponse (action synergique ou additive des médiateurs), puis de la diminuer (action antagoniste). Au cours de la phase d’amplification, les médiateurs produits ont pour rôle majeur de mobiliser d’autres cellules immunitaires, en particulier phagocytaires (neutrophiles, monocytes et macrophages), mais aussi des lymphocytes, et de les amener jusqu’au site de l’infection. Différentes classes de médiateurs interviennent ici :
– des médiateurs produits par les cellules immunitaires activées, et par certains types cellulaires (cellules endothéliales par exemple) : cytokines pro- et anti inflammatoires, chimiokines, ou autres médiateurs de nature chimique différente (espèces réactives de l’oxygène (ROS), oxyde nitreux (NO)…), dont le rôle est d’induire, amplifier, prolonger puis terminer la réponse (Rogler, G., 1998) ;
– des médiateurs produits par les cellules des tissus lésés : molécules d’adhésion, sérotonine, histamine, médiateurs lipidiques (prostaglandines, leucotriènes), ou encore facteurs d’activation plaquettaire (platelet-activating factror PAF), qui stimulent la production en cascade des médiateurs précédents et favorisent les phénomènes de vasodilatation au point d’infection, nécessaires au recrutement croissant des cellules immunitaires (Larsen, G.L., 1983 ; Rogler, G., 1998) ;
– des médiateurs plasmatiques : produits du complément (C3b, C5, opsonines, complexe d’attaque membranaire…) ou facteurs de coagulation, qui contribuent à l’élimination des cellules cibles et à la réparation tissulaire.
La synthèse rapide des cytokines et chimiokines par les cellules stimulées résulte de l’activation de facteurs de transcription spécifiques, tels que le facteur nucléaire NFκB. Les cytokines pro-inflammatoires (tumor necrosis alpha, TNF-α ; interleukines IL-1, IL-6, IL-12, IL-18 ; interférons IFN-α, IFN-β, et IFN-γ…) sont synthétisées dans la phase précoce de l’inflammation, et activent la synthèse et la libération de composés antimicrobiens (ROS, NO…) (Rogler, G., 1998). Elles sont également capables de diffuser à travers les tissus et de passer dans la circulation, et participent ainsi au recrutement, à la différenciation et à l’activation d’autres cellules du système immunitaire inné (production de facteurs tels que le granulocyte-monocyte colony stimulating factor, GM-CSF). Les chimiokines, quant à elles, sont des cytokines chimiotactiques produites essentiellement par les macrophages (macrophage inflammatory proteins MIP-1α, MIP-β ; interleukine IL 8…), et dont le rôle essentiel est d’attirer d’autres effecteurs sur le site de l’infection (monocytes, neutrophiles et lymphocytes) (Joyce, S., 2000 ; Mackay, C.R., 2001 ; O’Farrelly, C. and Doherty, D. G., 2007) (Figure 3). L’amplification de la réponse conduit à l’élimination des cellules cibles par phagocytose ou apoptose (cf. 3.2).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
1. LE SYSTEME IMMUNITAIRE ET LES MACROPHAGES
1.1. La réponse immunitaire
1.2. Le rôle central des macrophages
1.3. Macrophages et particules
2. LES NANOMATERIAUX : ENJEUX ET PROPRIETES
2.1. Les nanotechnologies : contexte économique et juridique
2.2. Définitions
2.3. Les nanoparticules : propriétés et applications
2.4. Les nanoparticules étudiées dans ces travaux
3. TOXICITE DES NANOPARTICULES : LE « RISQUE NANO »
3.1. Nanotoxicologie et éconanotoxicologie
3.2. Modes et voies d’exposition
3.3. Propriétés des nanoparticules pouvant influencer leur toxicité
3.4. Caractérisation des paramètres physico-chimiques des NPs
3.5. Toxicité des NPs in vivo et in vitro
3.6. Toxicité des nanoparticules étudiées
4. L’APPROCHE PROTEOMIQUE
4.1. Définitions et stratégies
4.2. Préparation de l’échantillon protéique
4.3. Séparation des protéines ou des peptides
4.4. Spectrométrie de masse
4.5. Choix d’une approche protéomique en toxicologie des nanoparticules
MATERIELS ET METHODES
1. LES NANOPARTICULES
1.1. Caractéristiques et mise en suspension des NP
1.2. Caractérisation par DLS
1.3. Microscopie électronique
1.4. Mesure de la dissolution des NP dans les milieux de culture
2. MODELES CELLULAIRES ET TESTS DE VIABILITE
2.1. Culture des lignées RAW 264.7 et J774A.1
2.2. Mise en culture primaire de macrophages de souris
2.3. Tests de viabilité par exclusion de colorant
3. ANALYSE PROTEOMIQUE
3.1. Traitement des cellules et préparation des échantillons
3.2. Electrophorèse bidimensionnelle
3.3. Analyse d’images
3.4. Identification des protéines par spectrométrie de masse
4. ANALYSES FONCTIONNELLES COMPLEMENTAIRES
4.1. Cytométrie en flux
4.2. Dosage du NO sécrété par les cellules
4.3. Dosage enzymatique du pyruvate
RESULTATS ET DISCUSSION
1. EFFETS DES NANOPARTICULES DE CUIVRE ET D’OXYDE DE CUIVRE
1.1. Préparation et caractérisation des nanoparticules de Cu et CuO
1.2. Evaluation de la cytotoxicité sur les lignées RAW264.7 et J774A.1
1.3. Analyse protéomique sur les lignées cellulaires
1.4. Validations fonctionnelles sur les lignées cellulaires
1.5. Validation sur des macrophages primaires murins
1.6. Bilan sur le cuivre et l’oxyde de cuivre
2. EFFETS DES NANOPARTICULES D’OXYDE DE ZINC
2.1. Préparation et caractérisation des nanoparticules de ZnO
2.2. Evaluation de la cytotoxicité sur les lignées RAW264.7 et J774A.1
2.3. Analyse protéomique sur la lignée RAW 264.7
2.4. Validations fonctionnelles sur les lignées cellulaires
2.5. Validation sur des macrophages primaires murins
2.6. Bilan sur l’oxyde de zinc
DISCUSSION GENERALE
1. NANOPARTICULES ET CYTOTOXICITE
1.1. Dispersion et caractérisation
1.2. Cytotoxicité du cuivre et du zinc
2. ANALYSE PROTEOMIQUE : COMPARAISON DES EFFETS DU CUIVRE ET DU ZINC
2.1. Analyse globale
2.2. Réponse générale des cellules au stress
2.3. Réponse au stress oxydant
2.4. Réponse mitochondriale
2.5. Effets sur le cytosquelette et le trafic intracellulaire
2.6. Effets sur les voies de dégradation protéique
2.7. Autres effets observés
2.8. Bilan de l’analyse protéomique comparative
3. VALIDATIONS FONCTIONNELLES : EFFETS COMPARES DU CUIVRE ET DU ZINC
3.1. Effets sur la capacité phagocytaire des macrophages
3.2. Effets sur le métabolisme du glutathion
3.3. Effets sur le potentiel transmembranaire mitochondrial
3.4. Effets sur la capacité de production du NO
3.5. Effets sur la production de pyruvate
CONCLUSIONS GENERALES